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L’ART DRAMATIQUE ALGÉRIEN : Le théâtre, ses mirages et sa réalité

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  • L’ART DRAMATIQUE ALGÉRIEN : Le théâtre, ses mirages et sa réalité

    Coryphée : «Comme des ailes repliées / Les rêves de son engeance / L'ont encore attiré vers le fleuve de sang / Car il est né dans un charnier / Au charnier il retourne / En sa méditation lointaine et sans repos ». Kateb Yacine


    Le théâtre algérien n’est pas né d’hier. Dans l’antiquité déjà, Térence (190 Av JC / 159), en latin Publius Terentius Afer, poète comique latin d'origine berbère. Selon Suétone, dans une Vie de Térence perdue, Térence est réduit en esclavage alors qu'il est encore enfant. Aussi, son surnom d'Afer était-il celui qu'on donnait aux Africains. Il est ensuite vendu - ou donné - au sénateur romain Terentius. Grâce à son talent, à sa beauté et à sa flûte, qui impressionnent fortement son maître, il reçoit une éducation d'homme libre et est rapidement affranchi. Il fréquente dès lors la haute société et, pour les cercles érudits, écrit des comédies. Enfin, au cours de sa vie, il aura une fille qui épousera un chevalier romain. Et il n’est pas le seul à avoir taquiné les dieux de la scène. Ce sont des régiments de tragédiens et de dramaturges qui se sont succédés depuis des siècles. Il ne faut pas oublier la proximité avec la Grèce antique et les échanges florissants, notamment culturels qui avaient lieu. Plus près de nous, Mahieddine Bachtarzi est présenté comme l'initiateur de la création du théâtre selon ses Mémoires. Il était aussi l'organisateur et le guide des troupes musico-théâtrales dans les tournées à travers le pays, durant la période de l'occupation. Bachtarzi a, de son vivant, rassemblé, dira-t-il, dans ses Mémoires qu'il a publiés dans deux tomes. «C'est une idée ancienne», déclare Bachatarzi. Bachtarzi raconte son histoire : «Au début, je ne pensais pas pouvoir écrire un jour mes mémoires. Jeune, je prenais des notes et j'étais arrivé par la suite à faire mon journal, je l'avais commencé en 1929, et c'était devenu une habitude que j'ai maintenue durant toute ma vie. C'est la guerre de libération qui m'a donné l'idée d'écrire mes mémoires. Quand je suis rentré en Algérie, j'ai été chargé de diriger le Conservatoire d’Alger. Ce n'est que huit ans après que j'ai remis mon second tome pour l'éditer à la SNED en 1978 et il n'a paru qu'en 1985. Il a donc mis sept ans pour sortir. C'est vrai, il y avait 700 pages. Nous avons décidé de diviser le second tome en deux parties. La première partie prend en charge la période 1939-1951, alors que la seconde est consacrée aux vingt-trois années suivantes (1951-1974)». Mahieddine Bachtarzi nous parle de son expérience, de son parcours : «J'ai débuté en 1919 à Tlemcen, je chantais des chants religieux. Tahar Aichi m'avait remis un poème que j'avais chanté en m'inspirant de la méthode de ‘comme la pluie’ de Rigoberto. En 1922, j'ai édité un disque ‘Ô frères algériens’. Jusqu'en 1937, année d'interdiction de mes pièces, j'ai tenté d'emprunter cette voie politique, je me suis exilé en France. À l'époque, l'Emir Khaled, petit fils de l'Emir Abdelkader, qui était capitaine de l'armée, revendiquait l'égalité avec les Européens, jusqu'en 1938 on ne cherchait que l'égalité. L'Emir Khaled cherchait à susciter une conscience politique chez les Algérois. La troupe de Georges Abied, venue à Alger en 1921, avait attiré très peu de gens. L'Emir Khaled avait fait beaucoup de publicité pour la pièce. Les deuxième et troisième représentations s'étaient jouées devant un public très nombreux». Mahieddine Bachtarzi nous trace l'itinéraire des débuts du mouvement artistique typiquement Algérien. Lui qui fait partie. «En 1920 ou plus exactement en 1919, la jeunesse algérienne commençait à remuer. Par bonheur, la troupe égyptienne de Georges Abied était venue se reproduire à Alger. C'est à partir de ce moment que le théâtre commença à intéresser les gens. Nous avions des sketchs qu'on montait à l'occasion des fêtes et des pèlerinages. Les gens rendaient visite à des marabouts à Sidi Brahim à Cherchell, à Miliana. À Alger, les gens venaient célébrer Sidi M'hamed, un marabout. Le soir, autour d'un couscous, des amateurs présentaient des scénettes. C'est la seule source algérienne, Ksentini et Allalou étaient partis de là. On nous accusait de copier le théâtre français. On ne fréquentait pas les lieux où les Français donnaient leurs représentations. L'Algérien était complètement séparé de l'Européen. Seulement, on aimait le théâtre». Bachtarzi continue dans son récit pour nous dessiner l'image des comédiens algériens de cette époque : «C'étaient des amateurs qui faisaient du théâtre, ils aimaient jouer, ils y étaient prédisposés. On les appelait ‘Al Adjadjbiya’, une sorte d'amuseurs publics. Ils se produisaient bénévolement, ils riaient, ils s'amusaient. C'est cette voie que nous avions empruntée. Mais le véritable départ de l'activité théâtrale fut la venue de George Abied. Avant que les autorités Françaises n'imposent le service militaire aux Algériens, nombreux étaient parmi ces derniers qui émigraient en Orient. La famille Mansali s'était établie à Beyrouth. Mohamed Mansali revint à Alger en ramenant des pièces de théâtre. Parmi elles : «Fi Sabil Al Watan’ et ‘Feth Al Andalousse’. Ce n'est que quarante années après que j'ai appris que ‘Fi Sabil Al Watan’ n'était, en fait, que la traduction de ‘Pour la Patrie’ de Sardou. À l'époque, la pièce nous avait touchés parce qu'elle parlait de patrie. Nous l'avons interprétée en 1922. L'accueil du public n'était pas du tout favorable. Les gens ne comprenaient pas l'arabe littéraire. Quand la troupe de Georges Abied avait été bien reçue, nous avons cru bien faire en interprétant des pièces en arabe littéraire. Ce fut un échec. On jouait souvent dans la salle du Kursal, une salle de 1 000 places. Les gens de la médersa fréquentaient ce lieu. Les gens de l'époque n'étaient pas des ‘mordus’ du théâtre. Ils savaient que ça ne leur appartenait pas. Cela les laissait indifférents. Ce n'est qu'après qu'ils nous ont combattus. Allalou a été le premier qui a eu l'idée d'écrire une pièce en arabe dialectal : ‘Djeha’, une adaptation des légendes de Djeha. Ses pièces ont eu un énorme succès. Pourquoi ? Je ne dis pas que les Algérois de l'époque avaient devant eux des génies, seulement pour la première fois, ils sentaient qu'il y avait quelque chose qui les liait. C'est là, le vrai départ du théâtre algérien. Allalou a adapté les contes de Djeha. Il a pris l'idée et en a composé une pièce. Allalou a adapté ‘Djeha’ en s'inspirant des pièces qu'il a vues à Alger. Nous connaissons Djeha. Nous lisions ses histoires, mais il n'y avait jamais eu Djeha sur scène. Allalou utilisa les costumes de l'époque. Pour le public, c'était Djeha. La pièce était composée en trois actes. Comme il n'y avait pas de femme comédienne, le regretté Dahmoune joua le rôle de la femme de Djeha. On avait joué ‘Othmane en Chine’, ‘l'État des femmes’, ‘La Princesse d'Andalousie’. Nous étions obligés dans ce genre théâtral à faire un travail de mise en scène. La mise en scène s'est améliorée grâce à l'apport des jeunes après l'indépendance (Mustapha Kateb, Allel El Mouhib). À notre époque, le public ne s'intéressait pas à la mise en scène. Ce qui intéressait, c'étaient les jeux des artistes, le dialogue et le sujet de la pièce». Bachtarzi ne parle pas de Kaki, ni de Abderrahmane Djillali, ni de Mustapha Touri, ni de Keltoum, ni de Bahi Foudala. Comme s'ils n'avaient jamais existé.
    Cela mis à part Bachtarzi, qui payait les cachets de Rachid Ksentini en alcool, ne pouvait se dérober à ses responsabilités de meneur de troupe et de comédiens. Mais l’oubli, parfois feint, ne peut occulter la vérité têtue. Certes il avait une voix de soprano lorsqu’il chantait l’andalou et un accent kabyle dans le film l’opium et le bâton de Rachedi et Hassan Terro de Mohamed Lakhdar Hamina. Dans la deuxième partie des «Mémoires» de Mahieddine Bachtarzi, nous apprenons de l'auteur les raisons du retard dans le développement du théâtre en Algérie. On soutient de plus en plus que l'adoption du théâtre européen a été à l'origine de la disparition des formes traditionnelles à l'exemple du Goual, la Halqa, le Muqqalid (l'imitateur). Que dit Bachtarzi ? Le Goual (le diseur ou le conteur), le Meddah ne sont pas des formes théâtrales. De plus ce qu’oublie Bachtarzi de dire dans ses ‘Mémoires’ lorsqu’il accuse Rachid Ksentini de ne pas être un nationaliste algérien, avait traduit l'hymne national de la France ‘La Marseillaise’ en arabe en 1920 et l'avait interprété avec joie. Bachtarzi, honoré par la France colonialiste, est porté dans le Livre d'Or de 1937. Il est aussi auteur d'une cantate arabe à la gloire du Centenaire de l'Algérie (occupée) en 1930. Désigné par le roi du Maroc pour faire entendre le premier chant du Muézin à l'inauguration de la mosquée de Paris, il a chanté devant les Présidents de la République, MM. Poincaré, Millerand, Doumer et Doumergue. Il a consacré ses efforts, surtout pour faire connaître la France aux jeunes musulmans. Quant à Ksentini, il était un grand nationaliste à travers ses sketchs, comme Mohamed Touri ou Rouiched. Cependant, la question n’est pas de savoir le niveau de collaboration de Bachtarzi avec l’autorité coloniale. Mais de comprendre l’histoire de notre théâtre d’où vient-il ou va-t-il ? Ould Abderahmane Kaki, Alloula, Kateb Yacine, Azzedine Medjoubi, Slimane Benaissa, Mohia, Malek Bouguermouh n’ont-ils pas apporté à l’art dramatique algérien l’eau essentielle pour l’irriguer ? Le théâtre Katebien, la Halqa, Lgoual ne sont pas des genres dramatiques populaire où l’on parlait les langues du peuple et où le peuple se retrouvait réconcilié avec ses cultures qui fondent sa richesse et son génie.

    S. Ait Hamouda


    La Dépêche de Kabylie.
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