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Le Japon relance la guerre des monnaies

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  • Le Japon relance la guerre des monnaies

    En appliquant aux dépôts un taux négatif, la banque du Japon a cherché - et réussi - à déprécier le yen. Un mouvement qui va nécessiter des répliques partout dans le monde et qui annonce un engrenage périlleux.

    La décision de la Banque du Japon (BoJ) d'imposer des taux négatifs - même selon une méthode plus modérée que la BCE ou la Banque nationale suisse - ouvre un nouveau chapitre dans la guerre des monnaies que le Japon avait lui-même lancé lorsque le nouveau premier ministre Shinzo Abe, en 2012, avait publiquement fait savoir qu'il chercherait à déprécier le yen.

    La BoJ dépassée !
    Le choix de l'arme utilisé ce 29 janvier par le gouverneur de la BoJ, Haruhiko Kuroda, n'est, en effet, pas anodin. Il est clair que la politique monétaire japonaise devait répondre à la détérioration des perspectives de l'économie nippone et, notamment, de l'inflation. La BoJ a revu sa prévision d'inflation de 1,4 % à 0,8 %. Surtout, les effets de sa politique d'assouplissement quantitatif de 80.000 milliards de yens (607 milliards d'euros) par an commencent à s'essouffler sur le marché des changes. Logique, car la BoJ, longtemps en pointe dans les politiques expansionnistes s'est fait dépasser par la BCE et ses 720 milliards d'euros de rachats annuels alliés à des taux négatifs.

    Freiner la hausse du yen

    Le yen avait ainsi recommencé à s'apprécier, faisant encore pression sur les perspectives d'inflation. Face au dollar, le yen avait gagné 6 % en trois mois. Face à l'euro, le gain était encore plus fort, de près de 9 %. Pour les exportateurs japonais, dans un contexte de ralentissement du commerce mondial, ces appréciations étaient une catastrophe et ne pouvait que peser sur les perspectives des entreprises. Impossible alors pour la BoJ d'espérer obtenir un regain d'investissement et surtout une hausse suffisante des salaires dans ces conditions. L'ajustement du yuan chinois à la pression à la baisse des marchés a encore rajouté une pression supplémentaire à Haruhiko Kuroda. La Chine est le client principal de l'Empire du Soleil Levant. Il fallait donc réagir avec un geste assez fort pour peser rapidement et durablement sur le yen.

    Une décision symbolique, mais indispensable

    Dès lors, l'arme du taux négatif était devenue indispensable. Rajouter des yens aux rachats de titre aurait été considéré sur les marchés comme un simple ajustement. Rajouter une arme est un signe plus fort, c'est faire rajouter de l'assouplissement « qualitatif » à l'assouplissement « quantitatif. » C'est aussi se donner une arme que d'autres banques centrales ont déjà acquise. C'est le signe que la BoJ étend son arsenal dans la guerre des monnaies et se dote de tous les moyens disponibles. Lorsque le taux de refinancement est nul, jouer sur les taux pour faire baisser sa monnaie passe par les taux de dépôts. La BoJ l'affirme donc crânement : elle n'est plus l'arme au pied : elle agit et peut encore agir davantage. Les marchés doivent en prendre compte et, logiquement, le yen s'est vendredi fortement déprécié.

    Le caractère symbolique de cette décision est évident : la BoJ est très prudente. Elle ne frappe du taux négatif de 0,1 % que les réserves excédentaires nouvelles, tandis que les réserves obligatoires demeurent non rémunérées et que les réserves excédentaires actuelles sont toujours rémunérées 0,1 %. L'idée de Haruhiko Kuroda est donc de préserver pour le moment les banques et c'est donc moins un effet réel direct sur l'économie qu'un effet psychologique sur les marchés qu'a visé la BoJ.

    Pékin pris en étau

    Ce symbole ne doit pas être négligé : il annonce la volonté de Tokyo de contre-attaquer dans la guerre des monnaies. Et, de fait, désormais, la tâche des autres banquiers centraux va être plus complexe. A Pékin, les autorités tentent d'éviter la dégringolade du yuan, mais avec cette décision nippone, leur tâche va devenir plus malaisée. Les entreprises chinoises risquent de peiner davantage sous le poids du yuan fort. La tentation de laisser glisser encore le yuan sera donc considérable. Entre Pékin et Tokyo, les autres émergents d'Asie orientale, Taïwan, Corée du Sud ou Indonésie, vont être tentés de répliquer pour ne pas subir le contrecoup de cette bataille des devises. La guerre des monnaies est clairement relancée par cette décision. Rien de plus normal : lorsque le gâteau de l'inflation et de la croissance mondiale se réduit, on se montre d'autant plus agressif pour conserver sa part et l'augmenter.

    La Fed piégée

    De fait, la BCE et la Fed seront également interpelées par cette décision japonaise. Cette baisse du yen et l'éventuelle baisse du yuan qui en découlera ne pourront pas rester sans conséquences sur le dollar et la croissance américaine, qui, précisément, vient de s'affaiblir. La Fed pourra-t-elle demeurer le dindon de la farce de la guerre des monnaies au nom de la nécessité théorique de durcir sa politique monétaire ? Mais si elle dévie de sa trajectoire, les autres banques centrales devront se montrer encore plus actives pour empêcher l'affaiblissement du dollar.

    La BCE va devoir réagir

    De son côté, Mario Draghi pourra, en mars, se prévaloir de la décision de la BoJ pour obtenir du Conseil des gouverneurs un nouvel assouplissement de sa politique. Certes, le yen ne pèse que pour 5,5 % des échanges commerciaux de la zone euro, mais la perspective d'une relance de la guerre des monnaies ne peut qu'encourager la BCE à conserver son avance. Francfort ne saurait se permettre de voir l'euro s'apprécier face aux principales monnaies. En 2015, l'affaiblissement de l'euro a permis de gagner un point d'inflation et, donc, d'éviter une inflation négative fort dangereuse. Si cet effet disparait, la BCE risque de se retrouver désarmée pour relancer l'activité et les prix. Les effets de sa politique de rachat ne sont certes pas nuls, mais, comme pour la BoJ, ils s'essoufflent. La croissance des crédits en zone euro en décembre a commencé à se ralentir, c'est un signe inquiétant pour Mario Draghi.

    Décision lourde de conséquences

    On le voit, la décision japonaise, quoique limitée concrètement, ne sera donc pas sans conséquence. L'histoire - courte - des assouplissements quantitatifs montre que les effets des annonces et même des actes plus concrets demeurent toujours limités dans le temps sur le marché des changes. Ce dernier va donc demander à coup sûr de nouveaux gages à la BoJ, autrement dit soit un élargissement de ce taux négatif, soit un taux encore plus négatif. Déjà, les observateurs attendent une nouvelle baisse en juillet... Haruhiko Kuroda a mis le doigt dans un engrenage qui pourrait entraîner le monde entier. Et laisser peu de gagnants, car au petit jeu de la guerre des monnaies généralisée, les vainqueurs ont souvent des airs de vaincus. Et pourtant, ne pas combattre est impossible.


    la tribune
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