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Le piège saoudien

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  • Le piège saoudien

    - Les Saoudiens n’ont pas d’autre choix que de maintenir un pétrole bas pour défendre leurs parts de marché, au prix d’un étranglement de la concurrence hors Opep

    L’idée de voir l’Arabie saoudite arrêter de secouer dans tous les sens le marché du pétrole a fait long feu lorsque l’un des hauts responsables saoudien de l’énergie a indiqué vouloir faire ce que peu d’autres acteurs du secteur envisagent de faire maintenant : investir.

    Les prix du pétrole, qui se sont effondrés ces 16 derniers mois, ont en effet contraint les plus importants groupes mondiaux de l’énergie à supprimer des centaines de milliards de dollars d’investissements prévus pour renforcer leurs bilans.

    Mais Ali al-Naimi – ministre du Pétrole et architecte de la stratégie saoudienne destinée à maintenir la production et des prix bas dans le but de déstabiliser ses concurrents – s’est engagé à voix haute à renforcer ses investissements dans l’exploration, la production et le raffinage.

    Cela conforte l’idée que, quelle que soit l’importance de la baisse des revenus de Riyad – les prix du pétrole ont diminué de plus de moitié –, le royaume a une capacité de résistance plus élevée que tous les autres opérateurs. Et qu’il poursuit son plan à long terme : neutraliser la concurrence et préserver sa part de marché.

    “Le royaume poursuit son plan à long terme : neutraliser la concurrence et préserver sa part de marché”

    “Personne ne pense en Arabie saoudite que le pétrole à bas prix est une bonne chose” estime un diplomate occidental en poste à Riyad. “Mais c’est la réalité. Ils doivent résister et espérer que cette stratégie est la bonne. Il y a une grande part d’incertitude.”

    À l’époque où le pétrole valait 100 dollars le baril, les réserves des producteurs à coûts de production élevés – du gaz de schiste américain aux forages en eaux profondes du Brésil – ont gonflé, entraînant une adaptation du marché qui, à son tour, a obligé le royaume saoudien, poussé dans ses retranchements, à réagir.

    En novembre 2014, la décision des ministres de l’Opep, portée par les Saoudiens, de maintenir plutôt que de réduire la production, a marqué un virage significatif de la politique traditionnelle, qui était de s’entendre sur une réduction de l’offre pour stabiliser les prix. Elle a en effet bouleversé l’ordre énergétique en place depuis des décennies.
    La décision de l’Arabie saoudite de se concentrer sur sa propre part de marché, plutôt que sur un prix élevé du pétrole, montre des signes de succès. Mais elle peut également être vue comme une manœuvre périlleuse qui pourrait durer des années, affectant l’économie du royaume, et beaucoup plus que prévu.

    “Ça marche” juge Bob McNally, consultant à Rapidan Group, cabinet de conseil sur le marché de l’énergie. “Mais cela sera plus long et plus coûteux que les Saoudiens ne le pensent. Ils sont coincés dans cette guerre de tranchées apparemment sans fin, et auront à livrer un combat plus long que prévu.”

    Les observateurs du secteur estiment que les Saoudiens ont agi trop tard, mais que sans soutien des autres grands producteurs pour réduire leur production, l’Arabie saoudite n’avait pas le choix. Leonardo Maugeri, ancien dirigeant du groupe d’énergie italien ENI, qui a cet été conseillé les autorités saoudiennes sur la dynamique du marché pétrolier, affirme qu’elles ne considèrent pas avoir fait un pari.

    “C’est la seule stratégie possible” dit-il. “L’Arabie saoudite espère qu’elle fonctionnera tôt ou tard, mais elle est obligée d’en payer le prix à tout point de vue pour le savoir.”
    Pour les prévisionnistes en énergie, dans l’année à venir, les réductions d’investissements et les reports de projets auront un impact important sur les producteurs de pétrole à coûts élevés hors Opep. Cela devrait se traduire par une hausse de la demande de pétrole brut auprès des producteurs de l’Opep.

    L’Arabie saoudite a jusqu’à présent montré sa capacité de résilience, en conservant la part de ses importations vers les marchés asiatiques, malgré la concurrence accrue de rivaux comme l’Iran et l’Irak. La baisse des prix du brut du brut a également stimulé la demande de produits raffinés aux États-Unis et en Europe.

    “L’effort à fournir pour débarrasser le monde des deux millions de barils quotidiens excédentaires pourrait en effet prendre plusieurs années”

    Mais l’Arabie saoudite n’en est peut-être qu’au début de ce qui pourrait être un processus de longue haleine. L’effort à fournir pour débarrasser le monde des deux millions de barils quotidiens excédentaires pourrait en effet prendre plusieurs années. Même si les prix retrouvent les pics précédents – dans le cas où la réduction des investissements ferait trop baisser la production –, la production de pétrole cher pourrait à nouveau reprendre. Bien que les responsables saoudiens espèrent que la flexibilité de la production du gaz de schiste américain permettrait de l’éviter, ce qui est encore incertain.

    Et pendant ce temps le royaume ‘brûle’ ses réserves monétaires pour financer ses dépenses sociales. Le pays se met à emprunter, alors que dans le même temps, les spéculations contre le riyal saoudien et un marché boursier instable amplifient les inquiétudes sur la politique économique du roi Salman. La guerre au Yémen, le ralentissement économique de la Chine et le retour de l’Iran sur la scène internationale soulèvent également des nouveaux enjeux politiques et économiques.

    “Ali al-Naimi a dit qu’il était prêt à voir les prix baisser jusqu’à 20 dollars. Ils [les Saoudiens] ne se soucient pas des autres” juge Ali Assaoui, un analyste de Riyad. “Les Saoudiens sont les maîtres du long terme. Rappelez-vous : s’ils souffrent, les autres souffrent encore plus”

    L’avantage: l’annulation de 1 000 Mds $ d’investissements étrangle la concurrence
    L’impact de la décision de l’Arabie Saoudite en chef de file de renoncer à un prix élevé du pétrole et à ses bénéfices à court terme pour privilégier des parts de marché à long terme a été ressenti partout dans le monde : d’Aberdeen et Alberta à Stavanger et Houston.

    À Houston, en début d’année, alors que les prix du pétrole local s’envolaient vers des niveaux jamais vus durant la crise financière, le propriétaire du magasin Gallery Furniture, Jim “Mattress Mack” McIngvale, avait même proposé ‘d’offrir gratuitement ses meubles’ si le baril de brut américain atteignait 85 dollars à la fin de 2015. Ceux que le slogan “100 % du montant de votre achat remboursé” avait attirés ont maintenant des doutes. “Beaucoup de gens ont immédiatement fait des stocks, pensant que les prix augmenteraient inévitablement. [Mais] qui peut sérieusement y croire maintenant ?” demande un analyste pétrolier dans la capitale du pétrole texan.

    Pendant une grande partie de la dernière décennie, le secteur pétrolier s’est caractérisé par une forte croissance de la demande et par une lutte féroce sur les réserves. Mais la croissance de la production de gaz de schiste américain a chamboulé le marché et forcé l’Arabie saoudite et d’autres pays riches en pétrole à changer de tactique.

    “Que pouvaient-ils faire, soutenir le prix de tout le monde alors que leur propre production baisse ?” demande Gary Ross, président du cabinet de consultants Pira Energy. “La dynamique se déplace vers l’endroit où les pays de l’Opep veulent qu’elle aille. Donc ils vont suivre cette stratégie.”

    “Que pouvaient-ils faire, soutenir le prix de tout le monde alors que leur propre production baisse ?”

    L’Arabie saoudite a produit plus de 10 millions de barils par jour cette année, et a augmenté les investissements, les exportations et les forages. Pendant ce temps, les vis financières se resserrent sur de nombreux opérateurs américains. Bien que les autorités saoudiennes prétendent que la production américaine de gaz de schiste – qui apporte une flexibilité de production que Riyad, dans certains cas, ne veut plus fournir – est “bienvenue”, elles veulent ralentir sa croissance. Le gouvernement américain prévoit que la production de gaz de schiste, qui a augmenté d’une moyenne annuelle de 1 million de barils/jour depuis 2012, passe d’une moyenne de 9,3 mb/j en 2015 à 8,9 mb/j l’année prochaine.

    Mark Papa, l’ancien patron de EOG Resources, qui a stimulé l’essor du gaz de schiste américain, a déclaré que le secteur a besoin d’un baril à au moins 80 dollars pour poursuivre la croissance de la production. La semaine dernière, le prix avait rebondi autour de 50 dollars le baril en raison des tensions au Moyen-Orient. “Nous sommes sur le point d’assister à une baisse assez spectaculaire.”

    Les effets de la stratégie de Riyad commencent à se faire sentir : forages, achèvement de puits et lignes de crédit pour les entreprises américaines sont affectés. Les faillites menacent. C’est l’Amérique du Nord qui en subit en premier les conséquences, mais elles font tâche d’huile à l’international.

    Bernard Duroc-Danner, Ceo du groupe de services pétroliers Weatherford International, a, la semaine dernière, comparé l’ampleur de la réduction des dépenses au marasme de la fin des années 1990. “Je pense qu’entre 2014 et la fin de cette année, 250 000 à 300 000 personnes auront perdu leur emploi. La brutalité, du côté des charges, est exceptionnelle.”

    L’AIE (Agence internationale de l’énergie) a déclaré que la volonté de l’Arabie saoudite de s’attaquer à ses rivaux “semble avoir l’effet escompté”. Elle prévoit que la production pétrolière hors pays de l’Opep devrait diminuer de près de 500  000 b/j l’année prochaine, la plus forte baisse depuis l’effondrement de l’Union soviétique. Le gaz de schiste américain épongera 80 % de cette baisse, mais des pays comme le Royaume-Uni, la Russie et bien d’autres en subiront aussi les conséquences.


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    suite

    La production pétrolière hors pays de l’Opep devrait diminuer de près de 500  000 b/j l’année prochaine, la plus forte baisse depuis l’effondrement de l’Union soviétique”

    La chute des prix du pétrole a rendu caduc la perspective de plus de 1 000 milliards de dollars d’investissements à travers le monde, selon le cabinet de conseil Wood Mackenzie. Avec des chutes de production attendues l’an prochain, l’AIE affirme que la demande de brut auprès des pays de l’Opep devrait passer à 32 mb/j au deuxième semestre de 2016, le chiffre le plus élevé en sept ans.

    “Les Saoudiens en tireront les bénéfices” d’après Nat Kern, président de Foreign Reports, un cabinet de conseil de Washington. “Ils devront attendre longtemps, et un cours du pétrole à 60 dollars le baril serait préférable à 40 dollars, mais ça va venir.”

    Confrontées à une concurrence accrue en 2014, les autorités saoudiennes avaient prévenu la communauté des investisseurs qu’elles cherchaient à envoyer un message. Jeff Currie, responsable mondial de la recherche sur les matières premières chez Goldman Sachs, estime que cela a fonctionné : “Le pétrole dans l’Arctique ou au Brésil n’est pas aussi compétitif. Cette stratégie permet un transfert de capital vers les régions aux coûts plus bas, en substance les pays de l’Opep, qui ont de vastes réserves facilement exploitables.”

    Pendant ce temps, le royaume saoudien vend de façon agressive son pétrole brut à d’importants clients asiatiques, de la Chine à l’Inde. Sa part des importations de pétrole dans la région s’élève à environ 23 % de janvier à juin. D’après le département américain de l’Energie, elle est similaire à celle de la même période en 2014, alors même que la concurrence croît entre membres de l’Opep et que le pétrole iranien réintègre le marché après la levée des sanctions internationales.

    Malgré un cours qui s’effondre – beaucoup plus que ce que les fonctionnaires et les dirigeants des groupes pétroliers saoudiens ne l’avaient prévu –, l’Arabie saoudite, avec ses plus de 600 milliards de dollars de réserves de change, peut résister à de lourdes pertes.

    “L’économie saoudienne a des réserves pour absorber une bonne part du choc” explique Bassam Fattouh, directeur de l’Oxford Institute for Energy Studies. “Il a une grande capacité d’emprunt, les banques ont d’énormes liquidités et sont disposées à lui prêter.”

    L’inconvénient: la remise en cause des dépenses sociales et l’explosion des déficits budgétaires
    Lorsque l’Arabie saoudite a mis en oeuvre sa stratégie, elle a assuré à ses citoyens inquiets que l’effondrement des prix ne durerait pas longtemps.

    Mohammed al-Mady, le Ceo du géant saoudien pétrochimique Sabic, prévoyait une baisse des prix du pétrole sur 1 ou 2 ans. Les représentants du gouvernement ont de leur côté assuré aux marchés que la baisse rapide des cours était “temporaire”. Mais les craintes provoquées par l’économie chinoise, -le moteur des importations de pétrole durant cette dernière décennie-, puis les doutes sur la durée limitée de ces cours bas, ont fait naître des inquiétudes autour des coupes budgétaires et des répercussions sur l’économie.

    Les recettes pétrolières représentent 80 % des revenus du gouvernement et 45 % du produit intérieur brut. La perspective d’une année 2016 plus parcimonieuse – après de modestes réductions de dépenses cette année – accentue la morosité ambiante.

    La plupart des observateurs conviennent qu’en raison du ralentissement de la demande, la monarchie du Golfe n’a pas eu d’autre choix que de défendre sa part de marché. Mais le plafonnement des prix qui en résulte frappe sévèrement les dépenses destinées à acheter la paix sociale et la loyauté durant ces 13 années de résistance presque continue du marché du pétrole.

    L’éditorialiste Abdulhamid Al-Omari a récemment écrit qu’une longue période de prix bas du pétrole ne fera qu’aggraver les crises du royaume, le chômage, la pénurie de logements, l’inégalité des revenus et l’endettement du privé. “Sans aucun doute, l’économie nationale est confrontée à de lourds défis, d’une ampleur peut-être jamais vue dans notre histoire moderne” écrit-il.

    HSBC estime par exemple que l’Arabie saoudite est confrontée au plus grand choc qui soit en matière de négoce pour cette génération. Avec les prévisions d’un baril de pétrole à 50/60 dollars en 2017, les recettes des hydrocarbures (246 milliards de dollars en 2014) seront de 45 % inférieures à celles des trois années précédentes. Le gouvernement a, en réponse, retardé certains projets d’infrastructures, comme les 22 milliards de dollars du métro de Riyad, mais il n’a pas encore fait les grands ajustements nécessaires, selon l’économiste Nasser Saidi.

    Les fonds de réserve de la monarchie ont permis au gouvernement de maintenir son niveau de dépenses publiques et de repousser les réformes délicates, du moins pour l’instant.

    Le déficit budgétaire de cette année, 130 milliards de dollars, comparé au déficit de 17 milliards de l’année dernière et au surplus de 48 milliards de dollars de 2013, peut être maintenu à ce niveau pendant près de trois ans grâce aux 370 milliards de dollars de réserve du gouvernement à la Banque centrale, tandis que les réserves de change, passées de 737 milliards de dollars à 82,5 milliards en août dernier, peuvent défendre l’ancrage du riyal au dollar face à la spéculation étrangère.

    Farouk Soussa, économiste en chef régional chez Citi, estime que les niveaux d’endettement pourraient dans les quatre ans atteindre 100 % du PIB, comme en 2000.

    “Dans un sens, ce n’est pas si mal, l’Arabie a encore six ou sept ans avant de retrouver ses niveaux de 2001” avance M. Soussa. “Mais ce ne serait pas une bonne idée, ils doivent protéger leur richesse intergénérationnelle.”

    “Les niveaux d’endettement pourraient dans les quatre ans atteindre 100 % du PIB, comme en 2000”

    Pour la première fois en huit ans, l’Arabie saoudite a émis localement des obligations qui devraient permettre de lever 27 milliards de dollars d’ici la fin de l’année. Cet argent facilitera son besoin de financement, mais Standard & Poors affirme que le système bancaire national ne pourra pas prêter plus de 100 milliards de dollars au gouvernement. Riyad pourrait alors se tourner vers les marchés internationaux de la dette en 2016 ou 2017.

    “Si vous commencez à faire appel aux banques, vous asséchez le secteur privé et… vous avez besoin du secteur privé pour diversifier l’économie” dit M. Saidi.

    Le fils du roi, le vice-prince héritier Mohammed ben Salman, est désormais la figure économique la plus puissante du pays. Ses partisans disent d’ailleurs qu’il va renforcer le secteur privé en cassant et privatisant les monopoles.

    Il s’est adressé à des grands patrons à Washington le mois dernier pour attirer des investissements américains dans la santé et les infrastructures. Mais les observateurs se demandent si sa vision peut réellement se transformer en réalité.

    Inévitablement en effet, les dépenses publiques et les salaires devront également être réduits en même temps que Riyad rééquilibrera ses budgets. Les subventions énergétiques, que le Fonds monétaire international appelle Riyad à revoir, coûtent au royaume 106 milliards de dollars en 2015, soit 3 400 dollars par habitant, selon le FMI. Mais c’est un équilibre difficile. Le contrecoup social de la réforme hante Riyad.

    Le défunt roi Abdullah est passé sans dommage à travers l’agitation populaire du printemps arabe en augmentant les salaires et en engageant 130 milliards de dollars d’investissements dans les infrastructures. Mais son successeur fait maintenant face au défi beaucoup plus difficile d’introduire des réformes structurelles tout en réduisant le budget du pays.

    L’équilibre budgétaire a été préservée lorsque le prix du pétrole a augmenté après 2002, ce qui a permis au gouvernement d’augmenter les dépenses publiques tout en affrontant al-Qaïda de 2003 à 2006. Maintenant que les coffres se vident rapidement, le royaume fait face en parallèle à la menace d’une nouvelle insurrection intérieure, celle du groupe Daech.

    Il dépense également des milliards de dollars pour réinstaller le gouvernement yéménite renversé par des rebelles chiites alliés de l’Iran.

    La communauté saoudienne des affaires garde bon espoir qu’une reprise des prix du pétrole pourrait offrir une certaine marge de manœuvre budgétaire, mais l’espoir d’un revirement rapide s’estompe.

    “Oui, les enjeux sont élevés. Et les chiffres sont sévères” conclut M. Saidi.

    l'économiste

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