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J'ai passé quatre jours en Corée du Nord. Un retour en arrière inouï et inquiétant

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  • J'ai passé quatre jours en Corée du Nord. Un retour en arrière inouï et inquiétant

    L'année dernière, Térence Brami – un jeune Français de 20 ans à l'époque – s'est rendu en Corée du Nord. Il a effectué un voyage touristique de quatre jours, comme en propose seulement une poignée d'agences de voyage assermentées dans le monde. Il raconte ce court séjour, entre la fascination et une sorte de schizophrénie... propre à une des dernières dictatures du monde. Témoignage.

    12, Lei Café, terminal B, aéroport de Pékin, il y a un peu moins d’un an. Conformément aux instructions reçues deux jours plus tôt par e-mail, c’est ici que je dois rencontrer mon correspondant chinois pour récupérer mon visa pour la Corée du Nord.

    Une scène digne d’un film d’action

    Après une rapide vérification d’identité, il récupère les 50 euros convenus et me tend le sésame tant attendu. Sans un mot, il s’en va. Digne d’un film d’action, cette scène marque le début de quatre jours hors du commun au sein de la dictature nord-coréenne.

    Air Koryo est la seule compagnie aérienne qui permet de voyager vers la Corée du Nord, c’est d’ailleurs la compagnie nationale. Après un vol de deux heures (composé exclusivement de chants de propagande diffusés dans les haut-parleurs de l’avion), le Tupolev se pose sur le tarmac de Pyongyang. L’aérogare ne comporte aucun magasin, la photo de Kim Il-sung et Kim Jong-il est accrochée sur un grand mur terne.

    Après une fouille minutieuse de mes appareils électroniques, je quitte l’aérogare. Autour de moi, des ouvriers en tenue militaire transportent des gravats et le peu de voitures stationnant devant le seul aéroport du pays me fait enfin comprendre où je suis. Je m’appelle Térence, j’ai 20 ans et je suis en Corée du Nord.

    Un visa via une agence suédoise spécialisée

    Souvent, quand je raconte mon voyage, la première question que l’on me pose est : "Pourquoi ?" Pourquoi donc dépenser l’équivalent de plusieurs Smic pour se rendre dans un pays quasi-totalement isolé du reste du monde, y suivre un parcours imposé, accompagné en permanence par des guides officiels dont les moindres faits et gestes sont contrôlés ?

    De nature curieuse et las des parcours touristiques traditionnels, la Corée du Nord représentait pour moi la destination idéale, combinant l’insolite mais aussi un certain frisson. Seule une poignée de Français visitent chaque année le pays, sous la supervision de l’unique agence de voyage nord-coréenne, à savoir la "Korea International Travel Company".

    Pour ma part, j’ai eu recours à une agence suédoise spécialisée. Pour obtenir mon visa, j’ai dû remplir un dossier complet : but de ma visite, situation professionnelle détaillée (les journalistes sont quasi-systématiquement déboutés). On me transmet un règlement concernant tous les interdits sur place.

    Un voyage dans le temps

    Une fois sur place, je loge au sein d’un des seuls hôtels du pays, à savoir le Yanggakdo International, qui dispose d’un millier de chambres et de plus de 45 étages. De mon point de vue, on dirait un immense HLM. Mon groupe est composé de cinq Suédois et un Français de mon âge
    La simple balade en ville dans un bus officiel est une expédition, un voyage dans le temps. J’ai la sensation de me retrouver dans une photo de l’URSS des années 1960, loin de toute forme de modernité. Les rues se ressemblent toutes, les immeubles sont identiques, le gazon est impeccable, il n’y pas de vitrines ni de publicité… sauf les gigantesques affiches de propagande.

    Les femmes policières postées aux carrefours sont en uniformes bleus, un bâton de signalisation à la main. Leurs mouvements sont mécaniques, presque robotiques. Elles tournent la tête à droite, à gauche, à droite… et ainsi de suite, de longues minutes durant. De temps en temps, elles adressent un salut militaire à une voiture officielle qui passe.

    Deux guides, un seul discours

    Durant mon séjour, nous sommes accompagnés par des guides. Elles sont obligatoirement deux, elles se surveillent mutuellement et préviennent ainsi tout dérapage de l’une ou de l’autre. Il faut tout prendre avec des pincettes, tout interroger avec esprit critique, pour ne pas tomber dans le piège de la dédiabolisation orchestrée par le gouvernement. Elles parlent anglais à la perfection.

    Contrairement à une idée répandue, le téléphone portable est autorisé en Corée du Nord, mais il ne me sera pas d’une grande utilité pendant mon séjour. Les téléphones internationaux ne captent pas le réseau nord-coréen. En règle générale, les photos sont autorisées, sauf évidemment celles qui dépeignent une situation préjudiciable à l’image du pays.




    Impossible de photographier la pauvreté ou les contrôles militaires qui sévissent à chaque extrémité de la ville. C’est le bon moment pour préciser que nos passeports nous sont retirés au moment de notre arrivée en Corée du Nord, et que ce sont nos guides qui les conservent.

    Sur place, nous réglons nos achats en yuan ou en euros. Les touristes n’ont pas le droit de posséder de won, la monnaie nord-coréenne. En revanche, il est possible d’acheter de la "monnaie pour touristes". Partout où nous allons, nous payons des tarifs spéciaux – équivalents à ceux pratiqués en Europe – visiblement gonflés en fonction de notre profil. Je n’arrive pas à en savoir davantage, les guides refusant de communiquer à ce sujet.

    À la fête foraine, je me sens comme un extra-terrestre

    Le premier jour, nous passons devant un parc d’attraction dont une de nos guides dresse un tableau idyllique. Malheureusement, il est "fermé pour rénovation"… tout comme la bibliothèque faramineuse de Pyongyang, qui comporterait plus de "huit millions d’ouvrages". Devant ma mine déconfite, ma guide passe quelques coups de fil et m’informe que nous pourrons y passer la soirée.

    Dès notre arrivée, un employé du parc m’accueille. Il va m’accompagner lors de toute ma visite. Mon statut de touriste m’offre quelques privilèges, parmi lesquels celui de ne pas faire la queue aux attractions. En contrepartie, je les paie environ cinq fois plus cher que les Coréens. Ces derniers ont visiblement rarement vu d’Européens et j’ai le sentiment de faire figure d’extra-terrestre. On m’interdit d’essayer de rentrer en contact avec eux.

    "Ils travaillent le dimanche parce qu’ils n’ont pas école"

    Entre la population urbaine et la population rurale, il existe un grand contraste. Alors que les habitants de la capitale semblent bénéficier d’un niveau de vie correct – quoiqu’incomparable avec le nôtre –, la pauvreté la règne à la campagne. Des champs s’étendent à perte de vue, aucun outil électrique. Les gens travaillent à la main, avec un seau et une pelle.

    Je n’ai pas le droit de prendre en photo les enfants qui travaillent. On m’explique que c’est exceptionnel : "Ils travaillent uniquement le dimanche puisqu’ils n’ont pas école". Je suis bien obligé de m’en contenter.

    Quelques habitations sont installées le long de la voie rapide, minée par des culs de poule. À vrai dire, je n’ai jamais vu une route en si mauvais état. Notre chauffeur zigzague entre les trous, roulant parfois sur l’autre voie. Le bus dans lequel nous sommes est particulièrement vieux, je ne suis pas rassuré.

    Un parcours calculé pour émerveiller le touriste

    Les restaurants dans lesquels j’ai l’occasion de manger sont réservés aux touristes et à une certaine élite nord-coréenne. Les tarifs pratiqués me semblent exorbitants et chaque table croule sous des quantités astronomiques de nourriture, que ce soit du canard, du poulet, du l’agneau ou même du chien. Le paradoxe – quelque part l’indécence de la situation – me saute aux yeux, dans ce pays difficilement autosuffisant et dont la population souffre très gravement de la famine.

    Durant mon voyage, j’ai eu l’occasion d’utiliser le métro sous-terrain de Pyongyang. Réputé pour être l’un des plus profonds au monde, cinq minutes d’escalator sont nécessaires pour rejoindre ce qui s’apparente à une vraie galerie d’art. Je ne suis pas dupe, le programme de mon voyage est dressé pour émerveiller les touristes… Il faut le dire, ici, ça fonctionne. Fresques murales à l’image des leaders, dorures, poteaux imposants en marbre, impossible de rester insensible à ce qui m’est présenté.

    Le contraste est d’autant plus fort que quand je quitte le pays, quelques jours plus tard, c’est pour retourner à Pékin, paradis de la consommation qui détonne complètement avec l’atmosphère que j’ai rencontrée à Pyongyang.

    l'OBS
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