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Quelle est l’équation magique espagnole ?

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  • Quelle est l’équation magique espagnole ?

    Dans un contexte de crise qui voit monter les extrêmes et les populismes, le seul mouvement de rapprochement concret se fait au centre.

    Novembre 2010 : je voyage avec ma famille sur la toute nouvelle autoroute à péage Madrid Tolède. Pas une voiture à l’horizon. Nous sommes tellement seuls que nous nous arrêtons au milieu de la chaussée pour nous prendre en photo et faire galoper notre chienne. Dans la portion proche de Madrid, le paysage est constitué d’une suite ininterrompue de complexes immobiliers de grande ampleur, certains achevés mais inoccupés, d’autres inachevés et manifestement abandonnés.

    Cette anecdote résume bien l’image qu’on a de l’Espagne depuis la crise de 2008 : un pays en grande difficulté économique qui se noie dans sa folie immobilière des années 2000. En Espagne, écrit alors le quotidien El Pais, on pourrait loger toute la Norvège dans les résidences vacantes.
    Le bipartisme vole en éclats

    Le 20 décembre dernier, les Espagnols se sont rendus aux urnes pour élire leurs députés et ont fait voler en éclats le bipartisme qui prévalait jusque-là (depuis le retour complet à la démocratie en 1978) entre le PSOE (parti socialiste ouvrier espagnol) et le PP (Partido Popular, droite). Avec la montée en puissance de Podemos (« Nous pouvons », parti des « indignés » d’extrême-gauche comparable à Syriza en Grèce) et de Ciudadanos (« Les Citoyens », parti centriste à tendance libérale), ce sont maintenant quatre partis qui se disputent le droit de gouverner l’Espagne. Depuis lors, le gouvernement sortant de Mariano Rajoy (PP) se contente d’expédier les affaires courantes. En effet, arrivé premier à l’issue des élections générales, le PP n’a obtenu que 29 % des voix et 123 sièges sur 350 et n’a pas été capable de former un gouvernement. Au début de ce mois, le Roi Felipe VI a donc confié cette tâche au parti arrivé en second, c’est-à-dire le PSOE (22 % et 90 sièges) qui se trouve confronté à des difficultés similaires. (Voir ci-dessus la nouvelle composition du Congrès des députés espagnols).
    Cependant, mercredi 24 février 2016, le PSOE de Pedro Sanchez et le nouveau parti Ciudadanos créé en 2006 par le juriste catalan Albert Rivera (36 ans) ont annoncé avoir conclu un accord par lequel le parti centriste s’engage à donner son soutien au PSOE lors du débat parlementaire du 1er mars prochain où Pedro Sanchez tentera d’obtenir l’investiture pour gouverner. L’accord comporte aussi des déclarations communes sur la nécessité d’une « régénération démocratique » impliquant des réformes constitutionnelle, territoriale et judiciaire. La force politique ainsi constituée réunit 130 députés sur 350. Sauf abstention ou ralliement d’autres partis (qui, tels que Podemos, ont déjà décliné l’offre), c’est insuffisant pour aboutir dans l’immédiat, mais cela permet d’envisager d’éventuelles nouvelles élections en faisant montre d’une certaine volonté d’avancer et d’un esprit de responsabilité.

    De Aznar à Zapatero

    Reprenons le fil de l’histoire espagnole récente depuis 2004. À cette date, José Maria Aznar (PP) a effectué deux mandats de chef du gouvernement et peut se targuer d’un bilan économique favorable. À la faveur d’une politique libérale constituée de baisses d’impôts, privatisations, libéralisation du marché du travail et austérité budgétaire, il a fait reculer le chômage de 23 % en 1996 (fin des quatre mandats du socialiste Felipe Gonzalez) à 11 %, la dette publique de 63 % du PIB à 52 % et les finances publiques sont à l’équilibre depuis quatre ans. Ayant décidé de ne pas briguer un troisième mandat, il laisse la place à Mariano Rajoy (PP) lors des élections générales de mars 2004. Tout le monde s’attend à ce que ce dernier soit élu, mais l’attentat de la gare Atocha (Madrid) qui intervient trois jours avant le scrutin change la donne. Les Espagnols reprochent au gouvernement d’avoir cherché à se dédouaner de son soutien à la guerre américaine en Irak en accusant précipitamment l’ETA basque de ce massacre, alors qu’il s’agit d’un attentat finalement revendiqué par Al-Qaïda.

    C’est donc José Luis Zapatero du PSOE qui accède à la tête du gouvernement où il restera jusqu’en 2011. La première partie de son mandat est surtout marquée par des réformes sociétales telles que le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels, la régularisation massive des sans-papiers, la protection des femmes contre les violences conjugales et, sujet douloureux, l’identification et la reconnaissance des victimes du franquisme. Le taux de chômage reste en dessous de 10 %, mais il se met à exploser à partir de 2008 pour dépasser les 20 % en 2011 (voir schéma ci-dessus, extrait du Figaro). Zapatero aborde d’abord la crise avec des grands travaux et des projets de relance, mais en 2010, la situation empirant, il est contraint d’adopter des mesures de rigueur : hausse de la TVA, baisse des salaires des fonctionnaires, gel des pensions, augmentation de l’âge de départ à la retraite. Son électorat se sent trahi et le lui fait savoir lors des élections générales de 2011 qui voient Mariano Rajoy du PP accéder enfin au pouvoir avec la majorité absolue (185 députés sur 350 et 44 % des voix).

    Corruption au Partido Popular

    La période 2011-2015 est très difficile pour l’Espagne. Le chômage continue à monter jusqu’à 26 % mi-2013 et dépasse les 50 % pour les jeunes de moins de 25 ans. Mais à partir de 2013, la courbe du chômage s’inverse durablement pour redescendre à 21 % à fin 2015, l’économie redémarre, affichant en 2015 une croissance de 3 % et le déficit public est ramené de 8 % à 4,5 %. Malgré des manifestations peu amènes à son égard, Mariano Rajoy défend son bilan et accuse les socialistes d’avoir laissé le pays dans un état très dégradé en 2011 :
    « J’ai récupéré un pays que, vous les socialistes, aviez laissé au bord de la ruine. Aujourd’hui, on ne parle plus de prime de risque, d’une Espagne en faillite, mais d’un pays qui va bien mieux que ses amis européens. »
    De leur côté, les socialistes pointent les innombrables affaires de corruption qui minent le Partido Popular. Il s’agit soit de financement illégal du parti remontant aux années 2000, soit de marchés publics attribués contre des commissions occultes, soit des deux. Les sections de Madrid et Valence sont particulièrement touchées. Cette situation délétère a fini par provoquer il y a dix jours la démission d’Esperanza Aguirre, patronne du PP de Madrid, après trente-trois ans de bons et loyaux services en politique :
    « Je ne suis pas directement responsable, car je ne savais pas ce que faisaient mes trésoriers, et je n’ai jamais volé un seul euro, mais je suis politiquement responsable. Alors, je pars. »
    Les bons résultats de la politique économique de Rajoy pèsent peu face à la corruption au sein du PP qui s’étale dans la presse tous les jours depuis des mois, d’autant que, comme toute politique de redressement, elle génère son lot de mécontentement, de frustration et d’impatience. Rajoy ne fut donc pas en mesure de fédérer d’autres partis autour du PP et annonça fin janvier qu’il renonçait à former un gouvernement.

    Indépendance et indignation

    Son idée pour y parvenir tournait autour de l’indépendance de la Catalogne. Le parti catalan CDC, porteur de la revendication actuelle d’indépendance de la Catalogne, a organisé un référendum sur la question fin 2014, mais cette consultation électorale n’est pas constitutionnelle. Le PP s’y oppose, tout comme le PSOE qui est en concurrence politique directe avec le parti indépendantiste en Catalogne. Le jeune parti Ciudadanos s’y oppose également. Bien que catalan, son leader Albert Rivera considère que la Constitution espagnole de 1978 rend sans objet les demandes d’indépendance des régions. Par contre Podemos, qui a obtenu la mairie de Barcelone (et celle de Madrid) lors des municipales de juin 2015, soutient l’idée d’un référendum sur la question de l’indépendance. Sur cette base anti-indépendance, Rajoy pensait réussir à réunir une coalition PP, PSOE, Ciudadanos. Échec, cependant, en raison des affaires de corruption du PP.
    De son côté, le PSOE n’a pu s’allier à Podemos, pour la question du référendum sur l’indépendance catalane, mais aussi parce que le parti des « indignés », concurrent direct du PSOE auprès des classes moyennes et ouvrières, dénonce le rapprochement du parti socialiste avec un parti « libéral ». Le PSOE a réalisé en décembre le plus mauvais score de son histoire (22 % et 90 sièges), suivi de très près en voix par le parti d’extrême-gauche (20,7 % et 69 sièges). En cas de nouvelles élections générales organisées prochainement, les sondages (très serrés, restons prudents) tendent maintenant à donner à Podemos la seconde place après le PP et avant le PSOE. Il est donc plutôt dans l’intérêt de Podemos qu’aucun des deux partis traditionnels n’arrive à former un gouvernement et que les électeurs soient convoqués à nouveau rapidement aux urnes, afin de faire monter les enchères.

    Le PSOE d’aujourd’hui est assez éloigné du PSOE de Felipe Gonzalez (chef du gouvernement espagnol de 1982 à 1996). Avec l’émergence de Podemos sur sa gauche, il a opéré un mouvement vers le centre-gauche qui lui permet de discuter avec Ciudadanos. Ce dernier, parti centriste à tendance libérale dans le cadre d’un État-providence, est en fait plus proche de la social-démocratie que du libéralisme pur, ce qui lui permet de discuter avec le PSOE.
    L’alliance de ces deux partis ne permettra probablement pas de former un gouvernement le 1er mars, mais elle anticipe sur la tenue de nouvelles élections (la date du 26 juin 2016 est envisagée). À ce moment-là, espérant créer une dynamique, le PSOE et Ciudadanos pourront dire qu’ils n’ont rien à voir avec la corruption du PP, et qu’ils n’ont rien à voir non plus avec les mesures d’extrême-gauche préconisées par Podemos, dont on a pu constater les faibles effets avec l’exemple grec de Syriza.

    Compte-tenu du poids du PP et de Podemos, il n’est pas du tout certain qu’ils réussissent, d’autant que d’après les sondages cités plus haut, les électeurs sont majoritaires (70 %) à souhaiter que les partis arrivent à s’entendre plutôt que de devoir revoter. Il est cependant intéressant de constater que dans un contexte de forte crise économique et politique qui voit monter les extrêmes et les populismes, le seul mouvement de rapprochement concret à ce jour se fasse au centre.

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