Près de 100 milliards de dollars engloutis en moins de 3 ans
le 30.11.15 | 10h00 el watan
Depuis le début de la baisse des cours du pétrole à la fin du premier semestre 2014 et l’année 2016, l’Algérie aura perdu près de 100 milliards de dollars suite à la baisse de son épargne en devises (réserves de change) et en dinars (Fonds de régulation des recettes, FRR), soit près du double de nos exportations d’hydrocarbures cumulées de 2015 et 2016.
A en juger par les chiffres du ministère des Finances et de la Banque d’Algérie, entre creusement de la balance des paiements et résorption du déficit public, ce sont près de 40% des réserves de change du pays qui auront été consommées, alors que pour le FRR ce sont plus de 60% des ressources qui auront été grignotées en seulement deux ans et demi (voir graphes).
Les difficultés que connaît l’Algérie depuis plus d’un an seraient à première vue conjoncturelles liées à la situation actuelle des prix du pétrole et disparaîtraient dès la remontée des cours. Mais si la crise de l’or noir peut s’avérer éphémère, selon certains experts énergétiques, on ne peut pas en dire autant de l’économie nationale.
Quand on sait la dépendance de l’Algérie aux hydrocarbures, son incapacité à construire une économie indépendante des fluctuations pétrolières internationales et à mettre en place des solutions durables à des crises récurrentes, on est amené à reconnaître que la crise actuelle n’est davantage qu’un simple problème de trésorerie.
Le ministre de l’Industrie, Abdeslem Bouchouareb, a d’ailleurs souligné récemment qu’il ne s’agit pas d’une crise conjoncturelle, mais d’un choc profond. Si le premier ministre Abdelmalek Sellal reste rassurant, déclarant que la situation est «difficile» mais «maîtrisée», les experts, quant à eux, ne laissent pas place aux ambiguïtés quant à la nature de la crise.
Raïf Mokretar-Karroubi, expert financier, a estimé que «la crise économique que traverse l’Algérie est structurelle» avec des origines à rechercher dans «les politiques adoptées par le gouvernement», de nature dépensières, adossées à la rente et peu viables. Le professeur Omar Aktouf, pour sa part, reconnaît à la crise des causes exogènes : «chute des prix du pétrole, ralentissement de l’économie mondiale», mais aussi «endogènes» et «structurelles» liées à la léthargie chronique de la politique économique algérienne.
Les signes
S’il persistait encore un doute sur l’existence ou pas d’une crise, le projet de loi de finances a fini par convaincre les sceptiques avec des dispositions qu’on ne pensait pas le gouvernement capable de prendre compte tenu du zèle avec lequel elles ont été défendues par le passé, à l’image du droit de préemption, du recours au financement externe et de la hausse des prix de l’énergie. Les députés qui l’ont débattu reconnaissent qu’il traduit une situation de crise, même si leur perception diffère sur sa nature.
Lakhdar Benkhlef qualifie le texte de «dangereux», affirmant que les auteurs ont choisi «les solutions de facilité qui ont un impact sur les ménages» comme la hausse des carburants et de l’électricité. Il met en cause des «politiques inefficientes ces deux dernières décennies qui ont conduit à une situation économique désastreuse».
Cet alarmisme est loin d’être partagé. Pour Zoulikha Mekki, députée FLN, il n’y a aucune dangerosité, même si «certaines mesures sont illogiques, comme la hausse des prix de l’électricité».
«C’est une crise financière qui s’achèvera avec la hausse des prix du pétrole». Et en tout état de cause «on ne peut pa s dire qu’on est en crise quand nous voyons les atouts dont nous disposons (agricultures, énergie solaire, potentiel touristique, etc.)», estime la parlementaire.
Si Safi Larabi, membre de la commission des finances de l’APN reconnaît «une crise de ressources budgétaires», il estime cependant que sur le long terme «l’économie est en train de connaître des transformations en mettant l’accent sur les secteurs de l’industrie, de l’agriculture, du tourisme et des services». Ce qui se passe aujourd’hui «est un choc positif et la situation sera meilleure au sortir de l’année 2016», prédit-il.
Réponses conjoncturelles
Les optimismes mitigés ne cachent en rien la réalité de la crise traduite dans les dispositions du PLF qui prévoit une baisse des recettes budgétaires, une hausse des importations, un recul dramatique des recettes d’hydrocarbures et un amenuisement de l’épargne institutionnelle.
Fini le temps des largesses, le projet propose de réviser à la hausse certains taxes et impôts, de mettre en place des «décrets d’ajustement» pour être en mesure de geler ou d’annuler des crédits en cours d’année en cas de besoin. Il propose de plafonner à 3% le taux de la bonification sur les crédits bancaires par le Trésor public (sauf Ansej, Cnac et Angem, région Sud et Hauts-Plateaux).
Des mesures aux effets à court terme, car face à la crise le gouvernement donne l’impression d’être pris de court. «Pour le moment, rien de vraiment important n’a été fait pour faire face à la crise budgétaire.
Le gouvernement est en train d’utiliser son atout principal, le FRR (Fonds de régulation des recettes), sans s’attaquer au problème. Cet atout ne sera plus utilisable à partir de 2017 et nous aurons suffisamment de devises pendant cinq années, à condition que le prix du pétrole ne baisse pas en dessous de 50 dollars», explique Nour Meddahi, économiste.
La diversification de l’économie se faisant toujours attendre, le gouvernement prend des mesures conjoncturelles avec deux objectifs clairs : réduire les importations et renflouer les caisses de l’Etat à travers des hausses de prix et de taxes prévues dans le PLF 2016. Des décisions conjoncturelles aux effets limités. Nour Meddahi estime que même s’il y a des augmentations, «de toute manière on ne pourra pas aller loin dans cette solution».
Rattrapage
Sur le long terme, des mesures parfois contestées ont également été prises.
Il en est ainsi de la mesure tendant à bancariser l’argent de l’informel dans le but notamment d’augmenter l’épargne bancaire permettant un financement interne de l’économie. Abderrahmane Benkhalfa a affirmé qu’il ne s’agit pas d’une «procédure conjoncturelle, mais d’une démarche s’inscrivant dans la durée».
La révision annoncée du code de l’investissement avec une nouvelle mouture a priori orientée vers la facilitation de l’acte d’investir pour les investisseurs nationaux et étrangers semble également procéder de la même logique.
La volonté d’encourager et de favoriser en tout lieu la production nationale, depuis longtemps mise en avant par le gouvernement, relève également d’une vision à long terme tendant à reconfigurer le visage de l’économie nationale, même si sur le terrain elle tarde à se concrétiser.
La crise la remise au goût du jour en raison d’une volonté de préserver ce qui reste des réserves de change qui auront perdu quasiment un quart de leur montant entre fin 2014 et fin 2015. Dans cette optique, le gouvernement tente de favoriser les partenariats nationaux-étrangers, dans lesquels pourtant la part de la production nationale reste très limitée (assemblage automobile avec Renault, tramway avec Alstom).
L’autre mesure à portée économique majeure, mais que le gouvernement a jusque-là hésité à mettre sur la table, compte tenu de sa portée sociale, consiste en la révision du système des subventions.
Dans ses réponses aux questions des députés mercredi dernier, le ministre des Finances a fait savoir que le gouvernement envisage de revoir la politique des subventions d’ici deux à trois ans. Des aides plus ciblées grâce à une cartographie des ménages défavorisés qui est en train d’être mise en place.
La crise n’a pas seulement changé la couleur des indicateurs économiques, elle a aussi fait sauter quelques tabous (hausse des prix de l’électricité et des carburants, révision des subventions, endettement externe). Reste à savoir jusqu’où ira le gouvernement ?
Safia Berkouk
le 30.11.15 | 10h00 el watan
Depuis le début de la baisse des cours du pétrole à la fin du premier semestre 2014 et l’année 2016, l’Algérie aura perdu près de 100 milliards de dollars suite à la baisse de son épargne en devises (réserves de change) et en dinars (Fonds de régulation des recettes, FRR), soit près du double de nos exportations d’hydrocarbures cumulées de 2015 et 2016.
A en juger par les chiffres du ministère des Finances et de la Banque d’Algérie, entre creusement de la balance des paiements et résorption du déficit public, ce sont près de 40% des réserves de change du pays qui auront été consommées, alors que pour le FRR ce sont plus de 60% des ressources qui auront été grignotées en seulement deux ans et demi (voir graphes).
Les difficultés que connaît l’Algérie depuis plus d’un an seraient à première vue conjoncturelles liées à la situation actuelle des prix du pétrole et disparaîtraient dès la remontée des cours. Mais si la crise de l’or noir peut s’avérer éphémère, selon certains experts énergétiques, on ne peut pas en dire autant de l’économie nationale.
Quand on sait la dépendance de l’Algérie aux hydrocarbures, son incapacité à construire une économie indépendante des fluctuations pétrolières internationales et à mettre en place des solutions durables à des crises récurrentes, on est amené à reconnaître que la crise actuelle n’est davantage qu’un simple problème de trésorerie.
Le ministre de l’Industrie, Abdeslem Bouchouareb, a d’ailleurs souligné récemment qu’il ne s’agit pas d’une crise conjoncturelle, mais d’un choc profond. Si le premier ministre Abdelmalek Sellal reste rassurant, déclarant que la situation est «difficile» mais «maîtrisée», les experts, quant à eux, ne laissent pas place aux ambiguïtés quant à la nature de la crise.
Raïf Mokretar-Karroubi, expert financier, a estimé que «la crise économique que traverse l’Algérie est structurelle» avec des origines à rechercher dans «les politiques adoptées par le gouvernement», de nature dépensières, adossées à la rente et peu viables. Le professeur Omar Aktouf, pour sa part, reconnaît à la crise des causes exogènes : «chute des prix du pétrole, ralentissement de l’économie mondiale», mais aussi «endogènes» et «structurelles» liées à la léthargie chronique de la politique économique algérienne.
Les signes
S’il persistait encore un doute sur l’existence ou pas d’une crise, le projet de loi de finances a fini par convaincre les sceptiques avec des dispositions qu’on ne pensait pas le gouvernement capable de prendre compte tenu du zèle avec lequel elles ont été défendues par le passé, à l’image du droit de préemption, du recours au financement externe et de la hausse des prix de l’énergie. Les députés qui l’ont débattu reconnaissent qu’il traduit une situation de crise, même si leur perception diffère sur sa nature.
Lakhdar Benkhlef qualifie le texte de «dangereux», affirmant que les auteurs ont choisi «les solutions de facilité qui ont un impact sur les ménages» comme la hausse des carburants et de l’électricité. Il met en cause des «politiques inefficientes ces deux dernières décennies qui ont conduit à une situation économique désastreuse».
Cet alarmisme est loin d’être partagé. Pour Zoulikha Mekki, députée FLN, il n’y a aucune dangerosité, même si «certaines mesures sont illogiques, comme la hausse des prix de l’électricité».
«C’est une crise financière qui s’achèvera avec la hausse des prix du pétrole». Et en tout état de cause «on ne peut pa s dire qu’on est en crise quand nous voyons les atouts dont nous disposons (agricultures, énergie solaire, potentiel touristique, etc.)», estime la parlementaire.
Si Safi Larabi, membre de la commission des finances de l’APN reconnaît «une crise de ressources budgétaires», il estime cependant que sur le long terme «l’économie est en train de connaître des transformations en mettant l’accent sur les secteurs de l’industrie, de l’agriculture, du tourisme et des services». Ce qui se passe aujourd’hui «est un choc positif et la situation sera meilleure au sortir de l’année 2016», prédit-il.
Réponses conjoncturelles
Les optimismes mitigés ne cachent en rien la réalité de la crise traduite dans les dispositions du PLF qui prévoit une baisse des recettes budgétaires, une hausse des importations, un recul dramatique des recettes d’hydrocarbures et un amenuisement de l’épargne institutionnelle.
Fini le temps des largesses, le projet propose de réviser à la hausse certains taxes et impôts, de mettre en place des «décrets d’ajustement» pour être en mesure de geler ou d’annuler des crédits en cours d’année en cas de besoin. Il propose de plafonner à 3% le taux de la bonification sur les crédits bancaires par le Trésor public (sauf Ansej, Cnac et Angem, région Sud et Hauts-Plateaux).
Des mesures aux effets à court terme, car face à la crise le gouvernement donne l’impression d’être pris de court. «Pour le moment, rien de vraiment important n’a été fait pour faire face à la crise budgétaire.
Le gouvernement est en train d’utiliser son atout principal, le FRR (Fonds de régulation des recettes), sans s’attaquer au problème. Cet atout ne sera plus utilisable à partir de 2017 et nous aurons suffisamment de devises pendant cinq années, à condition que le prix du pétrole ne baisse pas en dessous de 50 dollars», explique Nour Meddahi, économiste.
La diversification de l’économie se faisant toujours attendre, le gouvernement prend des mesures conjoncturelles avec deux objectifs clairs : réduire les importations et renflouer les caisses de l’Etat à travers des hausses de prix et de taxes prévues dans le PLF 2016. Des décisions conjoncturelles aux effets limités. Nour Meddahi estime que même s’il y a des augmentations, «de toute manière on ne pourra pas aller loin dans cette solution».
Rattrapage
Sur le long terme, des mesures parfois contestées ont également été prises.
Il en est ainsi de la mesure tendant à bancariser l’argent de l’informel dans le but notamment d’augmenter l’épargne bancaire permettant un financement interne de l’économie. Abderrahmane Benkhalfa a affirmé qu’il ne s’agit pas d’une «procédure conjoncturelle, mais d’une démarche s’inscrivant dans la durée».
La révision annoncée du code de l’investissement avec une nouvelle mouture a priori orientée vers la facilitation de l’acte d’investir pour les investisseurs nationaux et étrangers semble également procéder de la même logique.
La volonté d’encourager et de favoriser en tout lieu la production nationale, depuis longtemps mise en avant par le gouvernement, relève également d’une vision à long terme tendant à reconfigurer le visage de l’économie nationale, même si sur le terrain elle tarde à se concrétiser.
La crise la remise au goût du jour en raison d’une volonté de préserver ce qui reste des réserves de change qui auront perdu quasiment un quart de leur montant entre fin 2014 et fin 2015. Dans cette optique, le gouvernement tente de favoriser les partenariats nationaux-étrangers, dans lesquels pourtant la part de la production nationale reste très limitée (assemblage automobile avec Renault, tramway avec Alstom).
L’autre mesure à portée économique majeure, mais que le gouvernement a jusque-là hésité à mettre sur la table, compte tenu de sa portée sociale, consiste en la révision du système des subventions.
Dans ses réponses aux questions des députés mercredi dernier, le ministre des Finances a fait savoir que le gouvernement envisage de revoir la politique des subventions d’ici deux à trois ans. Des aides plus ciblées grâce à une cartographie des ménages défavorisés qui est en train d’être mise en place.
La crise n’a pas seulement changé la couleur des indicateurs économiques, elle a aussi fait sauter quelques tabous (hausse des prix de l’électricité et des carburants, révision des subventions, endettement externe). Reste à savoir jusqu’où ira le gouvernement ?
Safia Berkouk
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