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Lettre à un ami étranger... par Kamel Daoud

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  • Lettre à un ami étranger... par Kamel Daoud

    Cher ami. J'ai lu avec attention ta lettre, bien sûr. Elle m'a touché par sa générosité et sa lucidité. Etrangement, ton propos est venu conforter ce que j'ai déjà pris comme décision ces jours, et avec les mêmes arguments. J'y ai surtout retenu l'expression de ton amitié tendre et complice malgré l'inquiétude.

    Je voudrais cependant répondre encore. J'ai longtemps écrit avec le même esprit qui ne s'encombre pas des avis d'autrui quand ils sont dominants. Cela m'a donné une liberté de ton, un style peut-être mais aussi une liberté qui était insolence et irresponsabilité ou audace. Ou même naïveté. Certains aimaient cela, d'autres ne pouvaient l'accepter. J'ai taquiné les radicalités et j'ai essayé de défendre ma liberté face aux clichés dont j'avais horreur. J'ai essayé aussi de penser. Par l'article de presse ou la littérature. Pas seulement parce que je voulais réussir mais aussi parce que j'avais la terreur de vivre une vie sans sens. Le journalisme en Algérie, durant les années dures, m'avait assuré de vivre la métaphore de l'écrit, le mythe de l'expérience. J'ai donc écrit souvent, trop, avec fureur, colère et amusement. J'ai dit ce que je pensais du sort de la femme dans mon pays, de la liberté, de la religion et d'autres grandes questions qui peuvent nous mener à la conscience ou à l'abdication et l'intégrisme. Selon nos buts dans la vie.

    Sauf qu'aujourd'hui, avec le succès médiatique, j'ai fini par comprendre deux ou trois choses.

    D'abord que nous vivons désormais une époque de sommations. Si on n'est pas d'un côté, on est de l'autre; le texte sur « Cologne », j'en avais écrit une partie, celle sur la femme, il y a des années. A l'époque, cela n'a fait réagir personne ou si peu. Aujourd'hui, l'époque a changé : des crispassions poussent à interpréter et l'interprétation pousse au procès. J'avais écrit cet article et celui du New York Times début janvier; leur succession dans le temps est donc un accident et pas un acharnement de ma part. J'avais écrit, poussé par la honte et la colère contre les miens, et parce que je vis dans ce pays, dans cette terre. J'y ai dit ma pensée et mon analyse sur un aspect que l'on ne peut cacher sous prétexte de « charité culturelle ». Je suis écrivain et je n'écris pas des thèses d'universitaires. C'est une émotion aussi. Que des universitaires pétitionnent contre moi aujourd'hui, pour ce texte, je trouve cela immoral parce qu'ils ne vivent pas ma chair, ni ma terre et que je trouve illégitime sinon scandaleux que certains me servent le verdict d'islamophobie à partir de la sécurité et des conforts des capitales de l'Occident et ses terrasses. Le tout servi en forme de procès stalinien et avec le préjugé du spécialiste : je sermonne un indigène parce que je parle mieux des intérêts des autres indigènes et post-décolonisés. Et au nom des deux mais avec mon nom. Et cela m'est intolérable comme posture. Je pense que cela reste immoral de m'offrir en pâture à la haine locale sous le verdict d'islamophobie qui sert aujourd'hui aussi d'inquisition. Je pense que c'est honteux de m'accuser de cela en restant bien loin de mon quotidien et celui des miens.

    L'islam est une belle religion selon l'homme qui la porte, mais j'aime que les religions soient un chemin vers un dieu et qu'y résonnent les pas d'un homme qui marche. Ces pétitionnaires embusqués ne mesurent pas la conséquence de leurs actes et du tribunal sur la vie d'autrui.

    Cher ami.

    J'ai compris aussi que l'époque est dure. Comme autrefois, l'écrivain venu du froid, aujourd'hui, l'écrivain venu du monde dit « arabe » est piégé, sommé, poussé dans le dos et repoussé. La surinterprétation le guette et les médias le harcèlent pour conforter qui une vision, qui un rejet et un déni. Le sort de la femme est lié à mon avenir, à l'avenir des miens. Le désir est malade dans nos terres et le corps est encerclé. Cela, on ne peut pas le nier et je dois le dire et le dénoncer. Mais je me retrouve soudainement responsable de ce qui va être lu selon les terres et les airs. Dénoncer la théocratie ambiante chez nous devient un argument d'islamophobe ailleurs. Est-ce ma faute ? En partie. Mais c'est aussi la faute de notre époque, son mal du siècle. C'est ce qui s'est passé pour la tribune sur « Cologne ». Je l'assume mais je me retrouve désolé pour ce à quoi elle peut servir comme déni et refus d'humanité de l'Autre. L'écrivain venu des terres d'Allah se retrouve aujourd'hui au centre de sollicitations médiatiques intolérables. Je n'y peux rien mais je peux m'en soustraire : par la prudence comme je l'ai cru, mais aussi par le silence comme je le choisis désormais.

    Je vais donc m'occuper de littérature et en cela tu as raison. J'arrête le journalisme sous peu. Je vais aller écouter de arbres ou des cœurs. Lire. Restaurer en moi la confiance et la quiétude. Explorer. Non pas abdiquer, mais aller plus loin que le jeu de vagues et des médias. Je me résous à creuser et non déclamer.

    J'ai pour ma terre l'affection du déchanté. Un amour secret et fort. Une passion. J'aime les miens et les cieux que j'essaye de déchiffrer dans les livres et avec l'œil la nuit. Je rêve de puissance, de souveraineté pour les miens, de conscience et de partage. Cela me déçoit de ne pas vivre ce rêve. Cela me met en colère ou me pousse au châtiment amoureux. Je ne hais pas les miens, ni l'homme en l'autre. Je n'insulte pas les raisons d'autrui. Mais j'exerce mon droit d'être libre. Ce droit a été mal interprété, sollicité, malmené ou jugé. Aujourd'hui, je veux aussi la liberté de faire autre chose. Mille excuses si j'ai déçu, un moment, ton amitié cher A… Et si je rends publique cette lettre aujourd'hui, avant de t'en parler, c'est parce qu'elle s'adresse aux gens affectueux, de bonne foi comme toi. Et surtout à toi. A Oran.

    Le Quotidien d'Oran



    « La voix de la mer parle à l'âme. Le contact de la mer est sensuel et enlace le corps dans une douce et secrète étreinte. »

  • #2
    Je le croyais aguerri, les insultes ici et ailleurs ne datent pas d'hier, mais comme tous les humains il arrive un moment ou ca ne passe plus, l'âge, la fatigue, ...

    Je vais donc m'occuper de littérature et en cela tu as raison. J'arrête le journalisme sous peu. Je vais aller écouter de arbres ou des cœurs. Lire. Restaurer en moi la confiance et la quiétude. Explorer. Non pas abdiquer, mais aller plus loin que le jeu de vagues et des médias. Je me résous à creuser et non déclamer.
    Ses textes ont marqué le journalisme algérien et ils resteront dans les annales. Aujourd'hui, on ne peut que lui souhaiter succés dans ses nouveaux projets, Bon courage cher Kamel.

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    • #3
      Tu fais bien, Kamel.
      Je pense que la colère puis la fatigue t'on fait écrire des choses qui dépassent ta pensée.

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      • #4
        Texte émouvant ...excellent comme toujours.

        Je note cependant une itération chez Kamel Daoud où il se pose en defenseur de la femme algérienne...

        Défenseur contre qui, quoi et ... pourquoi!!!!?... oeilfermé

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        • #5
          L'islam est une belle religion selon l'homme qui la porte, mais j'aime que les religions soient un chemin vers un dieu et qu'y résonnent les pas d'un homme qui marche. Ces pétitionnaires embusqués ne mesurent pas la conséquence de leurs actes et du tribunal sur la vie d'autrui.
          Comment peut on haïr un homme qui a tant de profondeur...

          Avec tous mes respects Monsieur Daoud.
          Imaginez vous un monde parfait? essayons juste de rendre celui ci meilleur...

          Affiner sa pensée, sa réflexion est nettement plus bénéfique que d'avoir raison.

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          • #6
            Je note cependant une itération chez Kamel Daoud où il se pose en defenseur de la femme algérienne...

            Défenseur contre qui, quoi et ... pourquoi!!!!?...
            Bonjour Egomis,

            A mon avis, défenseur contre certaines nuances de notre société quand il s'agit des femmes.

            Je pense que la femme Algérienne peut apporter beaucoup au pays... je suppose que Mr Kamel Daoud aussi.
            Imaginez vous un monde parfait? essayons juste de rendre celui ci meilleur...

            Affiner sa pensée, sa réflexion est nettement plus bénéfique que d'avoir raison.

            Commentaire


            • #7
              ... Les pseudo-bien-pensants ont eu raison de lui...

              « La voix de la mer parle à l'âme. Le contact de la mer est sensuel et enlace le corps dans une douce et secrète étreinte. »

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              • #8
                Bonjour Egomis,

                A mon avis, défenseur contre certaines nuances de notre société quand il s'agit des femmes.

                Je pense que la femme Algérienne peut apporter beaucoup au pays... je suppose que Mr Kamel Daoud aussi.
                Bonjour Smir.
                Je pense qu'en ces temps ... de nos jours, la "nuance" est plutôt à relever quand il s'agit des hommes.

                Au train où vont les moeurs, Dans quelques temps, ça sera aux femmes de dire de l'homme devenu presque inutile, qu'il pourra apporter beaucoup au pays

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                • #9
                  Contextualisation

                  Kamel Daoud publie un article intitulé « Cologne, lieu de fantasmes » sur le journal français Le Monde (31.01.2016). Il brosse une psycho-culturel du réfugié, de l'immigré et du musulman (fondu en une seule entité) au lectorat français en prenant comme prétexte un événement advenu la nuit du réveillon à Cologne.

                  Kamel Daoud commente à un lectorat français un événement advenu sur le sol européen.




                  Par Kamel Daoud (Ecrivain)

                  Que s’est-il passé à Cologne la nuit de la Saint-Sylvestre ? On peine à le savoir avec exactitude en lisant les comptes rendus, mais on sait – au moins – ce qui s’est passé dans les têtes. Celle des agresseurs, peut-être ; celle des Occidentaux, sûrement.

                  Fascinant résumé des jeux de fantasmes. Le « fait » en lui-même correspond on ne peut mieux au jeu d’images que l’Occidental se fait de l’« autre », le réfugié-immigré : angélisme, terreur, réactivation des peurs d’invasions barbares anciennes et base du binôme barbare-civilisé. Des immigrés accueillis s’attaquent à « nos » femmes, les agressent et les violent.

                  Cela correspond à l’idée que la droite et l’extrême droite ont toujours construite dans les discours contre l’accueil des réfugiés. Ces derniers sont assimilés aux agresseurs, même si l’on ne le sait pas encore avec certitude. Les coupables sont-ils des immigrés installés depuis longtemps ? Des réfugiés récents ? Des organisations criminelles ou de simples hooligans ? On n’attendra pas la réponse pour, déjà, délirer avec cohérence. Le « fait » a déjà réactivé le discours sur « doit-on accueillir ou s’enfermer ? » face à la misère du monde. Le fantasme n’a pas attendu les faits.

                  Le rapport à la femme

                  Angélisme aussi ? Oui. L’accueil du réfugié, du demandeur d’asile qui fuit l’organisation Etat islamique ou les guerres récentes pèche en Occident par une surdose de naïveté : on voit, dans le réfugié, son statut, pas sa culture ; il est la victime qui recueille la projection de l’Occidental ou son sentiment de devoir humaniste ou de culpabilité. On voit le survivant et on oublie que le réfugié vient d’un piège culturel que résume surtout son rapport à Dieu et à la femme.


                  En Occident, le réfugié ou l’immigré sauvera son corps mais ne va pas négocier sa culture avec autant de facilité, et cela, on l’oublie avec dédain. Sa culture est ce qui lui reste face au déracinement et au choc des nouvelles terres. Le rapport à la femme, fondamental pour la modernité de l’Occident, lui restera parfois incompréhensible pendant longtemps lorsqu’on parle de l’homme lambda.

                  Il va donc en négocier les termes par peur, par compromis ou par volonté de garder « sa culture », mais cela changera très, très lentement. Il suffit de rien, du retour du grégaire ou d’un échec affectif pour que cela revienne avec la douleur. Les adoptions collectives ont ceci de naïf qu’elles se limitent à la bureaucratie et se dédouanent par la charité.

                  Le réfugié est-il donc « sauvage » ? Non. Juste différent, et il ne suffit pas d’accueillir en donnant des papiers et un foyer collectif pour s’acquitter. Il faut offrir l’asile au corps mais aussi convaincre l’âme de changer. L’Autre vient de ce vaste univers douloureux et affreux que sont la misère sexuelle dans le monde arabo-musulman, le rapport malade à la femme, au corps et au désir. L’accueillir n’est pas le guérir.

                  « La femme étant donneuse de vie et la vie étant perte de temps, la femme devient la perte de l’âme »

                  Le rapport à la femme est le nœud gordien, le second dans le monde d’Allah. La femme est niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée. Cela dénote un rapport trouble à l’imaginaire, au désir de vivre, à la création et à la liberté. La femme est le reflet de la vie que l’on ne veut pas admettre. Elle est l’incarnation du désir nécessaire et est donc coupable d’un crime affreux : la vie.

                  C’est une conviction partagée qui devient très visible chez l’islamiste par exemple. L’islamiste n’aime pas la vie. Pour lui, il s’agit d’une perte de temps avant l’éternité, d’une tentation, d’une fécondation inutile, d’un éloignement de Dieu et du ciel et d’un retard sur le rendez-vous de l’éternité. La vie est le produit d’une désobéissance et cette désobéissance est le produit d’une femme.

                  L’islamiste en veut à celle qui donne la vie, perpétue l’épreuve et qui l’a éloigné du paradis par un murmure malsain et qui incarne la distance entre lui et Dieu. La femme étant donneuse de vie et la vie étant perte de temps, la femme devient la perte de l’âme. L’islamiste est tout aussi angoissé par la femme parce qu’elle lui rappelle son corps à elle et son corps à lui.

                  La liberté que le réfugié désire mais n’assume pas

                  Le corps de la femme est le lieu public de la culture : il appartient à tous, pas à elle. Ecrit il y a quelques années à propos de la femme dans le monde dit arabe : « A qui appartient le corps d’une femme ? A sa nation, sa famille, son mari, son frère aîné, son quartier, les enfants de son quartier, son père et à l’Etat, la rue, ses ancêtres, sa culture nationale, ses interdits. A tous et à tout le monde, sauf à elle-même. Le corps de la femme est le lieu où elle perd sa possession et son identité. Dans son corps, la femme erre en invitée, soumise à la loi qui la possède et la dépossède d’elle-même, gardienne des valeurs des autres que les autres ne veulent pas endosser par [pour] leurs corps à eux. Le corps de la femme est son fardeau qu’elle porte sur son dos. Elle doit y défendre les frontières de tous, sauf les siennes. Elle joue l’honneur de tous, sauf le sien qui n’est pas à elle. Elle l’emporte donc comme un vêtement de tous, qui lui interdit d’être nue parce que cela suppose la mise à nu de l’autre et de son regard. »

                  « On voit, dans le réfugié, son statut, pas sa culture ; il est la victime. On voit le survivant et on oublie que le réfugié vient d’un piège culturel que résume surtout son rapport à Dieu et à la femme »

                  Une femme est femme pour tous, sauf pour elle-même. Son corps est un bien vacant pour tous et sa « malvie » à elle seule. Elle erre comme dans un bien d’autrui, un mal à elle seule. Elle ne peut pas y toucher sans se dévoiler, ni l’aimer sans passer par tous les autres de son monde, ni le partager sans l’émietter entre dix mille lois. Quand elle le dénude, elle expose le reste du monde et se retrouve attaquée parce qu’elle a mis à nu le monde et pas sa poitrine. Elle est enjeu, mais sans elle ; sacralité, mais sans respect de sa personne ; honneur pour tous, sauf le sien ; désir de tous, mais sans désir à elle. Le lieu où tous se rencontrent, mais en l’excluant elle. Passage de la vie qui lui interdit sa vie à elle.

                  C’est cette liberté que le réfugié, l’immigré, veut, désire mais n’assume pas. L’Occident est vu à travers le corps de la femme : la liberté de la femme est vue à travers la catégorie religieuse de la licence ou de la « vertu ». Le corps de la femme est vu non comme le lieu même de la liberté essentielle comme valeur en Occident, mais comme une décadence : on veut alors le réduire à la possession, ou au crime à « voiler ».

                  La liberté de la femme en Occident n’est pas vue comme la raison de sa suprématie mais comme un caprice de son culte de la liberté. A Cologne, l’Occident (celui de bonne foi) réagit parce qu’on a touché à « l’essence » de sa modernité, là où l’agresseur n’a vu qu’un divertissement, un excès d’une nuit de fête et d’alcool peut-être.

                  Cologne, lieu des fantasmes donc. Ceux travaillés des extrêmes droites qui crient à l’invasion barbare et ceux des agresseurs qui veulent le corps nu car c’est un corps « public » qui n’est propriété de personne. On n’a pas attendu d’identifier les coupables, parce que cela est à peine important dans les jeux d’images et de clichés. De l’autre côté, on ne comprend pas encore que l’asile n’est pas seulement avoir des « papiers » mais accepter le contrat social d’une modernité.

                  Le problème des « valeurs »

                  Le sexe est la plus grande misère dans le « monde d’Allah ». A tel point qu’il a donné naissance à ce porno-islamisme dont font discours les prêcheurs islamistes pour recruter leurs « fidèles » : descriptions d’un paradis plus proche du bordel que de la récompense pour gens pieux, fantasme des vierges pour les kamikazes, chasse aux corps dans les espaces publics, puritanisme des dictatures, voile et burka.

                  L’islamisme est un attentat contre le désir. Et ce désir ira, parfois, exploser en terre d’Occident, là où la liberté est si insolente. Car « chez nous », il n’a d’issue qu’après la mort et le jugement dernier. Un sursis qui fabrique du vivant un zombie, ou un kamikaze qui rêve de confondre la mort et l’orgasme, ou un frustré qui rêve d’aller en Europe pour échapper, dans l’errance, au piège social de sa lâcheté : je veux connaître une femme mais je refuse que ma sœur connaisse l’amour avec un homme.

                  Retour à la question de fond : Cologne est-il le signe qu’il faut fermer les portes ou fermer les yeux ? Ni l’une ni l’autre solution. Fermer les portes conduira, un jour ou l’autre, à tirer par les fenêtres, et cela est un crime contre l’humanité.

                  Mais fermer les yeux sur le long travail d’accueil et d’aide, et ce que cela signifie comme travail sur soi et sur les autres, est aussi un angélisme qui va tuer. Les réfugiés et les immigrés ne sont pas réductibles à la minorité d’une délinquance, mais cela pose le problème des « valeurs » à partager, à imposer, à défendre et à faire comprendre. Cela pose le problème de la responsabilité après l’accueil et qu’il faut assumer.

                  Kamel Daoud est un écrivain algérien. Il est notamment l’auteur de Meursault, contre-enquête (Actes Sud, 2014), Prix Goncourt du premier roman. Il est également chroniqueur au Quotidien d’Oran. Cet article a d’abord été publié en Italie dans le quotidien La Repubblica.
                  Dernière modification par Dandy, 21 février 2016, 16h32.

                  Commentaire


                  • #10
                    Il arrive alors ce qui arrive parfois dans un pays dit démocratique...Une réaction à son article est publiée par le même journal.

                    Kamel Daoud, qui défend sa liberté d'invectiver toute une population (les musulmans), ne semble pas accepter que des intellectuels remettent en question la pertinence de son analyse.

                    Pour comble de la mauvaise foi, celui qui s'adresse à des Européens pour commenter un événement advenu en Europe en chargeant les musulmans, joue la carte de l'indigène bafoué ("Le tout servi en forme de procès stalinien et avec le préjugé du spécialiste : je sermonne un indigène parce que je parle mieux des intérêts des autres indigènes et post-décolonisés. Et au nom des deux mais avec mon nom. Et cela m'est intolérable comme posture.") quand ces derniers ne sont pas d'accord avec lui.

                    Mieux que cela, il se permet de servir un texte qui répand une posture politique de plus en plus assumée en Occident et politiquement surexploitée (l'islamophobie) mais dénie en même temps aux Européens, auxquels il s'adresse, du fait même de leur européanité, le droit de réagir à son "analyse" ("Que des universitaires pétitionnent contre moi aujourd'hui, pour ce texte, je trouve cela immoral parce qu'ils ne vivent pas ma chair, ni ma terre et que je trouve illégitime sinon scandaleux que certains me servent le verdict d'islamophobie à partir de la sécurité et des conforts des capitales de l'Occident et ses terrasses.).

                    En passant, les personnes, qui ne sont pas toutes universitaires, n'ont pas pétitionné contre lui (autre posture victimaire) mais ont signé un texte collectivement. Ils n'ont émis aucune revendication.

                    Et pour fournir, il leur fait un chantage affectif méprisable en évoquant la réception que leur pétition pourrait avoir à Alger et ailleurs alors même que la réception que pourrait avoir son article à lui, il s'en tape un peu car il pourra toujours arguer que ses détracteurs sont intégristes quand ils portent des noms à consonances machiste et névrotique (comprenez musulmans) ("Je pense que cela reste immoral de m'offrir en pâture à la haine locale sous le verdict d'islamophobie qui sert aujourd'hui aussi d'inquisition. Je pense que c'est honteux de m'accuser de cela en restant bien loin de mon quotidien et celui des miens.").

                    Si tu ne veux pas qu'on te réponde, faut pas écrire...Si tu ne veux pas écouter ce que l'autre a à dire, ne t'adresse pas à lui en lui parlant de sa société.

                    Voila le texte qui a mis en émoi Kamel Daoud, je vous laisse le soin de le comparer au sien et jauger lequel des deux est outranciers
                    . La conclusion de Daoud ("Les réfugiés et les immigrés ne sont pas réductibles à la minorité d’une délinquance, mais cela pose le problème des « valeurs » à partager, à imposer, à défendre et à faire comprendre. Cela pose le problème de la responsabilité après l’accueil et qu’il faut assumer.) est cosmétique tant elle contredit son texte où l'essentialisme le plus grossier rejoint le confluent de l'air putride du temps.




                    Nuit de Cologne : « Kamel Daoud recycle les clichés orientalistes les plus éculés »

                    Par Collectif

                    La police à Cologne, le 6 janvier, après les agressions sexuelles perpétrées contre des femmes pendant les fêtes du Nouvel An.

                    Collectif

                    Dans une tribune publiée par le journal Le Monde le 31 janvier 2016, le journaliste et écrivain Kamel Daoud propose d’analyser « ce qui s’est passé à Cologne la nuit de la Saint-Sylvestre ». Pourtant, en lieu et place d’une analyse, cet humaniste autoproclamé livre une série de lieux communs navrants sur les réfugiés originaires de pays musulmans.

                    Tout en déclarant vouloir déconstruire les caricatures promues par « la droite et l’extrême droite », l’auteur recycle les clichés orientalistes les plus éculés, de l’islam religion de mort cher à Ernest Renan (1823-1892) à la psychologie des foules arabes de Gustave Le Bon (1841-1931). Loin d’ouvrir sur le débat apaisé et approfondi que requiert la gravité des faits, l’argumentation de Daoud ne fait qu’alimenter les fantasmes islamophobes d’une partie croissante du public européen, sous le prétexte de refuser tout angélisme.

                    Lire aussi : Kamel Daoud : « Cologne, lieu de fantasmes »

                    Essentialisme

                    Le texte repose sur trois logiques qui, pour être typiques d’une approche culturaliste que de nombreux chercheurs critiquent depuis quarante ans, n’en restent pas moins dangereuses. Pour commencer, Daoud réduit dans ce texte un espace regroupant plus d’un milliard d’habitants et s’étendant sur plusieurs milliers de kilomètres à une entité homogène, définie par son seul rapport à la religion, « le monde d’Allah ». Tous les hommes y sont prisonniers de Dieu et leurs actes déterminés par un rapport pathologique à la sexualité. Le « monde d’Allah » est celui de la douleur et de la frustration.

                    Certainement marqué par son expérience durant la guerre civile algérienne (1992-1999), Daoud ne s’embarrasse pas de nuances et fait des islamistes les promoteurs de cette logique de mort. En miroir de cette vision asociologique qui crée de toutes pièces un espace inexistant, l’Occident apparaît comme le foyer d’une modernité heureuse et émancipatrice. La réalité des multiples formes d’inégalité et de violences faites aux femmes en Europe et en Amérique du Nord n’est bien sûr pas évoquée. Cet essentialisme radical produit une géographie fantasmée qui oppose un monde de la soumission et de l’aliénation au monde de la libération et de l’éducation.

                    Psychologisation

                    Kamel Daoud prétend en outre poser un diagnostic sur l’état psychologique des masses musulmanes. Ce faisant, il impute la responsabilité des violences sexuelles à des individus jugés déviants, tout en refusant à ces individus la moindre autonomie, puisque leurs actes sont entièrement déterminés par la religion.

                    Les musulmans apparaissent prisonniers des discours islamistes et réduits à un état de passivité suicidaire (ils sont « zombies » et « kamikazes »). C’est pourquoi selon Daoud, une fois arrivés en Europe, les réfugiés n’ont comme choix que le repli culturel face au déracinement. Et c’est alors que se produit immanquablement le « retour du grégaire », tourné contre la femme, à la fois objet de haine et de désir, et particulièrement contre la femme libérée.

                    Psychologiser de la sorte les violences sexuelles contribue à produire l’image d’un flot de prédateurs sexuels potentiels, car tous atteints des mêmes maux psychologiques. Pegida n’en demandait pas tant
                    Psychologiser de la sorte les violences sexuelles est doublement problématique. D’une part, c’est effacer les conditions sociales, politiques et économiques qui favorisent ces actes (parlons de l’hébergement des réfugiés ou des conditions d’émigration qui encouragent la prédominance des jeunes hommes). D’autre part, cela contribue à produire l’image d’un flot de prédateurs sexuels potentiels, car tous atteints des mêmes maux psychologiques. Pegida n’en demandait pas tant.

                    Discipline

                    « Le réfugié est-il donc sauvage ? », se demande Daoud. S’il répond par la négative, le seul fait de poser une telle question renforce l’idée d’une irréductible altérité. L’amalgame vient peser sur tous les demandeurs d’asile, assimilés à une masse exogène de frustrés et de morts-vivants. N’ayant rien à offrir collectivement aux sociétés occidentales, ils perdent dans le même temps le droit à revendiquer des parcours individuels, des expériences extrêmement diverses et riches.

                    Culturellement inadaptés et psychologiquement déviants, les réfugiés doivent avant toute chose être rééduqués. Car Daoud ne se contente pas de diagnostiquer, il franchit le pas en proposant une recette familière. Selon lui, il faut « offrir l’asile au corps mais aussi convaincre l’âme de changer ». C’est ainsi bien un projet disciplinaire, aux visées à la fois culturelles et psychologiques, qui se dessine. Des valeurs doivent être « imposées » à cette masse malade, à commencer par le respect des femmes.

                    Ce projet est scandaleux, non pas seulement du fait de l’insupportable routine de la mission civilisatrice et de la supériorité des valeurs occidentales qu’il évoque. Au-delà de ce paternaliste colonial, il revient aussi à affirmer, contre « l’angélisme qui va tuer », que la culture déviante de cette masse de musulmans est un danger pour l’Europe. Il équivaut à conditionner l’accueil de personnes qui fuient la guerre et la dévastation. En cela, c’est un discours proprement anti-humaniste, quoi qu’en dise Daoud.

                    De quoi Daoud est-il le nom ?

                    Après d’autres écrivains algériens comme Rachid Boudjedra ou Boualem Sansal, Kamel Daoud intervient en tant qu’intellectuel laïque minoritaire dans son pays, en lutte quotidienne contre un puritanisme parfois violent. Dans le contexte européen, il épouse toutefois une islamophobie devenue majoritaire. Derrière son cas, nous nous alarmons de la tendance généralisée dans les sociétés européennes à racialiser ces violences sexuelles.

                    Nous nous alarmons de la banalisation des discours racistes affublés des oripeaux d’une pensée humaniste qui ne s’est jamais si mal portée. Nous nous alarmons de voir un fait divers gravissime servir d’excuse à des propos et des projets gravissimes. Face à l’ampleur de violences inédites, il faut sans aucun doute se pencher sur les faits, comme le suggère Kamel Daoud. Encore faudrait-il pouvoir le faire sans réactualiser les mêmes sempiternels clichés islamophobes. Le fond de l’air semble l’interdire.

                    Noureddine Amara (historien), Joel Beinin (historien), Houda Ben Hamouda (historienne), Benoît Challand (sociologue), Jocelyne Dakhlia (historienne), Sonia Dayan-Herzbrun (sociologue), Muriam Haleh Davis (historienne), Giulia Fabbiano (anthropologue), Darcie Fontaine (historienne), David Theo Goldberg (philosophe), Ghassan Hage (anthropologue), Laleh Khalili (anthropologue), Tristan Leperlier (sociologue), Nadia Marzouki (politiste), Pascal Ménoret (anthropologue), Stéphanie Pouessel (anthropologue), Elizabeth Shakman Hurd (politiste), Thomas Serres (politiste), Seif Soudani (journaliste).
                    Dernière modification par Dandy, 21 février 2016, 16h32.

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                    • #11
                      Voilà un autre article publié cette fois aux U.S.A dans lequel Kamel Daoud livre au lectorat américain sa vision du monde arabe. On peut se laisser à rêver la réaction d'un Edward Said en découvrant, dans le NYTimes, la contribution de Kamel Daoud..

                      La misère sexuelle du monde arabe


                      ORAN, Algérie — Après Tahrir, Cologne. Après le square, le sexe. Les révolutions arabes de 2011 avaient enthousiasmé les opinions, mais depuis la passion est retombée. On a fini par découvrir à ces mouvements des imperfections, des laideurs. Par exemple, ils auront à peine touché aux idées, à la culture, à la religion ou aux codes sociaux, surtout ceux se rapportant au sexe. Révolution ne veut pas dire modernité.

                      Les attaques contre des femmes occidentales par des migrants arabes à Cologne, en Allemagne, la veille du jour de l’an ont remis en mémoire le harcèlement que d’autres femmes avaient subi à Tahrir durant les beaux jours de la révolution. Un rappel qui a poussé l’Occident à comprendre que l’une des grandes misères d’une bonne partie du monde dit “arabe”, et du monde musulman en général, est son rapport maladif à la femme. Dans certains endroits, on la voile, on la lapide, on la tue ; au minimum, on lui reproche de semer le désordre dans la société idéale. En réponse, certains pays européens en sont venus à produire des guides de bonne conduite pour réfugiés et migrants.

                      Le sexe est un tabou complexe. Dans des pays comme l’Algérie, la Tunisie, la Syrie ou le Yémen, il est le produit de la culture patriarcale du conservatisme ambiant, des nouveaux codes rigoristes des islamistes et des puritanismes discrets des divers socialismes de la région. Un bon mélange pour bloquer le désir, le culpabiliser et le pousser aux marges et à la clandestinité. On est très loin de la délicieuse licence des écrits de l’âge d’or musulman, comme “Le Jardin Parfumé” de Cheikh Nefzaoui, qui traitaient sans complexe d’érotisme et du Kamasutra.

                      Aujourd’hui le sexe est un énorme paradoxe dans de nombreux pays arabes : On fait comme s’il n’existait pas, mais il conditionne tous les non-dits. Nié, il pèse par son occultation. La femme a beau être voilée, elle est au centre de tous nos liens, tous nos échanges, toutes nos préoccupations.

                      La femme revient dans les discours quotidiens comme enjeu de virilité, d’honneur et de valeurs familiales. Dans certains pays, elle n’a accès à l’espace public que quand elle abdique son corps. La dévoiler serait dévoiler l’envie que l’islamiste, le conservateur et le jeune désoeuvré ressentent et veulent nier. Perçue comme source de déséquilibre — jupe courte, risque de séisme — elle n’est respectée que lorsque définie dans un rapport de propriété, comme épouse de X ou fille de Y.

                      Ces contradictions créent des tensions insupportables : le désir n’a pas d’issue ; le couple n’est plus un espace d’intimité, mais une préoccupation du groupe. Il en résulte une misère sexuelle qui mène à l’absurde ou l’hystérique. Ici aussi on espère vivre une histoire d’amour, mais on empêche la mécanique de la rencontre, de la séduction et du flirt en surveillant les femmes, en surinvestissant la question de leur virginité et en donnant des pouvoirs à la police des moeurs. On va même payer des chirurgiens pour réparer les hymens.

                      Dans certaines terres d’Allah, la guerre à la femme et au couple prend des airs d’inquisition. L’été, en Algérie, des brigades de salafistes et de jeunes de quartier, enrôlés grâce au discours d’imams radicaux et de télé-islamistes, surveillent les corps, surtout ceux des baigneuses en maillot. Dans les espaces publics, la police harcèle les couples, y compris les mariés. Les jardins sont interdits aux promenades d’amoureux. Les bancs sont coupés en deux afin d’empêcher qu’on ne s’y assoit côte à côte.

                      Résultat : on fantasme ailleurs, soit sur l’impudeur et la luxure de l’Occident, soit sur le paradis musulman et ses vierges.

                      Ce choix est d’ailleurs parfaitement incarné par l’offre des médias dans le monde musulman. A la télévision, alors que les théologiens font fureur, les chanteuses et danseuses libanaises de la “Silicone Valley” entretiennent le rêve d’un corps inaccessible et de sexe impossible. Sur le plan vestimentaire, cela donne d’autres extrêmes: d’un côté, la burqa, le voile intégral orthodoxe ; de l’autre, le voile moutabaraj (“le voile qui dévoile”), qui assortit un foulard sur la tête d’un jean slim ou d’un pantalon moulant. Sur les plages, le burquini s’oppose au bikini.

                      Les sexologues sont rares en terres musulmanes, et leurs conseils peu écoutés. Du coup, ce sont les islamistes qui de fait ont le monopole du discours sur le corps, le sexe et l’amour. Avec Internet et les théo-télévisions, ces propos ont pris des formes monstrueuses — un air de porno-islamisme. Certains religieux lancent des fatwas grotesques: il est interdit de faire l’amour nu, les femmes n’ont pas le droit de toucher aux bananes, un homme ne peut rester seul avec une femme collègue que si elle est sa mère de lait et qu’il l’a tétée.

                      Le sexe est partout.

                      Et surtout après la mort.

                      L’orgasme n’est accepté qu’après le mariage — mais soumis à des codes religieux qui le vident de désir — ou après la mort. Le paradis et ses vierges est un thème fétiche des prêcheurs, qui présentent ces délices d’outre-tombe comme une récompense aux habitants des terres de la misère sexuelle. Le kamikaze en rêve et se soumet à un raisonnement terrible et surréaliste: l’orgasme passe par la mort, pas par l’amour.

                      L’Occident s’est longtemps conforté dans l’exotisme ; celui-ci disculpe les différences. L’Orientalisme rend un peu normales les variations culturelles et excuse les dérives : Shéhérazade, le harem et la danse du voile ont dispensé certains de s’interroger sur les droits de la femme musulmane. Mais aujourd’hui, avec les derniers flux d’immigrés du Moyen-Orient et d’Afrique, le rapport pathologique que certains pays du monde arabe entretiennent avec la femme fait irruption en Europe.

                      Ce qui avait été le spectacle dépaysant de terres lointaines prend les allures d’une confrontation culturelle sur le sol même de l’Occident. Une différence autrefois désamorcée par la distance et une impression de supériorité est devenue une menace immédiate. Le grand public en Occident découvre, dans la peur et l’agitation, que dans le monde musulman le sexe est malade et que cette maladie est en train de gagner ses propres terres.
                      Dernière modification par Dandy, 21 février 2016, 16h32.

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                      • #12
                        Kamel Daoud, l’affaire de Cologne et le sexe indiscipliné des Nord-Africains

                        Une réaction "indigène" à la contribution de Kamel Daoud...


                        Kamel Daoud, l’affaire de Cologne et le sexe indiscipliné des Nord-Africains



                        Pour Kamel Daoud, si on croit ce qu'il dit dans sa chronique parue dans le quotidien français, Le Monde du 5 février 2016 (Ce que Cologne dit du sexisme dans le monde arabo-musulman), les Africains, les Arabes et les colonisés seraient des malades sexuels, qui n’aimeraient pas les femmes et qui devraient subir des cures de désintoxication sexuelle et de purification ou, pour reprendre Frantz Fanon, des opérations de "blanchiment" ("Peau noire, masques blancs") avant d’être admis comme réfugiés par les Européens qui seraient naïfs parce qu’ils ne comprendraient pas les tendances perverses de ces réfugiés. Un colonisé est un malade, un barbare, que n’a pas pu entièrement civiliser le colonialisme.

                        Par Ahmed Cheniki (*)

                        C’est ce que n’auraient pas compris, selon Daoud, les Allemands dans l’affaire de Cologne et des réfugiés. Je ne sais pas si Kamel Daoud qui se considère comme un islamiste repenti s’il a, lui-même, demandé à subir des séances de blanchiment et de dés-ensauvagement ou a de lui-même usé de poudre blanche lui permettant de changer si facilement et si rapidement de couleur de peau. Je ne sais pas si lui aussi avait vécu l'expérience avant de prendre conscience de la gravité de la chose. Je ne sais pas si les nombreux viols subis par les colonisées en Algérie et dans les autres pays qui étaient l’œuvre des colonisateurs ne comptaient pas parce que dans la tête de Kamel Daoud et des colons, ils ne seraient peut-être que de simples animaux.

                        D’ailleurs, dans la littérature coloniale, on fait énormément usage du vocabulaire zoologique. De nombreux cas d’enfants et de femmes violés en Irak, en Centrafrique et dans d’autres pays africains par des soldats européens et américains, ça ne compte pas pour Daoud qui semble "laver plus blanc", des enquêtes de l’ONU ont pourtant confirmé cette réalité. Mais eux, ce ne sont que des Arabes et des Africains, ils ne valent absolument rien, ce sont des barbares et des sauvages, simples objets exotiques. Kamel Daoud, à l’instar de Boualem Sansal, s’inscrivant dans cette nouvelle tendance indigéniste, reprend un discours essentialiste déjà usité dans la littérature coloniale (notamment chez Randau et Bertrand), présentant le colonisé, aujourd’hui le réfugié, le couteau à la bouche, le sexe à l’air libre et la femme-Fatma soumise et maltraitée (un fantasme qui a la peau et la chair dures). Déjà, Albert Camus donnait à voir un Arabe (avec un grand A, indéfini) sans identité que Meursault finit par tuer. C’est l’image qu’ils veulent renvoyer à leurs éditeurs en fonction d’horizons d’attente particuliers.

                        Le discours ethnocentriste et essentialiste est souvent intériorisé par les élites et les universitaires arabes et africains qui le reproduisent dans leurs travaux, leurs attitudes politiques en évitant de l’interroger tout en reprenant ses grilles et ses jugements, reproduisant, souvent de manière inconsciente, le racisme ambiant et latent fait de clichés et de stéréotypes. Quand des textes attaquant Zohra Drif et Yacef Saadi prennent comme référence des éléments puisés dans les archives d’officiers des renseignements coloniaux, quand un écrivain reprend le discours colonial, nous ne pouvons qu’être d’accord avec Fanon qui a évoqué le fameux "complexe du colonisé".

                        Kamel Daoud reprend à son compte, selon moi, cette lecture essentialiste de Montesquieu sur ce qu’il appelle le "despotisme oriental" et ce sermon teinté d’inhumanité de Jules Ferry.

                        Montesquieu : "J’avais peut-être un peu cédé au désir de faire de l’effet sur ces gens tour à tour insolents ou serviles, toujours à la merci d’impressions vives et passagères, et qu’il faut connaître pour comprendre à quel point le despotisme est le gouvernement normal de l’Orient."

                        Jules Ferry : "Si nous avons le droit d’aller chez ces barbares, c’est parce que nous avons le devoir de les civiliser(…) Il faut non plus les traiter en égaux, mais se placer au point de vue d’une race supérieure qui conquiert." (A la Chambre, en 1884)

                        Le discours de Kamel Daoud pose sérieusement problème reprenant cette image construite d’un Arabe et d’un Africain, obsédé sexuel, sauvage, bon à être civilisé et assimilé pour s’adapter à une Europe qui serait parfaite. Ce discours binaire et manichéen est la négation d’une vision historique considérant l’identité comme un mouvement, une structure en construction, vision soutenue par Edward Said que ferait bien de lire Kamel Daoud : "J'ai l'impression parfois d'être un flot de courants multiples. Je préfère cela à l'idée d'un moi solide, identité à laquelle tant d'entre nous accordent tant d'importance. Ces courants, comme les thèmes de nos vies, coulent tout au long des heures d'éveil et si tout se passe bien, n'ont pas besoin de s'accorder ni de s'harmoniser."

                        Le réfugié et le colonisé devraient, selon Kamel Daoud, subir des cures de purification, ils auraient des sexes trop volages, trop ambulants et trop rebelles, ne pouvant résister à l'appel de la chair, les femmes seraient toutes soumises et vivant un diktat sans merci d'hommes barbares et violents. Il évite d’entreprendre une analyse des causes pour se satisfaire de clichés et de stéréotypes reproduisant le discours colonial et les attitudes de certains orientalistes. La question du sexisme est cruciale, pas uniquement chez nous, même en Europe, elle reste un combat. On se souvient du traitement fait à la femme "agressée" sexuellement par Dominique Strauss-Kahn (DSK), traitée de tous les noms par la presse française et des hommes et des femmes politiques parce qu'elle était tout simplement femme, noire et simple travailleuse. Seule la grande féministe et femme-courage, amie de l'Algérie, Gisèle Halimi a pris parti contre le lynchage de cette femme. Elle était noire et femme, ce qui serait un double délit. Ce qui est qualifié comme une erreur en "Occident" deviendrait chez Daoud un phénomène naturel chez les "arabo-musulmans", appellation qui ne veut absolument rien dire. Dans tous les cas, il y a crime et comme tous les cas, il devrait être puni, ici en Algérie, en France ou en Allemagne.

                        Mais il se trouve que l’histoire de Cologne n’était qu’une mise en scène pour fragiliser la chancelière allemande. D'après un article du quotidien, Le Monde, daté du vendredi 19 février, la police allemande n'a pas encore réussi à identifier les véritables auteurs des agressions sexuelles à Cologne lors de la fête du nouvel an. Sur les 73 mis en examen, 12 seulement sont soupçonnés, uniquement soupçonnés, pour "agression sexuelle", les autres pour vols essentiellement. Un seul est détenu pour "agression sexuelle". Voilà ce que dit le procureur général allemand" "Il est beaucoup plus compliqué d’identifier les auteurs d’agression sexuelle. Les femmes ont témoigné avoir été agressées par des groupes d’hommes. Etant donné le faible éclairage des lieux du drame ce soir-là, les victimes ont du mal à reconnaître leurs agresseurs." Des silhouettes ! Et Meursault tua l'Arabe. D'autres ont parlé avec certitude de zombies arabo-musulmans. Attendons au moins les résultats d'une enquête qui, pour le moment, infirme les certitudes initiales. La presse américaine, plus professionnelle, a été la première à avoir des doutes sur cette affaire Kamel Daoud qui a été peut-être roulé dans la farine. Kamel Daoud use d’un discours truffé de clichés, de stéréotypes ("Monde d’Allah, "différent") et de généralisations (monde arabo musulman vs Occident) mettant en opposition deux catégories, un occidental "naïf", "humaniste", parfait et un arabo-musulman agressif réduit à un rapport maladif à "Dieu et à la femme". Daoud écrit ceci à propos de l’"arabo-musulman" : "L’Autre vient de ce vaste univers douloureux et affreux que sont la misère sexuelle dans le monde arabo-musulman, le rapport malade à la femme, au corps et au désir. L’accueillir n’est pas le guérir." ou "La femme est niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée."

                        Kamel Daoud oppose deux logiques, deux totalités bâties sur l’exclusion d’origine essentialiste : celle d’un monde occidental parfait, heureux, moderne et celle d’une entité arabo-musulmane, masse informe, archaïque, vivant un rapport maladif à la femme et à la sexualité. L’arabo-musulman, une catégorie informe, unique, sans possibilité d’autonomie est un "zombie", un obsédé sexuel qui devrait-être soigné, subir une radicale désintoxication purificatrice avant d’être admis dans le monde de la pureté occidentale. Ce manichéisme est dangereux parce qu’il évacue toute dimension humaniste et toute identité métisse, hybride, faite de traces culturelles multiples. Qu’est-ce qu’un ""arabo-musulman" ? Qu’est-ce qu’un "occidental" ? Ce ne sont que de simples constructions idéologiques mises en œuvre pour légitimer un illusoire choc des civilisations. La civilisation humaine n’a que faire de ces oppositions qui profitent aux puissances militaro-industrielles. Fanon qui, à l’instar de Césaire, a dénoncé ces entreprises de blanchiment parlait ainsi, mais à propos de la torture : "Le peuple européen qui torture est un peuple déchu, traître à son histoire. Le peuple sous développé qui torture assure sa nature, fait son travail de peuple sous-développé." Quand un Européen viole des colonisées ou pratique la pédophilie (Outreau), c’est tout simplement une bavure, mais quand il s’agit de ce que Daoud appelle les "arabo-musulmans", c’est leur nature de violeurs et de zombies qui se réveille.

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                        • #13
                          Suite et fin


                          Il serait bon que chacun de nous accepte le débat pluriel sans agressivité. Évitons le discours fascisant qui veut que chaque fois que quelqu'un n'est pas d'accord avec Sansal ou Daoud ou quelqu'un d'autre, il est insulté par certains qui croient à l'idée unique et à la pensée unique. Un groupe d’anthropologues, de sociologues reconnus partout dans les milieux scientifiques et un journaliste du New York Times et The Nation (où officie parfois le grand Noam Chomsky), Adam Shatz ont dénoncé à juste titre le discours essentialiste de Daoud qui s’était attaqué à ce groupe dont j’ai eu le plaisir et l’honneur de connaître certains d’entre eux à l’occasion de colloques et de rencontres scientifiques. Kamel Daoud devrait comprendre qu’il est un homme public et, à ce titre, il doit s’attendre à des attaques, à des éloges et à des lectures froides, loin de ces postures victimaires et schizophréniques et des sermons nationalistes qui caractérisent le discours dominant. Paradoxalement, Kamel Daoud devient ici, sans le vouloir peut-être, un porte-voix de l’extrême droite et des intégrismes religieux qui tentent de mettre en opposition deux univers informes et monolithiques ("monde musulman" vs "Occident") qui ne sont, en fin de compte, que des constructions idéologiques suggérant un "choc possible des civilisations".

                          A. C.

                          (*) Ancien journaliste, Professeur à l’université d’Annaba et professeur invité dans des universités européennes, auteur de nombreux ouvrages
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