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Fukushima : «50 millions d’habitants ont failli être évacués»

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  • Fukushima : «50 millions d’habitants ont failli être évacués»

    Pour Naoto Kan, Premier ministre japonais au moment de la catastrophe, l’accident n’est pas fini.

    Quelle image gardez-vous du 11 mars et de la crise nucléaire ?

    Le grand tremblement de terre a eu lieu le 11 mars 2011 à 14 h 46 et dans les premières minutes, les rapports m’indiquaient que les réacteurs de la centrale de Fukushima Daichi avaient été arrêtés sans problème. Ce n’est qu’une heure plus tard que j’ai su qu’à cause d’une perte complète d’alimentation, les systèmes de refroidissement ne fonctionnaient plus. Je me souviens très bien de ce moment où j’ai reçu cette information. J’ai réellement eu des sueurs froides dans le dos. J’ai compris que l’on entrait dans une situation très grave. Je ne suis pas un spécialiste du nucléaire, mais j’ai fait des études de physique. J’avais lu des documents sur ce qui s’était passé à Tchernobyl en 1986, sur l’accident de Three Miles Island en 1979 aux Etats-Unis ou sur l’accident de criticité [démarrage d’une réaction de fission en chaîne non contrôlée, ndlr] de Tokaimura en 1999. Quand on m’a dit qu’il y avait une perte complète d’alimentation, j’ai compris que cela pouvait signifier une fusion du cœur du réacteur. Mais les rapports que l’on recevait de Tepco, et ce jusqu’à 23 heures le 11 mars, nous indiquaient qu’il y avait toujours de l’eau dans les cuves des réacteurs. On ne savait pas que la sonde mesurant le niveau d’eau ne fonctionnait plus et que l’eau s’était évaporée. Aujourd’hui, on sait que dès 17-18 heures, la fusion avait démarré et qu’un percement de la cuve du réacteur était en cours vers 20 heures. Il faut bien comprendre que l’accident ne s’est pas produit trois jours après le tsunami, mais bien en cinq-sept heures après le tremblement de terre.

    Qu’est-ce qui vous a amené à envisager le pire, notamment l’évacuation du grand Tokyo ?
    Il y avait un grand risque que les substances radioactives s’échappent de l’enceinte de confinement. Le lendemain du tsunami, il y a eu une explosion d’hydrogène au niveau du réacteur 1, suivie de détonations dans les unités 2, 3 et 4 et des débuts de fusion des cœurs. Quand on arrive à ce niveau critique, cela signifie qu’il faut envisager l’évacuation d’une zone allant jusqu’à 200 kilomètres à la ronde et incluant Tokyo : soit 50 millions d’habitants. Le pays se trouve alors dans une situation de crise inédite. Une heure après l’accident, j’avais en tête l’image de Tchernobyl. En avril 1986, il s’agissait d’un grave accident mais avec un seul réacteur.

    A Fukushima, il y a six réacteurs et sept piscines de retraitement des combustibles irradiés. Si jamais les substances radioactives devaient quitter les enceintes de confinement, les émissions radioactives pouvaient être le centuple de celles de Tchernobyl. Il fallait se demander si on allait laisser les employés de Tepco (la compagnie électrique qui gère la centrale) et les forces d’autodéfense [l’armée japonaise] travailler sur place jusqu’à la dernière minute. Fallait-il vraiment mettre leur vie en danger ? En tant que Premier ministre, je devais prendre cette décision. Le 15 mars, à 3 heures du matin, le président de Tepco est venu demander au ministre de l’Economie et du Commerce l’autorisation d’évacuer son personnel. Si les employés quittaient la centrale, il y avait vraiment un risque que la situation devienne encore plus grave. J’ai exigé qu’ils restent jusqu’à la dernière minute. Rétrospectivement, c’est probablement ce 15 mars que la situation a été la plus tendue. Après, le directeur de la centrale de Fukushima Daichi, Masao Yoshida [aujourd’hui décédé], a décidé de son propre chef de faire venir des citernes de pompiers pour refroidir les réacteurs.

    Masao Yoshida a-t-il sauvé la situation à ce moment-là ?
    Oui. S’il n’avait pas eu cette idée qui ne figure dans aucun manuel, la situation n’aurait pas pu être sauvée. Mais il est parvenu à faire venir de l’eau dans les réacteurs 1 et 2, puis dans les piscines de retraitement. Dans les jours qui ont suivi, le niveau de criticité a commencé à baisser.

    Vous étiez pronucléaire et vous êtes devenu un fervent antinucléaire. Quand et pourquoi ce revirement ?
    Après le 15 mars, quand la situation est devenue moins critique, j’ai demandé à Shunsuke Kondo, le président de la commission de l’énergie atomique, de me faire une note sur l’évacuation des populations à envisager dans le pire des scénarios. Il arrivait à la conclusion que cela devait prendre en compte la région de Tokyo. Quand j’ai reçu cette étude scientifique, je me suis dit que le nucléaire était vraiment quelque chose de dangereux. J’ai alors changé d’opinion à 180 degrés, je le reconnais et je l’assume encore aujourd’hui. Jusqu’à ce moment, j’étais comme tout le monde : je pensais que jamais au Japon, un pays très sûr, un accident nucléaire tel celui de Tchernobyl ne pourrait se produire. C’est pourtant bien ce qui s’est passé. Alors, je me suis dit qu’il ne fallait plus utiliser le nucléaire, même si le Japon est très dépendant des sources d’énergies de l’étranger. Les risques, les dégâts pouvaient être encore plus grands que ceux d’une guerre mondiale.

    Vous avez évoqué plusieurs difficultés au tout début de la crise. Quelle était la nature de ces problèmes ?
    Les informations parvenaient du site de la centrale, passaient par le siège de Tepco et arrivaient chez nous. Il y avait trois raisons pour lesquelles elles n’étaient pas toujours fiables. La première est d’ordre technique. Il y avait des problèmes de compréhension de ce qui se passait sur le terrain. La deuxième raison est liée à une mauvaise communication entre Fukushima Daichi et Tepco à Tokyo. Et la troisième raison de ces problèmes est la culture de la dissimulation de Tepco. Quand il y a des mauvaises nouvelles, les dirigeants ne veulent pas le faire savoir.

    Cette culture de la dissimulation chez Tepco est-elle encore vivace ?
    On sait que la compagnie a un système de visio-

    conférence qui fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec Fukushima Daichi. Encore aujourd’hui, elle ne nous a dévoilé que les parties qui lui convenaient. Beaucoup d’extraits n’ont pas été diffusés et sur les vingt-quatre premières heures d’enregistrement, rien n’a été montré. Tepco continue de cacher quelque chose. C’est évident.

    La démocratie et le nucléaire ne font pas bon ménage ?
    Le nucléaire ne peut pas être contrôlé par une entreprise privée seule, car le jour où un accident se produit, elle n’est pas en mesure de pouvoir revenir à la situation d’avant l’accident. Le nucléaire doit être maîtrisé par les politiques. Et pour que cela soit le cas, il faut une vraie démocratie, complète. Or, aujourd’hui, au Japon, ce n’est pas possible. J’évoquais la culture de la dissimulation, mais il y a également des informations, des connaissances qui ne sont pas accessibles à tout le monde. Par le passé, aucune démocratie n’a été en mesure de contrôler complètement le nucléaire.

    Votre successeur, Shinzo Abe, a dit en 2013 que la situation était «sous contrôle» à Fukushima. Partagez-vous son point de vue ?
    Non. Quand il a dit «under control», en anglais, j’ai été très surpris. On sait très bien que la situation n’est pas totalement contrôlée puisqu’il y a encore des fuites et des eaux contaminées qui s’écoulent, notamment dans l’océan Pacifique.

    Jugez-vous que l’accident à la centrale de Fukushima Daichi est terminé ?
    Non, ce n’est pas terminé dans la mesure où il y a toujours du combustible en fusion dans les réacteurs. Dans l’unité 2 par exemple, la radioactivité est de l’ordre de 70 sieverts, ce qui signifie que l’on peut perdre la vie en cinq minutes si l’on s’approche trop près.

    Plusieurs centrales ont redémarré. Comment expliquez-vous cette relance ?
    Shinzo Abe a même dit que le Japon était aujourd’hui performant parce qu’il avait cette expérience des accidents. Le nucléaire civil au Japon a démarré dans le cadre des relations que les dirigeants de l’époque entretenaient avec les Etats-Unis. Le président Eisenhower avait mis en avant cette politique de «Atoms for peace» [en 1953]. A partir de ce moment-là, des politiques et des médias se sont dit que le nucléaire pour la paix était possible. Pendant de longues années, il n’y a jamais eu de véritable accident nucléaire au Japon. Le mythe de la sécurité s’est donc mis en place et beaucoup de Japonais et de fonctionnaires y ont cru et j’ai été l’un d’entre eux. Aujourd’hui, le Premier ministre Abe reprend les mêmes arguments qu’avant, comme si la catastrophe n’avait pas eu lieu et je pense qu’au fond de lui, il doit craindre un nouvel accident. Beaucoup de Japonais voudraient oublier cet accident.

    Les enquêtes d’opinion indiquent que les Japonais sont opposés au nucléaire civil. Etes-vous optimiste quant à un changement ?
    D’abord, je peux vous dire qu’à la fin de ce siècle, il n’y aura plus de nucléaire sur la planète, y compris en France. Ce sera pour des raisons économiques. Si on met de côté la Chine, le nombre des centrales diminue. A long terme, je suis très optimiste. Maintenant, à plus court terme, le Japon a fait repartir trois centrales et c’est toujours le Parti «libéral démocrate qui gagne les élections. Ce résultat tient en grande partie au fait que le nucléaire n’est pas au cœur des débats. Shinzo Abe a mis des thèmes économiques, comme les Abenomics [surnom de sa politique de relance de l’économie], au cœur de sa campagne. Si on regarde les choses différemment, on peut aussi dire que, cinq ans après Fukushima, il n’y a que trois réacteurs sur 48 qui fonctionnent. C’est aussi parce que la population japonaise a freiné à différents niveaux pour que les centrales ne repartent pas. Les choses changent doucement et le mentor de Shinzo Abe est Junichiro Koizumi, qui est dans le même camp que nous.

    Le Japon peut-il se passer du nucléaire ?
    C’est possible. Le Japon a beaucoup d’énergies, des énergies que le monde entier a : le soleil, le vent, la biomasse dont le Japon possède des quantités importantes. Nous n’utilisons qu’une infime partie de l’énergie solaire. Grâce à elle, dans un avenir pas si lointain, tous les pays du monde pourront, s’ils en ont les capacités techniques, être autosuffisants.

    Vous avez dit que les conséquences de l’accident pourraient être plus importantes que Hiroshima ou Nagasaki. En quoi ?
    Je suis très inquiet. Je suis allé l’année dernière à Tchernobyl et j’ai écouté là-bas les gens qui évoquaient leur quotidien trente ans après l’accident. D’un point de vue officiel, les autorités japonaises disent qu’il n’y a pas de conséquences, mais quand on parle avec les spécialistes, on apprend qu’ils craignent des cancers, notamment de la thyroïde chez les enfants. La radioactivité est une substance invisible qui a une toxicité telle qu’on a du mal à l’imaginer. Si on peut se passer d’une substance qui comporte autant de risques, c’est mieux.

    Source: liberation.fr
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