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Inégalités : voulons-nous vraiment combattre l'injustice sociale ?

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  • Inégalités : voulons-nous vraiment combattre l'injustice sociale ?

    En 2016, 1% de la population mondiale possédera autant que les 99% restants ! Pourquoi les choses ne changent-elles pas ? Le philosophe Patrick Savidan donne une réponse troublante.


    Heureusement, il y a l'Insee. In extremis, au dernier jour de l'été, le voici qui nous dardait un ultime rayon de soleil : en France, entre 2012 et 2013, l'écart entre les riches et les pauvres a un peu diminué. Saluons la bonne nouvelle, même si, hélas, une hirondelle ne fait pas le printemps. Ces derniers chiffres, agréables à entendre, ne changent guère la tendance hivernale observée depuis trente ans et singulièrement depuis la crise de 2008 : les inégalités de revenu explosent dans le monde entier. Et font régulièrement la une de l'actualité.

    Le 21 mai dernier, par exemple, à l'occasion d'un rapport de l'OCDE (1) sur cette question, son secrétaire général déclarait : « Les inégalités dans les pays de l'OCDE n'ont jamais été aussi élevées depuis que nous les mesurons. » L'organisation établissait ainsi que le revenu des 10% les plus riches est aujourd'hui près de dix fois plus élevé que celui des 10% les plus pauvres. Dans les années 1980, ce multiplicateur était de sept. Le 9 septembre, Oxfam, organisation non gouvernementale de lutte contre la pauvreté, renchérissait : « Au sein de l'Union européenne, cent vingt-trois millions de personnes (soit près d'un quart de la population) risquent de sombrer dans la pauvreté et l'exclusion sociale. »


    Voulons-nous vraiment l'égalité ?

    Inutile de poursuivre, aujourd'hui ces informations sont connues. Le succès planétaire du livre de Thomas Piketty Le Capital au XXIe siècle, somme de mille pages sur l'évolution des inégalités parcourant trois siècles et plus de vingt pays, en témoigne brillamment. Dans la foulée, les études se sont multipliées. En cette rentrée, par exemple, l'édition 2016 de L'Etat du monde, dirigé par Bertrand Badie et Dominique Vidal, propose un tableau mondial, fort bien documenté, des inégalités et de leurs mécanismes. Et Joseph Stiglitz, Prix Nobel d'économie, y consacre son dernier ouvrage, La Grande Fracture, dans lequel il reprend une fameuse image lancée par Oxfam au forum de Davos, le rassemblement annuel de l'élite mondiale, en 2014 : « Si l'on mettait quatre-vingt-cinq multimilliardaires dans un autobus, il contiendrait une fortune équivalente à celle de la moitié la plus pauvre de l'humanité, environ trois milliards de personnes. » « Un an plus tard, ajoute-t-il, l'autobus a rétréci : il n'a plus que quatre-vingts places. »

    En 2016, 1% de la population de la planète devrait posséder autant que les 99% restants. Si ces informations sont connues, pourquoi les choses ne changent-elles pas ? Voulons-nous vraiment l'égalité ? Question hautement embarrassante que se pose et nous pose Patrick Savidan, professeur de philosophie politique et président de l'Observatoire des inégalités, dans un livre dense et passionnant. Construit comme une enquête, son essai intrigue car il repose sur une énigme : le divorce entre, d'un côté, notre désir d'un monde plus juste et, de l'autre, nos actes, qui le contredisent.
    Dix ans à informer... sans que rien ne bouge

    Quand on le rencontre, Patrick Savidan la joue modeste. S'il cherche depuis quelques années déjà la clé de cet étrange paradoxe, la conscience ne lui en est pas venue immédiatement. Au départ, il croyait comme nous qu'une fois les gens informés, les choses allaient bouger. Au départ, c'est-à-dire en 2002, quand Lionel Jospin fut éliminé au premier tour de la présidentielle. Louis Maurin, alors journaliste à Alternatives économiques, et Patrick Savidan attribuent cet échec à l'insuffisance du diagnostic social du candidat de la gauche.

    Un an plus tard, ils créent l'Observatoire des inégalités, un site d'information non partisan, où chacun, citoyen, chercheur, journaliste pourra trouver l'état des chiffres et des recherches sur la question. Le geste est optimiste et repose sur l'idée chère au sociologue Pierre Bourdieu que la diffusion de la connaissance peut faciliter la transformation sociale. Le site marche bien, l'Observatoire organise de nombreuses rencontres, Patrick Savidan donne lui-même moult conférences, intervient à la demande d'associations, la presse s'empare du sujet, la recherche progresse, affine ses chiffres. Dix ans passent et... rien ne bouge, sauf les inégalités, qui continuent de s'aggraver ! Dans le même temps, pourtant, les études attestent un consensus massif des Français : 75 à 80% d'entre eux souhaitent une société moins inégale. Ils sont conscients que la situation se dégrade, et persuadés qu'elle va encore se dégrader dans les cinq ans à venir.


    Parler des inégalités les aggrave-t-il ?

    Nous sommes en 2012 et à la question « Pourquoi rien ne bouge ? », Patrick Savidan en ajoute une autre : « Se pourrait-il que la diffusion d'informations sur les inégalités contribue à l'aggravation de la situation ? » Une question particulièrement piquante quand on est le président de l'Observatoire des inégalités. L'an dernier, dans un petit livre au titre provocateur, La Préférence pour l'inégalité, le sociologue François Dubet avait avancé l'idée que cette « préférence » était moins le fruit d'un choix politique que de nos pratiques quotidiennes. Ainsi quand nous choisissons de contourner la carte scolaire. « Quel usage faisons-nous de l'hebdomadaire qui titre sur "les meilleurs lycées" ou "le classement des hôpitaux" ? demande Patrick Savidan. Est-ce pour regretter qu'il y ait de mauvais établissements et dénoncer les écarts inacceptables ou pour choisir le meilleur lycée où placer nos enfants ? »

    Voilà le philosophe lancé dans l'exploration de notre « passion contrariée » pour l'égalité, procédant par élimination. Serions-nous hypocrites ? Patrick Savidan écarte cette hypothèse : si nous l'étions, nous chercherions des arguments pour justifier les inégalités, il en existe, le néolibéralisme les a fournis. Or la plupart d'entre nous se mettent en situation inconfortable en reconnaissant que la situation est injuste et qu'ils ne font pas vraiment ce qu'il faut pour y remédier. Serions-nous inconséquents, alors ? Notre désir d'égalité devrait logiquement nous conduire à agir, au moins à exiger que soient prises des mesures pour combattre les injustices.

    S'appuyant sur les travaux du philosophe américain Donald Davidson, Savidan rejette également cette hypothèse : les gens ne raisonnent pas à partir de toutes les informations qu'ils détiennent ; au moment d'agir, ils font abstraction de certaines d'entre elles. Ils peuvent manquer de volonté, mais ne sont pas inconséquents. Seraient-ils alors immoraux ? Quand ils contournent la carte scolaire, en sachant que leur comportement va entraîner une diminution de la mixité sociale dans le collège qu'ils fuient, par exemple ? Non plus, répond Savidan. On ne peut pas dire qu'un père ou une mère qui agit en fonction du bien de ses enfants est immoral. En revanche, ils pratiquent une « solidarité élective ».
    La solidarité se recentre sur la famille

    Aujourd'hui, explique Savidan, les gens ont un rapport stratégique à la solidarité, on le voit par exemple à travers le discours anti-impôt : je veux bien financer les dispositifs dont je peux avoir besoin, mais pas au-delà, car je dois penser avant tout à protéger ceux qui me sont proches. Et les Français font ce qu'ils disent : ils soutiennent de plus en plus leurs parents, et leurs enfants, de plus en plus longtemps. Ils ne sont pas moins généreux, ils désinvestissent la solidarité publique et réorganisent leurs priorités.

    Mais pourquoi les gens se sentent-ils acculés à choisir entre diverses formes de solidarité ? Essentiellement à cause de la montée du sentiment d'insécurité sociale, de la crainte de la précarité, qu'elle soit réelle ou potentielle. « Pour sécuriser sa position, poursuit Savidan, on va s'efforcer d'accéder à une position dominante. Cela explique que même les plus démunis, qui n'ont aucun intérêt à soutenir des politiques publiques privilégiant les plus favorisés, peuvent le faire. Ils aspirent tout simplement à la sécurité dont bénéficient les dominants. » Et c'est ainsi que les tendances oligarchiques de nos sociétés sont tolérées, parce que chacun garde l'espoir d'entrer dans le cercle restreint qui monopolise pouvoirs et privilèges. Et voilà comment, écrit François Dubet, « en dépit de leurs principes affirmés, nos sociétés "choisissent" l'inégalité ».
    Ceux qui ont un avenir et les autres

    Convaincus de l'impuissance des politiques et des institutions, doutant fortement de l'Etat providence, qu'ils voient se désagréger, les Français peinent à se projeter dans un avenir commun. Nous sommes ainsi, selon Savidan, face à une « crise du temps ». L'avenir paraît opaque ou menaçant, ouvert à quelques-uns et fermé pour la plupart. L'injustice sociale se joue alors entre ceux qui ont un avenir et les autres, dont l'horizon paraît bouché. Les premiers ont fréquenté les bonnes écoles, disposent des meilleurs réseaux. Ils peuvent faire des choix de vie, construire des projets. Les seconds sont dans la survie immédiate, enfermés dans l'instant. Résultat, la sécurité apparaît comme un bien fragile, rare, concurrentiel. En multipliant les informations sur les inégalités, on contribue ainsi à augmenter l'angoisse qui pousse à redoubler d'efforts dans la concurrence avec les autres.

    « La sécurité est un bien commun, dont l'amélioration doit s'étendre à tous, conclut Patrick Savidan. Si ce n'est pas le cas, les inégalités persistent et la logique de confrontation l'emporte. Cette réflexion se joue au coeur de la question du temps : car, aujourd'hui, certains groupes privilégiés colonisent l'avenir. Il faut que cela cesse. » Au départ était ainsi une histoire en forme de paradoxe, une tension entre un désir d'égalité et des actions qui l'entravaient. Au bout du compte, une autre histoire commence, celle d'une dynamique démocratique qu'il s'agit de retrouver.

    Note :
    (1) L'Organisation de coopération et de développement économique, qui compte trente-quatre pays membres à travers le monde.

    Par Michel Abescat

    Source : telerama.fr
    La pire chose pour l'Homme, serait qu'il meurt idiot.
    De grâce épargnez-moi la prolixe, la syntaxe et la chiffrerie à tout va
    .
    Merci.
    " TOUCHE PAS A MA NAPPE ALBIENNE "
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