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Rapport Baker : l’effet Nintendo

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  • Rapport Baker : l’effet Nintendo

    Nintendo vient de lancer une console révolutionnaire, le Wii qui s’est vendue à des millions d’exemplaires en quelques jours. Le rapport Baker a connu le même succès mondial pour des effets qui restent également encore très virtuels

    La nouvelle console de jeu de Nintendo, la Wii, s’est écoulée à 476.000 exemplaires aux Etats-Unis pour le seul mois de novembre, plus du double des ventes de la dernière-née de Sony, la Play Station 3, sortie, elle aussi, à la mi-novembre. Sur le marché mondial, Nintendo s’attend à vendre 4 millions de Wii à travers la planète d’ici fin décembre, soit le double des prévisions de Sony.

    A l’origine de ce raz-de-marée mondial: une diabolique petite astuce technologique qui va faire plonger les joueurs encore plus dans le monde virtuel. Nintendo a toujours réussi à innover et à surprendre, la Wii ne fait pas exception à la règle avec une manette sans fil très différente de ce qui a été conçu jusqu’ici. Elle prend en compte les mouvements du bras et de la main dans l’espace en les reproduisant sur l’écran. L’interaction est totale avec le jeu choisi. Plus simplement: vous pouvez vous servir de votre manette (voire de deux) comme une raquette de tennis, comme une épée, une canne de golf, un gant de boxe ou une boule de bowling, une arme à feu... Ainsi équipé, le joueur peut s’agiter à l’infini dans son salon, noyé dans son monde virtuel tel l’enfant qui fait «Pan! Pan!» en tirant avec son doigt.

    Toutes choses étant égales par ailleurs, le rapport Baker, malgré ses immenses qualités, crée un peu pour l’observateur le même curieux effet de confusion entre le simulé et le réel.

    Plongée dans un monde virtuel


    Le rapport rédigé sous l’autorité de James Baker, ancien collaborateur de George Bush père et Lee Hamilton, coprésidents de la Commission d’étude sur l’Irak, formée de parlementaires républicains et démocrates, a été remis au Président George Bush fils, le 6 décembre dernier. Ce dernier a dû être passablement secoué, lors de sa lecture, par l’ampleur du réquisitoire.

    Selon le texte de la Commission, la «situation est grave et se détériore (...) Un glissement vers le chaos pourrait entraîner l’effondrement du gouvernement irakien et une catastrophe humanitaire. Les pays voisins pourraient intervenir». On est loin des «la victoire est pour demain» rabâchés depuis trois ans par le Chef de l’exécutif américain.

    Les parlementaires, pour autant, reconnaissent qu’il n’existe pas de «formule magique» pour sortir du bourbier irakien.

    Les parlementaires fustigent les diverses issues actuelles possibles qui sont autant d’impasses:

    1. Le retrait précipité: «Nous estimons qu’il serait une erreur de la part des Etats-Unis d’abandonner le pays en retirant précipitamment leurs soldats et leur aide. Un départ prématuré entraînerait très certainement une augmentation des violences religieuses et une détérioration accrue de la situation».

    2. Le maintien de la politique actuelle: «La politique américaine actuelle ne fonctionne pas. Le maintien en l’état de cette politique ne ferait que remettre à plus tard l’heure du bilan, qui n’en serait alors que plus lourd».

    3. L’augmentation des effectifs militaires: «L’augmentation soutenue du nombre de soldats américains en Irak ne peut rien contre la cause essentielle des violences en Irak, l’absence de réconciliation nationale».

    4. L’éclatement de l’Irak en trois régions: «Le transfert du pouvoir à un Irak divisé en trois régions semi-autonomes sous la houlette d’un pouvoir central faible présente des risques trop importants». *

    Le rapport a également le mérite de transgresser trois tabous de l’administration Bush.


    Pour les parlementaires:


    1. Un calendrier de retrait des troupes est nécessaire.

    2. Il faut parler à l’Iran et à la Syrie.

    3. Il faut relancer le processus de paix israélo-palestinien, seul moyen de réduire les tensions dans la région.

    De puissants obstacles

    Une très grande majorité de citoyens américains partagent dorénavant les positions du rapport Baker: d’après un sondage publié mardi 12 décembre par le quotidien «USA Today», 74% des Américains sont partisans d’un retrait de la plupart des troupes de combat américaines d’Irak d’ici à mars 2008, comme le préconise la commission, 71% des personnes interrogées pensent que les Etats-Unis doivent instaurer un dialogue avec l’Iran et la Syrie, tandis que 76% estiment que Washington doit s’occuper du conflit israélo-palestinien. Pour 64% des personnes interrogées, les coûts de la guerre en Irak dépassent ses bénéfices. Pour seulement 16% d’entre elles, les Etats-Unis sont en train de gagner et 61% assurent que leur pays ne gagnera pas la guerre.

    Toutefois, avec raison 54% des Américains pensent que l’administration Bush ne mettra pas en application les principales recommandations de la commission Baker. Seuls 18% envisagent un retrait américain dans l’année. Moins d’un Américain sur cinq a une «grande» confiance dans le président George W. Bush pour prendre les bonnes décisions sur la présence américaine en Irak.

    Le cadre dessiné par la commission Baker, en effet, est juste mais il ne définit pas pour autant une issue concrète tangible. Il s’agit certes d’une mission exploratoire, reste à l’Exécutif et le Congrès de prendre leurs responsabilités mais les obstacles d’importance, internes et externes ne manquent pas.

    Ces difficultés sont de trois ordres. Sur le plan interne américain, les citoyens américains ne se trompent pas: George Bush, un homme de conviction pour certains, un politicien buté pour d’autres, ne reconnaîtra pas facilement de s’être trompé à ce point. Il a remporté ses deux victoires présidentielles en réclamant une Amérique forte, unilatérale et victorieuse. Par ailleurs ses adversaires démocrates en conviennent: un retrait précipité serait catastrophique. Rien n’est possible avant 2008, par hasard la date des présidentielles américaines. George Bush a donc tout intérêt à faire le dos rond jusqu’à la fin de son mandat, tout en prêchant la bonne parole à ses concurrents démocrates.

    Tâche d’autant plus aisée que la stratégie proposée par la commission Baker, dont il faut saluer la lucidité et le courage, va à rebours de toute la politique américaine au Moyen-Orient depuis au moins 1973...

    Sur un plan régional, les réactions sont prudentes ou courroucées, notamment chez les alliés des Etats-Unis. En Israël, alors que le Premier ministre Ehud Olmert a affirmé, jeudi dernier, publiquement et nettement, son désaccord. Inquiet décontenancé, Ehud Olmert affirme que le rapport Baker est «d’un problème interne» aux Etats-Unis. Tel-Aviv s’en mord certainement les doigts avec encore plus de vigueur: sa décision calamiteuse d’envahir, cet été, le Liban avait été visiblement prise sous fortes pressions de Washington...

    Dans le monde arabe, les avis sont partagés. A Bagdad, le Président irakien Jalal Talabani a «rejeté dans son ensemble» le rapport Baker, qui selon lui, «porte atteinte à la souveraineté de l’Irak et à sa constitution». Côté syrien, le ministère des Affaires étrangères a estimé que le rapport Baker était «positif» et «objectif», notamment en ce qui concerne le rôle que les pays voisins de l’Irak pourraient jouer pour y assurer la sécurité. Damas a particulièrement entendu la promesse faite par la Commission d’une récupération du Golan.

    Que va demander l’Iran ?


    On attend encore la réaction de Téhéran. Sans nul doute, le régime iranien se frotte les mains. La débâcle américaine en Irak avait rétabli la nouvelle Perse comme puissance régionale, une commission de Congrès américain lui demande aujourd’hui d’entrer «dans un dialogue constructif» sur l’avenir de la région. Il y a encore quelques semaines, George Bush menaçait l’Iran de frappes aériennes massives. Quel renversement!

    Négocier? Peut-être. Mais pour quelles contreparties? On connaît la demande iranienne: l’accès au nucléaire militaire. On imagine mal la puissance américaine céder rapidement à telle demande, d’autant que le Président Mahmoud Ahmadinejad multiplie les provocations telle la sulfureuse «conférence internationale» sur l’Holocauste des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale qui s’est tenue à Téhéran le 11 décembre.

    Restent enfin les acteurs de la quasi «guerre civile» irakienne: le gouvernement de Bagdad est violemment opposé au Plan Baker, les Kurdes sont vent debout contre, la résistance sunnite sera au mieux sceptique et l’islamisme internationaliste radical, Al-Qaida et ses épigones, y verra une belle occasion de pousser son avantage.

    Le rapport Baker fait un bon diagnostic et propose des solutions excellentes. Reste que, faute d’acteurs compétents ou coopératifs, il se meut encore dans un monde parfaitement virtuel.

    Il faut donc comme pour le Wii, que les joueurs apprennent patiemment une nouvelle façon de jouer. Submergé par son propre succès, Nintendo a dû lancer une mise en garde, plusieurs consommateurs avaient démoli leur téléviseur en projetant accidentellement leur manette lors de parties un peu trop réelles. «Nous appelons les gens à comprendre qu’il n’est pas nécessaire de s’exciter autant. C’est plutôt en comprenant le fonctionnement de la manette que l’on devient un as», a expliqué le président Satoru Iwata.

    * citations extraites de la traduction faite par le journal
    «Le Monde» du 8/12/06

    Par Pierre de Morville, le Quotidien d'Oran
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