Jeudi 28 janvier 2016 Par Sadek Hadjerès*, premier secrétaire du PAGS de 1966 à 1990
Un demi-siècle a déjà passé depuis 1966, l’année de la proclamation du PAGS.
Chacun sait qu’une date anniversaire ne peut pas être l’occasion à elle seule d’alimenter des évocations multiples ou une réflexion approfondie.
C’est l’affaire, sur la longue durée, de tous ceux qui sont préoccupés par la continuité et l’avenir du mouvement social et démocratique algérien.
Pour aujourd’hui, je réduirai mon évocation à quelques réflexions que je crois essentielles pour l’avenir. Quant à des épisodes et problèmes non moins essentiels, il est possible de se référer à mes publications et interventions, dont nombre d’entre elles ont été consignées ou le seront plus tard sur mon site : socialalgerie
En fait, il ne s’agit pas seulement de l’Histoire du parti qui en 1966, dans des conditions minoritaires très difficiles et complexes nées du coup d’Etat du 19 juin 1965, a pris la relève du PCA, parti de classe, lui-même né trente ans auparavant (1936) et aguerri par les luttes de libération nationale.
Avec les 24 années d’action du PAGS et au-delà des débats et polémiques partisanes, il s’agit aussi en parallèle et en toile de fond, du devenir d’un peuple, d’un Etat, d’une société et d’organisations politiques et associatives. Après l’indépendance, tous ont d’abord vécu (jusqu’à 1990) un quart de siècle marqué d’espoirs ardents mêlés de contradictions et de sérieuses incertitudes, puis (après la disparition du PAGS) un nouveau quart de siècle jalonné de déceptions amères et cruelles.
En cette date symbolique de janvier 1966 et avant d’aborder le fond des basculements politiques et sociaux évoqués, le cœur et l’émotion sont les premiers à parler. Ma pensée et mes sentiments vont à tous les militants et militantes sincères et innombrables, souvent anonymes, qui ont partagé nos épreuves communes. Ils n’ont écouté que leur cœur et leur conscience, pour s’engager dans la cause de la justice et de la libération sociales.
Ils n’ont marchandé ni leur temps, ni leur santé, ni leur statut professionnel. Ils n’ont malheureusement pu protéger suffisamment le sort immédiat et à long terme de leurs familles et pour nombre d’entre eux jusqu’au sacrifice de leurs vies.
Dans des cercles très larges de travailleurs et d’intellectuels, ce patrimoine humain et politique d’abnégation a laissé des traces indélébiles dans les cœurs et les mémoires. Avec l’expérience et le recul du temps, il a laissé aussi, après coup, à de larges milieux des enseignements positifs ou critiques de plus en plus reconnus comme dignes de réflexion, pour l’avenir d’une nation et d’un peuple confrontés aujourd’hui à de graves périls régionaux et mondiaux.
Quant à l’analyse des évolutions, j’ai été frappé par le fait global suivant, qui dépasse le cadre du seul PAGS. Si on exclut les couches et cercles parasitaires, autoritaires et opportunistes, on peut considérer que toutes les composantes et forces vives politiques et sociales de la Nation ont été simultanément touchées dans leur ensemble et à des degrés divers, d’abord par les évolutions ascendantes puis par la dégradation générale survenue en Algérie. Jusqu’à sombrer, par étapes, vers la situation actuelle, face à des enjeux et processus internationaux et nationaux qui pour nombre de compatriotes paraissent inexplicables.
Que faut-il en penser si on ne veut pas rester prisonniers de la nostalgie des moments les plus fastes de notre Histoire, ou révulsés et tétanisés par les épisodes les plus sombres ?
Le premier quart de siècle après l’indépendance, comportait dans les couches sociales laborieuses et populaires des capacités potentielles importantes de mobilisations démocratiques et pacifiques, à l’encontre du grave préjudice porté à ce potentiel par les coups de force militaires de l’été 1962 et du 19 juin 1965. Malgré le néfaste système de répression et de caporalisation de la société et de la vie politique, un espace restait ouvert à d’importantes batailles de masse pacifiques pour imposer un contenu social et démocratique plus grand aux tâches d’édification nationales devenues objectivement nécessaires, y compris pour le système antidémocratique en place. Le rapport des forces international de cette époque et les vives aspirations des masses populaires, nourries aux espoirs engendrés par la guerre de libération, rendaient possible de mener ces luttes à grande échelle.
On sait l’importance stratégique des mesures de l’époque telles que nationalisations des grandes ressources naturelles, tombées auparavant dans les mains de grandes sociétés capitalistes étrangères, réforme agraire, mesures importantes dans les domaines de l’enseignement, de la santé, production industrielle, emploi, etc.
Contrairement aux affirmations officielles, elles n’avaient pas un caractère socialiste, et leur orientation comme leur application n’étaient pas exemptes de sérieuses contradictions et déformations. Mais elles avaient initié, malgré les dérives et les sabotages, un socle ou un poumon économique et social sur lequel l’Algérie a survécu jusqu’à ce jour, malheureusement de plus en plus précaire, pour toutes les raisons de classe et de prédation internationales et nationales bien connues. Il était vital pour les Algériens d’édifier un secteur d’Etat comme support et moteur d’une économie nationale productive, y compris pour le privé, au service de leur développement social et culturel.
C’est pourquoi au long de la décennie 70, le PAGS quoique clandestin et sévèrement réprimé, s’est honoré, en appui sur les travailleurs des villes et des campagnes, les étudiants et les cadres, de participer et d’appeler à une participation résolue à cet effort. Il le faisait non pour les beaux yeux du pouvoir, d’ailleurs divisé et en partie hostile à ces orientations, mais pour leur imposer, sur le terrain, un contenu démocratique et de classe plus favorable aux intérêts nationaux et populaires.
Des batailles mémorables et fructueuses ont été menées par les militants et militantes du PAGS avec la paysannerie (cf. le grand mouvement du volontariat), les travailleurs industriels, les syndicats et les associations de jeunes et de femmes en proie à la caporalisation, les cadres de l’économie et d’autres secteurs de l’activité nationale.
Cette position n’était pas incompatible, bien au contraire, avec la dénonciation et la résistance concrètes, tout aussi résolues, contre l’arbitraire du système répressif du parti unique. Le PAGS en souffrait lui-même et luttait, pied à pied, en actes et sur le terrain, pour arracher les libertés syndicales et démocratiques, faire reculer les manifestations d’intolérance et de régression culturelle et idéologique, combattre les remises en cause des acquis démocratiques et sociaux de l’indépendance, ainsi que le démantèlement du secteur d’Etat comme ce sera, de plus en plus, le cas dans les années 80 qui déboucheront sur le chaos tragique de la décennie suivante.
Malheureusement, le PAGS fut l’une des rares organisations à engager ce type d’efforts concrets à la base, avec les forces syndicales non domestiquées et quelques courants nationalistes ou personnalités minoritaires.
Les forces politiques les plus influentes dans l’opposition sont ainsi la plupart du temps passées à côté d’une grande bataille. L’une des raisons est que le champ politique était submergé par les positionnements « identitaires », dans les domaines linguistiques et religieux notamment, les différences de sensibilités idéologiques etc., que les tenants du pouvoir et les couches parasitaires leur opposaient. Ils attisaient et brandissaient en permanence ces diversions pour éluder les problèmes économiques et sociaux qui étaient au cœur de la question nationale à cette nouvelle étape.
La question reste d’une brûlante actualité. L’opposition conséquente à un pouvoir autoritaire ou illégitime n’est en aucune façon incompatible, bien au contraire, avec les efforts constructifs en direction de la société laborieuse et populaire, consistant à élever le niveau de conscience et la combattivité à la base pour faire émerger et converger des actions consensuelles autour des intérêts sociaux et nationaux communs. Avec le recul du temps et l’expérience, cette orientation se confirme aujourd’hui par les appels et les efforts plus nombreux visant à forger sur des bases de principe et dans l’action un « consensus national » qui contribue à sortir le pays d’une impasse aux contours tragiques.
Ce qui reste à faire, dans les années et décennies à venir, n’est pas des plus simples ou des plus faciles. En cela, l’expérience du PAGS elle aussi peut nous éclairer. Pas seulement par les élans et les luttes unitaires de masse qu’elle a suscitées, mais aussi, comme pour d’autres formations, par ses limites, ses défaillances ou ses erreurs d’appréciation dont la complexité des situations traversées n’était pas seule responsable.
On peut dire en effet que si par certains côtés ou à certains moments, cette expérience fut exaltante et exemplaire dans sa justesse, elle fut aussi limitée, entravée, inachevée ou même décevante dans d’autres rapports des forces nationales. Ce fut particulièrement le cas au début des années 90.
J’en ai tiré pour ma part deux enseignements de base, liés entre eux. Ils me paraissent expliquer les limites et les faiblesses constatées pour le PAGS, mais restent valables pour toute formation progressiste.
D’abord c’est l’intervention massive des composantes de l’Algérie profonde (et non le seul poids ou comportement des états-majors politiques) qui reste la condition sine qua non des changements substantiels souhaités. En même temps, pour que cette condition fructifie, une conscience politique et idéologique accrue est indispensable, autour de deux volets. Ce sont ces deux volets qui se sont avérés insuffisants chez tous les acteurs concernés, y compris pour le PAGS dont les efforts ont été pourtant notables dans ces deux directions.
Un demi-siècle a déjà passé depuis 1966, l’année de la proclamation du PAGS.
Chacun sait qu’une date anniversaire ne peut pas être l’occasion à elle seule d’alimenter des évocations multiples ou une réflexion approfondie.
C’est l’affaire, sur la longue durée, de tous ceux qui sont préoccupés par la continuité et l’avenir du mouvement social et démocratique algérien.
Pour aujourd’hui, je réduirai mon évocation à quelques réflexions que je crois essentielles pour l’avenir. Quant à des épisodes et problèmes non moins essentiels, il est possible de se référer à mes publications et interventions, dont nombre d’entre elles ont été consignées ou le seront plus tard sur mon site : socialalgerie
En fait, il ne s’agit pas seulement de l’Histoire du parti qui en 1966, dans des conditions minoritaires très difficiles et complexes nées du coup d’Etat du 19 juin 1965, a pris la relève du PCA, parti de classe, lui-même né trente ans auparavant (1936) et aguerri par les luttes de libération nationale.
Avec les 24 années d’action du PAGS et au-delà des débats et polémiques partisanes, il s’agit aussi en parallèle et en toile de fond, du devenir d’un peuple, d’un Etat, d’une société et d’organisations politiques et associatives. Après l’indépendance, tous ont d’abord vécu (jusqu’à 1990) un quart de siècle marqué d’espoirs ardents mêlés de contradictions et de sérieuses incertitudes, puis (après la disparition du PAGS) un nouveau quart de siècle jalonné de déceptions amères et cruelles.
En cette date symbolique de janvier 1966 et avant d’aborder le fond des basculements politiques et sociaux évoqués, le cœur et l’émotion sont les premiers à parler. Ma pensée et mes sentiments vont à tous les militants et militantes sincères et innombrables, souvent anonymes, qui ont partagé nos épreuves communes. Ils n’ont écouté que leur cœur et leur conscience, pour s’engager dans la cause de la justice et de la libération sociales.
Ils n’ont marchandé ni leur temps, ni leur santé, ni leur statut professionnel. Ils n’ont malheureusement pu protéger suffisamment le sort immédiat et à long terme de leurs familles et pour nombre d’entre eux jusqu’au sacrifice de leurs vies.
Dans des cercles très larges de travailleurs et d’intellectuels, ce patrimoine humain et politique d’abnégation a laissé des traces indélébiles dans les cœurs et les mémoires. Avec l’expérience et le recul du temps, il a laissé aussi, après coup, à de larges milieux des enseignements positifs ou critiques de plus en plus reconnus comme dignes de réflexion, pour l’avenir d’une nation et d’un peuple confrontés aujourd’hui à de graves périls régionaux et mondiaux.
Quant à l’analyse des évolutions, j’ai été frappé par le fait global suivant, qui dépasse le cadre du seul PAGS. Si on exclut les couches et cercles parasitaires, autoritaires et opportunistes, on peut considérer que toutes les composantes et forces vives politiques et sociales de la Nation ont été simultanément touchées dans leur ensemble et à des degrés divers, d’abord par les évolutions ascendantes puis par la dégradation générale survenue en Algérie. Jusqu’à sombrer, par étapes, vers la situation actuelle, face à des enjeux et processus internationaux et nationaux qui pour nombre de compatriotes paraissent inexplicables.
Que faut-il en penser si on ne veut pas rester prisonniers de la nostalgie des moments les plus fastes de notre Histoire, ou révulsés et tétanisés par les épisodes les plus sombres ?
Le premier quart de siècle après l’indépendance, comportait dans les couches sociales laborieuses et populaires des capacités potentielles importantes de mobilisations démocratiques et pacifiques, à l’encontre du grave préjudice porté à ce potentiel par les coups de force militaires de l’été 1962 et du 19 juin 1965. Malgré le néfaste système de répression et de caporalisation de la société et de la vie politique, un espace restait ouvert à d’importantes batailles de masse pacifiques pour imposer un contenu social et démocratique plus grand aux tâches d’édification nationales devenues objectivement nécessaires, y compris pour le système antidémocratique en place. Le rapport des forces international de cette époque et les vives aspirations des masses populaires, nourries aux espoirs engendrés par la guerre de libération, rendaient possible de mener ces luttes à grande échelle.
On sait l’importance stratégique des mesures de l’époque telles que nationalisations des grandes ressources naturelles, tombées auparavant dans les mains de grandes sociétés capitalistes étrangères, réforme agraire, mesures importantes dans les domaines de l’enseignement, de la santé, production industrielle, emploi, etc.
Contrairement aux affirmations officielles, elles n’avaient pas un caractère socialiste, et leur orientation comme leur application n’étaient pas exemptes de sérieuses contradictions et déformations. Mais elles avaient initié, malgré les dérives et les sabotages, un socle ou un poumon économique et social sur lequel l’Algérie a survécu jusqu’à ce jour, malheureusement de plus en plus précaire, pour toutes les raisons de classe et de prédation internationales et nationales bien connues. Il était vital pour les Algériens d’édifier un secteur d’Etat comme support et moteur d’une économie nationale productive, y compris pour le privé, au service de leur développement social et culturel.
C’est pourquoi au long de la décennie 70, le PAGS quoique clandestin et sévèrement réprimé, s’est honoré, en appui sur les travailleurs des villes et des campagnes, les étudiants et les cadres, de participer et d’appeler à une participation résolue à cet effort. Il le faisait non pour les beaux yeux du pouvoir, d’ailleurs divisé et en partie hostile à ces orientations, mais pour leur imposer, sur le terrain, un contenu démocratique et de classe plus favorable aux intérêts nationaux et populaires.
Des batailles mémorables et fructueuses ont été menées par les militants et militantes du PAGS avec la paysannerie (cf. le grand mouvement du volontariat), les travailleurs industriels, les syndicats et les associations de jeunes et de femmes en proie à la caporalisation, les cadres de l’économie et d’autres secteurs de l’activité nationale.
Cette position n’était pas incompatible, bien au contraire, avec la dénonciation et la résistance concrètes, tout aussi résolues, contre l’arbitraire du système répressif du parti unique. Le PAGS en souffrait lui-même et luttait, pied à pied, en actes et sur le terrain, pour arracher les libertés syndicales et démocratiques, faire reculer les manifestations d’intolérance et de régression culturelle et idéologique, combattre les remises en cause des acquis démocratiques et sociaux de l’indépendance, ainsi que le démantèlement du secteur d’Etat comme ce sera, de plus en plus, le cas dans les années 80 qui déboucheront sur le chaos tragique de la décennie suivante.
Malheureusement, le PAGS fut l’une des rares organisations à engager ce type d’efforts concrets à la base, avec les forces syndicales non domestiquées et quelques courants nationalistes ou personnalités minoritaires.
Les forces politiques les plus influentes dans l’opposition sont ainsi la plupart du temps passées à côté d’une grande bataille. L’une des raisons est que le champ politique était submergé par les positionnements « identitaires », dans les domaines linguistiques et religieux notamment, les différences de sensibilités idéologiques etc., que les tenants du pouvoir et les couches parasitaires leur opposaient. Ils attisaient et brandissaient en permanence ces diversions pour éluder les problèmes économiques et sociaux qui étaient au cœur de la question nationale à cette nouvelle étape.
La question reste d’une brûlante actualité. L’opposition conséquente à un pouvoir autoritaire ou illégitime n’est en aucune façon incompatible, bien au contraire, avec les efforts constructifs en direction de la société laborieuse et populaire, consistant à élever le niveau de conscience et la combattivité à la base pour faire émerger et converger des actions consensuelles autour des intérêts sociaux et nationaux communs. Avec le recul du temps et l’expérience, cette orientation se confirme aujourd’hui par les appels et les efforts plus nombreux visant à forger sur des bases de principe et dans l’action un « consensus national » qui contribue à sortir le pays d’une impasse aux contours tragiques.
Ce qui reste à faire, dans les années et décennies à venir, n’est pas des plus simples ou des plus faciles. En cela, l’expérience du PAGS elle aussi peut nous éclairer. Pas seulement par les élans et les luttes unitaires de masse qu’elle a suscitées, mais aussi, comme pour d’autres formations, par ses limites, ses défaillances ou ses erreurs d’appréciation dont la complexité des situations traversées n’était pas seule responsable.
On peut dire en effet que si par certains côtés ou à certains moments, cette expérience fut exaltante et exemplaire dans sa justesse, elle fut aussi limitée, entravée, inachevée ou même décevante dans d’autres rapports des forces nationales. Ce fut particulièrement le cas au début des années 90.
J’en ai tiré pour ma part deux enseignements de base, liés entre eux. Ils me paraissent expliquer les limites et les faiblesses constatées pour le PAGS, mais restent valables pour toute formation progressiste.
D’abord c’est l’intervention massive des composantes de l’Algérie profonde (et non le seul poids ou comportement des états-majors politiques) qui reste la condition sine qua non des changements substantiels souhaités. En même temps, pour que cette condition fructifie, une conscience politique et idéologique accrue est indispensable, autour de deux volets. Ce sont ces deux volets qui se sont avérés insuffisants chez tous les acteurs concernés, y compris pour le PAGS dont les efforts ont été pourtant notables dans ces deux directions.
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