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Le nouveau djihadisme de boko haram : Un prétexte idéologique à une insurrection ethnique ?

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  • Le nouveau djihadisme de boko haram : Un prétexte idéologique à une insurrection ethnique ?

    Fondé par Mohammed Yusuf en 2002 en tant que mouvement islamique conservateur et à réthorique anti-occidentale, Boko Haram est passée depuis par plusieurs phases pour devenir au final le bras armé d’une insurrection ethnique « Kanuri ».


    Avec l’arrivée d’AbuETHNIEbakar Shekau à la tête du mouvement en 2010, l’ethnie « Kanuri » dont il est lui-même issu, est devenue de plus en plus prépondérante dans l’organisation et dans la constitution des effectifs de Boko Haram. Cette prépondérance a été aggravée par la désolidarisation des autres groupes ethniques du Nord du Nigéria, essentiellement les « Haoussa » et les « Fulani », qui reprochent aux groupes de cibler prioritairement les musulmans dans leurs attaques armées et terroristes, et de semer le chaos dans une région qui souffre déjà de la pauvreté.

    Cette transformation a en effet coïncidé avec une radicalisation du mouvement, parachevée par une allégeance prêté à l’Etat Islamique en mars 2015.

    A partir de cette date, les attentats ont commencé de plus en plus à cibler les pays voisins du Nigéria (Tchad, Cameroun, Niger), et dont l’épicentre n’est plus l’Etat de Borno ou de Kano comme ce fut le cas entre 2009 et 2014, mais le lac Tchad. En effet, en plus d’être un verrou stratégique dans la région, le lac Tchad, est une zone de peuplement « Kanuri », que ces derniers considèrent comme leur « homeland », au mépris des frontières des états riverains du lac Tchad.

    En effet, les solidarités ethno-tribales rendent illusoire l’idée de frontières effectives dans la région. Pour ses déplacements, sa logistique et son trafic, Boko Haram s’appuie sur les réseaux tribaux à l’intérieur du groupe ethnique « kanuri », qui s’étale tout autour du lac Tchad, traversant les frontières de quatre pays.

    Les kanuris : Une ethnie dispersée et minoritaire

    Ayant été, par le passé, la composante ethnique centrale du Sultanat pluri-centenaire du Kanem-Bornou, l’ethnie « kanuri » est la grande perdante de la colonisation française du Tchad et du Niger, et du traçage des frontières des Etats post-coloniaux de la région, qui ont partagé les « Kanuri » entre le Nigéria, le Tchad, le Niger et le Cameroun.

    De même, l’actuel Etat de Borno au nord-est du Nigéria, est le plus pauvre de tout le pays. Le vote politique étant fortement « ethnique » dans cette région d’Afrique, les « Kanuri » n’ont quasiment aucune chance de se faire représenter politiquement à haut niveau, que ce soit sur un plan national ou même régional, du fait de la fragmentation géographique de cette ethnie entre les pays de la région. Ainsi, ils sont marginalisés et fragilisés aussi bien au Nigéria qu’au Niger et au Tchad.

    Crise de transition démographique au sein de l’ethnie Kanuri

    Une fécondité supérieure à la moyenne nationale : Un pays à deux vitesses

    En 1999, le Nord-Est du Nigéria, dominé démographiquement par les « kanuri », affichait avec 7 enfants par femme, la fécondité la plus élevée de tout le Nigéria. Le Nord-Ouest dominé par les « Haoussas » et les Peuls affiche une fécondité de 6,7, et 5,7 chez les populations du Nord-Central. Les indices affichés dans le Nord musulman sont largement supérieurs à ceux du Sud chrétien, dominé démographiquement par l’ethnie « Yoruba » au Sud-Ouest et par les « Ibo » au Sud-Est, et qui affichent tous deux une fécondité de 4,1 enfants par femme.

    Cependant, ce différentiel de fécondité n’est pas uniquement dû à des particularismes religieux ou culturels, mais doit aussi être mis en relation avec un différentiel d’alphabétisation très marqué entre le Nord musulman et le Sud chrétien. A titre d’exemple, les taux d’alphabétisation des femmes âgées de 20 à 24 ans se situaient déjà entre 60% et 90% en 1991 dans les provinces chrétiennes du Sud du Nigéria, tandis qu’au Nord musulman, ils se situaient entre 20% et 45%.

    Polygamie et patrilinéarité : les fondements d’une radicalité

    Parmi les différentes ethnies vivant autour du lac Tchad (Peuls, Wodaabe, Haoussa,…), les kanuri affichent le plus haut niveau de patrilinéarité.

    Dans la société kanuri traditionnelle, la différence d’âge entre les deux époux est non seulement importante, mais souhaitable, et peut aller jusqu’à 20 ans d’écart. En général, le mari a entre 20 et 30 ans, et la mariée en a 12 ou 13 pour son premier mariage. Dans ce schéma traditionnel, les relations hommes-femmes sont des relations de dominance-défi, et ressemble plus dans certains cas à des relations entre père et fille qu’à des relations entre époux égaux.

    En plus de ce statut de mineur, l’épouse kanuri ne jouit pas du sentiment de stabilité et de sécurité qu’est censé procurer un premier mariage traditionnel arrangé, notamment en raison de l’instabilité du mariage kanuri traditionnel, où le divorce relève plus de la norme que de l’exception.

    Il est par conséquent nécessaire de distinguer deux principaux types de mariage dans la société kanuri traditionnelle :

    Le premier, Nyia fadobe (niya: mariage et fado : maison, famille) est le mariage dit de « maison » qui est généralement de type endogame (mariage à l’intérieur du groupe familial) et où la préférence va à la parenté patrilinéaire (le premier mariage idéal dans ce schéma étant avec la fille de l’oncle paternel).
    Le deuxième, Nyia karagabe (niya: mariage et karaga : brousse), dit mariage de la « brousse », n’est pas un mariage arrangé et se fait par choix individuel. Beaucoup moins prestigieux que le précédent, il n’en demeure pas moins effectif. Ce mariage est généralement de type exogame (en dehors du groupe familial).

    Le premier mariage étant arrangé, il arrive souvent qu’au bout de quelque année ou même de quelque mois, la femme demande et obtienne le divorce. Après cela, la femme divorcée peut contracter un second mariage de choix, le « nyia karagabe », et éventuellement divorcer encore une fois. Ainsi, ce genre d’aller-retour entre le statut de femme mariée et de femme divorcée pouvait se répéter jusqu’à douze fois chez les Kanuri du Sud.

    De même, les hommes Kanuri sont « polygames » et « polygynes », au sens où les épouses sont nombreuses mais changeantes, du fait de la fréquence élevée de divorces. Cette polygynie est plus fréquente au niveau des classes supérieures et riches, et principalement dans le secteur rural.

    En théorie, l’importante polygamie que l’on retrouve dans cette région d’Afrique est censée octroyer une large autonomie aux épouses, nuançant ainsi le rapport de force entre époux et épouses comme l’explique Emmanuel Todd : « Dans les fantasmes européens, un homme doté de plusieurs femmes est un dominant. En théorie, peut-être. Mais en réalité, le ménage polygame agrège les unités de base constituées par une femme et ses enfants : dans cette structure complexe, l’homme est certes au centre, mais il navigue en pratique entre des femmes qui jouissent d’une grande autonomie ».

    Cependant, cela est vrai quand le modèle polygame est pérennisé dans le temps comme c’est le cas au sein de l’ethnie Haoussa, dont le type familial est plus proche du modèle familial arabe traditionnel. Ainsi, bien qu’important, le taux de polygamie dans le Nord-Est du Nigéria où domine l’ethnie Kanouri (43,6%) est inférieur au taux affiché au Nord-Ouest où dominent les Haoussas et les Peuls (49,7%). Mais dans la société traditionnelle Kanuri, l’aspect rotatif de la polygamie du fait de la pratique systématique du divorce, « chosifie » en quelque sorte la femme du fait de la courte durée du mariage, renforçant par là un statut supérieur de l’époux sur son épouse.

    Crise de transition et émergence d’un djihadisme Kanuri

    Crise de transition et activation des valeurs latentes

    Chaque type familial traditionnel est porteurs de valeurs qui le structure et qui établissent le schéma dans lequel vont s’insérer les individus ainsi que le rang qu’ils vont occuper dans la structure familiale. Cependant, la transition démographique active ces valeurs jusque-là « latentes » au niveau conscient, du fait notamment de l’alphabétisation, de la baisse de la fécondité qui en découle et de la désintégration in fine des structures familiales traditionnelles.

    Cette transition est souvent douloureuse, voire violente dans certains cas. En activant les valeurs familiales au niveau conscient, les individus essayent de retrouve dans une idéologie, un courant politique ou religieux, ce à quoi ils sont habitués et les valeurs familiales dont ils sont imprégnés.

    Une crise de transition chez les Kanuni ?alphabé

    Dans le cas des Kanuri du Nord-Est du Nigéria, la transition démographique semble s’être accélérée ces dernières années.

    Si le taux d’alphabétisation parmi les jeunes(20 à 24 ans) avait commencé à dépasser les 50% à partir de 1970 pour les hommes, et à partir de 1983 pour les femmes, les Etats majoritairement musulmans du Nord du Nigéria étaient largement en retard en comparaison avec le sud chrétien. Mais en 2010, le taux d’alphabétisation a dépassé les 50% parmi les adultes dans l’Etat du Borno avec un taux de 58,6% (Hommes : 68,9% / Femmes : 47,4%), tandis que parmi les jeunes ce tau x a atteint 73,3%.

    Le dépassféconditéement des 50% de personnes alphabétisées crée une rupture d’autorité entre les générations. Car à ce stade, cela signifie que les enfants savent lire et écrire tandis que leurs parents sont analphabètes. Mais bien que contribuant à l’émancipation des individus des contraintes et lourdeurs du groupe familial communautaire, cette rupture d’autorité crée une fissure au sein de la société traditionnelle et met à mal les principes de verticalité et de discipline. De même, le franchissement des 50% de jeunes alphabétisés se traduit par une importante baisse de la fécondité, sachant que le taux de fécondité est un important indicateur d’ « individualisme ». Dans l’Etat du Borno, la fécondité est passée de 7 enfants par femme en 1999 à 4,7 en 2013. C’est le taux le plus bas de tout le Nord-Est du Nigéria.

    Si l’on ajoute à cela les conditions socio-économiques catastrophiques au Nord-Est du Nigéria et une idéologie violente et autoritaire à portée de main (le wahabo-salafisme saoudien importé par Boko Haram), nous avons ici tous les ingrédients d’une crise de transition violente et d’une radicalisation progressive d’une importante partie de la population Kanuri, principalement les jeunes.

    Boko Haram : Une famille de substitution ?

  • #2
    suite

    L’autre facteur aggravant étant l’existance d’affinités évidentes de certaines valeurs structurantes et désormais activées du type familial Kanuri (Statut inférieur de la femme et sa chosification, forte patrilinéarité, polygamie, valeurs guerrières héritées du passée …) avec les grandes lignes de la pensée Wahabo-Salafiste. Cette situation rend une importante partie des jeunes Kanuri sensible à cette idéologie qui leur semble par bien des aspects « naturelle » car conforme à certaines valeurs familiales et ancestrales de leur groupe ethnique.

    Enfin, la rupture d’autorité inter-générationnelle consécutive à la montée de l’alphabétisation, et l’angoisse résultante de la désintégration progressive des ménages traditionnels communautaires par leur nucléarisation, explique en grande partie l’enthousiasme des jeunes Kanuri à rejoindre le djihadisme de Boko Haram. Ces jeunes perçoivent en effet cette organisation comme une sorte de grande famille de substitution, où ils retrouvent une organisation structurante, disciplinée, protectrice et un fort sentiment de fraternité, qui leur permet de canaliser leur angoisse et d’exprimer leur violence en dehors du groupe ethnique.

    CMAIS

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