Au-delà de son impuissance face aux tragédies qui endeuillent régulièrement la Méditerranée, l'Europe, via la refonte de sa politique de voisinage (PEV) s'efforce de mettre en place les outils au service d'une vision proactive et d'un avenir meilleur et partagé entre le nord et le sud du Mare Nostrum. Dans cette perspective, le rôle de l'Union pour la Méditerranée (UpM) va s'accroître dès 2016, et en particulier celui de son Secrétariat général. Voici pourquoi et comment.
De jour en jour et de mois en mois, la légitime focalisation médiatique sur les tragédies qui se succèdent en Méditerranée - guerres civiles, actes de terrorisme, exodes massifs et noyades de réfugiés... - induit logiquement le constat récurrent de l'impuissance européenne à peser sur la guerre et la paix dans la région.
De ce fait, l'attention se porte peu sur des événements moins « spectaculaires », mais dont l'objectif, de moyen et de long terme, est précisément de sortir du cycle infernal de la misère, des extrémismes et des guerres.
C'est dans cette perspective qu'il convient de considérer trois événements récents, assez peu médiatisés, mais qui semblent augurer d'une montée en capacité de l'Europe - associée à la plupart de ses partenaires méridionaux, autrement dit, de l'Union pour la Méditerranée (UpM) - à peser plus, à l'avenir, dans les affaires du Mare Nostrum. Ces trois événements, qui paraissent s'enchaîner comme les actes d'une scénographie sciemment pensée, sont : la Déclaration de Tanger du Dialogue 5+5*, le 7 octobre dernier ; l'annonce, à Bruxelles, de la refonte de la politique européenne de voisinage (PEV), le 11 novembre ; la réunion interministérielle « politique » au siège de l'UpM, à Barcelone, le 26 novembre. Et à ces trois événements faudra-t-il encore ajouter deux autres actes, dont l'histoire reste à écrire, mais dont la mise en œuvre est déjà en marche...
Acte I : la Déclaration de Tanger du Dialogue 5+5, le 7 octobre
Le Dialogue 5+5 rassemble depuis 1990 les pays de la Méditerranée occidentale autour d'un processus consultatif de coopération régionale, principalement axée sur les questions de sécurité et de coopération économique. Un temps quelque peu délaissé, le 5+5 a retrouvé un certain lustre au cours des ces toutes dernières années, et, étant une instance à caractère exclusivement consultatif, s'avère de ce fait bien utile pour lancer des ballons d'essai... C'est ce qui s'est passé le 7 octobre dernier, avec cette Déclaration de Tanger où les représentants des dix pays du Dialogue 5+5 soulignent en effet fortement la mission de l'UpM :
« Les ministres saluent le rôle moteur de l'Union pour la Méditerranée (UpM), unique enceinte de coopération rassemblant l'ensemble des pays méditerranéens, en tant que plateforme de dialogue et de partenariat, qui, sous l'impulsion de son Secrétaire général [l'ambassadeur marocain Fathallah Sijilmassi, ndlr], a su devenir une véritable "agence de projets » dont le but est de favoriser le potentiel d'intégration régionale et la cohésion des pays euro-méditerranéens », lit-on dans la Déclaration.
Cet hommage à la « véritable agence de projets » concrets qu'a su devenir l'UpM, c'est aussi une justice rendue à l'institution, dont le mandat n'a jamais été de se constituer en « Onu de la Méditerranée » qui aurait eu pour mission de réduire les conflits et de se mêler de géopolitique, voire de la politique intérieure des États - ce que ses détracteurs n'ont pas manqué de lui reprocher injustement, depuis sa création en 2008.
Outre ce satisfecit accordé à la « véritable agence de projets », la Déclaration de Tanger comporte déjà, dans sa seconde partie, les prémisses de l'élargissement du mandat du Secrétariat général :
« Les ministres s'accordent à conférer à l'UpM un rôle renforcé dans la future configuration de la PEV [Politique européenne de voisinage, ndlr] à travers un soutien accru de l'Union européenne aux projets labellisés [par l'UpM, ndlr], et plaident pour le renforcement des synergies et de l'esprit de complémentarité qui existent entre l'UpM et les différents processus de coopération régionale, en particulier, le Dialogue en Méditerranée Occidentale « 5+5 », l'AP-UpM**, l'ARLEM*** et la Fondation Anna Lindh****. »
Acte II : l'annonce la refonte de la politique de voisinage (PEV), à Bruxelles, le 18 novembre
La confirmation de ce mandat de l'UpM en voie de consolidation et d'élargissement aura été apportée par l'annonce de la refonte de la politique européenne de voisinage, à Bruxelles, le 18 novembre.
À ce moment là, quelques jours après les attentats sanglants du 13 novembre à Paris, la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, et le commissaire européen chargé du Voisinage, Johannes Hahn, ont logiquement mis l'accent sur les questions sécuritaires, mais pas seulement. En effet, après avoir confirmé la ligne de crédits de 15,4 milliards d'euros - dont les 2/3 pour les pays du sud et de l'est méditerranéen - attribuée à la PEV pour la période 2014-2020, Federica Mogherini a plaidé pour qu'à l'avenir, l'UE et ses partenaires coopèrent non seulement dans « la lutte contre le terrorisme et le crime organisé », sur « la prévention des conflits » et sur « l'immigration régulière et irrégulière », mais aussi sur la nécessité de « se concentrer sur le développement économique et la création d'emplois (...) en particulier pour les jeunes générations ». Et le document publié à cette occasion - la « communication commune », dans le jargon bruxellois - relevait que « 'Union pour la Méditerranée peut jouer un rôle plus grand dans le soutien apporté à la coopération entre voisins du Sud ».
Plus explicitement encore, au chapitre VI, page 21, la « communication commune » fait valoir que « la coopération régionale dans le voisinage méridional a progressé grâce à l'Union pour la Méditerranée. L'organisation s'est révélée précieuse pour la tenue de discussions politiques et économiques et fournit un cadre de coopération sur des questions d'intérêt commun et les projets opérationnels menés dans la région. De nombreux participants à la consultation publique ont recommandé d'approfondir cette coopération. La Commission et la haute représentante s'emploient à redynamiser cette coopération régionale. C'est pourquoi l'UE accordera la priorité à l'Union pour la Méditerranée, chaque fois que les conditions s'y prêteront, dans le cadre de ses efforts de coopération régionale. »
À cette forte reconnaissance explicite s'en ajoutait une autre, implicite, car il faudra bien un instrument - et à ce jour l'UpM est le seul existant, dans le voisinage méridional - pour mettre en œuvre, sur le terrain, certaines déclarations d'intention contenues dans la « communication commune ». Par exemple, pour accompagner l'impulsion que l'UE veut donner à la PEV en matière « d'égalité hommes-femmes et d'émancipation des filles et des femmes » - ce que l'UpM fait d'ailleurs déjà, avec ses nombreuses initiatives en ce sens.
Acte III : la ministérielle "politique" du 26 novembre, à Barcelone
Le troisième acte s'est déroulé à à Barcelone, où siège le Secrétariat général de l'UpM, le 26 novembre. Vingt ans jour pour jour après la conférence intergouvernementale de lancement du Processus de Barcelone (25-27 novembre 1995), c'était la première fois, depuis la création de l'UpM en 2008, qu'une ministérielle quasi-plénière - 26 ministres des Affaires étrangères (MAE) présents sur le total des 43 pays membres représentés - se réunissait sur un ordre du jour explicitement « politique ».
« Politique »... c'était naguère encore un mot absolument tabou dans les cénacles policés de l'UpM, car il était admis que d'aborder les thèmes « qui fâchent » aurait fait imploser « le machin »... Mais voilà, c'est fini ! Lors de la conférence de presse, au Palais des congrès de Catalogne, plusieurs orateurs ont en effet assumé d'évoquer clairement les problèmes que l'on essayait jusqu'ici de cacher sous le tapis, comme, bien sûr, le conflit israélo-palestinien. Ainsi, le ministre égyptien des Affaires étrangères a-t-il affirmé lors de cette conférence que l'UpM doit s'impliquer dans ce conflit, car « c'est la cause principale » des désordres et tragédies qu'endure la Méditerranée.
Quelques minutes auparavant, Federica Mogherini, la cheffe de la diplomatie européenne, avait aussi évoqué ce conflit : « Nous sommes unis, essayons de faire pression pour une reprise significative des pourparlers de paix entre Israël et la Palestine ».
De jour en jour et de mois en mois, la légitime focalisation médiatique sur les tragédies qui se succèdent en Méditerranée - guerres civiles, actes de terrorisme, exodes massifs et noyades de réfugiés... - induit logiquement le constat récurrent de l'impuissance européenne à peser sur la guerre et la paix dans la région.
De ce fait, l'attention se porte peu sur des événements moins « spectaculaires », mais dont l'objectif, de moyen et de long terme, est précisément de sortir du cycle infernal de la misère, des extrémismes et des guerres.
C'est dans cette perspective qu'il convient de considérer trois événements récents, assez peu médiatisés, mais qui semblent augurer d'une montée en capacité de l'Europe - associée à la plupart de ses partenaires méridionaux, autrement dit, de l'Union pour la Méditerranée (UpM) - à peser plus, à l'avenir, dans les affaires du Mare Nostrum. Ces trois événements, qui paraissent s'enchaîner comme les actes d'une scénographie sciemment pensée, sont : la Déclaration de Tanger du Dialogue 5+5*, le 7 octobre dernier ; l'annonce, à Bruxelles, de la refonte de la politique européenne de voisinage (PEV), le 11 novembre ; la réunion interministérielle « politique » au siège de l'UpM, à Barcelone, le 26 novembre. Et à ces trois événements faudra-t-il encore ajouter deux autres actes, dont l'histoire reste à écrire, mais dont la mise en œuvre est déjà en marche...
Acte I : la Déclaration de Tanger du Dialogue 5+5, le 7 octobre
Le Dialogue 5+5 rassemble depuis 1990 les pays de la Méditerranée occidentale autour d'un processus consultatif de coopération régionale, principalement axée sur les questions de sécurité et de coopération économique. Un temps quelque peu délaissé, le 5+5 a retrouvé un certain lustre au cours des ces toutes dernières années, et, étant une instance à caractère exclusivement consultatif, s'avère de ce fait bien utile pour lancer des ballons d'essai... C'est ce qui s'est passé le 7 octobre dernier, avec cette Déclaration de Tanger où les représentants des dix pays du Dialogue 5+5 soulignent en effet fortement la mission de l'UpM :
« Les ministres saluent le rôle moteur de l'Union pour la Méditerranée (UpM), unique enceinte de coopération rassemblant l'ensemble des pays méditerranéens, en tant que plateforme de dialogue et de partenariat, qui, sous l'impulsion de son Secrétaire général [l'ambassadeur marocain Fathallah Sijilmassi, ndlr], a su devenir une véritable "agence de projets » dont le but est de favoriser le potentiel d'intégration régionale et la cohésion des pays euro-méditerranéens », lit-on dans la Déclaration.
Cet hommage à la « véritable agence de projets » concrets qu'a su devenir l'UpM, c'est aussi une justice rendue à l'institution, dont le mandat n'a jamais été de se constituer en « Onu de la Méditerranée » qui aurait eu pour mission de réduire les conflits et de se mêler de géopolitique, voire de la politique intérieure des États - ce que ses détracteurs n'ont pas manqué de lui reprocher injustement, depuis sa création en 2008.
Outre ce satisfecit accordé à la « véritable agence de projets », la Déclaration de Tanger comporte déjà, dans sa seconde partie, les prémisses de l'élargissement du mandat du Secrétariat général :
« Les ministres s'accordent à conférer à l'UpM un rôle renforcé dans la future configuration de la PEV [Politique européenne de voisinage, ndlr] à travers un soutien accru de l'Union européenne aux projets labellisés [par l'UpM, ndlr], et plaident pour le renforcement des synergies et de l'esprit de complémentarité qui existent entre l'UpM et les différents processus de coopération régionale, en particulier, le Dialogue en Méditerranée Occidentale « 5+5 », l'AP-UpM**, l'ARLEM*** et la Fondation Anna Lindh****. »
Acte II : l'annonce la refonte de la politique de voisinage (PEV), à Bruxelles, le 18 novembre
La confirmation de ce mandat de l'UpM en voie de consolidation et d'élargissement aura été apportée par l'annonce de la refonte de la politique européenne de voisinage, à Bruxelles, le 18 novembre.
À ce moment là, quelques jours après les attentats sanglants du 13 novembre à Paris, la vice-présidente de la Commission et haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, et le commissaire européen chargé du Voisinage, Johannes Hahn, ont logiquement mis l'accent sur les questions sécuritaires, mais pas seulement. En effet, après avoir confirmé la ligne de crédits de 15,4 milliards d'euros - dont les 2/3 pour les pays du sud et de l'est méditerranéen - attribuée à la PEV pour la période 2014-2020, Federica Mogherini a plaidé pour qu'à l'avenir, l'UE et ses partenaires coopèrent non seulement dans « la lutte contre le terrorisme et le crime organisé », sur « la prévention des conflits » et sur « l'immigration régulière et irrégulière », mais aussi sur la nécessité de « se concentrer sur le développement économique et la création d'emplois (...) en particulier pour les jeunes générations ». Et le document publié à cette occasion - la « communication commune », dans le jargon bruxellois - relevait que « 'Union pour la Méditerranée peut jouer un rôle plus grand dans le soutien apporté à la coopération entre voisins du Sud ».
Plus explicitement encore, au chapitre VI, page 21, la « communication commune » fait valoir que « la coopération régionale dans le voisinage méridional a progressé grâce à l'Union pour la Méditerranée. L'organisation s'est révélée précieuse pour la tenue de discussions politiques et économiques et fournit un cadre de coopération sur des questions d'intérêt commun et les projets opérationnels menés dans la région. De nombreux participants à la consultation publique ont recommandé d'approfondir cette coopération. La Commission et la haute représentante s'emploient à redynamiser cette coopération régionale. C'est pourquoi l'UE accordera la priorité à l'Union pour la Méditerranée, chaque fois que les conditions s'y prêteront, dans le cadre de ses efforts de coopération régionale. »
À cette forte reconnaissance explicite s'en ajoutait une autre, implicite, car il faudra bien un instrument - et à ce jour l'UpM est le seul existant, dans le voisinage méridional - pour mettre en œuvre, sur le terrain, certaines déclarations d'intention contenues dans la « communication commune ». Par exemple, pour accompagner l'impulsion que l'UE veut donner à la PEV en matière « d'égalité hommes-femmes et d'émancipation des filles et des femmes » - ce que l'UpM fait d'ailleurs déjà, avec ses nombreuses initiatives en ce sens.
Acte III : la ministérielle "politique" du 26 novembre, à Barcelone
Le troisième acte s'est déroulé à à Barcelone, où siège le Secrétariat général de l'UpM, le 26 novembre. Vingt ans jour pour jour après la conférence intergouvernementale de lancement du Processus de Barcelone (25-27 novembre 1995), c'était la première fois, depuis la création de l'UpM en 2008, qu'une ministérielle quasi-plénière - 26 ministres des Affaires étrangères (MAE) présents sur le total des 43 pays membres représentés - se réunissait sur un ordre du jour explicitement « politique ».
« Politique »... c'était naguère encore un mot absolument tabou dans les cénacles policés de l'UpM, car il était admis que d'aborder les thèmes « qui fâchent » aurait fait imploser « le machin »... Mais voilà, c'est fini ! Lors de la conférence de presse, au Palais des congrès de Catalogne, plusieurs orateurs ont en effet assumé d'évoquer clairement les problèmes que l'on essayait jusqu'ici de cacher sous le tapis, comme, bien sûr, le conflit israélo-palestinien. Ainsi, le ministre égyptien des Affaires étrangères a-t-il affirmé lors de cette conférence que l'UpM doit s'impliquer dans ce conflit, car « c'est la cause principale » des désordres et tragédies qu'endure la Méditerranée.
Quelques minutes auparavant, Federica Mogherini, la cheffe de la diplomatie européenne, avait aussi évoqué ce conflit : « Nous sommes unis, essayons de faire pression pour une reprise significative des pourparlers de paix entre Israël et la Palestine ».
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