L’Iran est une grande puissance militaire du Moyen-Orient mais qui est loin d’être la plus performante. Que ce pays, compte tenu de la technologie dont il dispose, puisse représenter une menace pour certains de ses rivaux, surprendrait. Des décennies de sanctions ont empêché Téhéran de moderniser son arsenal, d’où le retard comparé à ses voisins.
Désormais, et pour l’essentiel, les sanctions ont été levées et l’Iran s’efforce de rattraper ses adversaires potentiels, Arabie saoudite, Turquie, Emirats… Ces Etats, en effet, depuis un demi-siècle, ont consacré des centaines de milliards de dollars à l’acquisition des moyens de combat les plus élaborés du moment.
Ces sanctions ont également entraîné un manque dramatique de pièces détachées pour garder en l’état les nombreux matériels acquis en Occident quand le Shah était au pouvoir. S’appuyant sur le marché noir et aussi sur leur grande ingéniosité, les Iraniens ont démontré des aptitudes remarquables pour garder leur outil aussi opérationnel que possible, en modifiant les matériels et en fabriquant les pièces manquantes.
C’est ainsi qu’à la grande surprise des spécialistes, Téhéran a pu maintenir en état de vol sa flotte de chasseurs américains F14. Il n’en reste pas moins évident qu’aligner des matériels d’origines diverses, Etats-Unis, France, Russie, Chine…, n’est pas le meilleur moyen pour disposer d’une défense efficace et redoutée. Les difficultés rencontrées pour maintenir à niveau les équipements finissent par se transformer en un cauchemar logistique et technique.
Les Iraniens devraient donc, au moins initialement, chercher à réduire le nombre de leurs fournisseurs, tout en évitant de dépendre d’un seul pays pour d’évidentes raisons politico-stratégiques. Dans le passé, Téhéran s’est appuyé sur une force armée imposante et sur des capacités asymétriques de combat afin de garantir sa sécurité. Aujourd’hui, l’Iran paraît décidé à reconstituer une force conventionnelle en mesure d’équilibrer celle de ses rivaux et donc de la doter des meilleures armes possibles.
Le tissu industriel iranien est loin d’être négligeable mais il n’est pas suffisamment élaboré et spécialisé pour bâtir un système militaire de la qualité qui convienne. Téhéran doit donc se tourner vers l’étranger. L’ennui est que l’Iran, quoique libéré des sanctions qui l’ont tant gêné, devrait éprouver des difficultés à trouver tout ce dont il a besoin chez ses anciens fournisseurs occidentaux. Des difficultés politiques demeurent.
Les capitales intéressées par ces ventes d’armes ne veulent pas contrarier les pays de la région plus ou moins hostiles à la nouvelle Perse. De plus, il existe dans le monde un certain manque de confiance quant à la mise en œuvre par l’Iran de son programme nucléaire, ce qui peut entraver, voire même bloquer, l’accès de ce pays aux marchands de canons, américains ou bien européens.
Certes, les Iraniens peuvent s’adresser ailleurs. Mais les options ne sont pas nombreuses: seules la Russie et la Chine seraient en mesure de procurer à l’Iran des matériels suffisamment évolués pour être comparés à ceux dont disposent les armées du Moyen-Orient. Pour l’heure, la Russie apparaît comme le pays le mieux placé pour satisfaire les besoins iraniens.
D’une part, Moscou surclasse encore la Chine pour ce qui concerne au moins les missiles sol-air et les appareils de supériorité aérienne, d’autre part, l’implication russe et iranienne en Syrie a déjà conduit les deux pays à coopérer activement dans le domaine militaire. Sans compter qu’en Syrie, l’Iran peut juger du comportement des armes russes sur le terrain.
Il n’est donc pas surprenant que des négociations approfondies aient déjà eu lieu pour une vente russe à l’Iran de missiles sol/air S-300, réputés très performants(1). Depuis 2007, en réalité, l’armée iranienne rêve d’acquérir ces engins. Un premier contrat ferait même déjà l’objet d’un début de livraison. De son côté, Hossein Dehghan, le ministre iranien de la Défense, vient de faire état de son intention d’acquérir en Russie des chasseurs Su-30.
Et l’on parle aussi d’une commande de chars T90 pourvu que ces matériels puissent être assemblés, au moins partiellement, en Iran, avec les transferts de technologie correspondants. Chars T90, avions Sukhoï 30, missiles S-300 sont autant de matériels évolués utilisés ces temps-ci par les Russes en Syrie! Cette coopération russo-iranienne s’avère bienvenue pour les deux capitales.
Téhéran doit moderniser son arsenal, Moscou est en quête de marchés pour exporter ses matériels à un moment où certains clients, comme l’Inde (voir encadré), sont tentés de changer de fournisseur. A plus long terme, le fossé technique militaire entre l’Iran et ses rivaux devrait se trouver comblé, ce qui ne sera pas sans conséquences sur l’évolution des rapports de forces au Moyen-Orient.
Par le colonel Jean-Louis Dufour
L'Economiste
Désormais, et pour l’essentiel, les sanctions ont été levées et l’Iran s’efforce de rattraper ses adversaires potentiels, Arabie saoudite, Turquie, Emirats… Ces Etats, en effet, depuis un demi-siècle, ont consacré des centaines de milliards de dollars à l’acquisition des moyens de combat les plus élaborés du moment.
Ces sanctions ont également entraîné un manque dramatique de pièces détachées pour garder en l’état les nombreux matériels acquis en Occident quand le Shah était au pouvoir. S’appuyant sur le marché noir et aussi sur leur grande ingéniosité, les Iraniens ont démontré des aptitudes remarquables pour garder leur outil aussi opérationnel que possible, en modifiant les matériels et en fabriquant les pièces manquantes.
C’est ainsi qu’à la grande surprise des spécialistes, Téhéran a pu maintenir en état de vol sa flotte de chasseurs américains F14. Il n’en reste pas moins évident qu’aligner des matériels d’origines diverses, Etats-Unis, France, Russie, Chine…, n’est pas le meilleur moyen pour disposer d’une défense efficace et redoutée. Les difficultés rencontrées pour maintenir à niveau les équipements finissent par se transformer en un cauchemar logistique et technique.
Les Iraniens devraient donc, au moins initialement, chercher à réduire le nombre de leurs fournisseurs, tout en évitant de dépendre d’un seul pays pour d’évidentes raisons politico-stratégiques. Dans le passé, Téhéran s’est appuyé sur une force armée imposante et sur des capacités asymétriques de combat afin de garantir sa sécurité. Aujourd’hui, l’Iran paraît décidé à reconstituer une force conventionnelle en mesure d’équilibrer celle de ses rivaux et donc de la doter des meilleures armes possibles.
Le tissu industriel iranien est loin d’être négligeable mais il n’est pas suffisamment élaboré et spécialisé pour bâtir un système militaire de la qualité qui convienne. Téhéran doit donc se tourner vers l’étranger. L’ennui est que l’Iran, quoique libéré des sanctions qui l’ont tant gêné, devrait éprouver des difficultés à trouver tout ce dont il a besoin chez ses anciens fournisseurs occidentaux. Des difficultés politiques demeurent.
Les capitales intéressées par ces ventes d’armes ne veulent pas contrarier les pays de la région plus ou moins hostiles à la nouvelle Perse. De plus, il existe dans le monde un certain manque de confiance quant à la mise en œuvre par l’Iran de son programme nucléaire, ce qui peut entraver, voire même bloquer, l’accès de ce pays aux marchands de canons, américains ou bien européens.
Certes, les Iraniens peuvent s’adresser ailleurs. Mais les options ne sont pas nombreuses: seules la Russie et la Chine seraient en mesure de procurer à l’Iran des matériels suffisamment évolués pour être comparés à ceux dont disposent les armées du Moyen-Orient. Pour l’heure, la Russie apparaît comme le pays le mieux placé pour satisfaire les besoins iraniens.
D’une part, Moscou surclasse encore la Chine pour ce qui concerne au moins les missiles sol-air et les appareils de supériorité aérienne, d’autre part, l’implication russe et iranienne en Syrie a déjà conduit les deux pays à coopérer activement dans le domaine militaire. Sans compter qu’en Syrie, l’Iran peut juger du comportement des armes russes sur le terrain.
Il n’est donc pas surprenant que des négociations approfondies aient déjà eu lieu pour une vente russe à l’Iran de missiles sol/air S-300, réputés très performants(1). Depuis 2007, en réalité, l’armée iranienne rêve d’acquérir ces engins. Un premier contrat ferait même déjà l’objet d’un début de livraison. De son côté, Hossein Dehghan, le ministre iranien de la Défense, vient de faire état de son intention d’acquérir en Russie des chasseurs Su-30.
Et l’on parle aussi d’une commande de chars T90 pourvu que ces matériels puissent être assemblés, au moins partiellement, en Iran, avec les transferts de technologie correspondants. Chars T90, avions Sukhoï 30, missiles S-300 sont autant de matériels évolués utilisés ces temps-ci par les Russes en Syrie! Cette coopération russo-iranienne s’avère bienvenue pour les deux capitales.
Téhéran doit moderniser son arsenal, Moscou est en quête de marchés pour exporter ses matériels à un moment où certains clients, comme l’Inde (voir encadré), sont tentés de changer de fournisseur. A plus long terme, le fossé technique militaire entre l’Iran et ses rivaux devrait se trouver comblé, ce qui ne sera pas sans conséquences sur l’évolution des rapports de forces au Moyen-Orient.
«Les dépenses mondiales d’armement s’envolent»
«Pas de trêve pour le marché de l’armement, qui a connu une augmentation continue depuis 2004. Sur la période 2011-2015, il a progressé de 14% par rapport au quinquennat précédent…
Sur la période, l’Asie et le Moyen-Orient ont accentué leur poids total sur ce marché. On observe une course à l’armement en Asie de l’Est et du Sud-Est qui reflète deux mouvements. D’une part, l’entrée de ces pays dans un cycle de modernisation des équipements et des flottes; d’autre part, la préparation à un durcissement de la situation avec la Chine, perçue comme une menace croissante par ses voisins. Pékin investit massivement afin de se doter d’une armée moderne, prête au combat, sur terre, sur mer et dans les airs.
Le Moyen-Orient, gros client des industries occidentales, a animé le marché. Dans la foulée du printemps arabe et face à la menace terroriste (Daech), la région renforce ses capacités militaires. Les importations d’armes y ont progressé de 61% ces cinq dernières années. L’Arabie saoudite, deuxième importateur mondial de matériel militaire, a dépensé 275% de plus qu’en 2006-2010, les Emirats, 35%, et le Qatar, 279%.
D’après Véronique Guillermard, Le Figaro Economie, 22 février 2016
«Pas de trêve pour le marché de l’armement, qui a connu une augmentation continue depuis 2004. Sur la période 2011-2015, il a progressé de 14% par rapport au quinquennat précédent…
Sur la période, l’Asie et le Moyen-Orient ont accentué leur poids total sur ce marché. On observe une course à l’armement en Asie de l’Est et du Sud-Est qui reflète deux mouvements. D’une part, l’entrée de ces pays dans un cycle de modernisation des équipements et des flottes; d’autre part, la préparation à un durcissement de la situation avec la Chine, perçue comme une menace croissante par ses voisins. Pékin investit massivement afin de se doter d’une armée moderne, prête au combat, sur terre, sur mer et dans les airs.
Le Moyen-Orient, gros client des industries occidentales, a animé le marché. Dans la foulée du printemps arabe et face à la menace terroriste (Daech), la région renforce ses capacités militaires. Les importations d’armes y ont progressé de 61% ces cinq dernières années. L’Arabie saoudite, deuxième importateur mondial de matériel militaire, a dépensé 275% de plus qu’en 2006-2010, les Emirats, 35%, et le Qatar, 279%.
D’après Véronique Guillermard, Le Figaro Economie, 22 février 2016
Par le colonel Jean-Louis Dufour
L'Economiste
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