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Décès de la grande Fatima Mernissi : une femme libre s’en est allée

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    Décès de la grande Fatima Mernissi : une femme libre s’en est allée

    Par Narjis Rerhaye nov, 30


    La nouvelle est tombée tôt ce lundi matin. Fatima Mernissi, l’écrivaine et sociologue est décédée à Rabat. Elle s’est éteinte à 75 ans, dans son appartement, au quartier de l’Agdal. Un appartement aux portes grandes ouvertes où Fatima Mernissi avait coutume de recevoir intellectuels, écrivains, artistes, cinéastes, activistes. Plusieurs générations s’y sont rencontrées, croisées et ont échangé. Lalla Fatima, comme l’appelaient ceux et celles qui lui sont proches, avait ce don rare de tendre la main aux nouvelles générations et à construire des passerelles. « Il faut savoir préparer la relève. Allez les jeunes, il faut mettre la main à la pâte », lançait-elle, la voix toujours chantonnante et un inimitable accent fassi.
    « Une grande perte pour le Maroc », « une grande dame du féminisme musulman nous a quittés », « La sociologie marocaine est orpheline » : toute la journée, les témoignages de compassion et les hommages ont envahi les réseaux sociaux.
    Eternel sourire aux lèvres, maquillage parfait, longues boucles d’oreilles et tenues colorées, cette auteure prolifique et polyglotte savait déranger. Avec sa façon bien à elle de dénoncer le pouvoir patriarcal, de relire l’islam politique et d’entrouvrir les portes du harem, cette professeure de sociologie à l’Université Mohammed V a marqué l’histoire du féminisme dans le monde musulman et pas seulement au Maroc.
    Chercheurs, sociologues, activistes du mouvement féminin, tous s’accordent à le dire : Fatima Mernissi est la spécialiste connue et reconnue de par le monde de féminisme en Islam. Ses ouvrages ont été traduits dans plusieurs langues. Cette écrivaine, à l’engagement différent, avait sa manière bien à elle de faire entrer le lecteur dans son monde, le tenir en haleine, le séduire, le convaincre, le faire rire, usant de formes d’écriture multiples, du reportage à l’enquête sociologique en passant par le récit historique. « Au final, le lecteur ne pouvait qu’adhérer aux thèses de Fatima Mernissi qui avait l’habitude de sourire quand on lui parlait de ruses de femmes, » témoigne cette journaliste qui l’a bien connue.
    Née dans un harem
    C’est en 1940 que Fatima Mernissi voit le jour à Fès. Née dans ’une famille de la grande bourgeoisie marocaine, elle disait volontiers avoir grandi dans un harem. Une enfance qu’elle a choisie de raconter dans « Rêves de femmes » paru en 1994 chez Albin Michel , un roman résolument autobiographique et dont le sous-titre, « Contes d’enfance au harem », est à lui seul révélateur.
    « Elle fait partie d’une génération qui a connu les rêves, les attentes et les dépressions de la société marocaine. La longue période qu’elle a passée à Fez ainsi que ses multiples voyages tout autour du monde, ont marqué sa vie. Elle n’a pas pu se défaire de l’amour de sa ville natale, et de son harem où elle a vécu et qui sera par la suite l’axe central de ses écrits. Pour décrire sa vie, Mernissi fait appel à sa grande imagination et à sa fine sensibilité. Les femmes du harem ont enrichi son imagination par leurs contes, leurs expériences et leurs façons de voir les choses. Sa mère, quant à elle, a su raffermir sa confiance en elle. C’est dans cette atmosphère qu’elle a grandi. Elle s’est inscrite dans l’une des premières écoles privées mixtes du pays. Elle a fait ses études supérieures à la Faculté de Droit à Rabat et a obtenu sa licence en sociologie à l’Université de la Sorbonne. Outre la Sorbonne, elle a poursuivi ses études aux États-Unis où elle a obtenu en 1973 son doctorat en sciences sociales. Elle a fait le choix de la sociologie afin d’être en mesure de mieux appréhender les conditions humaines des femmes » écrit Souad Ameur dans sa thèse de doctorat « Ecriture féminine : images et portraits croisés de femmes », soutenue à l’université de Paris-Est.
    En 1987, Mernissi jette un pavé dans la mare et bouscule fortement les tabous. Son ouvrage « Le harem politique » dans lequel elle critique la véracité de certains hadiths, les« dits » du Prophète, parfois sujets à caution l’a fait définitivement entrer dans l’histoire du féminisme. Dans ce livre, la sociologue pose une question essentielle : pour quelle raison certains hadiths, d’un sexisme manifeste ont-ils été conservés et d’autres à la connotation beaucoup plus nuancée, délibérément occultés ? Pour Fatima Mernissi, le pouvoir masculin a gommé et nié le rôle politique joué par les femmes depuis l’avènement de l’islam. Le livre a été pendant longtemps interdit dans plusieurs pays musulmans parce que cette écrivaine a osé poser des questions qui dérangent comme celles de savoir si une femme peut gouverner un État musulman.
    Dans les zones interdites de l’Islam
    « Cette femme a pu pénétrer dans les zones les plus interdites par l’islam, notamment dans Sexe, Idéologie, Islam, Al Jins Ka Handasa Ijtima’iya, sultanes oubliées. Dans ses recherches et ses études, Mernissi a tenté de résoudre le problème des femmes avec une audace inhabituelle, elle s’est engagée dans ce domaine complexe et ambigu, où le contrôle du mythe et des traditions prennent le pas. Elle s’est trouvée face à un voile rigide de l’esprit ; des femmes et des hommes se réfugient dans la religion, creusant la tombe de leur intégration, à cause de la discrimination dont ils sont victimes », résume Souad Ameur
    Interdiction, censure, menace, fetwa ont jalonné le parcours exceptionnel de cette sociologue de renommée internationale qui, en 2003, a reçu le prix Princesse des Asturies. Des menaces qui ne l’ont jamais dissuadé d’écrire, bien au contraire. Dans la bibliothèque universelle du féminisme, les livres de Fatima Mernissi sont en bonne place : « Sultanes oubliées : femmes chefs d’Etat en islam », « Sexe, idéologie, islam », « Étes-vous vacciné contre le harem ? », « Le monde n’est pas un harem »,« La Peur modernité »,« Chahrazad n’est pas marocaine »,« Le Maroc raconté par ses femmes » et bien d’autres encore.
    Le combat pour les droits des femmes par l’écriture n’était pas une posture chez Fatima Mernissi, mais une conviction profonde, affirmée, ancrée. Elle est à l’origine de plusieurs collectifs, collections et ateliers d’écriture : « Femmes, familles, enfants », « Femmes, citoyennes de demain », « Femmes Maghreb 2000 »…
    En 2011, elle fait partie des 100 femmes les plus influentes au monde, aux côtés de Marguerite Thatcher, Oprah Winfrey et Shirine Ebadi. Des honneurs qu’elle a toujours vécus sourire en coin et qui ne changeront rien à son humour ravageur. Ces derniers temps, Fatima Mernissi disait à tous ceux qui la croisaient avec un joli petit foulard noué sur la tête : « Attention, je ne porte pas le hijab, c’est juste que je vieillis et j’ai froid à la tête. »
    C’est une femme libre qui s’en est allée. La défunte devait être inhumée ce 30 novembre, après la prière d’Al Asr, au cimetière Ach Chouhada, à Rabat.

  • #2
    Une grande dame, intellectuelle et féministe du Maghreb. Je me rappelle de ses passages en Algérie, toujours enrichissants et lumineux.

    Qu'elle repose en paix !
    Fortuna nimium quem fovet, stultum facit.

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    • #3
      Un ou une sociologue, écrivain ou écrivaine c'est toujours enrichissant pour la société; Malheureusement, je n'ai pas eu la chance de lire ses livres ou autre d'elle. Qu'elle repose en paix, Allah yarhamha.

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      • #4
        Elle faisait partie de cette génération d'intellectuels qui voulait réformer l'Islam de son intérieur.

        La radicalisation des générations actuelles démontre que cette démarche a été un échec et qu'il faut chercher d'autres voies pour nous faire sortir de cet obscur labyrinthe.

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