Entretien réalisé par Tarek Hafid*
Impact24: L’Algérie connait depuis près d’une année des changements sur les plans politique et sécuritaire. Comment est perçue cette mutation de l’extérieur ?
William Lawrence:*Effectivement, il y a eu des changements. Mais ces changements ne sont pas radicaux. Ils sont graduels. Il y a un débat qui existe depuis longtemps sur le principe d’ingérence et de non-ingérence et les tactiques et stratégies envers les autres pays de la région. Les experts perçoivent un décalage de la capacité des Algériens à comprendre les problèmes et de leur capacité à les résoudre. Un des meilleurs exemples est le conflit au Mali. Lorsque Hillary Clinton est venue en Algérie quelques temps avant l’éclatement de la crise, elle avait félicité, en public et en privé, le point de vue algérien. Les Algériens avaient la possibilité de prévenir ce conflit, mais malheureusement ils n’ont pas eu la chance d’appliquer leurs solutions assez rapidement pour éviter la guerre.
Le conflit au Mali a été déclenché en partie à cause de cette incapacité des autorités algériennes à implémenter rapidement leur stratégie. Le gouvernement algérien dispose de cadres de grande qualité mais il a parfois des problèmes à mettre en action ses décisions. L’Algérie ne manque pas d’analystes et d’intellectuels, certains sont d’un niveau mondial en termes de géostratégie, d’économie et de gestion mais le manque de capacité, en général, bloque le pays dans sa dynamique de jouer pleinement son rôle au niveau régional.
Le blocage est peut-être d’ordre doctrinal…
Il est vrai que les Algériens sont parfois bloqués par leur obsession de la souveraineté. La souveraineté est importante, mais ce n’est pas tout. Il doit y avoir un équilibre entre la souveraineté et la gestion des affaires internationales en matière de politiques sécuritaire et économique. Je reste persuadé que le problème se situe au niveau des capacités d’action des autorités. Et à mon avis, une des principales raisons de cette incapacité s’explique par le manque de compétences dans les institutions. Cela est peut-être dû au départ d’une génération en poste durant les années 90 ? Une chose est sûre, l’Algérie ne parvient pas à 100% à mettre en oeuvre toutes ses stratégies.
Les Américains se plaignent souvent de l’interférence de la France dans tout ce qui touche à l’Algérie. C’est peut-être aussi un facteur de blocage ?
(Rires) Il faut reconnaitre qu’il y a des liens entre Paris et Alger, entre les personnalités et même les partis politiques. Il y a aussi des fortunes qui se sont amassées et divers scandales. Mais cela ne concerne pas uniquement l’Algérie mais de nombreux pays africains avec qui la France entretient des relations pas très saines. Les Français ont instauré ce système après la décolonisation. Mais je ne pense pas que les interférences des Français iraient jusqu’à bloquer l’élan de l’Algérie si tant est que les Algériens faisaient preuve de volonté. L’Algérie appartient aux Algériens, c’est un pays riche qui dispose de nombreuses compétences. Les Algériens ont les moyens de gérer leur pays. Il suffit de le vouloir.
Des experts européens estiment que la crise économique que subit l’Algérie pourrait limiter sa capacité à défendre sa frontière Est face à l’avancée de « l’Etat islamique » en Libye. Partagez-vous ces craintes ?
Non, dans le sens où la sécurité n’est pas aussi chère que ça. L’Algérie a les moyens de faire face à la menace terroriste à ses frontières même en situation de crise économique. Mais les forces de sécurité peuvent être efficaces à 99% et c’est le dernier 1% qui permettra aux terroristes d’entrer en action et de commettre des attentats. Cela s’est produit l’an dernier à trois reprises en Tunisie et a failli se produire la semaine dernière au Maroc où les autorités ont déjoué une série d’attentats. C’est également valable pour les actions terroristes qu’ont connues la France et les Etats-Unis. C’est ce petit 1% qui fera que les forces de sécurité seront accusées de faiblesse. Et ce même 1% qui fera la puissance des terroristes. Il faut donc une vigilance sans failles.
Dans*un entretien*accordé au mois de décembre à notre journal, l’ambassadeur des Etats-Unis à Alger a indiqué que l’administration américaine attendait de prendre connaissance la teneur de la nouvelle Constitution. Ce texte constitue-t-il une avancée démocratique ?*
C’est une avancée démocratique dans le sens où le peuple algérien et les partis politiques pourront bénéficier des réformes. Encore faudrait-il que ces réformes soient mises en pratique. Reste que le processus n’est pas totalement démocratique puisqu’il a été mis en œuvre du sommet vers la base. Aussi, je constate que les partis politiques et le mouvement associatif ont été écartés du dialogue politique. Depuis 2009, le pouvoir dialogue essentiellement avec la rue du fait de l’éclatement de milliers de micro-manifestations. C’est une situation antipolitique qui fait que le système n’est plus réellement démocratique. La rue ne devrait pas gérer avec le pouvoir la direction à donner aux affaires de la cité. Il faut dire que le Maroc et la Tunisie prennent la même voie. Personnellement, je reste très optimiste car je suis persuadé que l’Algérie parviendra à construire un système démocratique. Les Algériens profiteront un jour des fruits des luttes qu’ils mènent depuis l’époque coloniale à nos jours.
Dans les relations entre l’Algérie et les Etats-Unis il y a un personnage qui jouit d’un statut particulier. Il s’agit de Chakib Khelil qui semble avoir été blanchi en Algérie mais qui est toujours poursuivi par la justice italienne. Le fait d’être de nationalité américaine lui assure-t-il cette protection ?
J’ai entendu dire que cet ancien ministre avait la nationalité américaine, mais je ne peux pas le confirmer. Je crois que 99,99% des Américains n’ont jamais entendu le nom de Chakib Khelil. Il y a juste un petit groupe de personnes au Texas, à Washington et New-York qui connaissent son affaire et la voient sous le prisme de l’anticorruption. Aux Etats-Unis personne ne sait s’il est corrompu ou non car les preuves n’ont pas été présentées devant la justice. D’ailleurs, ces personnes ne savent pas si les systèmes judiciaires algérien et italien sont à la hauteur pour le juger. Je ne pense pas que des gens veulent protéger Chakib Khelil. Je pense que c’est lui qui tente d’échapper à un sort qui pourrait lui être dramatique.
Revenons à l’actualité au Maghreb. Comment expliquez-vous la décision du Maroc de couper tout contact avec l’Union Européenne ?
Je n’ai pas suivi de près cette affaire. Je sais cependant que face à l’Union Européenne, le Maroc se concentre trop sur la symbolique et pas assez sur la qualité des relations. Je ne connais pas un seul député européen qui n’aime pas le Maroc ou qui soit contre une solution politique au Sahara Occidental. Mais puisque les territoires ne sont toujours pas reconnus comme marocains par la communauté internationale, il n’est pas possible de traiter ce problème comme une question de souveraineté nationale et de dignité nationale. Pour moi, c’est une question d’une population qui a besoin d’une meilleure gouvernance et d’un nouveau statut différent de celui actuel. Il est vrai que les Marocains ont fait beaucoup d’efforts pour améliorer la situation dans le Sud, mais ce n’est pas assez.
Cette réaction épidermique contre l’Union Européenne n’est pas une première. Les Etats-Unis ont déjà subi la colère de Rabat à cause de Christopher Ross. Le palais semble prendre des décisions sans trop se soucier des conséquences…
Je dis depuis longtemps que lorsqu’on ne prend pas au sérieux les points de vue algérien et marocain sur le Sahara Occidental, il est impossible de comprendre la situation. *Pour les Algériens, c’est une question de libération nationale. Les élites algériennes voient une ressemblance entre leur lutte et celle des Sahraouis. C’est pour cela qu’Abdelaziz Bouteflika a dit en 2005 que la cause sahraouie « est sacrée pour nous ». Pour les Marocains c’est pareil. Pour des raisons historiques qui datent de décennies, les élites voient le problème du Sahara Occidental comme une « fitna ». C’est considéré comme la volonté des puissances étrangères à détruire le Maroc. Que ce soit Ceuta, Melilla, les Iles Canaries ou le Sahara, pour eux ce sont des territoires marocains que les autres veulent voler. Donc, si nous ne prenons pas en compte les deux positions, il est impossible de comprendre et de trouver des solutions. Je relève également que des deux côtés, on parle de ce problème en des termes religieux, en mettant en avant le caractère « sacré ». Et lorsque qu’on aborde les choses par l’émotionnel, on ne pense plus aux conséquences de ses actions.
Impact24: L’Algérie connait depuis près d’une année des changements sur les plans politique et sécuritaire. Comment est perçue cette mutation de l’extérieur ?
William Lawrence:*Effectivement, il y a eu des changements. Mais ces changements ne sont pas radicaux. Ils sont graduels. Il y a un débat qui existe depuis longtemps sur le principe d’ingérence et de non-ingérence et les tactiques et stratégies envers les autres pays de la région. Les experts perçoivent un décalage de la capacité des Algériens à comprendre les problèmes et de leur capacité à les résoudre. Un des meilleurs exemples est le conflit au Mali. Lorsque Hillary Clinton est venue en Algérie quelques temps avant l’éclatement de la crise, elle avait félicité, en public et en privé, le point de vue algérien. Les Algériens avaient la possibilité de prévenir ce conflit, mais malheureusement ils n’ont pas eu la chance d’appliquer leurs solutions assez rapidement pour éviter la guerre.
Le conflit au Mali a été déclenché en partie à cause de cette incapacité des autorités algériennes à implémenter rapidement leur stratégie. Le gouvernement algérien dispose de cadres de grande qualité mais il a parfois des problèmes à mettre en action ses décisions. L’Algérie ne manque pas d’analystes et d’intellectuels, certains sont d’un niveau mondial en termes de géostratégie, d’économie et de gestion mais le manque de capacité, en général, bloque le pays dans sa dynamique de jouer pleinement son rôle au niveau régional.
Le blocage est peut-être d’ordre doctrinal…
Il est vrai que les Algériens sont parfois bloqués par leur obsession de la souveraineté. La souveraineté est importante, mais ce n’est pas tout. Il doit y avoir un équilibre entre la souveraineté et la gestion des affaires internationales en matière de politiques sécuritaire et économique. Je reste persuadé que le problème se situe au niveau des capacités d’action des autorités. Et à mon avis, une des principales raisons de cette incapacité s’explique par le manque de compétences dans les institutions. Cela est peut-être dû au départ d’une génération en poste durant les années 90 ? Une chose est sûre, l’Algérie ne parvient pas à 100% à mettre en oeuvre toutes ses stratégies.
Les Américains se plaignent souvent de l’interférence de la France dans tout ce qui touche à l’Algérie. C’est peut-être aussi un facteur de blocage ?
(Rires) Il faut reconnaitre qu’il y a des liens entre Paris et Alger, entre les personnalités et même les partis politiques. Il y a aussi des fortunes qui se sont amassées et divers scandales. Mais cela ne concerne pas uniquement l’Algérie mais de nombreux pays africains avec qui la France entretient des relations pas très saines. Les Français ont instauré ce système après la décolonisation. Mais je ne pense pas que les interférences des Français iraient jusqu’à bloquer l’élan de l’Algérie si tant est que les Algériens faisaient preuve de volonté. L’Algérie appartient aux Algériens, c’est un pays riche qui dispose de nombreuses compétences. Les Algériens ont les moyens de gérer leur pays. Il suffit de le vouloir.
Des experts européens estiment que la crise économique que subit l’Algérie pourrait limiter sa capacité à défendre sa frontière Est face à l’avancée de « l’Etat islamique » en Libye. Partagez-vous ces craintes ?
Non, dans le sens où la sécurité n’est pas aussi chère que ça. L’Algérie a les moyens de faire face à la menace terroriste à ses frontières même en situation de crise économique. Mais les forces de sécurité peuvent être efficaces à 99% et c’est le dernier 1% qui permettra aux terroristes d’entrer en action et de commettre des attentats. Cela s’est produit l’an dernier à trois reprises en Tunisie et a failli se produire la semaine dernière au Maroc où les autorités ont déjoué une série d’attentats. C’est également valable pour les actions terroristes qu’ont connues la France et les Etats-Unis. C’est ce petit 1% qui fera que les forces de sécurité seront accusées de faiblesse. Et ce même 1% qui fera la puissance des terroristes. Il faut donc une vigilance sans failles.
Dans*un entretien*accordé au mois de décembre à notre journal, l’ambassadeur des Etats-Unis à Alger a indiqué que l’administration américaine attendait de prendre connaissance la teneur de la nouvelle Constitution. Ce texte constitue-t-il une avancée démocratique ?*
C’est une avancée démocratique dans le sens où le peuple algérien et les partis politiques pourront bénéficier des réformes. Encore faudrait-il que ces réformes soient mises en pratique. Reste que le processus n’est pas totalement démocratique puisqu’il a été mis en œuvre du sommet vers la base. Aussi, je constate que les partis politiques et le mouvement associatif ont été écartés du dialogue politique. Depuis 2009, le pouvoir dialogue essentiellement avec la rue du fait de l’éclatement de milliers de micro-manifestations. C’est une situation antipolitique qui fait que le système n’est plus réellement démocratique. La rue ne devrait pas gérer avec le pouvoir la direction à donner aux affaires de la cité. Il faut dire que le Maroc et la Tunisie prennent la même voie. Personnellement, je reste très optimiste car je suis persuadé que l’Algérie parviendra à construire un système démocratique. Les Algériens profiteront un jour des fruits des luttes qu’ils mènent depuis l’époque coloniale à nos jours.
Dans les relations entre l’Algérie et les Etats-Unis il y a un personnage qui jouit d’un statut particulier. Il s’agit de Chakib Khelil qui semble avoir été blanchi en Algérie mais qui est toujours poursuivi par la justice italienne. Le fait d’être de nationalité américaine lui assure-t-il cette protection ?
J’ai entendu dire que cet ancien ministre avait la nationalité américaine, mais je ne peux pas le confirmer. Je crois que 99,99% des Américains n’ont jamais entendu le nom de Chakib Khelil. Il y a juste un petit groupe de personnes au Texas, à Washington et New-York qui connaissent son affaire et la voient sous le prisme de l’anticorruption. Aux Etats-Unis personne ne sait s’il est corrompu ou non car les preuves n’ont pas été présentées devant la justice. D’ailleurs, ces personnes ne savent pas si les systèmes judiciaires algérien et italien sont à la hauteur pour le juger. Je ne pense pas que des gens veulent protéger Chakib Khelil. Je pense que c’est lui qui tente d’échapper à un sort qui pourrait lui être dramatique.
Revenons à l’actualité au Maghreb. Comment expliquez-vous la décision du Maroc de couper tout contact avec l’Union Européenne ?
Je n’ai pas suivi de près cette affaire. Je sais cependant que face à l’Union Européenne, le Maroc se concentre trop sur la symbolique et pas assez sur la qualité des relations. Je ne connais pas un seul député européen qui n’aime pas le Maroc ou qui soit contre une solution politique au Sahara Occidental. Mais puisque les territoires ne sont toujours pas reconnus comme marocains par la communauté internationale, il n’est pas possible de traiter ce problème comme une question de souveraineté nationale et de dignité nationale. Pour moi, c’est une question d’une population qui a besoin d’une meilleure gouvernance et d’un nouveau statut différent de celui actuel. Il est vrai que les Marocains ont fait beaucoup d’efforts pour améliorer la situation dans le Sud, mais ce n’est pas assez.
Cette réaction épidermique contre l’Union Européenne n’est pas une première. Les Etats-Unis ont déjà subi la colère de Rabat à cause de Christopher Ross. Le palais semble prendre des décisions sans trop se soucier des conséquences…
Je dis depuis longtemps que lorsqu’on ne prend pas au sérieux les points de vue algérien et marocain sur le Sahara Occidental, il est impossible de comprendre la situation. *Pour les Algériens, c’est une question de libération nationale. Les élites algériennes voient une ressemblance entre leur lutte et celle des Sahraouis. C’est pour cela qu’Abdelaziz Bouteflika a dit en 2005 que la cause sahraouie « est sacrée pour nous ». Pour les Marocains c’est pareil. Pour des raisons historiques qui datent de décennies, les élites voient le problème du Sahara Occidental comme une « fitna ». C’est considéré comme la volonté des puissances étrangères à détruire le Maroc. Que ce soit Ceuta, Melilla, les Iles Canaries ou le Sahara, pour eux ce sont des territoires marocains que les autres veulent voler. Donc, si nous ne prenons pas en compte les deux positions, il est impossible de comprendre et de trouver des solutions. Je relève également que des deux côtés, on parle de ce problème en des termes religieux, en mettant en avant le caractère « sacré ». Et lorsque qu’on aborde les choses par l’émotionnel, on ne pense plus aux conséquences de ses actions.
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