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Iran : les réformes en péril

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  • Iran : les réformes en péril

    La «vague verte» de 2009 semble bien loin vu de Téhéran, où les élections de ce vendredi opposent conservateurs tout-puissants et réformateurs mis sur la touche.

    Sur d’immenses photos qui maillent les avenues de Téhéran, on les voit ensemble, absorbés par la prière, unis en apparence comme les doigts de leurs mains, dont ils offrent les paumes au ciel. Tous les quatre sont des religieux et des personnages clés du régime : le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, qui se tient au centre, le président Hassan Rohani, l’ex-président Ali Akbar Hachémi Rafsandjani et, enfin, Hassan Khomeiny, le petit-fils du fondateur du régime. En ces temps d’élections législatives et à l’Assemblée des experts, un des organes clés du régime, il s’agit de montrer qu’ils s’entendent bien, qu’ils entraînent ensemble le pays vers un avenir radieux et que l’Iran, s’il s’entrouvre au monde extérieur, reste le berceau de la révolution islamique.

    La réalité est bien différente : Hassan Khomeiny, tout petit-fils de l’architecte de cette révolution qu’il est, n’a pas eu le droit de se présenter au scrutin de l’Assemblée des experts - sans doute en raison de ses penchants réformistes. Et on sait que Rafsandjani et Khamenei se livrent une guerre feutrée depuis une quinzaine d’années. Seul Rohani semble bien s’entendre avec les trois autres. Pour l’actuel président, les élections de ce vendredi devraient être l’occasion d’obtenir la majorité au Majlis (Parlement) qui lui fait défaut et dont il a besoin pour engager des réformes. Même s’il s’efforce de faire la synthèse entre le courant réformiste et celui des oussoulgaryan («principalistes»), partisans d’un certain changement, il est davantage associé au camp réformateur. Ses partisans partent donc à la bataille auréolés de la «victoire» que constitue l’accord sur le nucléaire arraché à Vienne l’été dernier, et dont la grande majorité des Iraniens, y compris chez ses adversaires, se félicitent.

    Pourtant, on sent le camp réformateur sur la défensive. La plupart des meetings de campagne des candidats ont été annulés - y compris celui de Mohammed Zarif, le ministre des Affaires étrangères - ou déplacés au dernier moment. Mercredi, celui de Mohammed-Reza Aref, chef de file des réformateurs, prévu pour se tenir dans l’après-midi à Téhéran, a été repoussé au dernier moment à Bumeh, une obscure localité à une vingtaine de kilomètres de la capitale. Conséquence : seules 200 à 300 personnes ont pu l’écouter. Dans son discours, pas un mot pour déplorer ce mauvais sort. A peine a-t-il égratigné le camp adverse, lui reprochant «d’arracher ses affiches électorales». En revanche, il a chaudement remercié le Guide d’avoir permis l’accord sur le nucléaire.

    Si les réformistes ont pu tenir, ici et là, quelques réunions, ils ont fait profil bas. Dimanche, ils étaient une quarantaine à écouter Mehdi Cheikh, un religieux candidat. Dans la salle, une majorité d’hommes, un peu intellos, un peu égarés, avec des petits cartables et, au premier rang, les femmes, bourgeoises jusqu’à la pointe du foulard, avec des sacs luxueux. Dans un court discours, le candidat a plaidé «pour la modération dans les réformes» et pour que la critique soit précédée par… l’autocritique. Pas de quoi enthousiasmer une large partie de la jeunesse qui, du moins à Téhéran, se demande si elle va ou non aller voter.

    Profil bas
    «En Iran, nous avons trois peuples, résume un avocat d’affaires d’Ispahan, qui ne veut pas être cité. Le premier peuple supporte les principalistes. Le second, les réformistes. Le troisième, ce sont les "khamoush", les éteints, les off-on. Ils sont comme un poste de télévision. Ils se rallument le jour du vote, en fin d’après-midi, quand les réseaux sociaux donnent l’alerte, leur disant qu’il y a la queue devant les bureaux, ou que leur voix peut changer quelque chose.»

    Il y a quand même des enthousiastes, comme Reza, un ingénieur en mécanique. Il vient tout juste de terminer son service militaire, qu’il avoue avoir exécré. «Il faut absolument aller voter. C’est le bon moment et les jeunes qui n’y vont pas ont tort. Si les réformistes gagnent, comme ils ont déjà la présidence, ils pourront faire sortir de prison Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi [les deux leaders réformistes en résidence surveillée depuis 2009, ndlr]». Il confie cependant que la «vague verte», ce grand mouvement de révolte que les deux hommes avaient suscité, n’est plus qu’un souvenir : «Aujourd’hui, il n’en reste plus que les cendres.»

    Le «peuple» des principalistes, lui, va voter dans l’ensemble sans état d’âme. Mais leurs candidats sont souvent divisés : « Ils sont de trois sortes, poursuit l’avocat. Les durs, les moins durs et ceux qui sont proches de l’actuel gouvernement.» Les premiers ont pu tenir meeting lundi, à côté du Majlis, dans la mosquée Ali-Motahari, un philosophe islamiste assassiné qui prônait la régénération de la société par le sang des martyrs. Justement, à écouter les discours, on a l’impression de remonter le temps, de revenir aux sources de la révolution. Différence de taille : on ne scande plus «mort à l’Amérique !», mais simplement «Dieu est le plus grand».

    Les intervenants mettent cependant dans le même sac l’Etat islamique, l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et, bien sûr, Israël. L’orateur principal, c’est le député Gholam Ali Haddad-Adel, un philosophe et physicien, ancien vice-ministre de la Culture, dont la fille est mariée avec Mojtaba, le fils de Khamenei et directeur de son tout-puissant Bureau. «En ce moment, l’Iran a beaucoup d’ennemis dans le monde entier, mais il y fera face grâce à sa courageuse jeunesse. C’est pour cela qu’elle va se battre en Syrie contre Daech. Le Guide leur montre le chemin», lance-t-il sous les applaudissements. «Avec la fin des sanctions, nous allons essayer de remobiliser l’économie […]. Mais nous sommes inquiets que l’Amérique et l’Europe fassent de l’Iran leur marché. Nous ne voulons pas cela.»

    Cette fois, les militants viennent pour l’essentiel des quartiers populaires du Sud. Les visages sont plus burinés, témoignant d’une vie difficile, les vêtements plus fripés. Les mollahs sont assez nombreux. Les paroles sont directes : «C’est quoi la Grande-Bretagne ? Un âne !» tranche un religieux de haut rang en réponse à une question.

    «Rôle de l’argent»
    En mettant la question des mœurs en sourdine, le camp principaliste a largement accru son audience dans la jeunesse. Désormais, hormis à l’école, la différence entrebi hijab et bad hijab (la façon, bonne ou mauvaise, pour les femmes de porter le foulard) commence à s’estomper. Rencontré à l’Université de Téhéran, Mohammad Sadiq, 18 ans, étudiant en ingénierie électrique, rassemble tous les stigmates - jeans déchirés, coiffure en bataille… - de ce que les conservateurs appellent «la jeunesse corrompue». Pourtant, il votera pour les principalistes. «Aux législatives comme à l’Assemblée des experts. Les conservateurs sont plus centristes que les réformistes» , assure-t-il. Pareil pour Mohammad-Hassan, 19 ans, étudiant en archéologie : «Les jeunes ont besoin de jouer un rôle. Et ils l’auront plus avec les conservateurs.»

    Parce qu’elles sont soigneusement entretenues par les milieux religieux et conservateurs, les cendres de la révolution islamique de 1979 brûleraient-elles encore, quand celles de la «révolution verte» de 2009 apparaissent bien tièdes ? «N’oubliez pas le rôle de l’argent, lance un jeune photographe. La jeunesse a oublié toute éthique et ne pense plus qu’à ça. Un père qui demandait à son fils, à son entrée à l’université, ce qu’il comptait étudier, s’est vu répondre : comment devenir riche.»







    liberation
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