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    Comment l'Amérique se prépare à vendre son pétrole
    08/03 | 06:00 | Par Elsa CONESA
    Le Congrès a levé fin 2015 un interdit qui frappait les producteurs américains depuis quarante ans : celui d'exporter leur pétrole. Plusieurs navires ont déjà traversé l'Atlantique, direction l'Europe. Mais l'effondrement des prix du brut complique l'équation.

    Theo T. » a débarqué à Marseille dans l'après-midi du 20 janvier. A treize ans, il a la même allure que la plupart de ses camarades : silhouette élancée, costume sombre, tempérament calme. « Theo T. » mesure 227 mètres et pèse 73 tonnes. C'est le premier navire à avoir traversé l'Atlantique avec une cargaison de pétrole brut américain depuis quarante ans. Une première historique, qui lui a carrément valu d'être rebaptisé « Liquid American Freedom » par les élus du Congrès.

    Mais, pour les pétroliers américains, le voyage de « Theo T. » n'a pas seulement une valeur symbolique. Ce cargo est le résultat d'années de lobbying acharné à Washington pour obtenir la levée d'un interdit qui les frappait depuis 1975 : celui d'exporter leur brut. Cet embargo avait été instauré après le premier choc pétrolier pour protéger les consommateurs américains des variations de prix imposées par les pays de l'Opep. Mais, avec la révolution du pétrole de schiste, qui a doublé la production de brut américain en moins d'une décennie, la réglementation devenait intenable. Le retour de l'Iran sur le marché international du pétrole a achevé de clore le débat. « Il aurait été injuste que l'Iran puisse exporter du pétrole et pas les producteurs américains », résume le lobbyiste de l'industrie pétrolière George Baker.

    Un tournant historique
    Voté dans le budget le 18 décembre 2015, le texte a apporté un ballon d'oxygène à un secteur sinistré par l'effondrement des prix et la surproduction. En quelques semaines, près d'une dizaine de tankers chargés de brut non raffiné, extrait des gisements texans du Permian et d'Eagle Ford, ont quitté le golfe du Mexique, direction l'Europe. « C'est une immense victoire, s'est félicité lors d'une conférence à Houston Ryan Lance, directeur général de ConocoPhillips, le plus gros producteur indépendant et l'un des plus combatifs à Washington. Quand vous avez une grosse activité de pétrole non conventionnel [de schiste, NDLR] aux Etats-Unis, pouvoir exporter est crucial. » A ses yeux, les exportations pourraient représenter jusqu'à 20 % de la production nationale d'ici à 2020, soit 1 à 2 millions de barils par jour. Voire davantage si la production repart. « Si nous devons produire 14 millions de barils par jour comme le prédit l'Agence internationale de l'énergie, il va falloir que nous exportions ! » a prévenu de son côté Scott Sheffield, PDG de Pioneer Natural Resources, l'un des premiers à militer, dès 2013, au Congrès, pour la levée de l'embargo. Car si l'encre du texte est à peine sèche, cela fait plusieurs années que le secteur se prépare à ce tournant historique. Et grâce à la découverte du pétrole de schiste, le gros des infrastructures est déjà en place. Les sociétés du secteur intermédiaire, comme Plains All American Pipelines ou Enterprise Products Partners ont consacré des milliards de dollars ces dernières années à construire des pipelines, des réservoirs et des docks dans les grands ports du golfe du Mexique, pour pouvoir acheminer le brut extrait des gisements du Texas et du Dakota vers la côte.

    Le pétrole qui dormait dans les cales du « Theo T. » a, lui, été acheminé par NuStar, un des plus gros opérateurs du port de Corpus Christi, situé à 350 kilomètres au sud de Houston. Cela fait quatre ans que l'entreprise investit pour doubler la taille de ses opérations dans ce port proche de la frontière mexicaine - elle a déjà dépensé près de 1 milliard de dollars. Depuis 2012, trois nouveaux réservoirs de stockage de 200.000 barils chacun ont été construits sur son terminal, ainsi que deux quais supplémentaires et quatre pompes. « Quand nous avons commencé à investir en 2012, le scénario des exportations était encore très hypothétique, admet Danny Oliver, vice-président chargé du développement chez NuStar . Mais nous l'avions déjà en tête : nos nouveaux quais sont conçus pour accueillir des bateaux plus gros et nos pipelines pour transporter différentes qualités de brut. » Son terminal - le plus vaste du port - a été entièrement restructuré pour se tourner vers l'exportation. Un changement radical : jusqu'à la fin des années 2000, le gros de son activité consistait à acheminer le brut arrivant de l'étranger par bateau vers les raffineries de la région. Aujourd'hui, c'est l'inverse. « Au lieu de décharger du pétrole étranger, nous chargeons du pétrole américain, qui part alimenter le pays et maintenant le reste du monde », explique le responsable des opérations, Steven Schmidt, chemise à carreaux et carrure d'armoire à glace. « Avec le schiste, notre activité a été multipliée par 7 ou 8 depuis 2013 », poursuit-il. Et cela continue : NuStar veut pouvoir charger à terme 575.000 barils par jour, soit 40 % de plus qu'aujourd'hui.

    NuStar n'est pas le seul à voir grand. Le brut a beau frôler les 30 dollars ces jours-ci, à Corpus Christi, tout le voisinage construit, grossit, s'étend. Le port lui-même entend profiter de l'ouverture des exportations pour concurrencer plus frontalement Houston, son voisin. Ce port en eau profonde n'était, il y a encore un siècle, qu'un comptoir commercial tourné vers le Mexique. Mais, grâce à sa proximité avec le bassin d'Eagle Ford, Corpus Christi est devenu en quelques années l'un des plus gros terminaux pétroliers du pays. « A horizon de cinq à dix ans, les exportations auront permis de doubler le volume de brut transitant par Corpus Christi, explique Jarl Pedersen, directeur commercial du port. Notre activité pétrolière a déjà été multipliée par trois depuis 2012, à 600.000 barils-jour. Nous serons à terme autour de 1 million de barils. » Le chenal de 14 mètres de profondeur creusé dans sa baie va être élargi pour permettre le passage concomitant de deux navires - un projet de plus de 1 milliard de dollars sur dix ans. Et le pont qui relie les deux côtés du site va être surélevé. Surtout, le port envisage de se doter d'une structure offshore pour accueillir les super-pétroliers (VLCC), ces navires qui peuvent transporter jusqu'à 2 millions de barils… Actuellement, un seul port aux Etats-Unis a cette capacité, et il est en Louisiane. « Le port de Corpus Christi a la capacité de traiter 750.000 barils de brut et de condensat par jour, et continue à se développer. Cela pourrait en faire un centre majeur pour les exportations de brut », estime l'analyste Housley Carr, de RBN Energy.

    Réduire la production
    Pourtant, même si près de 5 millions de barils de brut ont quitté le pays en quelques semaines, le secteur a du mal à sabrer le champagne. Après avoir mis toute son énergie pour obtenir la levée de l'embargo, la filière fait désormais profil bas. « Tout le monde est obsédé par l'effondrement des prix », décryptait un dirigeant à Houston fin février. De fait, le prix du brut américain a perdu plus de 70 % en dix-huit mois, menaçant la survie de toute une partie de la filière, dopée par l'explosion du pétrole de schiste depuis 2009. Producteurs et sociétés de services taillent dans leurs budgets et dans leurs coûts pour faire face, et 72.000 emplois ont déjà été supprimés au Texas. Nombreux sont ceux qui peinent à honorer leurs tombées de dette et des faillites en série sont attendues cette année chez les petits producteurs. Partout, réduire la production est devenu la priorité. « Il faut que les prix remontent pour pouvoir produire plus et exporter plus, analyse Danny Oliver. Exporter n'est pas la priorité des producteurs aujourd'hui. »

    Surtout, le pétrole américain n'est pas encore compétitif sur la scène internationale. « Avec des coûts de transport de 3 à 5 dollars depuis le golfe du Mexique jusqu'aux raffineries européennes, il faudrait que l'écart entre le brut américain et le brut européen soit plus élevé et dépasse les 6 dollars, pour que le brut américain soit compétitif », estimaient début janvier les équipes de recherche de Thomson Reuters. Or la levée de l'embargo sur les exportations a produit l'effet inverse. Historiquement moins cher que le pétrole européen, le brut américain tend à le rattraper depuis le vote du Congrès. « Le pétrole américain subissait une décote par rapport aux prix mondiaux car on ne pouvait pas l'exporter, explique Helen Currie, économiste senior chez ConocoPhillips. Cette décote, très élevée, a approché les 20 dollars en 2013. Le seul fait d'autoriser les exportations a permis de doper les prix du brut américain. C'est une bonne nouvelle pour les producteurs, ça les encourage à produire plus. »

    Pour l'instant, l'impact a toutefois été limité et la production continue de décliner. En attendant que les prix remontent, le gros des excédents a été envoyé dans l'Oklahoma pour être stocké dans les gigantesques réservoirs de Cushing, dont le niveau de remplissage constitue sans doute le baromètre le plus sûr de toute l'industrie. Paradoxalement, c'est ce qui a créé des fenêtres favorables aux exportations. « Les réservoirs de Cushing sont quasi pleins, cela a pesé sur le prix. C'est une des raisons pour lesquelles du pétrole a été exporté ces dernières semaines », analyse Ben Luckock, patron mondial du trading sur le pétrole pour le courtier Trafigura, qui a déjà affrété plusieurs navires vers l'Europe et le Moyen-Orient, mais relativise les annonces faites depuis janvier.

    Enfin, le fait que les Etats-Unis exportent du brut ne signifie pas que le pays va cesser d'en importer. Les raffineries américaines sont outillées pour traiter du pétrole lourd, produit à l'étranger, alors qu'un petit nombre d'entre elles seulement sont conçues pour raffiner le pétrole de schiste léger extrait du sol américain. L'équation politique est donc différente de celle du gaz de schiste, dont l'essor a permis aux Etats-Unis de devenir totalement indépendants.

    Pour les producteurs, pourtant, il ne fait aucun doute que l'Amérique deviendra à terme un grand pays exportateur de pétrole. Les réserves du sous-sol sont quasi infinies, les infrastructures sont en place, les raffineries étrangères sont acheteuses. « Tous les ingrédients sont là , résume Helen Currie . C'est juste une question de temps. »

    Elsa Conesa
    Envoyée spéciale à Houston et Corpus Christi

  • #2
    Les saoudiens voulaient pas réduire leur production de peur que les russes et l'autres pays non OPEP prendront leurs part ,maintenant qu'ils sont d'acord pour une gèle ,voilà les iraniens et les américains qui débarquent .
    Préserver la part de marché est l'objectif crucial de la bataille qui se jouera sur le marché pétrolier,mais a quel ?

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