Je viens de lire cette contribution publiée hier par El Watan. Elle traite du sujet sensible de l'introduction d'un statut de langue officielle pour Tamazight au sein de la constitution.
L'approche de l'auteur, Maître Hannoun, connu pour ses engagements en faveur de la défense des droits humains et de la démocratie, me semble intéressante, surtout qu'il s'agit du point de vue d'un homme de loi qui nous éclaire sur les contradictions liées à ce nouveau statut qui semble susciter des réactions multiples. A conseiller, malgré sa longueur, mais ça en vaut la peine.
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Révision constitutionnelle et Tamazight
Entre évolution juridico-constitutionnelle et persistance d’un déni politico-idéologique
El Watan, le 23.02.16 | 10h00
La problématique identitaire s'est imposée derechef à l'Algérie, dès son indépendance en 1962. Certains choix faits d’une façon autoritaire par le pouvoir du président Ben Bella ont eu comme objectif principal de mettre l’arabité comme socle de l’identité algérienne, par substitution à l’amazighité qui en est la référence historique et originelle.
Son fumeux «L’Algérie est arabe, arabe, arabe !» porte en lui le sillon traumatique de tout le peuple amazigh d’Algérie. Cet acharnement contre l’amazighité a commencé à prendre racine durant la guerre d’indépendance notamment, un terreau pour l’interventionnisme du président égyptien Nasser, sous couvert de la fraternité arabe, qui fut l’un des chantres du «panarabisme». L’Algérie indépendante a offert donc un prolongement politique, juridique et identitaire à ce «Baâthisme» (Renaissance arabe), fruit du nationalisme arabe d’un certain «Michel Aflak», en décrétant que l’Algérie est l’un des wagons d’un tramway nommé «arabisme». C’est le grand poète et penseur Ali Ahmed Saïd (alias Adonis), un autre Syrien, qui disait : «Si tu veux être un musulman ou un arabo-musulman, il faut imiter le parfait de l’histoire» (sic). Ipso facto, déduction faite inhérente à notre problématique identitaire nationale, cela a comme implication politique directe d’opérer des coupes (un euphémisme) dans tout ce qui ne concorde point avec le «parfait» de ladite histoire arabe sublimée par le «Baâthisme». Et comme Tamazight renvoie à une autre histoire, une autre culture, une autre langue, une autre identité, l’ostracisme est de rigueur. En Algérie, durant ces cinq décennies, l’essentialisme identitaire a toujours été le soubassement de plusieurs politiques d’aliénation visant des secteurs névralgiques multiples : l’école (quel traumatisme que d’arriver à l’école primaire à l’âge de 5 ans, n’ayant que Tamazight comme langue vernaculaire, et d’entendre l’instituteur parler une langue étrangère à son propre vécu, présentement l’arabe !), la justice (des magistrats qui s’adressent en arabe aux vieux Kabyles monolingues dans un dialogue de sourds), l’administration, etc.
C’est ainsi que des pans entiers de l’Etat ont été mis à contribution afin d’arrimer l’Algérie à un «Maghreb arabe», politiquement inventé ex nihilo par le fait du prince, et à une «nation arabe» chimériques, et ce, au détriment d’une toponymie persistante et d’une réalité culturelle, identitaire et linguistique vécue au quotidien par des millions des Imazighen dans plusieurs régions amazighophones d’Algérie, dont la Kabylie n’est point des moindres. Une Kabylie qui, grâce au renouveau culturel des années 70’, a toujours été à l’avant-garde du combat, nonobstant la répression systématique de toutes les actions inhérentes à la réhabilitation du socle identitaire amazigh de l’Algérie. La création du Mouvement culturel berbère (MCB) en Kabylie et la systématisation de la politique du pire par la Sécurité militaire lors de la violente répression du «Printemps berbère», le 20 avril 1980, canalisera la revendication en lui offrant un cadre unitaire pour la militance amazighe. A partir du séminaire de Yakouren (Kabylie, août 1980), la revendication identitaire amazighe est devenue un élément constitutif d’un projet de société démocratique, laïque et de gauche. En face, le renforcement des politiques d’arabisation, corollaire d’une islamisation de la société et des institutions de l’Etat, en sus de la répression, furent des constantes dans la politique du pouvoir algérien à l’encontre des revendications identitaires, culturelles, politiques et démocratiques de la Kabylie.
Dans ce contexte politique évolutif, la Constitution du 23 février 1989, tout en consacrant la pseudo ouverture démocratique, continuera dans la logique du déni identitaire de l’amazighité en faisant de l’arabe la seule langue nationale et officielle de l’Etat algérien. Dans le même corpus constitutionnel, l’islam maintiendra sa proéminente place de «religion d’Etat». Avec la consolidation de ces deux «constantes nationales», constat est fait que l’évolution du pouvoir algérien sur la problématique identitaire amazighe n’était point à l’ordre du jour, malgré le discours d’ouverture affiché par Chadli Bendjedid, le président de l’époque. Cependant, cette nouvelle Constitution aura eu le mérite de permettre la création de partis politiques qui exigeront un statut constitutionnel à Tamazight en tant que langue nationale et officielle.
De facto, une décennie après la répression sanglante du «Printemps berbère», la problématique identitaire amazighe s’enracine dans le débat public, aux côtés de la nécessaire édification d’un Etat laïc et d’une république démocratique. La «grève du cartable», boycott de l’année scolaire et universitaire 1994/1995, une première mondiale à forte charge politique et symbolique en faveur de la défense de l’identité d’un peuple autochtone, en opposition avec les choix négateurs de l’Etat, constituera un tournant politique et populaire majeur dans la stratégie des Imazighen de Kabylie pour imposer un statut de jure à Tamazight. Celui-ci interviendra en avril 1995 avec la promulgation d’un décret présidentiel portant création d’un «Haut Commissariat à l’amazighité» chargé de la promotion de Tamazight dans le système éducatif.
Ce fut le premier acte juridique et officiel de l’Etat algérien en faveur d’une timide et contrôlée réhabilitation de l’amazighité. Même si la volonté politique, franche et sincère, n’y était point, les référents idéologiques du pouvoir, «l’arabo-islamisme» en l’occurrence, ayant été encore une fois consacrés d’une façon exclusive dans la nouvelle Constitution de 1996, la pression populaire a permis d’arracher un tel acquis, et ce, avec la nette conscience que l’engagement populaire et militant est plus que jamais de rigueur. L’autoritarisme étant le mode de gouvernance du pouvoir algérien, et face aux revendications politico-identitaires de la Kabylie, en opposition frontale avec sa stratégie nihiliste, la répression a été remise au goût du jour lors du «Printemps noir de Kabylie», en 2001 et 2002. Le bilan fut sanglant et meurtrier : 126 manifestants assassinés par des gendarmes, des centaines de blessés et de détenus.
Dans ce contexte d’extrême tension, la problématique identitaire amazighe refera surface, aux côtés des autres revendications politiques et sociales, notamment dans la plateforme de revendications de «Leqser» (ville de la Kabylie maritime). Avec une Kabylie en état d’insurrection permanent, et dans un geste voulu d’«apaisement», le président Bouteflika modifia la Constitution, avec l’aide d’un Parlement aux ordres, en y introduisant un article 3bis dans le corpus constitutionnel. Toujours dans la logique de la hiérarchisation des référents identitaires de l’Algérie, la primauté et la priorité revenant, politiquement et de droit, à «l’arabo-islamisme», l’idéologie du pouvoir depuis 1962, Tamazight aura droit, dans cet article 3bis, simplement au statut de «également langue nationale», avec l’article 3 consacrant «l’arabe comme la langue nationale et officielle», comme ce fut le cas dans les précédentes Constitutions (1963, 1976, 1989, 1996).
Il est donc fort utile d’insister sur le «Bis» et le déterminant «La» qui imposent le caractère subsidiaire de la langue Tamazight, d’un côté, et le caractère exclusif de l’arabe, d’un autre côté. Ce revirement tactique du président Bouteflika, membre influent du pouvoir dictatorial depuis 1963 et connu pour avoir insulté la Kabylie en septembre 1999 lorsqu’il déclara que «Tamazight ne sera jamais, jamais, jamais officielle et pour qu’elle ait un statut de langue nationale, il faudra passer par la voie référendaire» (sic), nous le considérons comme une manœuvre dilatoire pour faire oublier la violente répression et l’impunité politique et judiciaire offerte aux gendarmes assassins, ceux-ci n’ayant jamais été jugés à nos jours, malgré la revendication de justice, au lieu d’être une remise en cause de l’apartheid identitaire arbitrairement imposé à l’amazighité.
L'approche de l'auteur, Maître Hannoun, connu pour ses engagements en faveur de la défense des droits humains et de la démocratie, me semble intéressante, surtout qu'il s'agit du point de vue d'un homme de loi qui nous éclaire sur les contradictions liées à ce nouveau statut qui semble susciter des réactions multiples. A conseiller, malgré sa longueur, mais ça en vaut la peine.
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Révision constitutionnelle et Tamazight
Entre évolution juridico-constitutionnelle et persistance d’un déni politico-idéologique
El Watan, le 23.02.16 | 10h00
La problématique identitaire s'est imposée derechef à l'Algérie, dès son indépendance en 1962. Certains choix faits d’une façon autoritaire par le pouvoir du président Ben Bella ont eu comme objectif principal de mettre l’arabité comme socle de l’identité algérienne, par substitution à l’amazighité qui en est la référence historique et originelle.
Son fumeux «L’Algérie est arabe, arabe, arabe !» porte en lui le sillon traumatique de tout le peuple amazigh d’Algérie. Cet acharnement contre l’amazighité a commencé à prendre racine durant la guerre d’indépendance notamment, un terreau pour l’interventionnisme du président égyptien Nasser, sous couvert de la fraternité arabe, qui fut l’un des chantres du «panarabisme». L’Algérie indépendante a offert donc un prolongement politique, juridique et identitaire à ce «Baâthisme» (Renaissance arabe), fruit du nationalisme arabe d’un certain «Michel Aflak», en décrétant que l’Algérie est l’un des wagons d’un tramway nommé «arabisme». C’est le grand poète et penseur Ali Ahmed Saïd (alias Adonis), un autre Syrien, qui disait : «Si tu veux être un musulman ou un arabo-musulman, il faut imiter le parfait de l’histoire» (sic). Ipso facto, déduction faite inhérente à notre problématique identitaire nationale, cela a comme implication politique directe d’opérer des coupes (un euphémisme) dans tout ce qui ne concorde point avec le «parfait» de ladite histoire arabe sublimée par le «Baâthisme». Et comme Tamazight renvoie à une autre histoire, une autre culture, une autre langue, une autre identité, l’ostracisme est de rigueur. En Algérie, durant ces cinq décennies, l’essentialisme identitaire a toujours été le soubassement de plusieurs politiques d’aliénation visant des secteurs névralgiques multiples : l’école (quel traumatisme que d’arriver à l’école primaire à l’âge de 5 ans, n’ayant que Tamazight comme langue vernaculaire, et d’entendre l’instituteur parler une langue étrangère à son propre vécu, présentement l’arabe !), la justice (des magistrats qui s’adressent en arabe aux vieux Kabyles monolingues dans un dialogue de sourds), l’administration, etc.
C’est ainsi que des pans entiers de l’Etat ont été mis à contribution afin d’arrimer l’Algérie à un «Maghreb arabe», politiquement inventé ex nihilo par le fait du prince, et à une «nation arabe» chimériques, et ce, au détriment d’une toponymie persistante et d’une réalité culturelle, identitaire et linguistique vécue au quotidien par des millions des Imazighen dans plusieurs régions amazighophones d’Algérie, dont la Kabylie n’est point des moindres. Une Kabylie qui, grâce au renouveau culturel des années 70’, a toujours été à l’avant-garde du combat, nonobstant la répression systématique de toutes les actions inhérentes à la réhabilitation du socle identitaire amazigh de l’Algérie. La création du Mouvement culturel berbère (MCB) en Kabylie et la systématisation de la politique du pire par la Sécurité militaire lors de la violente répression du «Printemps berbère», le 20 avril 1980, canalisera la revendication en lui offrant un cadre unitaire pour la militance amazighe. A partir du séminaire de Yakouren (Kabylie, août 1980), la revendication identitaire amazighe est devenue un élément constitutif d’un projet de société démocratique, laïque et de gauche. En face, le renforcement des politiques d’arabisation, corollaire d’une islamisation de la société et des institutions de l’Etat, en sus de la répression, furent des constantes dans la politique du pouvoir algérien à l’encontre des revendications identitaires, culturelles, politiques et démocratiques de la Kabylie.
Dans ce contexte politique évolutif, la Constitution du 23 février 1989, tout en consacrant la pseudo ouverture démocratique, continuera dans la logique du déni identitaire de l’amazighité en faisant de l’arabe la seule langue nationale et officielle de l’Etat algérien. Dans le même corpus constitutionnel, l’islam maintiendra sa proéminente place de «religion d’Etat». Avec la consolidation de ces deux «constantes nationales», constat est fait que l’évolution du pouvoir algérien sur la problématique identitaire amazighe n’était point à l’ordre du jour, malgré le discours d’ouverture affiché par Chadli Bendjedid, le président de l’époque. Cependant, cette nouvelle Constitution aura eu le mérite de permettre la création de partis politiques qui exigeront un statut constitutionnel à Tamazight en tant que langue nationale et officielle.
De facto, une décennie après la répression sanglante du «Printemps berbère», la problématique identitaire amazighe s’enracine dans le débat public, aux côtés de la nécessaire édification d’un Etat laïc et d’une république démocratique. La «grève du cartable», boycott de l’année scolaire et universitaire 1994/1995, une première mondiale à forte charge politique et symbolique en faveur de la défense de l’identité d’un peuple autochtone, en opposition avec les choix négateurs de l’Etat, constituera un tournant politique et populaire majeur dans la stratégie des Imazighen de Kabylie pour imposer un statut de jure à Tamazight. Celui-ci interviendra en avril 1995 avec la promulgation d’un décret présidentiel portant création d’un «Haut Commissariat à l’amazighité» chargé de la promotion de Tamazight dans le système éducatif.
Ce fut le premier acte juridique et officiel de l’Etat algérien en faveur d’une timide et contrôlée réhabilitation de l’amazighité. Même si la volonté politique, franche et sincère, n’y était point, les référents idéologiques du pouvoir, «l’arabo-islamisme» en l’occurrence, ayant été encore une fois consacrés d’une façon exclusive dans la nouvelle Constitution de 1996, la pression populaire a permis d’arracher un tel acquis, et ce, avec la nette conscience que l’engagement populaire et militant est plus que jamais de rigueur. L’autoritarisme étant le mode de gouvernance du pouvoir algérien, et face aux revendications politico-identitaires de la Kabylie, en opposition frontale avec sa stratégie nihiliste, la répression a été remise au goût du jour lors du «Printemps noir de Kabylie», en 2001 et 2002. Le bilan fut sanglant et meurtrier : 126 manifestants assassinés par des gendarmes, des centaines de blessés et de détenus.
Dans ce contexte d’extrême tension, la problématique identitaire amazighe refera surface, aux côtés des autres revendications politiques et sociales, notamment dans la plateforme de revendications de «Leqser» (ville de la Kabylie maritime). Avec une Kabylie en état d’insurrection permanent, et dans un geste voulu d’«apaisement», le président Bouteflika modifia la Constitution, avec l’aide d’un Parlement aux ordres, en y introduisant un article 3bis dans le corpus constitutionnel. Toujours dans la logique de la hiérarchisation des référents identitaires de l’Algérie, la primauté et la priorité revenant, politiquement et de droit, à «l’arabo-islamisme», l’idéologie du pouvoir depuis 1962, Tamazight aura droit, dans cet article 3bis, simplement au statut de «également langue nationale», avec l’article 3 consacrant «l’arabe comme la langue nationale et officielle», comme ce fut le cas dans les précédentes Constitutions (1963, 1976, 1989, 1996).
Il est donc fort utile d’insister sur le «Bis» et le déterminant «La» qui imposent le caractère subsidiaire de la langue Tamazight, d’un côté, et le caractère exclusif de l’arabe, d’un autre côté. Ce revirement tactique du président Bouteflika, membre influent du pouvoir dictatorial depuis 1963 et connu pour avoir insulté la Kabylie en septembre 1999 lorsqu’il déclara que «Tamazight ne sera jamais, jamais, jamais officielle et pour qu’elle ait un statut de langue nationale, il faudra passer par la voie référendaire» (sic), nous le considérons comme une manœuvre dilatoire pour faire oublier la violente répression et l’impunité politique et judiciaire offerte aux gendarmes assassins, ceux-ci n’ayant jamais été jugés à nos jours, malgré la revendication de justice, au lieu d’être une remise en cause de l’apartheid identitaire arbitrairement imposé à l’amazighité.
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