Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Les plus beaux réquisitoires anticolonialistes français

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Les plus beaux réquisitoires anticolonialistes français

    Le 21 novembre 2010, lors du Festival international du film d'histoire de Pessac consacré à "La fin des colonies", Jean-Noël Jeanneney et Michel Winock ont présenté et lu quelques-uns des plus beaux textes français de combat contre les injustices et les scandales de la colonisation.
    La seconde colonisation française entreprise par la IIIe République dans les années 1880, et dont Jules Ferry fut le grand apôtre, a abouti à l’édification d’un vaste empire colonial, le deuxième du monde derrière l’empire britannique. Cette entreprise eut des partisans, ce qu’on a appelé un « parti colonial » ; elle fut exécutée dans l’indifférence des populations métropolitaines, mais elle eut à compter avec des opposants, hommes politiques, écrivains, journalistes, qui constituèrent par leurs œuvres et leurs discours une tradition anticolonialiste.

    Jean-Noël Jeanneney et moi vous proposons la lecture de quelques textes qui illustrent un courant de pensée aux sources variées. Nous ne visons certes pas à l’exhaustivité, ni des textes ni des auteurs : ils formeraient une anthologie de plusieurs volumes. Nous avons fait un choix qui suggère la variété et la continuité de la critique anticoloniale.

    Nous commencerons par le grand débat qui oppose en 1885 Georges Clemenceau à Jules Ferry. Ce dernier, ancien président du Conseil, justifie la colonisation par trois sortes d’arguments : politique après la défaite de 1871, la France doit revenir au premier rang des grandes nations, économique le pays a besoin de débouchés et de matières premières et morale : les races supérieures doivent apporter aux races inférieures la Civilisation. Georges Clemenceau, député radical, lui répond point par point :

    Georges Clemenceau, Chambre, 30 juillet 1885

    La critique de l’aventure coloniale n’est pas le fait des seuls politiques. Les écrivains ont largement contribué à la dénonciation d’une œuvre qu’ils ont souvent assimilée à une entreprise de conquête barbare. Nous reprenons le mot à Maupassant, reporter en Algérie en 1881 pour Le Gaulois : « Dès les premiers pas, écrit-il, on est saisi, gêné, par la sensation du progrès mal appliqué à ce pays, de la civilisation brutale, gauche, peu adaptée aux mœurs, au ciel et aux gens. C’est nous qui avons l’air de barbares au milieu de ces barbares, brutes il est vrai, mais qui sont chez eux, et à qui les siècles ont appris des coutumes dont nous semblons n’avoir pas encore compris le sens. »

    C’est d’un autre écrivain, moins connu, Léon Bloy, que nous tirons le passage de cet article, intitulé « Jésus-Christ aux colonies », publié par L’Assiette au beurre, célèbre journal satiriste, le 9 mai 1903. Bloy, écrivain catholique, contrairement à Maupassant, mais plus violent encore dans sa critique :

    Léon Bloy, Jésus-Christ aux colonies, in L'Assiette au Beurre, le 9 mai 1903

    La colonisation était déjà largement entamée lorsque le mouvement socialiste a pris son essor en France. De là résultent deux attitudes de la part des socialistes, ou bien un discours réformiste contre l’exploitation des indigènes, ou bien la dénonciation pure et simple du colonialisme. Il faut dire que, sur le terrain théorique, Marx n’était pas fondamentalement hostile à la colonisation. Elle était certes condamnable moralement à ses yeux, mais sa dialectique le conduisait à apprécier la sortie de vastes territoires du stade tribal et leur entrée dans une économie de marché propre à accélérer le processus de la lutte des classes dans une économie capitaliste mondialisée. En France, ce qu’on pourrait appeler le préjugé de civilisation suscite chez beaucoup de socialistes la conviction que la France de la Révolution a une mission à accomplir à travers la colonisation. Ils ont tendance à considérer les crimes commis outre-mer comme des bavures. Cependant, en 1905 et 1906, L’Humanité de Jean Jaurès mène une campagne, sous la responsabilité de Rouanet, contre les crimes commis au Congo, en AOF, aux Antilles et à la Guyanne. Paul Louis, autre socialiste, publie en 1905 une brochure, Le Colonialisme, qui décrit les mécanismes de l’expansion capitaliste dans l’entreprise coloniale.

    Gustave Hervé, lui, mène le combat contre « les soudards français » au Maroc :

    Extraits d'articles de Gustave Hervé


    Jean Jaurès, lui, appelle à un combat dans le cadre colonial contre l’exploitation des hommes, le travail forcé, la monstrueuse inégalité imposée par le conquérant. C’est sur le plan des relations internationales, et pour dénoncer la menace de guerre, que le grand tribun s’emploie à flétrir l’expédition du Maroc. Il prend alors conscience du sentiment national indigène. Mais, dès 1896, il fixe la ligne qui doit être celle des socialistes en matière coloniale :

    Jean Jaurès, Les Compétitions coloniales, in La Petite République du 17 mai 1896

    Le Parti communiste, née de la scission de Tours en décembre 1920 prend le relais de la dénonciation anticolonialiste avec lenteur avant de le faire avec éclat lors de la guerre du Rif en 1925. Il lance même un mot d’ordre de grève générale révolutionnaire el 12 octobre, mais il subit un échec. Il n’est pas assez fort pour intéresser une opinion ouvrière à la question coloniale.

    Au demeurant, jusqu’au Front populaire, le Parti communiste inspire et publie nombre d’articles et de brochures contre le colonialisme. Citons, de Jacques Doriot Les Colonies et le communisme, Le Procès de la colonisation française de Nguyen-Ai-Quac.

    L’isolement du PCF jusqu’en 1935-1936 nuit à ses campagnes anticolonialistes, mais il n’est pas le seul à s’élever contre l’exploitation coloniale. Des écrivains, une fois encore, s’y emploient. André Malraux, à Saïgon, avec sa compagne Clara, lance en 1925 un bihebdomadaire, L’Indochine enchaînée, qui comptera dix-huit parutions qui ne sont qu’un long pamphlet contre l’exploitation, la torture, les fraudes électorales. Léon Werth, collaborateur occasionnel, dénonce ce qu’il a vu : les spoliations, les vols et les crimes. Toutefois, c’est en France métropolitaine qu’est publiée la dénonciation anticoloniale la plus retentissante, celle d’André Gide, à son retour de voyage au Tchad et au Congo, en 1927. La Chambre des députés s’empare de l’affaire, et le ministre des Colonies Léon Perrier s’engage à ne plus renouveler le régime des Grandes Concessions qui expire en 1929, et qui laissait les mains libres aux compagnies concessionnaires. Gide aura ce commentaire : « On peut s’étonner que les journaux aient semblé si peu faire état d’un engagement qui ne tend à rien de moins qu’à délivrer 120 000 nègres de l’esclavage. » Toujours la même indifférence de l’opinion.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    André Gide, Le Retour au Tchad, Carnet de route, 1928

    La victoire du Front populaire se révèle décevante au chapitre de la politique coloniale. On sait que le projet de réforme Viollette qui, pour l’Algérie, prévoyait une prudente entrée de musulmans dans la citoyenneté française, a échoué, n’ayant même pas été discuté par le Parlement. Il y avait alors d’autres urgences sans doute. La ligne antifasciste du Parti communiste lui interdit désormais de reprendre ses campagnes anticolonialistes. Il est notable, cependant, que le Comité de Vigilance des intellectuels antifascistes ne resta pas muet sur la question. Un 1936, une brochure sortit de ses rangs, La France en face du problème colonial. Elle insistait notamment sur l’ignorance et l’indifférence de l’opinion ».

    Comité de Vigilance des intellectuels antifascistes, "Ignorance et indifférence de l'opinion", in La France en face du problème colonial, 1936.

    C’est aussi l’un des acteurs importants du Front populaire, la journaliste Andrée Viollis, proche du Parti communiste et membre de la direction de l’hebdomadaire unitaire Vendredi, qui publie un brûlot relayant l’ancienne campagne de Malraux, SOS Indochine, que publie les éditions Gallimard.

    Andrée Viollis, Indochine S.O.S., NRF, 1935, 240 p.

    Juste avant la guerre mondiale, un journaliste, futur grand écrivain, Albert Camus, née en Algérie, publie en 1939 un grand reportage dans Alger républicain. Camus n’est pas un anticolonialiste stricto sensu ; il n’acceptera pas, jusqu’à sa mort, en 1960, l’idée d’indépendance. Cependant pas il n’accepte pas l’inégalité, le mépris, la misère. Les pages qu’il écrit sur la Kabylie nourrissent la critique anticoloniale.

    Albert Camus, Misère de la Kabylie, in L'Alger républicain, 1939

    La Seconde Guerre mondiale accélère la formation des nationalismes indigènes. Le temps des indépendances commence au lendemain du conflit. L’Inde britannique, l’Indonésie néerlandaise sont les premières grandes terres libérées du joug colonial. La France promet des réformes, renonce à appeler ses possessions un empire en créant l’Union française, mais, très vite, elle est en proie aux révoltes, aux insurrections, aux guerres de décolonisation dans lesquelles elle va s’enferrer. Révolte et massacre de Sétif en 1945, guerre d’Indochine de 1946 à 1954, révolte et massacre à Madagascar en 1947, troubles et révoltes au Maroc et en Tunisie à partir de 1953, Toussaint rouge et guerre d’Algérie de 1954 à 1962, insurrection au Cameroun en 1960 ? Ces faits explosifs font prendre conscience à un nombre de plus en plus grand de Français du fait colonial, ses injustices, ses contradictions avec les idéaux de la République.

    Le Parti communiste, participant aux gouvernements français jusqu’en 1947, n’a pas repris sa ligne anticolonialiste. Tout change avec la rupture de cette année-là et les débuts de la guerre froide. Le Parti mène campagne contre la guerre d’Indochine, surtout à partir de 1950, mais il est isolé : c’est la guerre froide et le mouvement nationaliste du Viet Minh est aussi un mouvement communiste soutenu par le bloc soviétique. Les accords de Genève signés en 1954, une autre guerre commence, celle d’Algérie. Cette fois, le Parti communiste est beaucoup plus prudent, soucieux d’un rapprochement avec les socialistes, soucieux de ne pas se couper de l’opinion, et ce n’est pas lui qui sera à l’avant-garde de la lutte contre la guerre et pour l’indépendance de l’Algérie. Les intellectuels ont pris les devants, les revues ESPRIT, LES TEMPS Modernes, L’OBSERVATEUR, devenu France-OBSERVATEUR, les catholiques de gauche de TEMOIGNAGE CHRETIEN… S'il fallait ne retenir qu'une figure emblématique de l'intellectuel anticolonialiste, ce serait assurément celle de Jean-Paul Sartre. Celui-ci, engagé tantôt près des communistes, tantôt éloigné d'eux, signe des textes éloquents, parfois provocateurs comme cette préface aux Damnés de la terre de Franz Fanon qui fait scandale.

    Jean-Paul Sartre, préface aux Damnés de la terre de Franz Fanon

    Sartre n’est pas un cas unique, nombre d’intellectuels s’engagent contre les guerres de l’impossible décolonisation : Francis Jeanson, Robert Barrat, François Mauriac, Claude Bourdet, Pierre Stibbe, Jules Roy, Albert Memmi, Jacques Berque, des écrivains, des journalistes, des universitaires… Retenons particulièrement un moment de mobilisation morale et politique, celui qui fut causé par le scandale de la torture au cours de l’année 1957. Depuis l’année précédente, des témoignages circulent de la part d’anciens appelés, des journaux sont saisis, des brochures interdites. Malgré cela les protestations se multiplient. Citons celle d’Henri Marrou, professeur d’histoire ancienne à la Sorbonne et collaborateur de la revue Esprit — une tribune du Monde qui lui vaut la visite de la police et le mépris ironique de Bourgès-Maunoury sur les « chers professeurs ». Citons celle de Pierre-Henri Simon, romancier catholique, qui publie au Seuil en mars 1957 son libelle Contre la Torture. C’était un cri au nom de l’honneur français, d’autant plus efficace qu’il n’était pas poussé par un révolutionnaire mais par un humaniste.

    Pierre-Henri Simon, Contre la torture, Le Seuil, 1957.

    On ne saurait oublier dans ce bref florilège la voix du grand poète martiniquais Aimé Césaire, maire de Fort-de-France depuis 1945 et député de la Martinique. Ancien membre du Parti communiste, il a rompu avec le PCF après l’intervention soviétique en 1956 en Hongrie et dénoncé le stalinisme dans sa Lettre à Maurice Thorez. Il venait d’écrire son pamphlet, Discours sur le colonialisme – un colonialisme qu’il analyse comme une entreprise de déshumanisation.

    Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, éditions Réclame, 1950

    histoire
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

    Commentaire

    Chargement...
    X