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  • Lynda Mezari« Briser le mur du silence et lever les tabous imposés sur les femmes violées par les terroristes »

    Lynda Mezari, doctorante chercheur en psychologie clinique spécialisée en psycho-traumatisme : « Briser le mur du silence et lever les tabous imposés sur les femmes violées par les terroristes »
    Écrit par Samir Tazaïrt

    Les années quatre-vingt-dix et leur lot de sang et de terreur sont décidément au cœur de l’actualité. Alors que le débat sur cette période sanglante est dominant, en particulier depuis la disparition de Hocine Aït Ahmed et la remise à jour des événements qui ont marqué l’ouverture du champ politique, puis le basculement dans la violence, il est un autre qui se profile et qui est porté par les milieux universitaires et de la recherche à l’image du travail que fait pour sa thèse de doctorat Lynda Mezari sur les femmes violées par les terroristes... Entretien.


    Reporters : Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur le sujet des femmes violées par les terroristes en Algérie durant la décennie rouge ?

    Lynda Mezari : Je me suis toujours intéressée à la question du traumatisme engendré par la violence terroriste en Algérie et particulièrement à la problématique des femmes violées par les terroristes, ces victimes d’atrocités extrêmes et de crimes de guerre. L’intérêt de ma recherche est surtout de briser le mur du silence imposé sur ces victimes et mon travail se penche sur la thématique de la résilience des femmes victimes de viols par les terroristes en Algérie et en particulier sur l’importance du soutien familial comme facteur de protection face à l’effroi de ce traumatisme qui touche la femme dans son intégrité physique, psychologique et sur sa féminité ; laissant des traces indélébiles sur le plan narcissique et sur la vie familiale également, surtout que la victime est souvent rejetée et sévèrement jugée.

    Sur combien de cas avez-vous travaillé précisément ? Et quels profils de victimes avez-vous pu dégager ?

    La grande difficulté de cette étude, c’est le silence et le mutisme des familles et des victimes. Les agressions sexuelles commises par les terroristes ont un double impact ; d’une part sur la vie personnelle de la victime qui a vécu une réelle menace de mort et, d’une autre part, il s’agit d’un bouleversement au sein de la famille qui préfère, dans la majorité des cas, cacher la victime et la culpabiliser, ce qui conduit la femme à une victimisation secondaire qui aggrave encore les conséquences du traumatisme. On a rencontré des victimes où le viol a engendré chez elles un sentiment d’impuissance et d’abandon, d’autres victimes se sentent coupables d’avoir été la cause du déshonneur de leurs familles. On a rencontré également des cas de femmes dans un état dépressif majeur, sans oublier l’altération de l’image du corps, une image totalement bouleversée qui se caractérise d’une atteinte et d’une faille narcissiques, que peut causer un tel drame. Mais il y a eu aussi des victimes dotées d’une force immense, car entourées d’une famille aimante et protectrice, ainsi que des victimes qui ont eu la chance de rencontrer une personne qui devient pour elles leur tuteur de résilience.

    A-t-on une idée précise sur le nombre de cas de viols dont été victimes des femmes algériennes durant la décennie rouge?

    En l’an 2000, les services de sécurité ont avancé le chiffre de 2 029 femmes survivantes violées par des terroristes. Cependant, un rapport de la Fédération internationale des droits de l’Homme et des associations de familles victimes de terroristes estiment, quant à elles, à 8 000 le nombre de femmes violées et assassinées sans compter les rescapées qui préfèrent le silence. Ces pour ces raisons qu’il est très difficile de connaître les chiffres exacts. D’autres chiffres parlent de 10 000 jeunes femmes violées, selon la présidente de l’association algérienne Femmes en communication, révélés lors d’un séminaire sur la protection des droits de l’enfant et de la femme le 31 janvier 2007.

    Votre démarche est-elle comparative à d’autres expériences traumatiques dans le monde ou vous êtes vous concentrée uniquement sur le cas algérien ?

    Dans toutes les situations de guerre, de conflits ou de terrorisme, ce sont les plus faibles et les plus innocents qui sont touchés. L’utilisation du viol à l’égard des femmes pendant les guerres n’est pas propre à l’Algérie et dans notre recherche, on a cité des exemples des viols commis au Rwanda, au Kosovo et nous pouvons dire que les viols sont de plus en plus utilisés à des fins de terreur politique et d’éradication ethnique. En Algérie, ces viols ont été commis au nom de la religion, du djihad. Par contre, ces viols n’ont pas bénéficié de la même médiatisation que les viols commis en Bosnie ou au Rwanda ; d’une part ; en raison de la honte ; car ce sont bien des Algériens qui ont commis ces crimes au nom de l’islam et, d’autre part, en raison du silence des femmes elles-mêmes qui préfèrent se cacher. Mais notre étude se concentre sur le cas algérien et l’étude comparative avec d’autres sociétés est mon objectif pour une autre recherche dans l’avenir.

    Dans votre cas, que s’est-il passé entre le choix de votre sujet et la rencontre de cas précis sur lesquels vous travaillez ? En d’autres termes, comment avez-vous pu prendre contact avec les victimes avec lesquelles vous avez travaillé ? Par le biais d’associations ?

    Effectivement, comme dans le cas de toutes les recherches scientifiques, le lien entre le choix du sujet et son application sur le terrain rencontre souvent des difficultés. Et la difficulté principale dans cette étude est le refus de toute collaboration de la part des victimes sauf quelques-unes, mais avec beaucoup de réticence et de distance. Dans mon cas, le choix du sujet est venu avec la rencontre des familles des victimes du massacre de Bantalha, à Alger, avec la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (FOREM), et ce, dans le cadre d’une recherche sur le devenir psychologique des familles dix ans après le massacre. C’est dans ce cadre que j’ai eu l’occasion de rencontrer des familles et les femmes victimes de ces viols. Cette rencontre m’a complètement bouleversée, surtout qu’à l’époque, je venais juste de commencer ma carrière, sans oublier que la problématique du terrorisme et la tragédie de la décennie noire m’ont beaucoup touchée comme la majorité des Algériens. Tout ceci m’a conduite à interpréter mes émotions avec des études et recherches universitaires qui traitent les sujets en lien avec la violence, le terrorisme, le traumatisme, la résilience, la victime, la famille et la société.

    Qu’est-ce que la résilience dans le cas des femmes victimes de viol, dont celui précis des femmes violées par des terroristes ?

    La résilience d’une manière générale désigne l’art de s’adapter aux situations adverses en développant des capacités en lien avec des ressources internes « intrapsychiques » et externes « environnement social et affectif » permettant d’allier une construction adéquate et l’insertion sociale. La résilience réfère donc à un processus complexe résultant de l’interaction entre l’individu et son environnement. Le soutien familial est considéré comme un facteur de protection qui aide la victime de ce viol à devenir résiliente. Les victimes de viol, au-delà de la terreur inspirée par la réelle menace de mort, vivent cette agression comme une atteinte à leur intégrité physique. Elle provoque un état de choc profond, perturbe la vie de la victime et engendre chez elle des symptômes : angoisse, isolement, évitement, sentiment de culpabilité et honte. En Algérie de la décennie noire, la réalité amère, c’est que souvent, la souffrance des victimes est ignorée, car la priorité reste la sauvegarde de l’honneur de la famille, ce qui conduit parfois au suicide des victimes qui préfèrent la mort plutôt que la honte. La possibilité de résister à ce véritable meurtre qui laisse la victime vivante est lié à l’implication de la famille comme élément protecteur et, dans ce cas, il est nécessaire de parler de résilience familiale. La famille est le creuset où s’élaborent un ensemble de représentations, de croyances à un groupe auquel chacun sera lié par un sentiment d’appartenance, d’interactions et de stratégies d’adaptation. Les victimes de ces atrocités en Algérie se retrouvent dans une position de honte et d’impuissance, elles ne peuvent pas inscrire cette violence dans aucun registre qui pourrait donner du sens. Les terroristes, dans leur stratégie de destruction de la société, ont réussi à intégrer cette impuissance particulièrement chez les hommes pour qu’ils n’arrivent pas à protéger leurs familles et leurs filles en intégrant les interdits imposés par les terroristes dans l’espoir d’avoir la vie sauve. La non-reconnaissance des crimes commis et l’amnistie décrétée par le gouvernement rendent la guérison impossible, car la reconstruction de la victime sur le plan psychique nécessite une reconsidération et une reconnaissance juridiques. Reste la famille comme seul et dernier refuge et espoir pour une meilleure réparation et résilience.

    Comment ces femmes parviennent-elles (ou pas) à réintégrer la vie sociale ?

    Comme je l’ai expliqué précédemment, le soutien de la famille est primordial dans la réparation et la reconstruction psychologiques de la victime. Dans notre recherche et malgré la rareté des cas, on a pu constater, à l’aide d’entretiens cliniques et de tests projectifs, que les victimes qui ont subi un rejet familial souffrent toujours des conséquences traumatiques favorisant l’émergence du sentiment de la honte et de la culpabilité qui empêche tout processus de réparation et de résilience. Et dans le cas où la victime est entourée de sa famille et est soutenue, elle devient résiliente et capable de se projeter dans l’avenir sur le plan personnel et même professionnel, ce qui encourage son insertion sociale. Il est important également de favoriser la prise en charge psychologique, l’accompagnement familial et la sensibilisation de la société à briser le silence et lever les tabous.

    reporters.dz
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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