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Les néocons ont terminé ce que le Vietcong avait commencé

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  • Les néocons ont terminé ce que le Vietcong avait commencé

    par,Martin Jacques

    Le Vietnam traumatisa les Etats-Unis, mais laissa sa puissance intacte.
    Par contre, l’Irak sera bien plus sérieux pour la superpuissance


    Juste un mois après que l’électorat américain a délivré une rebuffade retentissante à la politique de Bush en Irak, le grand et le bon - sous l’aspect du Groupe d’Etude sur l’Irak (GEI) - ont infligé une critique cinglante à sa politique. L’effet sur l’administration [américaine] est l’équivalent politique d’un grave accident de voiture.

    George Bush est régulièrement dénoncé comme étant l’un des pires présidents de tous les temps et sa politique en Irak ne bénéficie plus du soutien d’un large pan de l’establishment américain. Les néoconservateurs se sont subitement retrouvés isolés et assaillis : Rumsfeld a été saqué, Cheney est resté silencieux et les gens comme Richard Perle sont consignés sur la touche. Le président se retrouve tout seul et il est difficile de voir comment Bush peut éviter d’aller dans la direction exposée par le GEI. La carte politique est en train d’être redessinée à une vitesse extraordinaire.

    La position des néoconservateurs se désintègre sous nos yeux. Leurs dogmes en matière de politique étrangère se sont avérés faux. Ainsi qu’il est à présent ouvertement reconnu, ils ont conduit les Etats-Unis au bord d’un désastre en Irak, raison pour laquelle la version américaine des "hommes de l’ombre" est devenue une véritable débandade.

    Après moins de six années au pouvoir, élu à un moment où les Etats-Unis étaient la seule superpuissance incontestée, l’administration Bush a réussi à conduire le pays au bord de ce qui ne peut être comparé qu’à l’importance du Vietnam : la défaite politique et militaire de la pierre angulaire bien définie de la politique étrangère américaine.

    Dans un sens ce n’est évidemment pas vraiment comme le Vietnam. En 1975, les Américains connurent une spectaculaire défaite militaire infligée par le Nord Vietnam et le Vietcong, avec les hélicoptères étasuniens cherchant à secourir des membres de premier plan du personnel étasunien, grimpés sur les toits des immeubles, alors que les combattants de la guérilla vietnamienne se rapprochaient du centre de Saigon. [La raison de la guerre au Vietnam] était de façonner la politique étrangère américaine pour des décennies - en particulier, le désir d’éviter les imbroglios militaires à l’étranger.

    En effet, l’ascension des néoconservateurs a été basée en partie sur le rejet de ce qu’ils considéraient comme le défaitisme américain pendant et après la guerre du Vietnam. L’Irak est très différent. Il n’y a pas un ennemi unique avec une stratégie militaire claire. Bagdad ne sera pas Saigon. C’est un bourbier sanglant, ingagnable et sans fin qui attend [les Etats-Unis], plutôt qu’un dénouement spectaculaire.

    Mais le facteur irakien est bien plus dangereux pour les Etats-Unis que le facteur vietnamien. Bien qu’une des justifications clés pour la guerre du Vietnam fut d’empêcher la propagation du communisme, la défaite des Etats-Unis ne produisit rien de la sorte : à part le fait que le Cambodge et le Laos s’y laissèrent entraînés, les effets [du communisme] furent essentiellement confinés au Vietnam. Il n’y eut aucune répercussion plus large en Asie orientale : de façon ironique, ce fut la Chine qui allait envahir le Nord Vietnam en 1979 (et qui en souffrit à juste titre).

    En comparaison, les conséquences régionales de l’imbroglio irakien sont immédiates, profondes et considérables. La guerre civile menace de déstabiliser plus ou moins l’ensemble du Proche-Orient. La stratégie des néoconservateurs - refaçonner la région tous seuls (avec, bien sûr, le soutien d’Israël) - a été ébranlée par leur prétention démesurée. Le dilemme américain est manifeste dans certaines des recommandations clés du rapport du GEI ; impliquer l’Iran et la Syrie dans tout règlement de l’Irak (y compris le retour du Plateau du Golan à la Syrie) et chercher un nouvel accord entre Israël et la Palestine. En résumé, il propose un virage à 180 degrés des tendances clés de la politique étrangère de Bush.

    De plus, dans une perspective à long terme, il est déjà clair qu’il sera impossible aux Américains de restaurer le statu quo ante dans la région. L’échec de l’occupation a montré les limites de leur puissance - que tous les pays, de l’Iran et de la Syrie à Israël et à l’Arabie Saoudite (sans parler du Hezbollah et du Hamas), auront remarqué. Depuis la fin de la crise de Suez en 1956, les Etats-Unis ont été l’arbitre décisif au Proche-Orient, même si l’Union Soviétique y a joué le second rôle jusqu’en 1989. L’ère américaine est désormais terminée.

    À l’avenir, les Etats-Unis seront forcés de partager leur influence avec les puissances régionales telles que l’Iran, avec l’UE - et, sans aucun doute dans le temps, avec les acteurs mondiaux émergents comme la Chine et peut-être même la Russie. Un tel scénario pourrait bien signifier que l’alliance clé qui a façonné le Proche-Orient depuis 1956 - entre les Etats-Unis et Israël - ne sera plus aussi essentielle et pourrait rétrograder de plus en plus. D’un point de vue régional, il est clair que le moment irakien est bien plus sérieux pour les Etats-Unis que le moment vietnamien.

    Ce qui est vrai au plan régional est aussi vrai au plan mondial. Cela nous rappelle à quel point le plus puissant et, effectivement, le mieux documenté peut se tromper profondément. Cela vaut la peine de rappeler le contexte mondial à long terme de la défaite américaine au Vietnam. Elle n’a pas été le signal d’une quelconque reprise de la bonne fortune de l’Union Soviétique ; cette dernière était déjà dans un état de stagnation économique et de paralysie politique croissante qui allaient devenir fatales dans les années 80, laissant les Etats-Unis comme l’unique superpuissance. Ce fut cela qui encouragea les néoconservateurs, à la fin des années 90, à interpréter les runes historiques d’une manière totalement erronée. Ils croyaient que le monde était mûr pour une expansion massive de la puissance et de l’influence des Etats-Unis.

    Quelques années plus tard, nous pouvons voir la totale absurdité de cette position. Au lieu que les Etats-Unis soient en ascension, des tendances plus profondes entraînent ce pays dans la direction opposée. Les Etats-Unis peuvent bien bénéficier d’un avantage militaire écrasant, mais sa puissance économique relative, qui, sur le long terme, est pratiquement invariablement crucial, est en déclin. L’interrègne après la guerre froide, loin d’être le prélude à une nouvelle ère américaine, portait les signes de ce qui est à présent visible : l’émergence d’un monde multipolaire. En interprétant de travers les tendances mondiales, l’engagement de l’administration Bush dans l’unilatéralisme n’a pas seulement provoqué le désastre irakien mais a aussi précipité le déclin de l’Amérique.

    Un monde de plus en plus multipolaire nécessite un type complètement différent de politique étrangère étasunienne : loin d’être unilatérale, elle nécessite une forme complexe de partage du pouvoir sur des bases mondiale et régionale. Ce n’est pas seulement l’opposé de l’unilatéralisme néoconservateur, c’est aussi entièrement différent des simplicités de la coopération et de la rivalité des superpuissances du monde bipolaire de la guerre froide. Cette nouvelle approche est implicite dans le rapport du GEI, qui reconnaît que toute résolution de la crise irakienne dépend de l’implication de l’Iran et de la Syrie. Des éléments de cette approche sont déjà visibles dans la péninsule coréenne et en Amérique Latine. Les ramifications du facteur irakien influenceront sûrement la politique étrangère des Etats-Unis pour les décennies à venir.

    · Martin Jacques est chercheur associé à l’Asia Research Centre de la London School of Economics.
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