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La Mongolie a enfanté deux grands conquérants : Gengis Khan et l'oignon. Si le premier fonda le plus vaste empire contigu de tous les temps, que dire du second ? A force d'audace et de ruse, l'oignon a conquis le monde pour l'éternité. Pas un peuple sur la planète qui ne cultive et mange ce bulbe. C'est lui le plus grand conquérant mongol. En un mot, ce n'est pas l'homme qui le domestiqua, mais lui qui mit l'homme à sa botte !
Allium cepa, de son nom latin, naît voilà plusieurs millions d'années, quelque part entre Mongolie et Turkménistan. Il a toujours appartenu au clan des plantes herbacées bisannuelles. Pour survivre au rude climat de la steppe, froid et sec, ses ancêtres adoptent le principe de la poupée russe : ils empilent leurs feuilles pour se protéger et constituer des réserves nutritives. Ce qui donne naissance au bulbe qu'on retrouve chez les nombreux cousins de l'oignon de la famille des liliacées. A commencer par le poireau et l'ail, ses plus proches parents, qui l'ont souvent accompagné dans sa conquête du monde.
Pour accomplir son odyssée, l'oignon a usé de plusieurs armes très efficaces. La première étant sa grande valeur nutritive. Ensuite, il a su rester de taille modeste pour faciliter son transport. Mais surtout, l'oignon est un dur à cuire qui peut survivre de longs mois sans pourrir. Il possède également une capacité formidable à s'adapter à tous les climats. On le cultive partout !
Marche triomphale. Ainsi armé, l'oignon a conquis l'estomac de l'homme quand celui-ci n'était encore qu'un modeste chasseur-cueilleur d'Asie centrale. Cela remonte à plusieurs dizaines de milliers d'années, très probablement. Mais la plus ancienne preuve de consommation date de cinq mille ans seulement. Des paléontologues ont retrouvé des débris d'oignon dans un campement palestinien, sans pouvoir affirmer s'il s'agissait d'une variété sauvage cueillie ou d'une plante cultivée. A la même époque, l'oignon avait déjà conquis la Chine, où il symbolise l'intelligence. On le retrouve encore à Sumer, il y a quelque quatre mille cinq cents ans. De là, la conquête de l'Inde ne fut pour lui qu'un jeu d'enfant, des écrits védiques signalent sa présence vers - 1500. L'envahisseur mongol suivit alors les rois akkadiens de Mésopotamie dans leur marche conquérante vers la Méditerranée.
L'oignon arrive finalement en Egypte. Il y est cultivé, il y a quatre mille trois cents ans. Les bas-reliefs nous montrent qu'il est largement consommé par le peuple. Avec l'ail et le radis, il constitue le régime de base des paysans embrigadés pour construire les pyramides. Et quand, un beau jour, Pharaon voulut leur supprimer l'oignon (certains évoquent plutôt l'ail), ils déclenchèrent la première grève de l'Histoire. Avec ses multiples couches concentriques, ses pouvoirs antiseptiques et sa longue durée de vie, l'oignon symbolisait l'éternité dans le royaume d'Egypte. On en retrouve fréquemment dans les tombeaux, placé contre les momies. Par exemple, deux bulbes ont été retrouvés posés sur les yeux de Ramsès IV.
Après l'Egypte, l'oignon ne fait qu'une bouchée de la Grèce, où il a la réputation d'alléger le sang. Avant de concourir à Olympie, des athlètes boivent de grands verres de son jus, ce qui constitue leur premier exploit. De la Grèce à l'Empire romain, la marche de l'oignon est triomphale. Les gladiateurs romains s'en oignent la peau pour raffermir leurs muscles. Un dopage avant l'heure.
La conquête de Rome lui ouvre les portes de l'Europe entière. Il voyage dans le bagage des soldats romains. Ce n'est pas César qui conquiert la Gaule, mais l'oignon. Avec les haricots et le chou, c'est le légume le plus consommé au Moyen Age, surtout dans le nord du continent. Mais comme il donne une lourde haleine, il s'empare surtout des gosiers du peuple. Il acquiert une telle cote qu'il a même eu l'honneur d'être offert en guise de cadeau de mariage ou d'être utilisé pour payer une rente. Mais le plus beau tour de force de l'oignon fut quand même d'être parvenu à faire croire aux Anglais qu'en le plaçant sous l'oreiller ils verraient leur futur conjoint en rêve...
Mais le vieux monde ne suffit bientôt plus à ce conquistador. Dès qu'il apprend la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, il se glisse dans les bagages des colons de la deuxième expédition de 1493, chargés d'établir une tête de pont sur le continent. Quelques décennies lui suffisent pour s'emparer du Nouveau Monde. En 1620, il reçoit le renfort de nouveaux bulbes qui font la traversée sur le " Mayflower ". Face à ce conquérant, les oignons autochtones font long feu et disparaissent aussi vite que les Indiens eux-mêmes.
Aujourd'hui, la planète entière est sous la botte mongole ! Des centaines de variétés sont cultivées dans 175 pays. Il s'en consomme plus de 1 200 milliards par an (70 millions de tonnes). Le catalogue de Vilmorin de 1925 en recensait 78 variétés : le blanc de Paris, le blanc très hâtif de la reine, le jaune des Cévennes, le jaune paille des vertus, le rouge de Brunswick, l'oignon rosé de Roscoff...
Propriétés médicinales. Ce succès phénoménal tient également aux nombreuses propriétés médicinales d'Allium cepa. Tous les peuples l'ont utilisé comme boîte à pharmacie. S'il alourdit l'haleine, il allège les maux du corps. Au fil des millénaires, il a servi d'antiviral, d'antiseptique, d'anti-inflammatoire, de diurétique, de laxatif, d'expectorant, de stimulant circulatoire, d'antirhumatismal, d'hypoglycémiant. Il a même eu le culot de prétendre pouvoir stimuler la repousse des cheveux, protéger de la peste ou encore résoudre l'infertilité féminine. Enfin, comme tant d'autres plantes, il s'est vanté d'être à même de déclencher une érection, fût-ce sur un cadavre...
Le plus beau, c'est que la médecine moderne, en dehors de la dernière affabulation, confirme la plupart des pouvoirs préventifs et curatifs de notre apothicaire asiatique, qui les doit à trois familles de composés présents dans ses cellules. D'abord les fructanes, des sucres que la plante utilise comme réserve d'énergie, qui favorisent le développement de la bonne flore intestinale. Ils pourraient ainsi prévenir le cancer du côlon.
Ensuite, les organosulfures (dont l'allicine, qui déclenche les larmes) utilisés par la plante pour se défendre contre les pestes. Plusieurs études publiées depuis une quinzaine d'années révèlent leur action anti-inflammatoire et antibactérienne. Ces composés soufrés agiraient également contre l'athérosclérose et l'hypertension. Par contre, d'autres études montrent qu'ils peuvent endommager les cellules de l'intestin. Enfin, et surtout, les oignons sont bourrés de flavonoïdes, ces antioxydants que les plantes fabriquent pour lutter contre les virus, microbes et autres champignons pathogènes, mais qui possèdent également le pouvoir de ralentir le vieillissement des cellules, réduisant ainsi chez l'animal (et probablement chez l'homme) le risque de cancer et de crise cardiaque. Ces antioxydants sont également capables de faire baisser le taux de cholestérol et des triglycérides dans le sang. Cerise sur le gâteau, on découvre maintenant que les flavonoïdes pourraient avoir une action bénéfique sur l'ostéoporose.
En 2004, Rui Hai Liu, de l'université de Cornell, confirme les pouvoirs antioxydants et antiproliférants de l'échalote et de dix variétés d'oignon. L'échalote et les variétés jaunes et rouges sont les plus efficaces, notamment contre le cancer du côlon. Plus l'oignon est fort, plus il est riche en antioxydants." Les flavonoïdes ne sont pas seulement anticancéreux, ils sont également connus pour être antibactérien, antiviraux, antiallergéniques et anti-inflammatoires ", précise Liu.
Mangeons donc des oignons. Crus ou cuits, peu importe. Des envahisseurs comme cela, on en redemande. Mais, dernière pirouette de notre Mongol, il a décidé de modifier son nom. Depuis 1990, le Conseil supérieur de la langue française nous demande d'écrire ognon. Piquant !
Allium cepa, de son nom latin, naît voilà plusieurs millions d'années, quelque part entre Mongolie et Turkménistan. Il a toujours appartenu au clan des plantes herbacées bisannuelles. Pour survivre au rude climat de la steppe, froid et sec, ses ancêtres adoptent le principe de la poupée russe : ils empilent leurs feuilles pour se protéger et constituer des réserves nutritives. Ce qui donne naissance au bulbe qu'on retrouve chez les nombreux cousins de l'oignon de la famille des liliacées. A commencer par le poireau et l'ail, ses plus proches parents, qui l'ont souvent accompagné dans sa conquête du monde.
Pour accomplir son odyssée, l'oignon a usé de plusieurs armes très efficaces. La première étant sa grande valeur nutritive. Ensuite, il a su rester de taille modeste pour faciliter son transport. Mais surtout, l'oignon est un dur à cuire qui peut survivre de longs mois sans pourrir. Il possède également une capacité formidable à s'adapter à tous les climats. On le cultive partout !
Marche triomphale. Ainsi armé, l'oignon a conquis l'estomac de l'homme quand celui-ci n'était encore qu'un modeste chasseur-cueilleur d'Asie centrale. Cela remonte à plusieurs dizaines de milliers d'années, très probablement. Mais la plus ancienne preuve de consommation date de cinq mille ans seulement. Des paléontologues ont retrouvé des débris d'oignon dans un campement palestinien, sans pouvoir affirmer s'il s'agissait d'une variété sauvage cueillie ou d'une plante cultivée. A la même époque, l'oignon avait déjà conquis la Chine, où il symbolise l'intelligence. On le retrouve encore à Sumer, il y a quelque quatre mille cinq cents ans. De là, la conquête de l'Inde ne fut pour lui qu'un jeu d'enfant, des écrits védiques signalent sa présence vers - 1500. L'envahisseur mongol suivit alors les rois akkadiens de Mésopotamie dans leur marche conquérante vers la Méditerranée.
L'oignon arrive finalement en Egypte. Il y est cultivé, il y a quatre mille trois cents ans. Les bas-reliefs nous montrent qu'il est largement consommé par le peuple. Avec l'ail et le radis, il constitue le régime de base des paysans embrigadés pour construire les pyramides. Et quand, un beau jour, Pharaon voulut leur supprimer l'oignon (certains évoquent plutôt l'ail), ils déclenchèrent la première grève de l'Histoire. Avec ses multiples couches concentriques, ses pouvoirs antiseptiques et sa longue durée de vie, l'oignon symbolisait l'éternité dans le royaume d'Egypte. On en retrouve fréquemment dans les tombeaux, placé contre les momies. Par exemple, deux bulbes ont été retrouvés posés sur les yeux de Ramsès IV.
Après l'Egypte, l'oignon ne fait qu'une bouchée de la Grèce, où il a la réputation d'alléger le sang. Avant de concourir à Olympie, des athlètes boivent de grands verres de son jus, ce qui constitue leur premier exploit. De la Grèce à l'Empire romain, la marche de l'oignon est triomphale. Les gladiateurs romains s'en oignent la peau pour raffermir leurs muscles. Un dopage avant l'heure.
La conquête de Rome lui ouvre les portes de l'Europe entière. Il voyage dans le bagage des soldats romains. Ce n'est pas César qui conquiert la Gaule, mais l'oignon. Avec les haricots et le chou, c'est le légume le plus consommé au Moyen Age, surtout dans le nord du continent. Mais comme il donne une lourde haleine, il s'empare surtout des gosiers du peuple. Il acquiert une telle cote qu'il a même eu l'honneur d'être offert en guise de cadeau de mariage ou d'être utilisé pour payer une rente. Mais le plus beau tour de force de l'oignon fut quand même d'être parvenu à faire croire aux Anglais qu'en le plaçant sous l'oreiller ils verraient leur futur conjoint en rêve...
Mais le vieux monde ne suffit bientôt plus à ce conquistador. Dès qu'il apprend la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, il se glisse dans les bagages des colons de la deuxième expédition de 1493, chargés d'établir une tête de pont sur le continent. Quelques décennies lui suffisent pour s'emparer du Nouveau Monde. En 1620, il reçoit le renfort de nouveaux bulbes qui font la traversée sur le " Mayflower ". Face à ce conquérant, les oignons autochtones font long feu et disparaissent aussi vite que les Indiens eux-mêmes.
Aujourd'hui, la planète entière est sous la botte mongole ! Des centaines de variétés sont cultivées dans 175 pays. Il s'en consomme plus de 1 200 milliards par an (70 millions de tonnes). Le catalogue de Vilmorin de 1925 en recensait 78 variétés : le blanc de Paris, le blanc très hâtif de la reine, le jaune des Cévennes, le jaune paille des vertus, le rouge de Brunswick, l'oignon rosé de Roscoff...
Propriétés médicinales. Ce succès phénoménal tient également aux nombreuses propriétés médicinales d'Allium cepa. Tous les peuples l'ont utilisé comme boîte à pharmacie. S'il alourdit l'haleine, il allège les maux du corps. Au fil des millénaires, il a servi d'antiviral, d'antiseptique, d'anti-inflammatoire, de diurétique, de laxatif, d'expectorant, de stimulant circulatoire, d'antirhumatismal, d'hypoglycémiant. Il a même eu le culot de prétendre pouvoir stimuler la repousse des cheveux, protéger de la peste ou encore résoudre l'infertilité féminine. Enfin, comme tant d'autres plantes, il s'est vanté d'être à même de déclencher une érection, fût-ce sur un cadavre...
Le plus beau, c'est que la médecine moderne, en dehors de la dernière affabulation, confirme la plupart des pouvoirs préventifs et curatifs de notre apothicaire asiatique, qui les doit à trois familles de composés présents dans ses cellules. D'abord les fructanes, des sucres que la plante utilise comme réserve d'énergie, qui favorisent le développement de la bonne flore intestinale. Ils pourraient ainsi prévenir le cancer du côlon.
Ensuite, les organosulfures (dont l'allicine, qui déclenche les larmes) utilisés par la plante pour se défendre contre les pestes. Plusieurs études publiées depuis une quinzaine d'années révèlent leur action anti-inflammatoire et antibactérienne. Ces composés soufrés agiraient également contre l'athérosclérose et l'hypertension. Par contre, d'autres études montrent qu'ils peuvent endommager les cellules de l'intestin. Enfin, et surtout, les oignons sont bourrés de flavonoïdes, ces antioxydants que les plantes fabriquent pour lutter contre les virus, microbes et autres champignons pathogènes, mais qui possèdent également le pouvoir de ralentir le vieillissement des cellules, réduisant ainsi chez l'animal (et probablement chez l'homme) le risque de cancer et de crise cardiaque. Ces antioxydants sont également capables de faire baisser le taux de cholestérol et des triglycérides dans le sang. Cerise sur le gâteau, on découvre maintenant que les flavonoïdes pourraient avoir une action bénéfique sur l'ostéoporose.
En 2004, Rui Hai Liu, de l'université de Cornell, confirme les pouvoirs antioxydants et antiproliférants de l'échalote et de dix variétés d'oignon. L'échalote et les variétés jaunes et rouges sont les plus efficaces, notamment contre le cancer du côlon. Plus l'oignon est fort, plus il est riche en antioxydants." Les flavonoïdes ne sont pas seulement anticancéreux, ils sont également connus pour être antibactérien, antiviraux, antiallergéniques et anti-inflammatoires ", précise Liu.
Mangeons donc des oignons. Crus ou cuits, peu importe. Des envahisseurs comme cela, on en redemande. Mais, dernière pirouette de notre Mongol, il a décidé de modifier son nom. Depuis 1990, le Conseil supérieur de la langue française nous demande d'écrire ognon. Piquant !
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