Extrait de Cherif Dris, « Algérie 2014 : De l’élection présidentielle à l’émergence des patrons dans le jeu politique », L’Année du Maghreb, 13 | 2015, 149-164.
20Malgré l’apparition des prémices de difficultés économiques majeures, l’année 2014 a été favorable aux patrons algériens. Néanmoins, ce sont les reconfigurations politiques, dont l’élection présidentielle du 15 avril a été porteuse, qui vont les favoriser davantage, comme nous allons le démontrer dans les lignes qui vont suivre.
Le FCE dans l’orbite du cercle présidentiel
21 2014 est sans doute l’année qui confortera l’idée selon laquelle le Forum des chefs d’entreprises n’est pas un acteur mineur dans la stratégie de consolidation du pouvoir présidentiel. Avoir un ascendant sur la sphère politique et s’assurer le ralliement d’une frange très importante de l’appareil de sécurité et de défense, est certes important, mais rallier à sa cause la sphère économique, privée tout particulièrement, l’est tout autant. Le cercle présidentiel l’a bien compris, et a pesé de tout son poids pour imposer à la tête de l’organisme un entrepreneur qui lui est acquis et dont les ambitions économiques traduisent la vision que le Président et son cercle ont de l’Algérie de demain.
22 Les manœuvres pour mettre aux pas le FCE ont commencé pendant la campagne électorale. En effet, avant le vote du 14 mars 2014 devant statuer sur le choix du candidat, sur les six en lice, Ali Haddad mène une campagne intense pour rallier le maximum des membres de cette organisation à la candidature d’Abdelaziz Bouteflika21. Un forcing est ainsi exercé sur certains patrons hésitants, voir même réfractaires à toute idée de voir le FCE se prononcer sur une échéance politique. Alternant menaces et promesses, les patrons liés au cercle présidentiel parviennent à imposer au FCE le choix d’Abdelaziz Bouteflika et poussent les opposants à se retirer. Le but est officiellement atteint le 14 mars, lorsque 238 votants présents se prononcent, et à l’unanimité, en faveur de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat. Le geste consacre l’arrimage du FCE au cercle présidentiel. Un arrimage couronné effectivement le 27 novembre 2014, quand Ali Haddad, patron de la plus grande entreprise privée dans le domaine du bâtiment et des travaux publics, des équipements routiers et ferroviaires, est élu président du FCE. Ne s’encombrant pas de la nécessité de préserver les apparences d’une autonomie statutaire du FCE, Ali Haddad est facilement élu à la tête du FCE, comme candidat unique à la succession de Reda Hamiani22. Il est même intronisé lors d’une cérémonie à laquelle assiste une partie de l’équipe gouvernementale23.
23 Parmi les candidats qui pouvaient faire de l’ombre au patron de l’Entreprise des travaux routiers, hydrauliques et bâtiments(ETRHB), nous citerons particulièrement Issad Rabrab, le patron de Cevital, la plus grande entreprise privée en Algérie, ainsi que Slim Othmani, PDG de Rouiba, une importante entreprise active elle aussi dans l’agroalimentaire. Tous deux se sont retirés de la course, estimant sans doute que les dés étaient jetés d’avance. L’intronisation d’Ali Haddad ne doit rien au hasard et tout aux services rendus. Il a déployé, avec l’aide de certains patrons, une intense énergie pour faire du FCE l’un des leviers majeurs de la campagne pour la présidentielle de 2014. Son élection à la tête du FCE est, par conséquent, la suite logique du processus que mène le cercle présidentiel et qui consiste à rallier (ou à mettre au pas) une organisation regroupant en son sein les plus grosses fortunes d’Algérie. Avec près de 500 entreprises, privées pour la plus grande majorité et totalisant un chiffre d’affaires qui avoisinerait les 20 milliards de dollars, le FCE s’impose comme un acteur économique de premier ordre. Une réalité que le cercle présidentiel a bien comprise*; d’où son souci d’éloigner cette organisation des autres cercles d’influence et de la placer dans son orbite, d’autant plus que le quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika n’a pas fait l’unanimité parmi les patrons.
Les six plus grandes fortunes algériennes24
24 Deux courants ont, en effet, traversé le patronat algérien. Le premier était ardemment favorable à la réélection du président sortant. Dans le prolongement des campagnes de 1999, de 2004 et de 2009, certains patrons ont poussé à la reconduction du Président Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat. Leur argument, pour légitimer une telle prolongation pour cinq années supplémentaires était simple*: parachever les grands projets lancés dans le cadre du vaste programme de restructuration de l’économie algérienne. Parmi les plus ardents défenseurs de ce quatrième mandat, citons aux côté d’Ali Hadad, Laid Ben Amor, PDG du groupe portant le même nom, Mohamed Bairi, Tahkout Mahiedine, Hassan Khlifati, Omar Ramdane (président d’honneur du FCE), Salah Dine Benabdesmed, Mourad Oulmi (le patron de SOVAC, un concessionnaire de marques automobiles allemandes) et Mohamed Djemai, membre du comité central du FLN. En somme, des entrepreneurs assez fortunés pour s’aventurer sur la scène politique.
25 Pour le camp des opposants, le ralliement à un quatrième mandat signifie l’embrigadement politique du FCE. Le FCE, arguent-ils, ne doit pas être impliqué dans les querelles politiques. La posture adoptée par ce groupe mérite davantage d’explicitations.
Le FCE ne doit pas faire de la politique
26 Deux personnages importants ont été à l’avant-garde dans ce combat visant à éloigner le FCE des joutes politiques. Le premier est Issad Rebrab, patron de Cevital et néanmoins premier groupe privé en termes de chiffres d’affaires*: plus de 6 milliards de dollars. Connu pour son engagement en faveur de l’entreprise privée, Issad Rebrab s’est distingué dès le second mandat par son refus de se positionner pour l’un des deux candidats à l’élection présidentielle de 2004. Il s’est également inscrit en faux contre l’option que le FCE devienne une tribune pour les candidats aux élections présidentielles. En 2014, Issad Rebrab ne déroge pas à la règle. En effet, au moment où certains membres influents du Forum s’affairent pour battre le rappel des troupes en faveur du Président-candidat, le patron de Cevital prône la neutralité. Une neutralité dont le sens profond est le refus de cautionner le candidat du consensus. D’autres pensent, cependant, que le patron du premier groupe privé algérien surfe sur des positions ambigües. Ainsi en 2009, il ne refuse pas de soutenir le président-candidat, mais exige des factures, en contrepartie des dons octroyés pour la campagne d’Abdelaziz Bouteflika. Exigence que les directeurs de campagne de ce dernier ont, sans surprise, rejetée25. Quoiqu’il en soit, la distance affichée par Rebrab est révélatrice des rapports conflictuels qu’il entretient avec le pouvoir politique, d’une part, et certains membres du FCE, d’autre part. En effet, le PDG de Cevital accuse régulièrement ces derniers de vouloir torpiller ses projets en distillant de fausses informations aux décideurs politiques26.
27 La posture de Slim Othmani, patron de la Nouvelle Conserverie Algérienne (NCA), est quasiment similaire à celle adoptée par Issad Rebrab. Il démissionne du FCE pour exprimer son refus de voir l’organisation patronale impliquée dans le jeu politique. Il défendra sa position en arguant du fait que*:
«*la loi sur les associations est claire. En tant qu’association patronale, nous n’avons pas à nous prononcer sur des questions politiques. Si vous voulez prendre une position politique, il faut changer de statut et devenir un parti politique car il n’y a pas d’associations politiques.*»27
28 Par ces propos, Slim Othmani entend se démarquer du reste du groupe qui souhaite voir le FCE jouer un rôle politique et s’impliquer davantage en tant que force d’action pouvant peser sur les affaires publiques. La démarche est similaire à celle prônée par Rebrab, cela d’autant plus que Slim Othmani a plaidé pour la «*reconstitution du forum et la démocratisation du processus de prise de décision sur les questions politiques*»28. Pour se démarquer, Slim Otmani s’impliquera dans CARE, un cercle économique de réflexion dont il est l’un des membres fondateurs.
29 Plus qu’en 2004 et en 2009, la tendance vers une implication de plus en plus active du FCE dans les affaires politiques se confirme en 2014. Tout semble indiquer que l’élection présidentielle de 2014 constitue le contexte propice pour que le Forum des Chefs d’Entreprises, sous l’influence des patrons acquis au cercle présidentiel, se mue en un syndicat défendant les intérêts de ses membres. Pour cela, il va jusqu’à suggérer, pour ne pas dire imposer, des mesures face auxquelles l’actuel gouvernement n’a pas résisté. Dans les lignes qui vont suivre nous expliquerons le modus operandi du FCE, version Ali Haddad, pour imposer sa feuille de route.
20Malgré l’apparition des prémices de difficultés économiques majeures, l’année 2014 a été favorable aux patrons algériens. Néanmoins, ce sont les reconfigurations politiques, dont l’élection présidentielle du 15 avril a été porteuse, qui vont les favoriser davantage, comme nous allons le démontrer dans les lignes qui vont suivre.
Le FCE dans l’orbite du cercle présidentiel
21 2014 est sans doute l’année qui confortera l’idée selon laquelle le Forum des chefs d’entreprises n’est pas un acteur mineur dans la stratégie de consolidation du pouvoir présidentiel. Avoir un ascendant sur la sphère politique et s’assurer le ralliement d’une frange très importante de l’appareil de sécurité et de défense, est certes important, mais rallier à sa cause la sphère économique, privée tout particulièrement, l’est tout autant. Le cercle présidentiel l’a bien compris, et a pesé de tout son poids pour imposer à la tête de l’organisme un entrepreneur qui lui est acquis et dont les ambitions économiques traduisent la vision que le Président et son cercle ont de l’Algérie de demain.
22 Les manœuvres pour mettre aux pas le FCE ont commencé pendant la campagne électorale. En effet, avant le vote du 14 mars 2014 devant statuer sur le choix du candidat, sur les six en lice, Ali Haddad mène une campagne intense pour rallier le maximum des membres de cette organisation à la candidature d’Abdelaziz Bouteflika21. Un forcing est ainsi exercé sur certains patrons hésitants, voir même réfractaires à toute idée de voir le FCE se prononcer sur une échéance politique. Alternant menaces et promesses, les patrons liés au cercle présidentiel parviennent à imposer au FCE le choix d’Abdelaziz Bouteflika et poussent les opposants à se retirer. Le but est officiellement atteint le 14 mars, lorsque 238 votants présents se prononcent, et à l’unanimité, en faveur de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat. Le geste consacre l’arrimage du FCE au cercle présidentiel. Un arrimage couronné effectivement le 27 novembre 2014, quand Ali Haddad, patron de la plus grande entreprise privée dans le domaine du bâtiment et des travaux publics, des équipements routiers et ferroviaires, est élu président du FCE. Ne s’encombrant pas de la nécessité de préserver les apparences d’une autonomie statutaire du FCE, Ali Haddad est facilement élu à la tête du FCE, comme candidat unique à la succession de Reda Hamiani22. Il est même intronisé lors d’une cérémonie à laquelle assiste une partie de l’équipe gouvernementale23.
23 Parmi les candidats qui pouvaient faire de l’ombre au patron de l’Entreprise des travaux routiers, hydrauliques et bâtiments(ETRHB), nous citerons particulièrement Issad Rabrab, le patron de Cevital, la plus grande entreprise privée en Algérie, ainsi que Slim Othmani, PDG de Rouiba, une importante entreprise active elle aussi dans l’agroalimentaire. Tous deux se sont retirés de la course, estimant sans doute que les dés étaient jetés d’avance. L’intronisation d’Ali Haddad ne doit rien au hasard et tout aux services rendus. Il a déployé, avec l’aide de certains patrons, une intense énergie pour faire du FCE l’un des leviers majeurs de la campagne pour la présidentielle de 2014. Son élection à la tête du FCE est, par conséquent, la suite logique du processus que mène le cercle présidentiel et qui consiste à rallier (ou à mettre au pas) une organisation regroupant en son sein les plus grosses fortunes d’Algérie. Avec près de 500 entreprises, privées pour la plus grande majorité et totalisant un chiffre d’affaires qui avoisinerait les 20 milliards de dollars, le FCE s’impose comme un acteur économique de premier ordre. Une réalité que le cercle présidentiel a bien comprise*; d’où son souci d’éloigner cette organisation des autres cercles d’influence et de la placer dans son orbite, d’autant plus que le quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika n’a pas fait l’unanimité parmi les patrons.
Les six plus grandes fortunes algériennes24
24 Deux courants ont, en effet, traversé le patronat algérien. Le premier était ardemment favorable à la réélection du président sortant. Dans le prolongement des campagnes de 1999, de 2004 et de 2009, certains patrons ont poussé à la reconduction du Président Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat. Leur argument, pour légitimer une telle prolongation pour cinq années supplémentaires était simple*: parachever les grands projets lancés dans le cadre du vaste programme de restructuration de l’économie algérienne. Parmi les plus ardents défenseurs de ce quatrième mandat, citons aux côté d’Ali Hadad, Laid Ben Amor, PDG du groupe portant le même nom, Mohamed Bairi, Tahkout Mahiedine, Hassan Khlifati, Omar Ramdane (président d’honneur du FCE), Salah Dine Benabdesmed, Mourad Oulmi (le patron de SOVAC, un concessionnaire de marques automobiles allemandes) et Mohamed Djemai, membre du comité central du FLN. En somme, des entrepreneurs assez fortunés pour s’aventurer sur la scène politique.
25 Pour le camp des opposants, le ralliement à un quatrième mandat signifie l’embrigadement politique du FCE. Le FCE, arguent-ils, ne doit pas être impliqué dans les querelles politiques. La posture adoptée par ce groupe mérite davantage d’explicitations.
Le FCE ne doit pas faire de la politique
26 Deux personnages importants ont été à l’avant-garde dans ce combat visant à éloigner le FCE des joutes politiques. Le premier est Issad Rebrab, patron de Cevital et néanmoins premier groupe privé en termes de chiffres d’affaires*: plus de 6 milliards de dollars. Connu pour son engagement en faveur de l’entreprise privée, Issad Rebrab s’est distingué dès le second mandat par son refus de se positionner pour l’un des deux candidats à l’élection présidentielle de 2004. Il s’est également inscrit en faux contre l’option que le FCE devienne une tribune pour les candidats aux élections présidentielles. En 2014, Issad Rebrab ne déroge pas à la règle. En effet, au moment où certains membres influents du Forum s’affairent pour battre le rappel des troupes en faveur du Président-candidat, le patron de Cevital prône la neutralité. Une neutralité dont le sens profond est le refus de cautionner le candidat du consensus. D’autres pensent, cependant, que le patron du premier groupe privé algérien surfe sur des positions ambigües. Ainsi en 2009, il ne refuse pas de soutenir le président-candidat, mais exige des factures, en contrepartie des dons octroyés pour la campagne d’Abdelaziz Bouteflika. Exigence que les directeurs de campagne de ce dernier ont, sans surprise, rejetée25. Quoiqu’il en soit, la distance affichée par Rebrab est révélatrice des rapports conflictuels qu’il entretient avec le pouvoir politique, d’une part, et certains membres du FCE, d’autre part. En effet, le PDG de Cevital accuse régulièrement ces derniers de vouloir torpiller ses projets en distillant de fausses informations aux décideurs politiques26.
27 La posture de Slim Othmani, patron de la Nouvelle Conserverie Algérienne (NCA), est quasiment similaire à celle adoptée par Issad Rebrab. Il démissionne du FCE pour exprimer son refus de voir l’organisation patronale impliquée dans le jeu politique. Il défendra sa position en arguant du fait que*:
«*la loi sur les associations est claire. En tant qu’association patronale, nous n’avons pas à nous prononcer sur des questions politiques. Si vous voulez prendre une position politique, il faut changer de statut et devenir un parti politique car il n’y a pas d’associations politiques.*»27
28 Par ces propos, Slim Othmani entend se démarquer du reste du groupe qui souhaite voir le FCE jouer un rôle politique et s’impliquer davantage en tant que force d’action pouvant peser sur les affaires publiques. La démarche est similaire à celle prônée par Rebrab, cela d’autant plus que Slim Othmani a plaidé pour la «*reconstitution du forum et la démocratisation du processus de prise de décision sur les questions politiques*»28. Pour se démarquer, Slim Otmani s’impliquera dans CARE, un cercle économique de réflexion dont il est l’un des membres fondateurs.
29 Plus qu’en 2004 et en 2009, la tendance vers une implication de plus en plus active du FCE dans les affaires politiques se confirme en 2014. Tout semble indiquer que l’élection présidentielle de 2014 constitue le contexte propice pour que le Forum des Chefs d’Entreprises, sous l’influence des patrons acquis au cercle présidentiel, se mue en un syndicat défendant les intérêts de ses membres. Pour cela, il va jusqu’à suggérer, pour ne pas dire imposer, des mesures face auxquelles l’actuel gouvernement n’a pas résisté. Dans les lignes qui vont suivre nous expliquerons le modus operandi du FCE, version Ali Haddad, pour imposer sa feuille de route.
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