- Les disparitions ultérieures du général Mohamed Oufkir, chef des services secrets marocains en 1965, condamné en France pour l’assassinat de Ben Barka, puis de son adjoint de l’époque, Ahmed Dlimi (qui vraisemblablement l’exécuta après sa tentative de coup d’Etat de 1972), ont donné de l’épaisseur à l’intrigue. L’enlèvement de Ben Barka, réalisé sur le sol français, suivi d’une mort probable sous la torture, renforce son image de martyr. L’implication de plusieurs services secrets — en particulier celle du Mossad israélien, avérée dès 1966 — lui confère l’aura d’un adversaire des puissances dominantes et colonisatrices. La défense des victimes d’un pouvoir arbitraire a constitué un leitmotiv mobilisateur à de nombreux moments de la vie politique marocaine, notamment lors de l’arrestation ou de la liquidation brutale de militants.
Par opportunisme, la mouvance religieuse cherche, à son tour, à s’approprier la mémoire de l’ancien précepteur du roi Hassan II, alors que, comble de l’ironie, nombre d’islamistes n’ont cessé de l’accuser d’athéisme. Dans un contexte marocain où la contestation de l’ordre établi est devenue plus sensible aux discours de l’intégrisme qu’aux références progressistes, la figure du célèbre disparu reste un symbole majeur qui fédère le monde « anti-système », sans distinctions idéologiques. Pendant les manifestations populaires du premier trimestre 2011, ses portraits ont été brandis par l’ensemble des courants politiques descendus dans la rue à la suite des révoltes tunisienne et égyptienne. Ses formules telles que « la seule politique est la politique de la vérité » inspirent encore les orateurs. Le souvenir de cet iconoclaste opère la difficile jonction entre plusieurs générations : celle de la résistance au fait colonial, celle du « faux départ » de l’indépendance, celle des « années de plomb » et, pour finir, celle du « printemps arabe ».
(...).
Pour autant, l’aura de Ben Barka résiste à ces ragots, car l’homme incarne encore ce Maroc qui aurait pu voir le jour « dans l’indépendance et le socialisme plutôt que dans la marocanisation de la colonisation (4) ». Il n’est d’ailleurs plus tabou pour le pouvoir. Le souverain Mohammed VI a même déclaré que « l’affaire Ben Barka l’intéressait autant que sa famille » et mis en place l’instance Equité et réconciliation pour enquêter sur les exactions commises sous le régime de son père. Dans ce processus de réhabilitation des victimes et de justice transitionnelle, le pouvoir a baptisé les artères de grandes villes du nom de Ben Barka et n’interdit plus aux médias d’évoquer son œuvre ou de diffuser des travaux à sa gloire. Mais cette ouverture reste bien encadrée.
« Mehdi Ben Barka, ce mort aura la vie longue, ce mort aura le dernier mot », avait noté Daniel Guérin, écrivain anticolonialiste et acteur engagé dans ce dossier. Cinquante ans après, ceux qui attendent la vérité sur son enlèvement s’accrochent encore à la plus ancienne instruction pénale de la justice française, toujours pas close. « L’abominable secret » évoqué par François Mitterrand reste bien gardé dans cette affaire que le général de Gaulle jugeait « inadmissible, insoutenable, inacceptable » (6), et qui entraîna une brouille de plusieurs années entre les deux pays. Aujourd’hui encore, il ne fait nul doute que Ben Barka demeure la source morale qui dynamise la capacité de régénérescence des idées progressistes dans une nation minée par ces deux idéologies mortifères que sont le fondamentalisme et le néolibéralisme -.
Par Omar Benjelloun
Avocat aux barreaux de Rabat et Marseille, fils d’Ahmed Benjelloun et neveu d’Omar Benjelloun (assassiné en 1975), deux grandes personnalités de la gauche marocaine.
Par opportunisme, la mouvance religieuse cherche, à son tour, à s’approprier la mémoire de l’ancien précepteur du roi Hassan II, alors que, comble de l’ironie, nombre d’islamistes n’ont cessé de l’accuser d’athéisme. Dans un contexte marocain où la contestation de l’ordre établi est devenue plus sensible aux discours de l’intégrisme qu’aux références progressistes, la figure du célèbre disparu reste un symbole majeur qui fédère le monde « anti-système », sans distinctions idéologiques. Pendant les manifestations populaires du premier trimestre 2011, ses portraits ont été brandis par l’ensemble des courants politiques descendus dans la rue à la suite des révoltes tunisienne et égyptienne. Ses formules telles que « la seule politique est la politique de la vérité » inspirent encore les orateurs. Le souvenir de cet iconoclaste opère la difficile jonction entre plusieurs générations : celle de la résistance au fait colonial, celle du « faux départ » de l’indépendance, celle des « années de plomb » et, pour finir, celle du « printemps arabe ».
(...).
Pour autant, l’aura de Ben Barka résiste à ces ragots, car l’homme incarne encore ce Maroc qui aurait pu voir le jour « dans l’indépendance et le socialisme plutôt que dans la marocanisation de la colonisation (4) ». Il n’est d’ailleurs plus tabou pour le pouvoir. Le souverain Mohammed VI a même déclaré que « l’affaire Ben Barka l’intéressait autant que sa famille » et mis en place l’instance Equité et réconciliation pour enquêter sur les exactions commises sous le régime de son père. Dans ce processus de réhabilitation des victimes et de justice transitionnelle, le pouvoir a baptisé les artères de grandes villes du nom de Ben Barka et n’interdit plus aux médias d’évoquer son œuvre ou de diffuser des travaux à sa gloire. Mais cette ouverture reste bien encadrée.
« Mehdi Ben Barka, ce mort aura la vie longue, ce mort aura le dernier mot », avait noté Daniel Guérin, écrivain anticolonialiste et acteur engagé dans ce dossier. Cinquante ans après, ceux qui attendent la vérité sur son enlèvement s’accrochent encore à la plus ancienne instruction pénale de la justice française, toujours pas close. « L’abominable secret » évoqué par François Mitterrand reste bien gardé dans cette affaire que le général de Gaulle jugeait « inadmissible, insoutenable, inacceptable » (6), et qui entraîna une brouille de plusieurs années entre les deux pays. Aujourd’hui encore, il ne fait nul doute que Ben Barka demeure la source morale qui dynamise la capacité de régénérescence des idées progressistes dans une nation minée par ces deux idéologies mortifères que sont le fondamentalisme et le néolibéralisme -.
Par Omar Benjelloun
Avocat aux barreaux de Rabat et Marseille, fils d’Ahmed Benjelloun et neveu d’Omar Benjelloun (assassiné en 1975), deux grandes personnalités de la gauche marocaine.
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