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Arthur Rimbaud : Ire et vocables

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  • Arthur Rimbaud : Ire et vocables

    « Tous les poètes ont écrit à dix-sept ans ; les plus grands sont ceux qui parvinrent à le faire oublier. »
    Raymond Radiguet
    Vie obscure pour œuvre obscure. Rimbaud est une ombre. Un refuge qui met en valeur la lumière et qui, s’il en conteste la légitimité, en sauvegarde naturellement la pudeur. Alors comme toutes les ombres, il pénètre par effraction, assiège par réfraction. Né en 1854, il a à peine dix ans lorsqu’il commet son premier forfait littéraire. Par la force d’une imagination volcanique, il projette son présent dans « l’an de grâce 1503 » et s’insurge déjà contre une École qui ne remplit pas son rôle. Son premier poème connu « Les Étrennes des Orphelins », publié à 15 ans, en 1870, témoigne d’un talent aussi précoce qu’irréfragable. Son père quitte le foyer durant son enfance. Les premiers essors de son écriture, frappés du sceau de l’abandon, prennent des allures conjuratoires.
    Premier prix des concours académiques de Douai, Rimbaud écrit dans la langue de Virgile avec une aisance insolente. Il fait lire ses poèmes à Georges Izambard, son professeur de rhétorique et entretient une relation épistolaire avec Théodore de Banville, maitre du Parnasse, et qui sera son mentor.
    Les esprits lunaires ne s’exaltent que dans l’indiscipline. Rimbaud grandit seul avec sa mère, laquelle lui applique la plus étroite morale, tirée du catholicisme. Une castration pour cet esprit azuréen à la recherche d’un ailleurs lointain, dont il témoignera dans « Les poètes de sept ans ». Une mère appelée « bouche d’ombre » qu’il aime pourtant comme tous les enfants et qu’il quitte lorsqu’il fuit Charleville-Mézières, sa ville natale, pour observer les Républicains à Paris. Alors la mère attend le retour du fils prodige… mais après tout, les fugues de Rimbaud valent bien celles de Bach. Au moins de par l’intensité qui en résulte. Vagabond heureux, clochard céleste, Rimbaud croise le fer avec les étoiles. Ses versets rencontrent l’orage et en courtisent les harmonies. Des éclairs de génie, enfantés dans la pénombre, déchirent les cimes astrales.
    Le jeune rebelle veut s’affranchir des règles, à commencer par celles de la poésie. Il brise le rythme de l’alexandrin, mélange les élans lyriques et l’autodérision. Car il y a ceux qui urinent en l’air en regardant les arbres et ceux qui « pisse(nt) vers les cieux bruns, très haut et très loin, avec l’assentiment des grands héliotropes » (Oraison du soir). La trivialité n’a pas la même allure pour tout le monde. C’est décidé, l’enfant-roi ricanera à la barbe du ciel.
    « Car Je est un autre »

    Comme tous les révoltés, Rimbaud brûle sa jeunesse incandescente par les deux bouts. « Je m’encrapule le plus possible » témoigne t-il, dans une correspondance de mai 1871, à son professeur Izambard. « Faisant de l’infamie une gloire et de la cruauté un charme », écrira t-il dans sa Saison en Enfer, ajoutant même un jour à son ami Ernest Delahaye « ce qui fait ma supériorité à moi c’est que je n’ai pas de cœur ». Pourtant du cœur, il en a. Assez pour décrire ces enfants en haillons, ces « pauvres Jésus plein de givre » accroupis devant le soupirail où cuit le « lourd pain blond » du boulanger (Les Effarés). Assez pour observer les « mères, ramassées dans l’angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir » leurs enfants-soldats (Le Mal). Assez pour confier dans Les Déserts de l’amour : « Vrai, cette fois j’ai pleuré plus que tous les enfants du monde ». Et cette mère qu’il fait semblant de mépriser devant les autres, et qu’il surnomme la « daromphe »… il souhaite pourtant la rassurer dès lors de sa première fugue et faisant parvenir une lettre à Georges Izambard : « Écrivez à ma pauvre mère, pour la consoler »… comme tous les hommes de génie, Rimbaud est donc multiple. Il sait que « Je est un autre » et que « si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute » (Lettre à Paul Demeny, mai 1871).
    Rimbaud franchit son adolescence comme les fusils prussiens l’orée des clairières françaises. Il faut dire que le jeune homme n’avait pas plus sa place dans les charniers de Sedan qu’une épitaphe au milieu d’un cirque. Sur un champ de bataille, le kilo de plume vaut rarement le kilo de plomb. Il refuse la guerre comme on refuse l’erreur, les veines gonflées par l’horreur des nuits. Il participe un temps aux troubles de la Commune de Paris en mars 1871 (Les Mains de Jeanne-Marie, Paris se repeuple) mais il s’en détourne, sans doute écœuré par la vulgarité de cette horde d’ectoplasmes qui viennent se faire trouer spontanément pour des fictions qui le dépassent (Le cœur supplicié, Le Dormeur du Val).
    Il est une autre fiction que celle de la guerre, qui comme elle, laisse deux trous rouges au côté droit. « Heureux en amour, Adam nous eût épargné l’Histoire », écrivit un jour avec fulgurance Emil Cioran dans ses Syllogismes de l’amertume (1952). Il est probable qu’heureux en amour, Rimbaud nous eût épargné la poésie. Parcours assez classique. Le même que celui de Musset et sans doute que beaucoup d’hommes avant et après eux. Rimbaud commence d’abord par projeter « O splendeur de la chair ! O splendeur idéale ! O renouveau d’amour, aurore triomphale » (Soleil et chair). Les Romantiques étaient passés par là… Puis viens la gifle de la leçon de réalité. En bon poète « voyant », Rimbaud radiographie le mensonge. Ces anges placés si hauts seraient-ils dénués d’auréole ?… « Fade amas d’étoiles ratées ! Comblez les coins ! » (Mes petites amoureuses). Sentence irrévocable. Vocifération vengeresse née de la déception. Celle du réel. Cette brute épaisse, armatrice de la désillusion, qui frappe avec le marteau de Thor à la porte des cœurs et qui pousse le jeune homme désabusé à aller sonner à celle de Verlaine.
    dz(0000/1111)dz

  • #2
    L’enfanteur de miracles

    Verlaine est de dix ans son ainé. Leur première relation est épistolaire et c’est par courrier que le poète messin exhorte Rimbaud à faire le déplacement jusqu’à Paris : « Venez chère grande âme, on vous appelle, on vous attend ! » Rimbaud grimpe à la capitale avec la flamme ardente du Rubempré balzacien cousue dans les prunelles. Verlaine est d’emblée fasciné par le talent et la beauté de ce poète qui le dépasse en tout. Le Bateau Ivre l’a relégué au rang de second couteau de l’artisanat littéraire, et il le sait. Il sait que cet enfanteur de miracles de 17 ans est en mesure de faire pleuvoir des météores, la foudre dans chaque paume. Les rimes de Rimbaud sont incendiaires, comme si le feu grégeois d’une phalange byzantine s’était déversé sur ses « Fêtes galantes » bien trop peu ignifuges. Pour autant, Verlaine aime profondément Rimbaud, l’héberge et lui donne de quoi vivre. « Je me fais cyniquement entretenir » écrit Rimbaud à Georges Izambard en mai 1871. Verlaine, que Rimbaud appelle « La vierge folle » dans sa Saison en Enfer, conduit ce dernier (l’époux infernal) à des plaisirs inédits bien volontiers acceptés pour leurs contours ignominieux, comme en témoigne le poème uranien « L’Idole ». À partir de 1872 démarre une liaison amoureuse qui les mène à Londres puis à Bruxelles. En 1873 a lieu le célèbre « drame de Bruxelles », lorsque Verlaine, aussi ivre d’amour que d’alcool, tire au revolver à deux reprises sur Rimbaud, le blessant au poignet. L’enfant prodige retourne alors en France et s’isole pour rédiger son grand poème en prose : Une Saison en Enfer. Ses Illuminations, entamées l’année précédente, ne paraîtront en intégralité qu’en 1895, soit quatre ans après son décès. Mais avant que le poète maudit ne regagne la tourbière sacrée dont il avait été extrait, il lui faut payer ses dettes à l’ordre divin. Rimbaud va devoir affronter une nouvelle vie, tel Dante un nouveau cercle aux Enfers.
    Coupable du crime de poésie sur le pont… des Soupirs

    Dieu a rapetissé le jour où Rimbaud arrêta d’écrire. Ses idées marginales et libertaires le poussent, dès 20 ans, à choisir une vie aventureuse bien que sa correspondance nous présente davantage un homme préoccupé à amasser de l’argent. « Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! », avait-il prévenu dans sa Saison en Enfer. À partir de 1880, ses pérégrinations l’amènent jusqu’au Yémen et en Éthiopie (Harar). Ancien pilleur d’extases, ex dompteur de strophes. Il n’est plus question d’écrire. Mais on ne s’ampute pas impunément de la poésie. Le gamin foudroyant a laissé place à un marchand austère qui traîne son mysticisme au fond d’un sac de ruines. Lui qui avait transformé l’autodafé en crime de lèse-majesté, le voilà engagé dans les troupes coloniales hollandaises, négociant pour le compte d’une compagnie exportatrice de café. On l’a également dit marchand d’esclaves, pilleur d’épaves… Probablement de nouvelles fictions. Trafiquant d’organes certes, il l’était depuis que le Verbe se fût fait chair… il y a longtemps de cela.
    Ah…quel hasardeux destin que celui d’une étoile filante. Car comme elle, et comme les oiseaux de Brassens, Rimbaud n’était que de passage. À croire que les beaux mots sont programmés à l’évanouissement. Les siens auront bientôt un siècle et demi de poussière sur le bord des lèvres, et pourtant ils sommeillent encore, spectres avachis, sur les bois tendres des étagères de bibliothèque. Ils tremblent encore dans le crâne des vieillards, dansent dans la bouche des enfants. Ils grondent aussi et surtout toujours dans le regard de ceux qui savent qu’il existe des bateaux saouls de mélancolie sur quelque mer du globe, des trous de verdure où chante une rivière, des fleurs d’encre crachant des pollens en virgule, et des auberges à la Grande-Ourse.


    Par Maxime Le Nagard
    dz(0000/1111)dz

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