Respectivement sémites et indo-européennes, les langues arabe et persane ont une logique et structure fondamentalement distincte. Néanmoins, des liens s’étant tissés entre leurs locuteurs au cours de l’histoire, et ce même avant l’islam, ont été à la source d’une profonde influence réciproque dont les traces sont largement perceptibles encore aujourd’hui. Ce jeu d’influences s’est cependant réalisé d’une langue à l’autre selon des modalités distinctes. La langue étant à la fois un moyen de transmission des connaissances et un phénomène social reproduisant les évolutions d’une culture particulière, son évolution et les influences qu’elle subit reflètent l’évolution de la culture et de la société qui la porte, et parfois les nouveaux rapports de force. L’étude de l’influence réciproque de l’arabe et du persan doit donc être située dans le contexte des différents phénomènes historiques ayant produit cette influence tels que les liens – politiques, économiques, commerciaux, culturels… - établis entre les Arabes et les Iraniens au cours de l’histoire, à la fois avant et après l’islam.
Les liens entre les langues persane et arabe avant l’islam
La Mésopotamie était à l’origine habitée par des peuples non sémites, les Sumériens, puis par les Akkadiens, qui furent à l’origine de l’une des plus grandes civilisations sémites. Les Achéménides, qui gouvernaient l’ensemble des territoires peuplés par les sémites, furent à l’origine de l’influence du persan de l’époque sur la littérature talmudique, qui lui emprunta certains termes. Par l’intermédiaire du judaïsme, des mots persans pénétrèrent dans d’autres langues sémites de l’époque, telles que le syriaque. De façon générale, les Perses et les peuples sémites ont entretenu des relations constantes durant toute l’histoire, ce qui a renforcé cette influence. Après l’époque achéménide, un nombre important de termes pahlavis ont été adoptés par l’araméen, et sont ensuite entrés par ce biais dans la langue arabe. Ces termes concernaient les domaines social, culturel, agricole, commercial, militaire, musical, politique et liés à la cour, ou encore vestimentaires. Parmi ces termes, nous pouvons citer le terme persan tcherâgh (چراغ) signifiant "lampe" présent sous la forme de la racine srga ou sraga dans le Talmud et la langue syriaque, et devenu sirâj (سراج) en arabe, ou encore le terme gandj (گنج) signifiant "trésor", et présent sous la racine gnza en hébreu et gnzia en araméen, et qui devint ensuite kanz (كنز) en arabe.
Avant l’islam, il existait également des liens à la fois commerciaux, politiques, sociaux, économiques et miliaires entre les habitants de la Péninsule arabique et de la Perse, ces deux territoires étant traversés par les mêmes caravanes venant de l’Inde, de la Syrie, ou du Yémen. Cette relation était telle que le roi iranien Khosro Parviz fit élever ses enfants par des précepteurs arabes. On rapporte également que le roi Khosro Anousharivân aurait eu pour projet de marier certains de ses fils avec des jeunes filles arabes. Le roi Bahrâm Gour fut un acteur important de l’établissement de liens entre les Arabes et les Iraniens avant l’islam, et se rendit lui-même en terre arabe pour guérir d’une maladie qui l’affectait, l’air y étant réputé de meilleure qualité. Durant son séjour, il apprit la langue arabe et composa des poèmes en persan selon un rythme et une forme proche de l’arabe. La présence de termes persans dans le Coran, tels que sundus (سندس)"satin", istabraq (استبرق) "brocard" (44:53) ou abârîq (اباريق) "aiguières" (56:18), attestent également de l’influence préislamique du persan sur l’arabe, l’inverse étant néanmoins plus difficile à établir.
Les influences réciproques après l’islam
L’apparition de l’islam a consacré une extension sans précédent du domaine d’influence de la langue arabe qui devint à la fois la langue de la religion, du savoir, et de l’administration dans les nouveaux pays conquis. Après la conquête de la Perse, l’arabe devint la langue officielle du pouvoir jusqu’à l’époque seldjoukide, mais vint également répondre à de nouveaux besoins conceptuels dans le domaine religieux, de la pensée ou de l’administration, en fournissant de nouvelles expressions. Comme l’évoque Dolatshâh Samarghandi dans son Tazkerat-ol-Sho’arâ, ainsi que Nezâm-ol-Molk dans son traité sur l’éthique du gouvernement intitulé Siyâsatnâmeh, de l’époque des premiers califes à celle du Sultan Mahmoud Ghaznavi, tous traités ou lois promulgués en Iran ne furent écrits qu’en arabe ; écrire en persan étant mal vu par les gouverneurs de l’époque. La diffusion et l’adoption de la langue arabe, ou du moins de nombreux termes de cette langue avaient soit des motivations religieuses, soit politiques, et permettaient à son usager d’occuper une position dans le nouveau gouvernement. De leur côté, les nouveaux gouverneurs arabes s’efforçaient de limiter l’usage de la langue pahlavi, considérée comme un frein à leur influence et à la diffusion de l’islam et contribuant à la conservation des croyances zoroastres.
Les Persans découvrirent également les deux styles d’écriture arabe, le naskh et le coufique. Etant donné que l’écriture et l’alphabet propre du moyen-perse n’étaient plus adaptés à un contexte où la langue persane et sa littérature subissaient un processus de renouveau, l’alphabet arabe fut adopté à partir du Xe siècle pour écrire le persan. Jusqu’au XIIe siècle, il subit certaines modifications et ajouts de lettres, pour devenir la nouvelle écriture persane.
La conversion des Perses à l’islam a également approfondi le processus de diffusion de l’arabe, langue de la nouvelle religion, étant donné qu’outre le Coran, l’ensemble des textes religieux et des obligations légales étaient écrits et diffusés avec des termes arabes. Dans la vie quotidienne, les Iraniens convertis se devaient de faire leur prière en arabe. De nombreux Iraniens comptèrent parmi les savants les plus éminents dans les différentes sciences religieuses, parmi lesquels nous pouvons citer Abou Hanifeh ibn Thâbet dans la jurisprudence islamique, Bokhâri Mohammad ibn Ismâ’il dans le hadith, mais aussi des commentateurs du Coran, grammairiens, des linguistes, etc. Lorsqu’ils n’étaient pas écrits en arabe, ces commentaires utilisaient de nombreux termes arabes aux côtés des termes persans. Le processus de conversion entraîna également l’adoption croissante de prénoms arabes aux côtés des prénoms persans, soit issus de grandes personnalités de l’islam – Mohammad, Ali, Hossein, Hassan, Fâtima, Zeynab… -, soit de termes coraniques – Mohsen, Hamid, Sakina, Hodâ…
En outre, les traités de mariage, les invocations récitées lors des pèlerinages, ainsi que de nombreux autres actes juridico-religieux de la vie quotidienne étaient également lus et écrits en arabe, contribuant à répandre son usage parmi l’ensemble des couches de la société ainsi qu’à remplacer de nombreux mots persans par des termes arabes. La langue arabe devint donc la nouvelle langue de l’expression de la justice, des lois, et de l’administration, mais aussi d’une pensée philosophique et religieuse. Lorsqu’un certain renouveau de la langue persane commença sous les Samanides (IXe-XIe siècles), pour aboutir à un renversement de la tendance à la domination de l’arabe à l’époque seldjoukide, l’influence de cette langue s’était déjà profondément enracinée dans le persan et constituait un processus irréversible.
Cette influence réciproque est également passée par des traductions d’œuvres littéraires arabes en persan, ainsi que la rédaction de nombreux ouvrages en arabe par des érudits persans. Cette influence de l’arabe est elle-même très présente dans les chefs d’œuvre de la littérature persane tels que Târikh de Beyhaghi, le Golestân de Saadi, les poèmes de Mowlânâ, de Hâfez… où l’on peut trouver des vers entiers écrits en arabe. La compréhension de nombreuses parties de ces œuvres est donc impossible sans une connaissance de cette langue, de sa logique et de sa grammaire. La langue arabe eut également une grande influence dans les formes de poésie comme le mathnavi et de robâ’i (quatrain, le terme lui-même étant dérivé du terme arabe arba’a signifiant "quatre"). Au cours de l’histoire, de nombreux poètes écrivant en arabe et d’origine persane, comme Ziyâd ibn Jâbir ibn Omar connu sous le nom de Ziyâd A’jam, ont contribué à rapprocher les deux langues. Du XIe au XIVe siècle, l’emploi des mots arabes en persan connu une progression exponentielle. Elle contribua au dynamisme et à l’apogée littéraire de cette langue.
A l’inverse, à l’issue de la présence en Perse des Arabes, la langue arabe subit également des transformations en empruntant au persan des termes scientifiques mais également liés au pouvoir et à la cour, à la vie courante, aux aliments, aux instruments de musique, aux armes, aux animaux, aux pierres précieuses… Des expressions persanes furent également adoptées dans le domaine de l’astronomie, de l’architecture, du commerce, etc. qui n’existaient pas dans la langue arabe. En outre, la présence de nombreux Iraniens à Koufa, Bassora et Médine fut à l’origine de nouvelles influences du persan sur l’arabe. A Bassora, le persan était ainsi la langue des agents de l’armée, et leur présence eut une influence au niveau de l’arabe local, impliquant parfois des modifications dans la façon de prononcer certains termes arabes. Dans le domaine culturel, Ibn Moqaffa’ fut la première personne à traduire des ouvrages d’histoire, de philosophie, et de littérature du pahlavi à l’arabe, dont le plus connu est Kalileh va Dimneh. D’autres personnalités comme Al-Reyhâni, Ja’far ibn Mohammad, Ibn Sahl, Ibn Mâsouyeh, Abou Ali Astarâbâdi ont également réalisé d’importants travaux de traduction d’œuvres scientifiques et littéraires. Sous les Abbassides, le mouvement de traduction en arabe de nombreuses œuvres étrangères, dont persanes, fut également à l’origine d’une nouvelle vague d’influence.
Les liens entre les langues persane et arabe avant l’islam
La Mésopotamie était à l’origine habitée par des peuples non sémites, les Sumériens, puis par les Akkadiens, qui furent à l’origine de l’une des plus grandes civilisations sémites. Les Achéménides, qui gouvernaient l’ensemble des territoires peuplés par les sémites, furent à l’origine de l’influence du persan de l’époque sur la littérature talmudique, qui lui emprunta certains termes. Par l’intermédiaire du judaïsme, des mots persans pénétrèrent dans d’autres langues sémites de l’époque, telles que le syriaque. De façon générale, les Perses et les peuples sémites ont entretenu des relations constantes durant toute l’histoire, ce qui a renforcé cette influence. Après l’époque achéménide, un nombre important de termes pahlavis ont été adoptés par l’araméen, et sont ensuite entrés par ce biais dans la langue arabe. Ces termes concernaient les domaines social, culturel, agricole, commercial, militaire, musical, politique et liés à la cour, ou encore vestimentaires. Parmi ces termes, nous pouvons citer le terme persan tcherâgh (چراغ) signifiant "lampe" présent sous la forme de la racine srga ou sraga dans le Talmud et la langue syriaque, et devenu sirâj (سراج) en arabe, ou encore le terme gandj (گنج) signifiant "trésor", et présent sous la racine gnza en hébreu et gnzia en araméen, et qui devint ensuite kanz (كنز) en arabe.
Avant l’islam, il existait également des liens à la fois commerciaux, politiques, sociaux, économiques et miliaires entre les habitants de la Péninsule arabique et de la Perse, ces deux territoires étant traversés par les mêmes caravanes venant de l’Inde, de la Syrie, ou du Yémen. Cette relation était telle que le roi iranien Khosro Parviz fit élever ses enfants par des précepteurs arabes. On rapporte également que le roi Khosro Anousharivân aurait eu pour projet de marier certains de ses fils avec des jeunes filles arabes. Le roi Bahrâm Gour fut un acteur important de l’établissement de liens entre les Arabes et les Iraniens avant l’islam, et se rendit lui-même en terre arabe pour guérir d’une maladie qui l’affectait, l’air y étant réputé de meilleure qualité. Durant son séjour, il apprit la langue arabe et composa des poèmes en persan selon un rythme et une forme proche de l’arabe. La présence de termes persans dans le Coran, tels que sundus (سندس)"satin", istabraq (استبرق) "brocard" (44:53) ou abârîq (اباريق) "aiguières" (56:18), attestent également de l’influence préislamique du persan sur l’arabe, l’inverse étant néanmoins plus difficile à établir.
Les influences réciproques après l’islam
L’apparition de l’islam a consacré une extension sans précédent du domaine d’influence de la langue arabe qui devint à la fois la langue de la religion, du savoir, et de l’administration dans les nouveaux pays conquis. Après la conquête de la Perse, l’arabe devint la langue officielle du pouvoir jusqu’à l’époque seldjoukide, mais vint également répondre à de nouveaux besoins conceptuels dans le domaine religieux, de la pensée ou de l’administration, en fournissant de nouvelles expressions. Comme l’évoque Dolatshâh Samarghandi dans son Tazkerat-ol-Sho’arâ, ainsi que Nezâm-ol-Molk dans son traité sur l’éthique du gouvernement intitulé Siyâsatnâmeh, de l’époque des premiers califes à celle du Sultan Mahmoud Ghaznavi, tous traités ou lois promulgués en Iran ne furent écrits qu’en arabe ; écrire en persan étant mal vu par les gouverneurs de l’époque. La diffusion et l’adoption de la langue arabe, ou du moins de nombreux termes de cette langue avaient soit des motivations religieuses, soit politiques, et permettaient à son usager d’occuper une position dans le nouveau gouvernement. De leur côté, les nouveaux gouverneurs arabes s’efforçaient de limiter l’usage de la langue pahlavi, considérée comme un frein à leur influence et à la diffusion de l’islam et contribuant à la conservation des croyances zoroastres.
Les Persans découvrirent également les deux styles d’écriture arabe, le naskh et le coufique. Etant donné que l’écriture et l’alphabet propre du moyen-perse n’étaient plus adaptés à un contexte où la langue persane et sa littérature subissaient un processus de renouveau, l’alphabet arabe fut adopté à partir du Xe siècle pour écrire le persan. Jusqu’au XIIe siècle, il subit certaines modifications et ajouts de lettres, pour devenir la nouvelle écriture persane.
La conversion des Perses à l’islam a également approfondi le processus de diffusion de l’arabe, langue de la nouvelle religion, étant donné qu’outre le Coran, l’ensemble des textes religieux et des obligations légales étaient écrits et diffusés avec des termes arabes. Dans la vie quotidienne, les Iraniens convertis se devaient de faire leur prière en arabe. De nombreux Iraniens comptèrent parmi les savants les plus éminents dans les différentes sciences religieuses, parmi lesquels nous pouvons citer Abou Hanifeh ibn Thâbet dans la jurisprudence islamique, Bokhâri Mohammad ibn Ismâ’il dans le hadith, mais aussi des commentateurs du Coran, grammairiens, des linguistes, etc. Lorsqu’ils n’étaient pas écrits en arabe, ces commentaires utilisaient de nombreux termes arabes aux côtés des termes persans. Le processus de conversion entraîna également l’adoption croissante de prénoms arabes aux côtés des prénoms persans, soit issus de grandes personnalités de l’islam – Mohammad, Ali, Hossein, Hassan, Fâtima, Zeynab… -, soit de termes coraniques – Mohsen, Hamid, Sakina, Hodâ…
En outre, les traités de mariage, les invocations récitées lors des pèlerinages, ainsi que de nombreux autres actes juridico-religieux de la vie quotidienne étaient également lus et écrits en arabe, contribuant à répandre son usage parmi l’ensemble des couches de la société ainsi qu’à remplacer de nombreux mots persans par des termes arabes. La langue arabe devint donc la nouvelle langue de l’expression de la justice, des lois, et de l’administration, mais aussi d’une pensée philosophique et religieuse. Lorsqu’un certain renouveau de la langue persane commença sous les Samanides (IXe-XIe siècles), pour aboutir à un renversement de la tendance à la domination de l’arabe à l’époque seldjoukide, l’influence de cette langue s’était déjà profondément enracinée dans le persan et constituait un processus irréversible.
Cette influence réciproque est également passée par des traductions d’œuvres littéraires arabes en persan, ainsi que la rédaction de nombreux ouvrages en arabe par des érudits persans. Cette influence de l’arabe est elle-même très présente dans les chefs d’œuvre de la littérature persane tels que Târikh de Beyhaghi, le Golestân de Saadi, les poèmes de Mowlânâ, de Hâfez… où l’on peut trouver des vers entiers écrits en arabe. La compréhension de nombreuses parties de ces œuvres est donc impossible sans une connaissance de cette langue, de sa logique et de sa grammaire. La langue arabe eut également une grande influence dans les formes de poésie comme le mathnavi et de robâ’i (quatrain, le terme lui-même étant dérivé du terme arabe arba’a signifiant "quatre"). Au cours de l’histoire, de nombreux poètes écrivant en arabe et d’origine persane, comme Ziyâd ibn Jâbir ibn Omar connu sous le nom de Ziyâd A’jam, ont contribué à rapprocher les deux langues. Du XIe au XIVe siècle, l’emploi des mots arabes en persan connu une progression exponentielle. Elle contribua au dynamisme et à l’apogée littéraire de cette langue.
A l’inverse, à l’issue de la présence en Perse des Arabes, la langue arabe subit également des transformations en empruntant au persan des termes scientifiques mais également liés au pouvoir et à la cour, à la vie courante, aux aliments, aux instruments de musique, aux armes, aux animaux, aux pierres précieuses… Des expressions persanes furent également adoptées dans le domaine de l’astronomie, de l’architecture, du commerce, etc. qui n’existaient pas dans la langue arabe. En outre, la présence de nombreux Iraniens à Koufa, Bassora et Médine fut à l’origine de nouvelles influences du persan sur l’arabe. A Bassora, le persan était ainsi la langue des agents de l’armée, et leur présence eut une influence au niveau de l’arabe local, impliquant parfois des modifications dans la façon de prononcer certains termes arabes. Dans le domaine culturel, Ibn Moqaffa’ fut la première personne à traduire des ouvrages d’histoire, de philosophie, et de littérature du pahlavi à l’arabe, dont le plus connu est Kalileh va Dimneh. D’autres personnalités comme Al-Reyhâni, Ja’far ibn Mohammad, Ibn Sahl, Ibn Mâsouyeh, Abou Ali Astarâbâdi ont également réalisé d’importants travaux de traduction d’œuvres scientifiques et littéraires. Sous les Abbassides, le mouvement de traduction en arabe de nombreuses œuvres étrangères, dont persanes, fut également à l’origine d’une nouvelle vague d’influence.
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