Né à Misserghin, Oranie, Gabriel Camps (1) a été un des plus grands contributeurs à la problématique berbère qu'il expose lors du colloque consacrée «Aux cultures du Maghreb ».
Chemin faisant c'est un plaidoyer pour la Tamzgha dont :'' la carte de cette ancienne et mouvante Berbérie, je crois pouvoir la donner en traçant ses limites méridionales et orientales puisque évidemment au nord se trouve la méditerranée et à l'ouest l'océan atlantique encore doit-on déborder au-delà du rivage puisqu'il nous faut englober dans le même domaine , malgré leur grande originalité , les iles canaries qui tant par leur anthropologie physique que par leur onomastique appartiennent à l'espace berbère.
Les berbérophones du sud étant nomades, il est évident est que la limite portée par la carte est sujette à discussion, ainsi nous n'avons pas englobé les Touaregs du nord du Burkina Faso.
Bien plus délicate à établir la limite orientale tant sont rares les documents au-delà de la petite Syrte. Les îlots berbérophones, tous en perdition à Zouera, Saukna, Augila, Siwa sont autant de reliques linguistiques qui s'ajoutent à des données onomastiques non moins démonstratives, citons les Rbw (=Lebou=Libyens) des hiéroglyphes égyptiens, les Mashaouash, les Tehenou, les Asbytes(=Isabaten) et les nombreux noms berbères donnés par les inscriptions grecques de Cyrénaique (O.Masson, 1976). On peut donc intégrer la Tripolitaine, le Fezzan et la Cyrénaïque, ainsi que la partie septentrionale du désert libyque, en gros donc l'État libyen actuel.
Plus tard, à l'est du puissant groupe touareg de l'Ahaggar et de l'Air, la limite, presque une frontière, est très abrupte. A l'est du quinzième degré de longitude est, et au sud du tropique ; il n'y a plus d'inscription libyque ou de tifinagh (à l'exception de quelques graffiti qu'ont pu laisser des rezzous touaregs), il n'y a aucune représentation de char, la toponymie berbère totalement inconnue ; sur le plan anthropologique, enfin les Toubous sont aussi bien différents des Touaregs que des Fezzanais qui les cantonnent à l'ouest et au nord. Le Tibesti appartient à un autre monde, il fut réfractaire aussi bien à la roue qu'à la langue et à l'écriture berbère, qui plus à l'ouest s'étendirent largement vers les régions sahéliennes.'' p, 57 et 58, Encyclopédie berbère. No 1
Ce tableau d'ethno-géographie du monde berbère établi par G. Camps dépeint un espace- événements englobant des séries de données archéologique et linguistique qui démontrent la complexité historique de la problématique berbère. Les débordements spatiaux et la difficulté pour désigner une territorialité culturelle propre aux Berbères, s'expliquent par les phénomènes de la dissémination ethnique dont a du mal à relater toute leur historicité.
A tel point que le domaine berbère ne peut être compris que par la juxtaposition des traces (archéologiques et linguistiques) qui rendent possible une définition culturelle et ethnique, elle-même renouvelée au gré des histoires des groupes tribaux. Donc, on ne peut pas assigner une unité politique à la Tamazgha qui par ailleurs étant elle-même un sous-continent en Afrique.
Pour comprendre ces reliques identitaires, il n'y a pas mieux que d'interroger les sources qui pour l'auteur sont des preuves de véracité. Le choix du récit des origines se justifie par la croyance induite par la représentation de ces sources. Certainement l'Archéologie, la Préhistoire et l'Anthropologie relèvent de l'Épistémologie, tandis que le discours historique dans ses genres comporte des points de vue qui sont généralement la parole du Vainqueur. Et malheureusement c'est le cas des historiographies gréco-latine et arabo-musulmane.
Bref, l'auteur très familier et connaisseur de la préhistoire et de l'histoire nord-africaine et saharienne a écrit des ouvrages consacrés entièrement à la question berbère. Dans l'article publié dans E.B No 1, il entame la question de l'origine des Berbères par un avertissement concernant « l'Être berbère ». Après avoir passé en revue les différentes données archéologiques et historiques, l'auteur propose : « On serait tenté de dire que l'histoire de l'Afrique du Nord et du Sahara n'est que l'histoire de conquêtes et de dominations étrangères que les Berbères auraient subies avec plus ou moins de patience. Leur rôle dans l'histoire se serait borné à une » résistance » dont le maintien de la langue, du droit coutumier et des formes archaïques d'organisation sociale serait le beau fleuron. Mais l'histoire a horreur des simplifications, surtout lorsqu'elles sont abusives et prêtent aux siècles passés des conceptions politiques d'aujourd'hui.
En fait on pourrait inverser les prémisses et demander comment des populations aussi malléables aux cultures étrangères, au point que certaines sont devenues tour à tour puniques, romano-africaines, arabes, ont pu rester aussi fidèles à leurs coutumes, à leur langue, à leurs traditions techniques, en un mot rester elles-mêmes. C'est cela être berbère.'' p, 13.
Que pouvons-nous dire de ce passage sur l'être berbère ?
La mise à l'épreuve de l'être berbère par l'histoire positive dont quelques auteurs E. Gellner, L. Balout et T. Mommsen l'ont stigmatisé de passive, est rejetée par G. Camps (même page). Cela dit les observations de l'auteur ne suffisent pas à définir l'identité berbère par de simples survivances. Certes, la langue est un déterminant primordial de la culture. Mais la complexité de la question ne nous permet pas de considérer que seuls des vestiges lapidaires du passé suffisent à admettre une simplification de l'idée de l'identité. Prime à bord, on constate une quasi absence de la psychologie historique (I.Meyerson) qui peut nous aider à faire part de la vitalité culturelle berbère et de la problématique de la malléabilité qui est un des points cruciaux de l'adaptabilité des autochtones aux dominations étrangères. L'exemple d'Apulée est à méditer sur cette impossible universalité du Berbère.
Spécimen : Après avoir rappelé son origine demi-Numide, demi-Gétule, il poursuit Je ne rougirais pas de ma patrie, même si nous étions encore la ville de Syphax. Mais après la défaite de ce prince, la faveur du peuple romain nous fit passer sous la domination du roi Massinissa ; plus tard notre cité fut fondée à nouveau par les vétérans ; et nous sommes une cité florissante.
Pourquoi tous ces détails ? Cest afin, Emilianus, de calmer ton courroux, et d'obtenir plutôt ton pardon, si par mégarde peut-être, je n'ai pas choisi pour y naitre ton Zarath, ce foyer d'atticisme. Cité par J. Alexandropoulos dans(les monnaies de l'Afrique antique) qu'il commente de la manière suivante : ' Cette dernière attitude, qui est celle d'Apulée, suppose aussi l'intériorisation de l'histoire de l'Afrique du Nord telle a été refaçonnée par les historiens romains. Notre auteur est l'aboutissement de ces évolutions puisqu'il parade du haut d'une romanité forte des honneurs poliades qui la récompensent, et se gausse de son adversaire Emilianus, un compatriote originaire de Zarath, bourgade au nom qui sent le terroir et cruellement raillé : un foyer »atticisme » ! Non qu'Apulée renie ses origines africaines, au contraire, mais en quelques lignes, il se plaît à retracer fièrement l'évolution de sa cité, depuis l'appartenance au royaume de Numidie, jusqu'à la colonie romaine, de l'africanité à la romanité''.
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