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Un mois dans la rue

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  • Un mois dans la rue

    Sans-abri rime avec errance et rue: avec la faim et la peur aussi. Tout cela se résume en un mot: insécurité!


    Ne dit-on pas qu’il faut vivre la situation pour pouvoir ensuite comprendre ou juger ? Ce que des milliers de personnes vivent toute l'année, le romancier et journaliste Sylvain d'Auteuil a choisi de le faire pendant un mois. En vivant dans la rue en août 2005, il a connu l'errance et subi la faim, la fatigue, l'insécurité, le mépris des passants. Il s'est aussi découvert un intérêt pour la vie de saint François d'Assise, qu'il vient de transposer dans un roman qui se déroule dans l'univers des sans-abri de Montréal.

    Lorsqu'en moi a germé l'idée d'écrire La prophétie du saint aux pieds nus, un thriller tout récemment paru chez Lanctôt où je transpose la vie de saint François d'Assise dans le Montréal contemporain, il était clair que mon héros allait intervenir auprès des sans-abri de la ville.

    Plus de la moitié de l'action du roman se déroule dans nos rues, il me fallait y séjourner. Mais je ne voulais pas le faire en journaliste qui observe tout de l'extérieur. Je voulais vivre l'expérience de l'intérieur: ressentir l'errance, la faim, la fatigue, l'insécurité, le mépris des passants bref, un peu de ce que les sans-abri vivent tous les jours de l'année.





    J'ai donc pris mon baluchon et j'ai passé un mois dans la rue.

    La chose que je ne voulais pas faire était de me préparer à outrance. Ma question était : qu'est-ce qui arrive à un gars sans le sou qui débarque à Montréal avec la déprime au cur et l'idée bien arrêtée de décrocher de la société?

    Le premier soir, il se met à pleuvoir. Pas question de dormir poétiquement à la belle étoile. Après moult difficultés pour trouver un gîte (car il est passé 20 h et on doit normalement y réserver un lit l'après-midi), j'aboutis au refuge Bon Accueil, dans l'ouest du centre-ville.

    Un bénévole m'y désigne un bac numéroté pour ranger mon petit sac à dos. Tout à l'intérieur est humide. La pluie et la sueur ont alourdi mes vêtements qui me collent à la peau. Vivement la douche obligatoire !

    Lorsque je me rends pieds nus à la cafétéria, je constate que la clientèle du refuge n'est pas celle que je croyais plus jeune et davantage multiethnique. Peu incarnent le stéréotype du vieux clochard hirsute au nez patate. Beaucoup portent les cheveux courts et se rasent après la douche.

    Plus de la moitié des hommes sont anglophones. Le langage est cru. Ça parle de Bordeaux ou de Parthenais, des gars qu'ils ont fréquentés en dedans et des petites combines qu'ils espèrent utiliser à la première occasion grâce à leurs contacts dehors. C'est comme une prison de transition. Ils ne connaissent plus que la sécurité des institutions.

    Bien sûr, il y a tout de même une certaine proportion de «robineux» qui fréquentent ces endroits. Je le «sens» dès que je mets les pieds dans le dortoir aux dizaines de lits superposés. Il y fait un noir d'encre. J'ai du mal à trouver le lit qui m'est assigné.

    Malgré la douche imposée aux bénéficiaires, l'odeur me prend à la gorge. S'y mêlent des relents d'alcool, de *****, de sueur et d'urine. Je m'installe sur l'une des couchettes au matelas mince couvert de deux draps blancs. Je ne peux dormir. Je me sens près d'un trou noir. Ma pensée est aspirée vers la réalité de toutes ces âmes perdues autour de moi.


    La pauvreté, simplement

    On croit que tous ces gens sont des toxicomanes. C'est de moins en moins vrai. Près de 30 % des Montréalais vivent sous le seuil de la pauvreté et il y a un grand nombre de sans-abri qui sont simplement... pauvres.

    Prenez un soir où je lis à la cafétéria. À la table d'en face, un type détonne par son allure proprette. C'est un rouquin aux cheveux courts soigneusement peignés qui porte une chemise bleu pâle de bureaucrate et des pantalons de complet. Il ajuste souvent ses petites lunettes en démêlant les papiers qui encombrent sa table. Je songe à l'acteur William H. Macy et me demande s'il s'agit d'un inspecteur.

    Il engage la conversation. C'est un type de 48 ans, qui a étudié en psychosociologie de la communication. Appelons-le Robert. Aujourd'hui il est paumé... c'est un bénéficiaire du refuge ! Il s'est vu refuser sa demande d'aide sociale et a perdu son appartement.

    On nous dit qu'il y a environ 30 000 sans-logis à Montréal et on se demande où ils se cachent tous. C'est que Robert et ses semblables ne poussent aucun chariot d'épicerie, ne dissimulent aucune bouteille dans un sac de papier brun et ne portent pas de manteau d'hiver en juillet. Ils se lavent et se rasent tous les jours.

    Vous croisez un «Robert» à tout moment, mais vous ne le remarquez pas ou, si vous le faites, vous l'imaginez retrouver sa femme et ses trois enfants à Brossard, juste à temps pour le souper...


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    - Cyberpresse
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