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Boualem Aliouat, professeur des Universités«Pour les réformes, nous manquons encore d’audace»

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  • Boualem Aliouat, professeur des Universités«Pour les réformes, nous manquons encore d’audace»

    Boualem Aliouat, professeur des Universités, Université Nice Sophia Antipolis– CNRS, président du Comité de pilotage scientifique international pour l’Afrique : «Pour les réformes, nous manquons encore d’audace»


    Dans cet entretien, le professeur Aliouat réagit à la polémique qui est née du déplacement du ministre de l’Industrie aux Etats-Unis. Selon lui, derrière la polémique se dessine en creux la question de la légitimité du FCE en tant qu’instance représentative du patronat auprès des institutions politiques.
    M. Aliouat considère que cette visite a laissé un goût amer quant à la gestion du plan de communication parce que les médias américains révèlent une information sans doute mal communiquée. Quant au maintien de la règle 49/51%, le professeur estime que cette question est très largement surestimée en Algérie et elle ne pose, selon lui, aucun problème aux grandes entreprises. Sur la question de la représentativité des organisations patronales en Algérie, M. Aliouat estime qu’en Algérie, c’est une culture qui doit encore gagner les pratiques des entrepreneurs pour que ces organisations soient efficaces en représentant davantage que les seules 20 000 entreprises abonnées actuelles.

    Reporters : Le déplacement du ministre de l’Industrie et des Mines, Abdeslam Bouchouareb, avec une délégation du Forum des chefs d’entreprise (FCE) aux Etats-Unis a fait réagir beaucoup de personnes sur le motif de cette visite. Le ministre de l’Industrie a déclaré, à Washington, que l’Algérie voulait tirer avantage de l’excellence technologique et industrielle des entreprises américaines. Quel commentaire faites-vous dans ce sens?

    Boualem Aliouat : Ce déplacement est tout à fait conforme aux missions d’un ministre de l’industrie. Et qu’il soit accompagné par une délégation d’entrepreneurs est une initiative suffisamment rare depuis notre indépendance pour qu’elle soit saluée. Il est, en effet, très rare que des entrepreneurs soient mis à l’honneur en Algérie, et encore plus rare qu’ils soient sollicités à ce niveau pour accompagner la politique industrielle du pays. C’est le cas depuis quelques mois à travers de nombreuses visites du ministre de l’Industrie qu’il s’agisse des pays du Golfe, de l’Asie ou de l’Europe. Cette visite américaine est donc en droite ligne dans les nouvelles pratiques qui se dessinent depuis quelque temps. Cette visite a fait réagir sur différents points et je voudrais y revenir pour vous donner mon point de vue sur la question. D’abord, on reproche surtout à ce business roadshow d’avoir troublé les cartes et la visibilité de la démarche ministérielle algérienne : s’agissait-il d’un ministre qui accompagnait le FCE (qui souhaitait mettre en place deux représentations locales à New York et Los Angeles) ou s’agissait-il d’une démarche ministérielle accompagnée par des entrepreneurs ? Cela pose aussi la question plus large de savoir à quel titre le FCE est désigné comme seul ou principal représentant des entrepreneurs en Algérie, ne représentant que 600 membres et tout au plus 1000 entreprises sur plus de 1,5 million d’entreprises répertoriées, dont plus de 100 000 dans l’industrie ; seul un tiers est constitué de microentreprises (auxquelles s’ajoutent près de 1,5 million d’entreprises informelles qui pèsent désormais dans le paysage politique, financier, économique et social). Le FCE n’est pas un syndicat patronal au sens juridique du terme, ni même le seul représentant des entrepreneurs au sens institutionnel. Il ne serait d’ailleurs qu’en quatrième position des organisations patronales algériennes. Il serait davantage une institution au service de la cause entrepreneuriale en Algérie et de sa contribution au progrès et à la performance économique. Derrière la polémique qui est née de cette visite, se dessine en creux cette dernière question de la légitimité du FCE en tant qu’instance représentative du patronat auprès des institutions politiques. C’est une question que devra traiter, à mon sens, le FCE dans un avenir proche pour ne pas apparaître comme une institution (ou un parti) politique qui ne dit pas son nom. Deuxièmement, cette visite (relativement longue) a laissé un goût amer quant à la gestion du plan de communication. D’abord parce que les médias américains révèlent une information sans doute mal communiquée selon laquelle le gouvernement algérien promet d’investir 260 milliards de dollars aux États-Unis d’ici à 2019, et ensuite parce que c’est à Détroit que le ministre de l’Industrie fait cette annonce et tient une conférence qualifiant cette ville de « capitale de l’automobile » en dépit du bon sens, puisque Détroit est aujourd’hui l’un des pires exemples de faillites en série aux Etats-Unis, notamment dans l’automobile. Tout cela a donné au mieux l’impression d’un plan de communication mal préparé, au pire l’impression d’une méconnaissance des dossiers. Pour ma part, je pense que tout cela est allé trop vite et que les acteurs économiques et politiques algériens ne travaillent pas suffisamment leur communication, ou même leur stratégie de communication. Pour cela, encore faut-il qu’ils sachent très exactement quelle est la ligne de conduite, le cap, le plan d’émergence dans lesquels ils souhaitent s’inscrire. Une mauvaise communication peut avoir des effets désastreux sur notre crédibilité économique à l’international. Sur un autre plan, le fait que le ministre de l’Industrie et des Mines, Abdesselam Bouchouareb, ait déclaré, à Washington, que l’Algérie voulait tirer avantage de l’excellence technologique et industrielle des entreprises américaines n’est pas sans utilité sur le plan diplomatique. Cependant, d’un point de vue local, il serait encore plus utile de se concentrer sur les liens qui devraient nous lier avec les constructeurs européens avec lesquels nous concluons des joint-ventures dans l’automobile et pour lesquels nous pourrions valoriser des accords de colocalisation au sein de l’Union pour la Méditerranée. Peugeot, Renault, Volvo… avec lesquels des accords ont été ou seront négociés sont en droit de se poser aussi la question de savoir s’il est vraiment stratégique de continuer à investir en Algérie à la lumière de telles annonces. Je crains que de mauvaises anticipations rationnelles de ces groupes ne s’observent à l’avenir. Et cela peut toucher par contagion tous nos partenaires euro-méditerranéens.

    Le but étant également d’attirer les investisseurs. D’abord que pensez-vous du nouveau code des investissements ?

    La forte baisse des IDE depuis 2010 (de 2,9 milliards de dollars en 2009 à 1,4 milliard de dollars en 2014) exigeait des réformes exceptionnelles du code des investissements. Mieux, ces réformes étaient réclamées par les perspectives délicates de notre économie pour les années à venir. Cependant, encore une fois, nous manquons d’audace. Et les réformes engagées apparaissent bien illusoires. Seules quelques mesurettes destinées à rafraîchir le code des investissements né de la loi de finance complémentaire de 2009 sont mises en place. On a éliminé quelques scories, mais on n’a rien changé sur le fond. Un petit réaménagement de la règle des 49/51 pour ne plus figer les entreprises installées avant 2009 dans leur volonté de croissance, une déréliction de l’obligation d’avoir recours à des banques en local en raison même de la fonte de leurs surliquidités, et enfin un réaménagement de l’obligation d’information sur les mouvements de titres qui revient à instaurer un droit de préemption de l’Etat comme on pouvait s’en douter depuis le traumatisme de l’affaire des cimenteries Lafarge. Bref, des réformes timides pour des règles que le monde des affaires cherchera, soit à contourner soit à éviter. Dans tous les cas, nous constatons une grande timidité dans les réformes qui relèvent tout autant d’un aveu de faiblesse que d’une méconnaissance des mécanismes économiques et des comportements des investisseurs. C’est là que nous regrettons que l’Algérie n’ait pas bâti un plan d’émergence sérieux sur une période de 10 ans pour avoir plus visibilité stratégique et plus d’audace dans sa vision et ses réformes. On a confié récemment à un grand cabinet de consultant international le soin de construire un tel plan d’émergence pour l’Algérie sur le modèle des pays émergents qui ont connu un certain succès. Je m’en félicite, car j’ai toujours milité pour que naisse un plan d’émergence sur un horizon 2015-2025. Espérons qu’il en sortira quelque chose et que ce travail débouchera sur un cadre d’application concret et bien piloté. C’est une autre gageure.

    Ensuite, le ministre a expliqué que la règle 51/49%, régissant l’investissement étranger en Algérie, «demeurait, mais ne va plus figurer dans le code des investissements comme exigence de préadmission». Quel commentaire faites-vous dans ce sens ?

    La règle 49/51% est de mon point de vue très largement surestimée en Algérie. Certes, elle constitue un obstacle aux PME étrangères dont les dirigeants ont des réticences parfois à traiter avec des partenaires locaux pour des raisons qui tiennent à la peur de perdre le contrôle de leur investissement ou de leur activité. Mais, disons-le honnêtement, cela ne pose aucun problème aux grandes entreprises. De nombreux opérateurs économiques étrangers souhaitent par exemple bâtir des joint-ventures en 49/51% avec de belles perspectives de croissance, suite à la mesure gouvernementale prise récemment en matière d’importation. C’est aussi le cas de la Chine qui a une grosse activité commerciale, mais avec un faible niveau d’intégration locale et qui envisage des investissements productifs en Algérie également. La règle des 49/51% tant décriée en Algérie, je le répète, n’y est presque pour rien dans le frein aux investissements. Hormis quelques PME étrangères qui redoutent d’entrer en affaires avec un partenaire algérien qu’elles ne connaissent pas, les grandes entreprises n’y voient aucun obstacle particulier, au contraire.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Pourquoi ? D’abord, parce que ces entreprises étrangères font prendre en charge par un ou plusieurs partenaires algériens les principaux investissements d’amorçage, ensuite parce qu’elles évaluent de manière très prohibitive la valeur de leur apport, puis parce qu’elles imposent des clauses (parfois économiquement abusives) de double droit de vote en faveur de la partie étrangère, de rétrocession (par promesse unilatérale de vente) des actions de contrôle au partenaire étranger si la règle des 49/51% venait à disparaître (ce qui va être le cas d’une certaine façon), de majorité dans le conseil d’administration, de nomination du P-DG et des cadres dirigeants clés… Car en imposant le 49/51%, rappelons-le, le code de commerce, notamment les textes relatifs à la constitution d’une société, n’avait pas été modifié de manière à empêcher ces clauses, notamment celles de double droit de vote. Cela traduit la volonté du gouvernement algérien de favoriser l’intégration industrielle locale, sans remettre en cause la suprématie des sociétés étrangères dans la gouvernance des joint-ventures en 49/51%. C’est un point sensible qu’il faut noter avant d’attaquer le 49/51% comme frein aux IDE en Algérie. Aujourd’hui, pour être très clair, le gouvernement algérien aura totalement la main sur le sort qu’il entend donner à telle ou telle entreprise, à tel ou tel investissement. Les PME pourront être épargnées, de même que les partenaires stratégiques. Bien entendu, cela générera de l’aléa dans le mécanisme, mais l’Etat garde le contrôle et c’est ce que recherchent les autorités politiques algériennes qui ont du mal à se délester de leur fonction de régulation exorbitante qui prend des formes d’interventionnisme exacerbé. L’apprentissage des règles des marchés autorégulés et de la gouvernance inclusive ne se fait pas en un jour, et apparemment encore moins en 50 ans.

    On reproche aux responsables du gouvernement le rapprochement jugé « exagéré » avec le FCE surtout avec le président du FCE Ali Haddad. Pensez-vous que ce rapprochement est justifié ?

    Je pense que les autorités politiques algériennes ressentent un besoin très fort de changement de politique économique. Ils sont conscients que les règles ont changé, que la situation est alarmante et que leur modèle de gouvernance est obsolète et souvent inefficace. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant qu’elles se soient ouvertes à une exigence de gouvernance inclusive, une gouvernance qui inclut notamment les entrepreneurs. On ne leur fera pas ce procès, car cette intention est louable dans l’absolue. Cependant, par honnêteté intellectuelle, on ne peut pas faire l’impasse sur le sens exclusif que donnent les autorités politiques algériennes à leur relation ou collaboration avec le FCE. Il est évident que la gouvernance inclusive ne peut se limiter à une seule composante de la société. Le FCE représente beaucoup d’entrepreneurs, mais pas tous. Le FCE n’est pas non plus la seule composante économique du pays, et ne peut non plus dire la politique économique et industrielle d’un pays dont les composantes et les intérêts sont tout aussi multiples. Pour ma part, je suis favorable à une collaboration étroite du FCE avec les autorités politiques, c’est son rôle, et Ali Haddad n’est pas à blâmer de ce simple point de vue. Je suis en revanche plus perplexe quant à l’exclusivité que les autorités politiques entretiennent avec le FCE. C’est dans ce sens que la relation porte en germe des suspicions malheureuses. La gouvernance inclusive exige une consultation nationale, institutionnelle, entrepreneuriale, sociale et citoyenne plus large et représentative. C’est dans l’intérêt de la légitimité des actions du gouvernement, mais aussi du FCE. Si cette instance patronale (qui n’est pas un syndicat rappelons-le) voit son image populaire écornée, c’est d’abord parce que l’exclusivité de sa consultation (et non pas son instance) n’apparaît pas légitime. Dans un pays miné par la corruption, par les dysfonctionnements et le sentiment d’inégalité des chances, il est urgent que les autorités politiques diversifient leurs sources de consultation et d’action.

    Quel poids peut avoir une organisation patronale, avec des entreprises privées, dans le développement économique d’un pays ?

    Tout pays, tout Etat, notamment dans une phase de reconstruction économique, doit se doter d’un interlocuteur représentatif de l’ensemble du patronat pour l’accompagner dans sa politique industrielle et servicielle. Ce poids est évidemment important lorsque le pays fait reposer son économie sur l’exploitation de ressources renouvelables, sur l’efficience productive, sur l’innovation et l’économie de la connaissance. Lorsque, au contraire, son économie repose sur l’exploitation de ressources non renouvelables, sur la rente et les entreprises publiques garantes des intérêts de l’Etat et de la cohésion sociale, le rôle des entreprises privées, et donc de leurs représentants, est moindre. L’Algérie est en train de passer d’une économie fondée sur la rente à une économie industrielle diversifiée avec des filières où les entreprises privées vont devoir jouer un rôle majeur. Elle apprend donc, parfois dans la douleur, que les entreprises privées sont des parties prenantes très importantes, des partenaires économiques avec lesquels il va falloir compter. Cela change tout. C’est aussi la raison pour laquelle les organisations patronales commencent à peser lourd dans le paysage politique. Mais comme dans tout système concurrentiel, le marché des organisations patronales va devoir jouer des coudes, et certaines prendront le leadership, comme c’est le cas actuellement du FCE. A terme, les entreprises privées contribueront à 15 ou 20% du PIB hors hydrocarbures, mécaniquement d’abord en raison de la chute des revenus des hydrocarbures, mais aussi en raison du développement de leurs activités.
    A l’horizon 2050, cette contribution au PIB des entreprises privées sera sans doute encore beaucoup plus forte et comptera de manière vitale dans une Algérie dont la population aura aussi fortement augmenté à plus de 56 millions d’habitants en 2050. Le poids des organisations patronales ne va alors que croître.

    Qu’en est-il pour les organisations patronales en Algérie?

    En Algérie, c’est inlassablement plus compliqué qu’ailleurs, car le patronat est encore assimilé à une élite de la bourgeoisie, en tant que classe sociale. Donc, on s’en méfie toujours un peu. Et puis le syndicalisme patronal date de 25 ans, tandis qu’en Europe il date du XIXe siècle. On est aussi encore loin des organisations patronales occidentales qui ont un poids considérable sur le politique et l’économie quel que soit le pays, et surtout en Allemagne. Il en existe près d’une trentaine en France. Certaines ont des actions groupées. Elles interviennent dans les domaines du droit du travail, donnent leur avis sur des choix de société et de politique économique, et participent activement aux négociations salariales. En Algérie, il n’y a que cinq principales organisations patronales, dont la première, la CNPA, n’existe que depuis 25 ans, et l’adhésion des chefs d’entreprises ne se fait que très progressivement. Après la CNPA, l’UGEA et la CGEA, le FCE a su opérer une bonne percée ces derniers mois, mais la culture d’actions communes se construit assez lentement en général. Souvent, les entrepreneurs adhèrent à ces organisations, non pour des actions collectives de lobbying, mais pour résoudre des problèmes très personnels. Les entrepreneurs algériens rencontrent tant de difficultés et se sentent si isolés que leur démarche est souvent une démarche de subsistance et non une démarche entrepreneuriale destinée à faire avancer la cause des entrepreneurs dans leur ensemble. Les entrepreneurs devraient savoir que quand la mer monte tous les bateaux montent. Il faut donc faire monter la mer avant de se soucier de sa propre embarcation.
    En Algérie, c’est une culture qui doit encore gagner les pratiques des entrepreneurs pour que ces organisations soient efficaces en représentant davantage que les seules 20 000 entreprises abonnées actuelles et en étant une force de propositions en faisant remonter des revendications légitimes et efficaces. Les syndicats patronaux étrangers (France, USA, Italie, Allemagne…) comprennent entre 500 000 et 800 000 membres, ce qui leur confère un poids certain contrairement aux organisations patronales algériennes.
    Le FCE progresse plus vite en revanche, car il se veut une force de propositions, de concertation et d’études. Son implication dans la vie politique intérieure et extérieure pose cependant question quant à l’étendue de son périmètre de projet et de compétence puisqu’il n’est pas, par définition, l’interlocuteur représentatif de l’ensemble du patronat algérien. C’est sans doute un pari sur l’avenir, risqué ou pas… l’avenir nous le dira. Enfin, chose révélatrice cependant, l’UNEP (Union nationale des entrepreneurs publics), créée en 1990, perd du terrain au profit des représentations patronales privées. La sphère des entreprises publiques voit son champ se rétrécir. Un signe de changement d’époque sans doute.

    reporters.dz
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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