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Vingt ans après la mort de Yitzhak Rabin... La paix est-elle possible au Proche-Orient ?

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  • Vingt ans après la mort de Yitzhak Rabin... La paix est-elle possible au Proche-Orient ?

    LE PLUS. Depuis la disparition de Yitzhak Rabin, les morts continuent à rejoindre les morts, la haine à nourrir la haine. Dans ces conditions, peut-on encore envisager la solution à deux États ? Pour Marek Halter, président du Comité international pour une paix négociée au Proche-Orient, il faudrait envisager une fédération.


    La semaine dernière, le 4 novembre, jour du vingtième anniversaire de l'assassinat de Yitzhak Rabin, une foule de près de 100 000 personnes s'est rassemblée à Tel-Aviv. Des nostalgiques du processus de paix des années 1990, des jeunes qui espèrent une issue au conflit israélo-palestinien qui dure depuis trop longtemps et l'ancien président américain Bill Clinton, venu les encourager.

    Tout a commencé à Paris, en septembre 1992, par une rencontre secrète entre Shimon Peres et Yasser Arafat préparée et négociée de longue date. Le lendemain, le chef de l'OLP me téléphone :

    "Your friend, Shimon, is a good man, but to make peace I need a general. Votre ami Shimon est un homme bien, mais pour faire la paix il me faut un général".

    Shimon Peres informé me répond, non sans amertume : "S'il veut un général, va voir Rabin..."

    Yitzhak Rabin croyait fermement au pouvoir des mots

    C'est ainsi que j'ai connu Yitzhak Rabin. C'était un homme comme on les aimait à l'époque : soldat paysan. Né en mars 1922 à Jérusalem, il grandit dans le kibboutz Ramat-Yohanan. Très tôt, il s'engage dans les rangs du Palmah, unité d'élite de la Haganah, organisation paramilitaire juive de gauche en lutte contre l'occupation britannique.

    Yitzhak Rabin participa par la suite à toutes les guerres d'Israël. En 1967, il fut le premier à toucher de ses doigts les pierres du mur occidental, le mur des Lamentations si cher au peuple juif.

    Or, ce militaire, qui se lança tardivement dans la politique, ne portait aucune arme à sa bandoulière. À l'exception du verbe. Yitzhak Rabin croyait fermement au pouvoir des mots. Aussi, tout naturellement, tenait-il à mener à bon port les négociations avec les Palestiniens – que l'on appellera plus tard le processus d'Oslo – mises sur les rails par l'équipe de Shimon Peres.

    "Assez de sang et de larmes, assez !"

    Le 9 septembre 1993, comme prévu, le Premier ministre Rabin recevait une lettre de Yasser Arafat par laquelle l'Organisation de Libération de la Palestine renonçait à la violence et reconnaissait l’État d'Israël.

    Le même jour, Yitzhak Rabin faisait porter à Yasser Arafat une lettre par laquelle l’État d'Israël reconnaissait l'OLP.

    Enfin, le 13 septembre, les deux hommes se serraient la main sur le perron de la Maison blanche à Washington, en présence du président américain Bill Clinton. Et, devant des milliards de téléspectateurs, le chef du Gouvernement israélien déclarait :

    "Nous, qui avons combattu contre vous, les Palestiniens, nous vous disons aujourd'hui, d'une voix claire et forte : assez de sang et de larmes, assez !"

    En 1994, Israël signait, avec la Jordanie, l'accord "Wadi araba", un traité de paix territoriale lié aux accords avec les Palestiniens. La Jordanie devint ainsi le deuxième pays, après l’Égypte en 1979, à normaliser ses rapports avec Israël.

    Notre rêve à nous, mes amis et moi, membres du Comité international pour la paix négociée au Proche-Orient [1] qui étions les premiers à promouvoir l'idée de deux États côte-à-côte et en paix, semblait alors réalisé.

    "Shalom haver ! Adieu ami !"

    Mais en politique, disait Machiavel, on peut tout prévoir sauf l'imprévisible. Le 4 novembre 1995, à l'issue d'un rassemblement monstre pour la paix sur la place des Rois d'Israël à Tel-Aviv, Yitzhak Rabin est assassiné. Un jeune fanatique religieux israélien, Yigal Amir, lui tire deux balles dans le dos à bout portant.

    Réunis chez les Rabin à Tel-Aviv, avec sa femme Leah, ses enfants et sa petite-fille Noa dans une sorte de veillée funèbre, révoltés par la disparition injuste d'un être aimé, nous ne nous doutions pas que l'une des balles tirées par l'assassin avait touché mortellement la paix elle-même.

    Le 6 novembre 1995, Yitzhak Rabin fut inhumé sur le mont Herzl à Jérusalem, en présence de nombreux chefs d’États et de Gouvernements, y compris arabes. "Shalom haver ! Adieu ami !", lança alors le Président américain dont les mots furent repris dans le monde entier.

    Les morts continuent à rejoindre les morts

    Au cours des quatre mille ans de l'histoire juive, l'assassinat de Yitzhak Rabin n'a qu'un seul précédent : l'homicide de Guedalia, gouverneur de la Judée en 586 avant notre ère. Au lendemain de l'exil vers Babylone d'un grand nombre de Judéens déportés par le roi Nabuchodonosor, Guedalia ben Ahikam fut désigné gouverneur pour redonner un souffle au pays meurtri. C'était un esprit réaliste et fort. On l'accusa de brader le pays à l'étranger. Il fut assassiné par un certain Ishmael ben Netanyah.

    Choqué par ce crime et encouragé par le prophète Jérémie, le peuple instaura un jeûne en souvenir du gouverneur exécuté : c'est le jeûne de Guedalia. On l'observe jusqu'à aujourd'hui au lendemain de la Nouvelle année juive.

    Mais, après l'assassinat de Yitzhak Rabin, bien que des rassemblements aient lieu à chaque date anniversaire de sa mort, nul jeûne ou commémoration officiels n'ont été instaurés. Pourquoi ? Les juifs d'aujourd'hui seraient-ils moins sensibles que leurs ancêtres aux vertus pédagogiques de leur propre histoire ?

    Depuis la disparition de Yitzhak Rabin, les morts continuent à rejoindre les morts, la haine à nourrir la haine. Et sa remarque à Oslo, lors de la remise du prix Nobel de la paix, devint plus pertinente que jamais : les cimetières militaires, a-t-il dit, à chaque coin du globe, sont autant de témoins silencieux de l'échec des leaders nationaux à préserver la vie humaine.

    "Un ruisseau où coulait plus d'histoire que d'eau"

    L'histoire tient-elle à la personnalité de tel ou tel dirigeant politique ? Comme tout paraissait possible à l'époque de Yitzhak Rabin et de Yasser Arafat ! Est-ce parce qu'ils étaient laïcs ? À partir du moment où la religion s'est invitée dans le débat, la logique a déserté la région. Et la remarque du président égyptien Anouar el-Sadate, lui aussi assassiné par un fanatique religieux, "à défaut de partager la justice il faut partager la terre", devenait caduque. Car la terre elle-même basculait dans le domaine du sacré.

    Et maintenant ? Outre les massacres perpétrés par Daesh en Irak et en Syrie, comment se présente la situation en Israël / Palestine ? Du côté occidental du Jourdain, dont Sadate, qui avait le sens de la formule, disait que c'était "un ruisseau où coulait plus d'histoire que d'eau", se trouvent, face à face, deux peuples majoritaires : les Israéliens et les Palestiniens.

    Plus d'un tiers des Palestiniens cependant vivent du côté oriental du Jourdain, en Jordanie. Les deux rives, à l'époque romaines, faisaient partie d'un ensemble que l'empereur Hadrien, pour effacer le mot "Judée" de la carte, appela "Palestine" en 135 de notre ère, du nom d'une peuplade qui occupait à l'époque du roi David la côte méditerranéenne entre Gaza et Ashkelon.

    ils attendent que la force, ou éventuellement Dieu, résolve le conflit

    En Cisjordanie, sur la rive occidentale du Jourdain, vivent actuellement deux millions sept cent mille Palestiniens et environ cinq cent mille juifs. Entre la Cisjordanie et la Méditerranée, c'est Israël où vivent plus de huit millions de personnes, dont vingt pour cent de Palestiniens, concentrés particulièrement au nord, en Galilée. Sur le plateau du Golan, à la frontière syro-israélienne, vit une minorité druze. Et dans le Néguev, une minorité bédouine.

    Enfin, il y a Gaza, longtemps sous contrôle égyptien, où vivent un million sept cent mille Palestiniens. Contrairement à la Cisjordanie gérée par l'Autorité palestinienne qui a reconnu son voisin Israël, Gaza est contrôlé par le Hamas, mouvement proche des Frères musulmans égyptiens, qui ne reconnaît pas l’État d'Israël et se trouve en conflit avec les dirigeants de la Cisjordanie.

    Quant aux dirigeants actuels d'Israël et de la Palestine, on dirait qu'ils attendent que la force, ou éventuellement Dieu, résolve le conflit.

    Une fédération plutôt qu'une solution à deux Etats

    Dans ces conditions, peut-on encore envisager la solution de deux États côte-à-côte ? Ne serait-il pas plus judicieux de réunir toutes ces populations en une confédération ?


    Non pas exactement celle que projetait justement Yitzhak Rabin au début de l'année 1993 avant les Accords d'Oslo, entre la Palestine et la Jordanie, mais entre Israël, la Palestine et la Jordanie. Une confédération dans laquelle, à l'instar de la Suisse, chaque État serait composé de plusieurs cantons. Cette solution résoudrait bon nombre de problèmes : tout d'abord, la situation des minorités nationales, la séparation territoriale entre la Cisjordanie et Gaza ou la revendication nationale des Palestiniens de Jordanie, pays aujourd'hui menacé par Daesh.

    Cette solution résoudrait également le problème de Jérusalem Est, capitale revendiquée par les Palestiniens. Jérusalem Est deviendrait donc la capitale de cette confédération, comme Bruxelles pour l'Europe. Ainsi, les drapeaux palestiniens et jordaniens pourraient légalement flotter au-dessus des lieux saints de l'islam.

    L'Europe n'est-elle pas née, du moins en partie, pour éviter aux deux ennemis héréditaires, l'Allemagne et la France, de se retrouver seuls face à face ?

    La politique, disait Dostoïevski, c'est "'amour de la patrie et rien de plus". Il avait raison le père des frères Karamasov : pour risquer la paix, il faut aimer son pays. Et Yitzhak Rabin l'aimait passionnément. Qui, aujourd'hui, du côté israélien et palestinien, serait prêt à reprendre le flambeau ?

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    [1] Maurice Clavel, Clara Malraux, Jean-François Revel, Primo Levi, Carlo Levi, Rossana Rossanda, Günter Grass, Ernst Bloch, Julio Cortázar, Italo Calvino, Noam Chomsky, Jean-Pierre Faye, Bernard Kouchner, Clara Halter, André Schwarz-Bart, Edgar Morin, Albert Memmi, Herbert Marcuse.


    l'OBS
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