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Le nouvel impérialisme américain fonctionne à plein régime

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    Le TTIP- traité de libre-échange transatlantique- servira de test fondateur pour la capacité des Vingt-Huit à résister à la déferlante du soft power made in USA

    C’est le paradoxe du moment. Pendant que Barack Obama recule sur le terrain militaire, en Syrie et en Afghanistan, l’économie américaine place ses pions comme jamais sur les marchés internationaux. Le nouvel impérialisme américain fonctionne à plein régime. Il est numérique, forcément numérique, mais les piliers traditionnels gardent toute leur place. Près de six humains sur dix vivent directement ou indirectement en zone dollar. Parallèlement, Washington pousse les feux du soft power en installant son pouvoir régalien au cœur des autres États ! C’est presque de la science-fiction, et c’est déjà de l’abus de pouvoir.

    La projection extraterritoriale du pouvoir régalien américain

    La banque française BNP-Paribas en a fait les frais en payant sans piper mot au Trésor américain une amende record de 8,9 milliards de dollars pour une “infraction” commise au-dehors du territoire américain, mais effectuée en dollar. Ce n’est pas la seule “victime”, et c’est le désarroi dans le camp français. Qui sera la prochaine ? À tel point que le secrétaire d’État au Commerce extérieur, Matthias Fekl, ancien député PS du Lot-et-Garonne, a tiré la sonnette d’alarme en menaçant, le 29 septembre dernier, “purement et simplement” d’arrêter les négociations entre l’Europe et les États-Unis sur le partenariat transatlantique. Cela ressemble fort au chant du cygne.

    “Washington pousse les feux du soft power en installant son pouvoir régalien au cœur des autres États !”

    Il n’est pas question d’une soumission soudaine aux critiques des anti-libéraux contre le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership). François Hollande a plusieurs fois fait part de sa volonté de signer le futur traité de libre-échange entre les deux zones. Il s’agit de retrouver de l’oxygène pour se défendre contre la projection extraterritoriale du pouvoir régalien américain. Or si les armes existent, leur efficacité dépend d’une mise en œuvre au niveau européen. A priori, c’est mission impossible, compte tenu de l’inexistence des Vingt-Huit sur la scène internationale et de leurs désaccords avérés. Il faudra bien plus que l’opération “rafistolage” du couple Merkel-Hollande ce mercredi au Parlement européen pour changer la donne.

    La méthode américaine pour se faire entendre

    Ces derniers temps, les Européens ont assisté les bras ballants à la grande désinvolture du pouvoir américain à leur égard. Les écoutes à grande échelle de leurs leaders n’auront été qu’un épisode médiatique. Sarkozy, Merkel et Hollande ont pourtant été “déshabillés” par les grandes oreilles US. Les amendes transactionnelles décidées par Washington contre les entreprises ont beaucoup moins de retentissement, mais leur impact est beaucoup plus redoutable.

    “La firme étrangère soupçonnée de blanchiment, ou même d’une vague implication, est menacée comme un vulgaire smicard d’interdiction bancaire”

    La méthode américaine pour se faire entendre est limpide : la firme étrangère soupçonnée de blanchiment, ou même d’une vague implication, est menacée comme un vulgaire smicard d’interdiction bancaire. Ce qui correspond à un quasi-arrêt de mort. Ni les grandes banques, ni les grandes firmes ne peuvent se passer de travailler avec le système financier américain (60 % de la production mondiale s’échange en dollars).

    Le palmarès des amendes US

    “Le Club des Vingt”, qui regroupe notamment les trois anciens ministres des Affaires Étrangères Hervé de Charette, Roland Dumas, Hubert Védrine et dix-sept autres experts, rappelle dans une “Lettre d’information” le palmarès de ces amendes transactionnelles. L’Allemand Siemens s’est acquitté de 450 millions de dollars ; la société japonaise JGC a été condamnée à 218 millions de dollars ; le Français Alstom a dû régler 772 millions de dollars pour des actes de corruption commis dans différents pays à partir d’une filiale implantée aux États-Unis.

    Une affaire qui aura directement pesé sur le rachat de 70 % d’Alstom par General Electric. Certes, l’ex-PDG Patrick Kron dément. Il reste que les dizaines d’agents du FBI lancés pendant quatre ans aux trousses d’Alstom auront déstabilisé une entreprise qui, au final, n’avait pas de quoi payer l’amende. D’où la solution de la vente !

    “Le montant des pénalités en regard des griefs s’apparente en fait à une forme de racket”

    De toute façon, la file d’attente dans le viseur des agences de Washington s’allonge. Le Crédit Agricole vient de passer à la caisse pour un peu moins d’un milliard d’euros, la Société Générale provisionne pour une prochaine facture. Le montant des pénalités en regard des griefs s’apparente en fait à une forme de racket. Par ailleurs, le système judiciaire américain travaille dans une opacité absolue et négocie les jugements dans un contexte de pur chantage. Il faut en finir et exiger un retour à l’État de droit !

    Le ‘cri’ de Matthias Fekl

    Une première ligne de défense peut être installée dans le cadre de la négociation “libre-échange transatlantique”. Le futur traité envisage que les multinationales lésées par une législation puissent attaquer l’État concerné via un arbitrage privé. Pour les détracteurs, c’est un mécanisme opaque de plus destiné à contourner les juridictions nationales. La Commission européenne, en charge selon les traités de la négociation commerciale, a d’abord entériné le système, avant de proposer une amélioration.

    Un tribunal de première instance – composé de juges nommés par Bruxelles, Washington et des pays tiers – puis une Cour d’appel pourraient gérer les litiges. Pour le gouvernement français, “les lignes bougent”. Pour d’autres, ce n’est que de ‘l’enfumage’.

    Dans tous les cas, les contours à venir du TTIP serviront de test fondateur pour la capacité des Vingt-Huit à résister à la déferlante du soft power made in USA. C’est pourquoi le “cri” de Matthias Fekl, qui réclame un agenda de transparence, est un petit pas sur la bonne voie pour contrer un Barack Obama qui a pris l’habitude de n’offrir aucune contrepartie sérieuse. Comment l’obliger à ajuster sa stratégie ?

    Le juridique ne peut pas tout

    Le Club des Vingt souligne que du temps de la guerre froide, les États-Unis distinguaient alliés et adversaires. Aujourd’hui, tout le monde est “corvéable” ! D’où l’utilité de chercher des parades collectives. Au plan juridique, le Club des Vingt suggère de faire ouvrir une instruction par la justice nationale dès qu’une entreprise est mise en cause, pour faire prévaloir le principe “non bis idem”. La conception extraterritoriale des États-Unis peut être contestée devant l’OMC au nom de la “fair competition”, elle peut l’être aussi dans le cadre du TTIP ou des forums de l’OCDE.

    À l’heure du nouvel impérialisme numérique, un peu moins de naïveté serait également bienvenu. Ainsi en 2000 la Commission européenne signait l’accord “Safe Harbor” autorisant les entreprises US à transférer vers les États-Unis les données personnelles de leurs clients européens sans la moindre garantie juridique. Quinze après, on sait le caractère stratégique des “big data” ! Eh bien c’est la Cour de justice de l’Union européenne qui affirme en la matière, en date du 23 septembre, la compétence désormais des agences nationales pour la défense des droits des citoyens.

    “Du temps de la guerre froide, les États-Unis distinguaient alliés et adversaires. Aujourd’hui, tout le monde est “corvéable” ! ”

    Mieux vaut tard que jamais. Instaurons une Constitution européenne du numérique, implore la Fondation Concorde. La voie juridique est en effet de bonne méthode contre l’abus de droit.

    Mais ne nous voilons pas la face. Le juridique ne peut pas tout. La véritable force de dissuasion serait d’abord de proscrire fermement et d’éradiquer les pratiques frauduleuses. Qui peut contester qu’en forçant les banques suisses à rompre le secret bancaire, les États-Unis ont largement contribué à assainir une certaine fraude fiscale ? L’autre force de dissuasion serait ensuite d’affirmer face à Barack Obama une diplomatie européenne autonome. Pure utopie.

    Qu’il s’agisse du théâtre moyen-oriental, ou du théâtre ukrainien où Washington a dicté à l’Europe la feuille des sanctions à l’encontre de Moscou.

    Par Jean-Michel Lamy
    Le nouvel Economiste
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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