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Attentat terroriste à la voiture piégée Il y a 20 ans, la presse frappée au cœur

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  • Attentat terroriste à la voiture piégée Il y a 20 ans, la presse frappée au cœur

    Attentat terroriste à la voiture piégée
    Il y a 20 ans, la presse frappée au cœur





    Dimanche 11 février 1996. 21e jour du Ramadhan. Il est un peu plus de 15h. Un fourgon Master explose aux abords de la Maison de la presse Tahar Djaout, à l’orée du quartier populaire de Belcourt, pulvérisant tout sur son passage


    La déflagration a l’effet d’un séisme de magnitude 9 sur l’échelle de la terreur. Dar Essahafa, cible désignée des terroristes, est sévèrement touchée, de même que les immeubles et les commerces alentour. Un premier bilan fait état de 18 morts, chiffre qui sera rapidement revu à la hausse. La majorité des victimes sont à déplorer parmi les automobilistes et les passants qui étaient à proximité de la voiture piégée, à une heure où le trafic est particulièrement dense. A l’intérieur de la Maison de la presse, un spectacle de guerre. Des scènes de fin du monde. «On avait l’impression d’avoir survécu à un tremblement de terre ou bien à un bombardement», écrivait Omar Belhouchet dans El Watan du lendemain.

    Le Soir d’Algérie est sans doute celui qui a le plus accusé le coup : ses locaux sont quasiment réduits en poussière par le souffle de l’explosion. Dans la foulée, le grand journal populaire du soir perdait trois de ses piliers, retirés douloureusement des décombres : Allaoua Aït Mebarek, directeur de la rédaction, Mohamed Dorbhan, alias Tewfik Dahmani, chroniqueur, et Djamel Derraza, cruciverbiste, animateur de la page «Détente», très appréciée par les lecteurs.

    Allaoua, Mohamed Et Djamel Rejoignent Yasmina

    Ils rejoignaient Yasmina Drissi, correctrice dans le même quotidien, assassinée à Rouiba le 12 juillet 1994. D’ailleurs, en pénétrant dans les locaux du Soir d’Algérie aujourd’hui, c’est le portrait de Yasmina qui vous reçoit en premier, trônant en haut du long couloir transversal qui relie la salle de rédaction à la PAO. Le portrait de Yasmina Drissi est escorté par ceux des trois autres martyrs du journal. L’émotion ne manque pas de nous submerger en les regardant.

    Outre Le Soir d’Algérie, les autres journaux domiciliés à La Maison de la presse ont tous eu leur lot de dégâts : Alger-Républicain, Le Matin, L’Opinion… C’est l’apocalypse. Depuis l’assassinat de Tahar Djaout le 26 mai 1993, la liste des journalistes ciblés par la furie meurtrière du GIA et consorts ne faisait que s’allonger, atteignant 76 journalistes et autres travailleurs des médias assassinés jusqu’à la veille de ce carnage, le dernier étant Abdallah Bouhachek, journaliste à l’hebdomadaire Révolution et Travail (l’organe de l’UGTA), assassiné le 10 février 1996 à Blida.

    Avec cet attentat, l’horreur franchissait un palier en s’engouffrant sauvagement dans les rédactions. Notons toutefois qu’il y avait eu un précédent avec l’attaque armée contre L’Hebdo Libéré – le journal du défunt Abderrahmane Mahmoudi – à la rue Ahcène Khemissa (ex-rue Hoche). C’était le 21 mars 1994. L’attaque avait fait deux morts, en l’occurrence Madjid Yacef, reporter-photographe, et Rachid Benhaddou, chauffeur.

    «Une Bombe ! C’est Une Bombe !»

    Dans son livre Journalistes algériens (1988-1998). Chronique des années d’espoir et de terreur (éditions Chihab, 2005), notre ami Lazhari Labter, alors journaliste à L’Opinion, livre son propre témoignage de ce «bloody Sunday». Extrait : «15h. Je ne comprends pas. Je sais seulement que quelque chose de terrible vient d’arriver.

    Un séisme, me dis-je en mon for intérieur. Tout se passe en une fraction de seconde. Les doigts croisés, je plaque mes mains sur ma tête de toutes mes forces et je plonge entre deux bureaux. Je ne comprends pas encore. J’ai seulement l’impression que le ciel m’est tombé sur la tête. J’entends des bruits de fracas, des cris et des hurlements. Au bout de quelques secondes, je me lève, hébété, seul dans un décor de cauchemar. Ce qui était un bureau il y a quelques secondes à peine, ressemble maintenant à un champ de ruines. Je ne réalise pas encore.

    Je sens sur mon visage et mes mains la chaleur moite du sang qui coule. Je pense toujours à un tremblement de terre, mais la réponse me vient du couloir où quelqu’un crie de toutes ses forces : «UNE BOMBE ! C’EST UNE BOMBE !» (p. 168). Lazhari poursuit : «Dans l’étroit couloir encombré par les bureaux, les machines du telex et les gravats de toutes sortes, j’essaie péniblement de me frayer un passage vers la sortie. Au dehors, j’entends les hurlements, les cris, les pleurs. Une fois en bas, à l’extérieur, dans la cour de la Maison de la presse, un spectacle d’horreur digne des films d’épouvante s’offre à mes yeux éberlués.

    Des hommes et des femmes, hébétés, choqués, chancelants, titubants, errent dans tous les sens. Des cris hystériques se font entendre. Je jette un coup d’œil sur ce qui était quelques minutes auparavant mon bureau. Un saccage. Toutes les vitres ont volé en éclats. Les montants des fenêtres et des portes se sont descellés. Le plâtre, les planches, les gravats, recouvrent tout. Plus rien. Des blessés sont dirigés vers les voitures des volontaires rescapés. Du sang sur les visages, sur les mains. Les uns pleurent doucement, les autres gémissent. Comme des fantômes, beaucoup déambulent sans but précis. Quelqu’un me prend par la main : «Tu es blessé, il y a de la place dans cette voiture, va à l’hôpital !» «Non merci, je n’ai rien, ce n’est pas grave.»

    «Dorbhan est mort !»

    Dans la confusion et le chaos ambiants, toute l’attention est fixée sur les décombres qui fument et les corps tirés de la gueule de l’enfer.
    On s’accroche à la moindre lueur d’espoir jusqu’à ce que le verdict implacable du destin tombe. Lazhari est assommé d’apprendre : «Dorbhan est mort !» «La macabre nouvelle, l’incroyable nouvelle fait très vite le tour de la Maison de la presse.

    Personne ne veut y croire. Je ne veux pas y croire. Mohamed, mon ami, l’ami de tous, ne peut pas mourir. C’est une erreur, une méprise, ce n’est pas possible !» Les mauvaises nouvelles s’enchaînent à mesure que surgissent les noms des confrères, plutôt des frères, happés par la mort : «[…] Transféré à l’hôpital Mustapha Bacha, le corps de Allaoua est finalement identifié.

    La bombe a fait trois morts, trois journalistes du Soir d’Algérie, des dizaines de blessés plus ou moins graves et des dégâts matériels considérables. A l’extérieur, sur la rue Hassiba Ben Bouali, c’est pire. Un carnage. 18 citoyennes et citoyens morts, carbonisés dans leurs voitures, désintégrés par le souffle ou projetés violemment contre les murs. Parmi eux, Naïma Illoul, 22 ans, technicienne à la télévision algérienne», énumère, la mort dans l’âme, l’ancien chef du bureau d’Alger de la Fédération internationale des journalistes.

    «Il fallait impérativement que le journal sorte !»

    Le cœur serré, nous passons en revue la «collection» d’El Watan de l’époque, l’un des rares journaux en mesure de paraître. «CARNAGE à ALGER» titrait le journal en une. La manchette est accompagnée d’une photo de corps en lambeaux sur fond de champignon de fumée noire. Ce 12 février 1996, point de Soir d’Algérie dans les kiosques. Le Matin et L’Opinion manqueront également à leurs lecteurs. Ils font paraître chacun une page dans les journaux amis, pages confectionnées dans des conditions épiques, au milieu des décombres.
    Tous les journaux sinistrés tenaient ainsi à marquer le coup. Le message est clair : signifier aux assassins qu’il n’était pas question de céder à la peur, à la panique, à l’abattement.

    Il ne fallait surtout pas laisser la place «sémantiquement» et «éditorialement» vide. Passée la sidération, l’action ! «J’ai réuni l’équipe, j’ai dit aux collègues : vous rentrez chez vous, vous mangez un morceau et vous revenez après le f’tour», témoigne Omar Belhouchet. Le directeur d’El Watan s’était rendu peu avant l’attentat à Blida pour assister à l’enterrement de Abdallah Bouhachek assassiné la veille, comme nous l’indiquions tantôt. «A mon retour, je découvre l’horreur. Tout un pan de mon bureau s’était effondré», confie M. Belhouchet.

    Malgré la violence du choc, l’émotion, la peur, la terreur, la destruction de notre outil de travail, oui, il fallait continuer, écrire, témoigner, créer. En un mot : résister ! «Nous avons travaillé dans des conditions très difficiles jusque tard dans la nuit. Le courant électrique était coupé. Plusieurs services ont été touchés. Il fallait impérativement que le journal sorte. Il fallait continuer le combat. Pas question d’abdiquer !» martèle M. Belhouchet qui garde un souvenir vivace du courage dont firent preuve les collègues femmes d’El Watan. «Après le f’tour, les trois quarts des membres du personnel qui étaient revenus c’étaient des femmes», tient-il à souligner en guise d’hommage.

    Mohamed Tahar Messaoudi, rédacteur en chef d’El Watan à l’époque, abonde dans le même sens : «Nos collègues femmes ont été extraordinaires de courage et d’abnégation. C’est quelque chose que je ne suis pas près d’oublier : malgré la peur, malgré le fait qu’elles avaient des responsabilités familiales, surtout en période de Ramadhan, elles ont laissé leur famille, elles ont bravé la terreur et sont revenues pour faire le journal. Nous avions bouclé très tard cette nuit-là, et elles sont restées jusqu’au bout !»

    (à suivre)
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

  • #2
    attentat terroriste ( suite et fin)

    «L’aventure intellectuelle» assassinée

    Quelques jours après l’attentat, un engin de travaux publics achevait de raser les derniers pans encore debout du Soir d’Algérie. Une page se tournait, s’arrachait brutalement, dans la jeune histoire du Soir, mais aussi de la presse post-88. C’est d’autant plus symbolique que le Soir d’Algérie fut le premier fleuron de cette nouvelle ère flamboyante et féroce. Le numéro «zéro» sortit de l’imprimerie le 3 septembre 1990. Fouad Boughanem, l’un de ses membres fondateurs, actuellement directeur de la publication du journal, se remémore avec tendresse de ces jours impétueux où les anciens journalistes du secteur public quittaient massivement leurs organes respectifs pour fonder leurs propres journaux.

    C’était l’âge d’or de ce que l’on appelait poétiquement «l’aventure intellectuelle». Le doyen de la presse indépendante avait été créé à l’initiative de cinq journalistes, majoritairement issus du quotidien Horizons : Zoubir Souissi, Fouad Boughanem, Maâmar Farah, Djamel Saïfi et Mohamed Bedrina. «Zoubir était à l’APS, mais faisait des chroniques à Horizons», précise M. Boughanem. A ses débuts, le journal était hébergé dans les locaux d’Astein, groupe informatique fondé par Mustapha Chaouche et basé à Birkhadem. «Quand nous avons décidé de nous lancer dans cette aventure, nous n’étions pas préparés pour fonder une entreprise. Dans notre esprit, créer des journaux, c’était l’affaire des forces de l’argent.

    On nous disait qu’il fallait que le journal soit adossé à une entreprise. Mais la gestion, tenir une comptabilité, ce n’était pas notre truc», avoue Fouad Boughanem dans un sourire. Le directeur du Soir évoque, au passage, l’état d’esprit qui animait la rédaction en ces temps prométhéens : «Il y avait une belle euphorie à l’époque ! Il n’y avait pas de hiérarchisation. Il y avait une osmose au sein de l’équipe entre les anciens et les nouveaux. Celui qui avait trois minutes dans la profession était considéré au même titre que celui qui avait trente ans de métier.

    Nous étions tous journalistes. Il y avait de la passion, de la conviction, de l’adrénaline. Et face à l’adversité, il y avait beaucoup de solidarité.» Et voilà que tout partait en fumée en ce dimanche barbare. «Ce sont surtout les pertes humaines qui étaient les plus cruelles ! C’était terrible ! Avec Allaoua, Mohamed, Djamel, nous formions une famille. Nous avions des rapports très affectueux», soupire Fouad Boughanem.

    Du scotch sur la bouche pour accueillir Ouyahia

    Pour le directeur de la publication du Soir d’Algérie, il ne fait aucun doute que ce 11 février 1996, «on a voulu faire taire la presse, car elle était majoritairement anti-intégriste. C’est seulement après le 11 septembre qu’on a pris la mesure, en Occident, de la nature réelle de l’intégrisme. Avant, ils disaient : ‘‘oh, ce sont des règlements de comptes entre la presse et les islamistes’’. Maintenant, tout le monde sait qu’on a affaire à des gens sans foi ni loi».

    Devenue SDF, l’équipe du journal est hébergée provisoirement dans une salle contiguë à la rédaction d’El Watan. Un placard est publié dans la presse peu après l’Aïd : «En hommage à nos martyrs, pour répondre aux innombrables demandes de nos lecteurs, grâce à la solidarité de nos confrères et amis, grâce au courage de toute l’équipe du journal, Le Soir d’Algérie reparaîtra à partir de samedi 24 février 1996.»
    Chose promise, chose due : le 24 février, Le Soir retrouvait enfin ses lecteurs. Le 31 mars 1996, Ouyahia venait inaugurer les nouveaux locaux du journal, construits en préfabriqué.

    Il est reçu par des journalistes en colère, formant une chaîne humaine, un ruban de scotch sur la bouche pour dire leur indignation face à la précarité générale qui frappait la profession. «Vous en connaissez beaucoup de journalistes, aujourd’hui, capables de mettre du scotch sur leur bouche pour dénoncer leurs conditions de travail ?» s’interroge Fouad Boughanem, avant de lancer : «Les temps ont changé. C’est une question de mentalité. C’est peut-être la fin d’un cycle. Aujourd’hui, n’importe qui peut s’improviser journaliste. Il en est que vous pourriez acheter avec un simple téléphone portable. Il y a encore quelques journaux qui peuvent dire les choses, le reste est normalisé.»

    En regardant dans le rétroviseur et en contemplant les portraits de Yasmina, Allaoua, Mohamed, Djamel, qui semblent veiller affectueusement de là où ils sont sur la rédaction, Fouad Boughanem ne peut qu’éprouver un sentiment de fierté. La fierté du devoir accompli avec courage et humilité, même si le tribut payé fut très lourd. «Malgré tout, je peux dire que nous avons traversé la période du terrorisme avec un minimum de dignité», insiste-t-il. «Ce métier, on ne l’a pas trahi, on ne l’a pas traîné dans la boue. Nous avons fait notre travail avec honneur et patriotisme !» 


    El Watan
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    • #3
      Récit d'un rescapé


      Témoignage de Mounir Abi, rescapé de l’attentat




      Mounir Abi est un véritable miraculé, lui qui revenait d’entre les morts en cet effroyable 11 février 1996. Il avait intégré Le Soir en 1991, alors qu’il était encore étudiant en biologie à l’université de Bab Ezzouar (USTHB).


      Mounir était surtout connu à l’époque comme dessinateur de presse. Il a même eu droit aux éloges appuyés de l’immense Ali Dilem qui nous a reçus tous les deux fort généreusement chez lui le 13 janvier dernier. Un talent de dessinateur auquel Mounir devait associer un peu plus tard des qualités de rédacteur et de reporter casse-cou. Aujourd’hui, il officie comme chef de la rubrique internationale au quotidien Le Temps d’Algérie.

      A 48 ans, Mounir garde intact son regard tendre et sa dégaine dégingandée de rêveur impénitent perdu dans le siècle. Et chaque fois que nous avons le plaisir de le croiser, c’est toujours le même effet, le même bonheur de pouvoir l’alpaguer d’une accolade fraternelle, n’ayant jamais assez de gratitude pour la Providence de le compter encore parmi nous.

      Au lendemain de l’attentat, sa photo faisait la une de l’unique page de L’Opinion parue ce 12 février 1996 dans la presse solidaire. On y voit Mounir évacué sur une civière, le visage ensanglanté, les yeux roulant dans le vide, dans un décor de guerre. Vingt ans plus tard, il se pointe à notre rendez-vous avec une photographie dans la poche où est reproduite la même scène prise d’un autre angle. A voir la tête qu’il avait, on a de la peine à croire qu’il s’agit de la même personne tant, à première vue, il ne présente aucune séquelle physique, visible, de ce moment infernal. Mounir raconte : «Ce jour-là, j’étais dans la rédaction. Il y avait

      Djamel, Allaoua et Mohamed Dorbhan. Il y avait d’autres collègues dans les autres services. Mais, fort heureusement, beaucoup étaient sortis faire les traditionnelles courses du Ramadhan. A un moment donné, Mohamed me dit : ‘‘Je dois sortir acheter des brioches pour mes enfants si tu veux m’accompagner’’. On est allés dans une boulangerie-pâtisserie à Belcourt, on a acheté des brioches et on est revenus aussitôt sur nos pas. Allaoua s’affairait dans le coin telex à trier les dépêches.

      Djamel était planché sur sa page Détente. Je me dirigeais vers Allaoua qui me lançait : ‘‘Ah ! El-Fawdha, rak h’na ? (tu es là, l’anarchie ?) Il nous appelait El-Fawdha, tu te souviens ? J’ai fait quelques pas vers lui. Il y avait quoi, 50 cm entre nous ? Et là, il y a eu l’explosion. Je ne me rappelle de rien après. La vitesse du souffle est supérieure à la vitesse du son, ce qui fait que je n’ai pas entendu la déflagration. Tu ressens comme une décharge électrique mais d’une puissance de millions de watts. J’ai perdu connaissance sur le coup.»

      Un bout de métal dans la poitrine

      Mounir jette un regard furtif sur la photo qu’il tient dans sa main et poursuit : «Quand je suis revenu à moi, j’entendais des cris, des pleurs… J’ai compris que quelque chose de grave s’était produit. Mais je ne savais pas où j’étais, qui j’étais, où je travaillais… J’ai su plus tard que je suis resté inconscient pendant environ une demi-heure. J’ai eu une perte totale de mémoire.

      J’étais recouvert de gravats jusqu’au cou. Miracle de Dieu : je suis asthmatique, donc au départ déjà j’ai un problème respiratoire. Même en temps normal, je respire mal. Imagine quand tu es enseveli sous les décombres. J’aurais pu mourir asphyxié là-dedans. C’était le chaos total. J’ai tenu le coup et je me suis mis à crier pour être localisé.

      Des sapeurs-pompiers ont accouru. Dès que j’ai été évacué, j’ai sorti par réflexe ma pompe Ventoline qui ne me quitte jamais.» Quand Mounir eut repris ses esprits, son angoisse était de ne pas sentir son corps. «Lorsque j’étais sous les décombres, mon corps ne répondait plus. J’avais peur au moment d’être retiré de découvrir que j’avais un bras ou une jambe qui manquait.» Mounir Abi s’en tire tout de même avec des contusions sur tout le corps, des entailles plus ou moins profondes, des éclats de verre et de métal, dont certains sont incrustés dans sa peau à ce jour.

      «J’ai été évacué à l’hôpital Mustapha où j’ai subi deux opérations sur-le-champ : l’une au service traumato, pour me retirer une tige de fer de la hanche, l’autre au service ophtalmo pour m’enlever des débris de verre que j’avais dans l’œil gauche. Il me reste un bout de métal toujours collé au thorax.

      Les médecins ont préféré ne pas y toucher en espérant qu’il soit éjecté par le corps.» Le plus dur, confie Mounir, c’était d’apprendre la terrible nouvelle : «A l’hôpital, on m’a caché le fait qu’il y avait des morts, que des collègues manquaient à l’appel. J’ai appris la nouvelle tard le soir. Je suis tombé dans le coma jusqu’au matin. Je n’ai pas supporté le choc. C’était un moment aussi terrible pour moi que l’attentat lui-même. La perte de Allaoua, Djamel et Dorbhan, ça m’a dévasté. Avec leur disparition, il y a une partie de toi qui est morte. La vie, le journal sans eux, c’était insupportable.»

      «Deux semaines après l’attentat, j’ai repris du service»

      Après une semaine passée à l’hôpital Mustapha, Mounir poursuit sa convalescence chez lui, avec obligation de subir régulièrement des contrôles médicaux. «Mais je ne suis jamais revenu à l’hôpital», ricane-t-il. «On m’a remis un arrêt de travail de 21 jours. Mais je ne pouvais pas attendre. Deux semaines après l’attentat, je reprenais du service.

      Il me tenait à cœur de replonger dans le travail, sans quoi j’aurais sombré dans la dépression en ruminant mes pensées noires. Les premiers mois, je faisais des cauchemars. Pendant un temps, j’ai développé une phobie : je voyais des voitures piégées partout. Quand je flânais à Alger, je faisais très attention aux voitures suspectes.» Mounir retrouve ainsi la Maison de la presse. Mieux : il se convertit en reporter, spécialité terrorisme.

      Pour lui, c’était la meilleure des catharsis. «Peu après ma reprise, il y avait eu un attentat et je tenais absolument à le couvrir. Après, j’ai couvert d’autres attentats terroristes. Je prenais parfois des risques insensés. J’avais besoin de replonger là-dedans pour transcender le traumatisme. Il fallait que j’écrive sur ça pour dépasser ma douleur. Dans ma tête, les victimes de ces attentats, c’étaient tous des Allaoua, Mohamed et Djamel. Que ce soit par l’écrit ou par le dessin, c’était pour moi un moyen de dénoncer ces criminels et de défendre la mémoire des victimes.»

      «Le danger qui pesait sur nous soudait la profession»

      Mounir a une pensée affectueuse pour chacun de nos frères disparus : «Allaoua, c’était notre ange gardien. Jamais il ne m’a engueulé, jamais il ne m’a censuré. Il te fait parfois de petites remarques mais sans jamais te froisser. Dorbhan, c’était un excellent chroniqueur et un excellent dessinateur. Avant, je le connaissais surtout comme caricaturiste.

      Ses chroniques au ‘‘kalbellouz’’ (allusion à sa fameuse chronique intitulée : Bloc-Notes : Journaux-Pub-Télé-Kalbellouz, ndlr) faisaient fureur. Avec ça, c’était quelqu’un de très discret, très modeste. Djamel, lui, quand il n’était pas à l’hôpital (Djamel Derraza travaillait à l’hôpital de Koléa), il était avec nous. Il se plaisait tellement au journal. J’avoue que je n’ai jamais réussi à remplir une seule grille de ses mots croisés (sourire). Derraza, Allaoua, Dorbhan... C’était une équipe formidable. Ce sont des gens qu’on ne peut pas oublier.

      Quand tu as connu des personnes de cette qualité-là, tu deviens nécessairement modeste. Je ne pèse rien par rapport à eux, j’essaie au moins de leur ressembler. De m’inspirer d’eux.» Sans tomber dans le «nostalgisme», Mounir repense à ces années-là avec un brin de mélancolie songeuse : «On vivait notre métier avec passion. Aujourd’hui, ce n’est plus la même ambiance. Le danger qui pesait sur nous soudait la profession. Il y avait de la solidarité. Je suis avec toi, à la rédaction, on ne savait pas si on allait se revoir le lendemain ou pas. Personne n’était sûr de son destin.

      Et cela fait qu’il y avait beaucoup d’humanité, beaucoup de bienveillance entre nous. La vie était précieuse. Et les gens étaient précieux. Nous étions forcément chers les uns au regard des autres. Les moments difficiles faisaient en sorte que l’on prenait soin l’un de l’autre. On se battait pour la même cause. Aujourd’hui, peut-être qu’avec l’amélioration de la situation sécuritaire, les choses ont changé, je ne sais pas.

      En tout cas, c’était une époque intense.» A-t-il songé à s’exiler après l’attentat ? «Non, ça ne m’a jamais effleuré l’esprit !», rétorque-t-il sans ciller. «Cela voudrait dire que les autres ont gagné. Je l’aurais vécu comme une forme de trahison. Je me dis : nous avons partagé le même destin, il faut le vivre jusqu’au bout ! Pourtant, on m’avait proposé de partir. Une chaîne allemande m’avait offert de me prendre en charge pour des soins à l’étranger, j’ai refusé. Je leur ai dit : nous avons de bons médecins dans mon pays, merci.»

      Mustapha Benfodil
      " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

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      • #4
        Les memes barbares qui ont frappé Paris il y a 21 ans, et 20 ans après en visant Charlie Hebdo et le bataclan. Il y a 20 ans dans le Londonistan les porte paroles des barbares avaient commencé à recruter les avocats kitukistes. En 2016 les barbares sont encore plus nombreux en dehors de l'Algérie depuis le chaos causé par Bush en Irak et par "les amis de bhl" en Libye. L'armée algérienne reste très mobilisée aux frontières avec la Libye.
        Dernière modification par panshir, 11 février 2016, 17h22.

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        • #5
          Que ceux qui ont choisi un soit disant exil à cause des menaces de mort proférées par les barabares, et qui se sont avérés de simples instruments entre les mains des français pour accuser l'ANP d'être à l'origine de tous les massacres méditent sur ce passage .


          En tout cas, c’était une époque intense.» A-t-il songé à s’exiler après l’attentat ? «Non, ça ne m’a jamais effleuré l’esprit !», rétorque-t-il sans ciller. «Cela voudrait dire que les autres ont gagné. Je l’aurais vécu comme une forme de trahison. Je me dis : nous avons partagé le même destin, il faut le vivre jusqu’au bout ! Pourtant, on m’avait proposé de partir. Une chaîne allemande m’avait offert de me prendre en charge pour des soins à l’étranger, j’ai refusé. Je leur ai dit : nous avons de bons médecins dans mon pays, merci.»
          " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

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          • #6
            ca fait froid dans le dos ... rébi yerhamhoum wa ywasa3 3lihoum
            وقد طوَّفتُ في الآفاق حتى رضيتُ من الغنيمة بالإيابِ

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            • #7
              Le passé est passé, je ne vois pas pourquoi on veut retourner le couteau dans la plaie oeilfermé, on doit oublier les mauvais souvenirs sans être amnésique à ces douloureux événements qui touchent aujourd'hui l'europe en particulier la france malheureusement .
              Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre.
              (Paul Eluard)

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              • #8
                on doit oublier les mauvais souvenirs
                Tu croient que les familles des victimes des barbares vont oublier ?

                Surtout lorsque ceux-ci à l'instar de mezrag se pavanent dans les rues ,avec des avantages que n'ont pas ces familles .
                " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

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                • #9
                  Tu croient que les familles des victimes des barbares vont oublier ?
                  je ne parle pas des familles des victimes , ceci est un autre problème et une autre discussion , tu confond tout, je veut parler du douloureux événement en lui même c'est différent , et dont les plaies ne sont pas encore refermées dans nos mémoires.

                  Cela dit, ces barbares qui ont tué des innocents vont payer très cher dans l'au-delà (même s'ils font 100 haddjates à la mecque ) et même s"ils se pavanent aujourd'hui comme tu dis et ils n'auront jamais la conscience tranquille crois-moi idem pour ceux qui les ont réhabilité dans la société .
                  Dernière modification par ACAPULCO, 11 février 2016, 19h29.
                  Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre.
                  (Paul Eluard)

                  Commentaire


                  • #10
                    e ne parle pas des familles des victimes , ceci est un autre problème et une autre discussion , tu confond tout, je veut parler du douloureux événement en lui même c'est différent ,
                    Donc selon toi qui doit oublier ?

                    Les autorités ?elles ont absous les barbares ;

                    Alors qui ?
                    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

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                    • #11
                      Demande au DRS qui a tué ses journalistes et autres
                      les temoignages sont là.L'epoque de coller tous aux islamistes est revolue.

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                      • #12
                        Allah yarhamhoum, paix à leur âmes,

                        Ca fait partie de l'histoire algérienne, ces horreurs qui certains algériens peuvent faire à leurs frères il ne faut jamais pas les oubliés, merci pour le rappel

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                        • #13
                          demande au drs qui a tué ses journalistes et autres
                          les temoignages sont là.l'epoque de coller tous aux islamistes est revolue.
                          +1000
                          أصبحنا أمة طاردة للعلماء مطبلة للزعماء

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                          • #14
                            19 ans avant Charlie Hebdo.
                            Les médias internationaux diront que l’attentat est un règlement de compte entre journalistes et islamistes, sans pointer du doigt le terrorisme islamiste. Les victimes viendront rallonger la longue liste des martyrs que l’Algérie a donné en combattant l’intégrisme et le terrorisme, seule au monde.
                            Le GIA revendiquera plus tard cet acte ignoble a partir de Stockholm, devant un silence assourdissant des gouvernements occidentaux.

                            Reposez en paix, on ne vous oublie pas.
                            عيناك نهر من جنون... عيناك أرض لا تخون

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                            • #15
                              Le GIA revendiquera plus tard cet acte ignoble a partir de Stockholm, devant un silence assourdissant des gouvernements occidentaux.
                              Demandez a leurs proches ce qu ils en pensent
                              tout le monde sait que les GIA sont une création dont le principal but est de terroriser la population et discréditer l autre partie



                              PS : a partir de n importe quelle capitale n importe qui peut revendiquer, ça c est une autre facette de la guerre
                              Dernière modification par DocRemady, 12 février 2016, 14h11.
                              أصبحنا أمة طاردة للعلماء مطبلة للزعماء

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