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Et si la baisse du prix du pétrole tournait à la crise?

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  • Et si la baisse du prix du pétrole tournait à la crise?

    Des foreuses inutilisées stockées dans un dépôt à Dickinson, dans le Dakota du Nord, en juin dernier. Les équipements pétroliers sont sous-utilisés depuis l'effondrement des cours.
    © Andrew Cullen / Reuters
    Le 08 janvier 2016 | Mise à jour le 08 janvier 2016
    ANNE-SOPHIE LECHEVALLIER ET ADRIEN GABOULAUD
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    Le ralentissement de l’économie mondiale et le changement de stratégie de l’Opep en 2014 ont fait chuter le cours du pétrole. Une aubaine pour les pays importateurs et une catastrophe pour certains pays pétroliers.


    C’est un coup de billard à trois bandes. Et il réussit. Peut-être même au-delà des espérances de son auteur. Le 27 novembre 2014, l’Arabie saoudite, entraînant les autres pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) qu’elle domine, décide de maintenir la production de pétrole, malgré la baisse de la demande. Jusqu’alors, en 2001, en 2006, et en 2008, l’Opep était toujours intervenue en diminuant sa production pour faire remonter les prix. Mécaniquement, le baril, qui culminait à plus de 100 dollars depuis plusieurs mois, commence à baisser. Treize mois plus tard, il ne vaut plus qu’une trentaine de dollars. L’ère du pétrole cher est, pour l’instant du moins, révolue.

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    Ce soudain changement stratégique de l’Opep a été motivé par l’importance croissante des pétroles dits non conventionnels, qui devenaient rentables avec l’envolée du prix du baril. Aux Etats-Unis, le nombre de puits pétroliers est passé de 194 en 2005 à 1596 en octobre 2014, à la veille de la chute des cours. Avec 11,65 millions de barils par jour en 2014, le pays s’offrait même le luxe de devenir, pour la première fois depuis 1975, le premier producteur de pétrole au monde, coiffant l’Arabie saoudite d’une courte tête. «Parmi les interprétations possibles, celle qui consiste à dire que l’Arabie saoudite a voulu tuer le pétrole de schiste américain me paraît assez convaincante», estime Aurélien Saussay, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). On pensait alors qu’un baril à 60 dollars suffirait à anéantir la rentabilité des «concurrents» de l’Opep.



    Cette explication n’est pas la seule. Le ralentissement de la croissance dans le monde, et notamment en Chine, a freiné la demande en pétrole. Professeur à la Paris School of Business et enseignant à Paris-Dauphine, Thomas Porcher note : «Il y a moins de croissance chez les émergents, le dollar est fort : il rend le pétrole moins attractif. La politique monétaire américaine a compressé la demande des émergents». Le contexte actuel ne devrait pas inverser cette tendance : cette semaine, la Banque mondiale vient de réviser à nouveau à la baisse sa prévision pour la croissance mondiale cette année, à 2,9% seulement.



    L’Opep avait déjà tenté de jouer sur les cours dans le passé, mais c’est la première fois qu'une telle manœuvre réussit. «En 1986, nous avons vécu la même situation qu’aujourd’hui, rappelle Thomas Porcher. L’Arabie saoudite avait mené une attaque sur les prix contre les pétroles non-OPEP et cela n’avait absolument pas fonctionné. Les prix avaient diminué et, comme les investissements avaient été mis en route avant, la production a plané pendant quinze ans. Ces puits de pétrole avaient une durée de vie de vingt-cinq ans. Aujourd’hui, ce n’est pas la même configuration : les puits de pétrole de schiste ont plutôt une durée de vie de deux ans».



    L’une des surprises de cette année tient à la durée de résistance de la production américaine, que personne n’avait anticipée. Le nombre de puits de pétrole a fini par retomber à son niveau d’avant la ruée vers cet ancien or noir, mais le niveau de production a tenu bon. Aurélien Saussay en énumère les raisons : «On pensait qu’un baril à 50 dollars entraînerait une hécatombe aux Etats-Unis. Mais la production ne s’est pas s’effondrée instantanément. Quasiment tout le coût est dans le forage, et l’essentiel de la production intervient les deux premières années. Tous les puits déjà forés ont donc continué à produire. En revanche, personne n’avait vu que les coûts élevés du pétrole de schiste étaient à ce point liés à la frénésie de l’activité. Pendant cette ruée vers l’or dans des zones du Texas et du Dakota du Nord, les salaires se sont envolés. Des chauffeurs de poids-lourds touchaient 100 000 dollars par an! Les coûts de location de foreuses grimpaient. Avec le ralentissement, les coûts de location se sont effondrés et les tensions sur les salaires ont disparu. Les puits encore en activité coûtent donc moins cher qu’ils n’auraient coûté à l’époque de la frénésie. Par ailleurs, des gains de productivité ont été réalisés. Il fallait un mois pour forer un puits, on est tombé à 21-23 jours.» Enfin, même si au sein des gisements, les «sweet spots» ont été rapidement épuisés, des avancées technologiques permettent aux exploitants de forer à nouveau dans ces zones, les plus productives sur le plan géologique. Ces quelques gains ont permis d'amortir les premiers effets de la baisse des prix, mais tous les signaux sont désormais au rouge. «Le nombre de faillites chez les opérateurs de pétroles de schiste explose, remarque Aurélien Saussay : 37 opérateurs indépendants – dont 16 au Texas- depuis l’effondrement des cours en juillet 2014. C’est peu en part de production, mais ces entreprises étaient extrêmement endettées».

    LES VENTES DE GROS VÉHICULES EXPLOSENT AUX ETATS-UNIS

    Un pétrole à 30 dollars fait les affaires des pays non producteurs. Rien que pour l’économie française, explique Aurélien Saussay, «une baisse de 20 dollars du baril aboutit à une hausse de 0,2 point du produit intérieur brut en un an, avec une hausse supplémentaire de 0,1 point la deuxième année». Certaines entreprises profitent ainsi des prix bas pour améliorer leurs comptes. Chez Air France-KLM, par exemple, malgré le dollar fort, le poste carburant devrait passer de 6,6 milliards d’euros en 2014 à 6,2 milliards en 2015. Dans les stations essence, malgré «l’effet amortisseur» de la fiscalité, la baisse est également visible. Résultat, et c’est une mauvaise nouvelle pour la réduction des émissions de CO2, les ventes de voitures voraces en essence repartent à la hausse. Le marché automobile américain vient de connaître sa meilleure année depuis quinze ans grâce notamment à ses gros véhicules. Les pickups et SUV ont ainsi représenté plus de 30% des ventes de GM l’an dernier.


    Chaque semaine ou presque, le baril s’échange à des prix toujours plus bas. Ainsi le 7 janvier, à New York, celui de «light sweet crude» s’est vendu 32,10 dollars. Même les événements qui menacent l’approvisionnement et qui devraient logiquement tendre le marché, comme les frictions entre l’Arabie saoudite et l’Iran, ont un effet contraire. Pour les analystes, cette dispute hypothèque encore davantage la perspective d’un accord à l’Opep sur un ajustement de sa production… Jusqu’à quel niveau le baril va-t-il baisser? Et jusqu’à quand? Saper la concurrence américaine coûte cher, très cher, aux membres de l’Opep. Certes, l’Arabie saoudite est assise sur des réserves monétaires colossales amassées pendant des années de pétrole cher et peut tenir encore au moins trois ans. Il n’empêche qu’elle vient d’annoncer un déficit de 15% dans son budget pour 2016 et la réduction de ses subventions aux produits pétroliers de 7 milliards de dollars par an. Mais d’autres pays de l’Opep paient cash leur addiction au pétrole. Comme la Russie, l’Algérie ou le Venezuela, qui aurait besoin d’un baril à 118 dollars pour équilibrer ses finances publiques. Caracas sombre dans une crise économique, -avec des pénuries et une inflation très élevée- et politique. Ces «victimes» de la stratégie de l’Opep échouent à convaincre l’Arabie saoudite d’ajuster la production.

    250 000 PERSONNES ONT PERDU LEUR EMPLOI DANS LE SECTEUR PÉTROLIER

    Pendant ce temps, le secteur pétrolier et para-pétrolier, peu habitué aux faibles marges, licencie à tour de bras. En 2015, environ 250 000 personnes ont perdu leur emploi dans le monde. Le risque financier commence aussi à inquiéter. «Il y aura des pertes pour les banques qui ont financé ces investissements, assure Aurélien Saussay. Cependant, l’exposition des principales banques de Wall Street est bien plus faible que pour les "subprimes". Le portefeuille pétrolier ne représente que 2 à 3% de l’exposition, alors que l’immobilier représentait avant la crise de 2008 un tiers de l’exposition. La situation est plus gênante pour les banques d’investissement : 20% de leur activité était consacrée aux pétroles de schiste».

    L’Arabie Saoudite a réussi son coup de billard. Reste à savoir combien de temps elle laissera sa production inchangée, alors que les menaces se multiplient sur l’économie mondiale.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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