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Les chefs-d’oeuvre sont éternels, les lecteurs aussi

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  • Les chefs-d’oeuvre sont éternels, les lecteurs aussi

    J’avais seize ou dix-sept ans quand j’ai lu pour la première fois ce roman qui à l’époque s’appelait encore Au-dessous du volcan.

    Je me souviens très exactement de l’endroit où je l’ai acheté, dans une librairie que je ne fréquentais jamais, située de l’autre côté de la place du Général-Leclerc, à hauteur de la rue d’Alésia quand elle descend bien plus loin vers la rue de la Convention.

    Je me revois encore le prendre, le soupeser, le humer, le reposer, le reprendre.

    Il était massif, volumineux, publié dans la collection Folio.

    Encore aujourd’hui j’ignore pourquoi je l’ai acheté.


    A cette époque de ma vie, je ne pense pas que le nom de Malcolm Lowry me fut familier, comment aurait-il pu l’être d’ailleurs, et je ne suis pas certain que le film éponyme de John Huston ait été déjà sorti sur les écrans (quoique…) ; d’ailleurs la couverture du livre de poche n’était pas, comme il le serait plus tard, l’affiche du long métrage mais représentait le dessin d’une bouteille d’alcool fendue en son milieu, du moins c’est ainsi qu’elle apparaît dans mon souvenir.

    Non, je pense plutôt que c’est la citation tirée d’un article du Monde et mise en exergue au dos du livre, ”un chef-d’œuvre comme il n’y en a pas dix par siècles” qui a dû finir par emporter mon adhésion.

    Évidemment, ma première lecture a consisté à parcourir une centaine de pages avant de jeter l’éponge.

    Je n’entendais rien à cette prose cacophonique, à ces personnages tourbillonants, à cette intrigue alambiquée, je peinais sur chaque phrase, je butais sur chacun des paragraphes, je me forçai tout de même à achever le premier chapitre puis j’abandonnai.

    Je le repris quelques mois plus tard.


    J’étais à la campagne et cette fois, je le lus dans son intégralité même si là aussi sa lecture me demanda des efforts surhumains : je le terminais épuisé et hagard, je n’avais pas compris grand-chose, j’avais éprouvé les pires difficultés à me frayer un chemin parmi cette prose chaotique et broussailleuse, je l’avais lu comme un somnambule qui avance à tâtons dans un décor inhospitalier et ne cesse de rencontrer des obstacles sur sa route.

    A maintes reprises je fus sur le point de l’abandonner mais plus pour me prouver que j’étais capable de relever le défi de sa lecture que pour connaître la fin de l’histoire, laquelle m’apparaissait comme des plus confuses et inintelligibles qu’il soit, je mis un point d’honneur à le lire jusqu’à sa dernière phrase.

    Et puis je le rangeai.

    Je ne le devais le relire que bien plus tard lorsqu’une nouvelle traduction parût sous le titre de Sous le volcan.

    Là aussi, je me souviens avec une parfaite acuité du moment de la journée où je l’ai achetée, du libraire qui me l’a vendue, de la fierté ressentie à cette acquisition, de sa couverture rouge sang : d’ailleurs je me demande bien si ce n’était pas la première fois que j’achetais un vrai livre, un qui venait de sortir, un publié en grand format et non pas en poche.

    Cette fois, sa lecture me fut mille fois plus aisée.



    J’avais grandi, mon esprit s’était enrichi de nouvelles lectures, j’étais mieux armé pour succomber à son charme vénéneux, la traduction était bien plus limpide et alors que je le lisais vraiment pour la première fois, je réalisais combien, malgré mon incapacité à le comprendre lors de mes essais précédents, ces tentatives à répétition, ces échecs, ces lectures avortées m’avaient marqué.

    Marqué au fer rouge.

    Avaient déposé en moi une trace si profonde que je n’avais pu résister au désir de le découvrir dans une nouvelle traduction.

    Depuis je l’ai lu et relu.

    Cet été une amie m’en a offert un exemplaire imprimé dans les années cinquante et encore une fois je n’ai su résister à son appel : je l’ai fini hier soir.

    Il demeure pour moi ce qu’il a toujours été : l’un des plus grands romans jamais écrits et le dernier grand classique du siècle dernier.

    Je ne vous demanderai ni ne vous conseillerai de le lire, c’est là une bien trop grande responsabilité



    Mais si jamais il vous arrivait de tomber dessus par hasard, de l’ouvrir, de le parcourir, souvenez-vous d’une chose, d’une seule : s’il vous rebute, s’il vous déplaît, s’il vous ennuie, vous barbe, vous écœure, ne lui en voulez pas, il n’est pas fautif, c’est simplement que vous n’êtes pas prêt.

    Mettez-le juste de côté.

    Un jour vous reviendrez vers lui.

    N’ayez crainte, il vous aura attendu.


    Alors vous l’ouvrirez et vous comprendrez.


    Ce jour-là, vous serez le plus épanoui des hommes, la plus heureuse des femmes


    slate
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