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Le grand complot qui est-il, quel est son réseau ?

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  • Le grand complot qui est-il, quel est son réseau ?

    Alimenté par la défiance envers les institutions, répandu via Internet, le conspirationnisme se renforce, en particulier chez les moins diplômés.

    Le complotisme, c’est du sérieux. Si le phénomène ne date pas d’hier, il a pris, notamment chez les jeunes, une dimension préoccupante. Entre défiance sévère vis-à-vis des institutions et méfiance croissante à l’égard des vérités établies ou des discours officiels. Médias, chercheurs et éducation nationale voient leur magistère du savoir contesté par toute une «complosphère» de plus en plus active.

    Les enseignants, en première ligne , sont nombreux à s’alarmer du succès des théories conspirationnistes auprès de leurs élèves, à une époque où Internet constitue une caisse de résonance inédite où toutes les sources semblent parfois se valoir. Conscient que la situation n’a rien d’anecdotique et que nombre de profs ou de familles se sentent démunis face au redoutable prêt-à-penser complotiste, le gouvernement a lancé le mois dernier une campagne intitulée «On te manipule». Dotée d’un site propre, elle s’appuie notamment sur une courte vidéo humoristique du «YouTuber» star Kevin Razy pour cibler en priorité les jeunes sur les réseaux sociaux. En tournant en dérision les «théories conspis» les plus relayées, elle a pour objectif d’inciter les jeunes à vérifier leurs sources et à recouper les informations sur le Web avant de les partager. «Le processus est toujours le même, les théories du complot partent d’une bonne volonté, celle de ne pas croire à tout, mais ce doute devient obsessionnel», analyse Romain Pigenel, directeur adjoint en charge du numérique au Service d’information du gouvernement (SIG), affirmant qu’«il y a eu une vraie prise de conscience générale». Récemment, l’Observatoire des radicalités de la Fondation Jean Jaurès (think tank lié au PS), plus habitué à parler du FN et de la montée des populismes en Europe, a consacré un colloque au sujet à l’initiative de Rudy Reichstadt, animateur du site Conspiracy Watch .

    «Vision manichéenne»

    Après les attentats qui ont touché la France en janvier puis en novembre, comme après ceux du 11 Septembre aux Etats-Unis, moult théories ont illico vu le jour. Rien qu’une vingtaine dans les heures qui ont suivi l’attaque contre Charlie et jusqu’à une centaine en une semaine. Les conspirationnistes sont également très friands des crashs d’avion, des grandes épidémies ou des disparitions de célébrités, quand ils ne fantasment pas encore sur le passage ou non des Américains sur la Lune. Au top du hit-parade, on trouve aussi le complot judéo-maçonnique et son cousin américano-sioniste, mais également les théories sur les sociétés secrètes de type Illuminati ou reptiliens (lire page 8).

    Impossible de se contenter de balayer du revers de la main ces «délires» quand certains textes ou vidéos comptent jusqu’à plusieurs centaines de milliers de vues. Le tout diffusé par une nébuleuse qui recense ses professionnels du complot, et dans laquelle la galaxie Soral-Dieudonné (lire page 6) fait figure, avec Thierry Meyssan (autre héraut de la théorie du complot, en particulier celle du 11 Septembre), de tête de gondole hexagonale. «On est à la fois dans une société saturée par l’information et sujette à une crise de sens», souligne le politologue Stéphane François, qui travaille notamment sur les nouvelles radicalités : «Ce complotisme, cette paranoïa se pare du voile de l’hypercriticisme : les personnes qui le formulent sont persuadées - sincèrement - qu’elles sont des rebelles du système.»

    Si les jeunes sont les cibles les plus fragiles, les théories du complot n’ont pas attendu Internet pour exister et séduisent tous types de publics en fournissant clés en main des théories explicatives face à la complexité du monde. «Vous avez tout à coup une nouvelle lecture géopolitique basée sur des catégories grossières du bien et du mal, c’est une vision manichéenne du monde qui nous fait croire qu’on le comprend avec des éléments simplistes», analyse Gérald Bronner, auteur en 2013 de la Démocratie des crédules (PUF). Il pointe la redoutable efficacité de «monstres argumentatifs» en forme de «millefeuilles» : «L’effet cumulé d’une avalanche d’arguments plus ou moins fondés finit par créer un doute dont les conspirationnistes tirent profit.» (1) Pris de façon isolée, chaque argument est pourtant bien souvent aisément démontable.

    «Idées virales»

    Stéphane François précise : «Pour les adeptes des théories conspirationnistes, la pensée dominante s’impose non par sa force argumentative ou son efficacité empirique, puisqu’elle est perçue comme fausse, mais par l’action d’organisations secrètes qui nous cachent la vérité et nous "désinforment" au travers de l’éducation et des médias.» Invité d’une journée d’étude organisée début février par la ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem, sur le thème «Réagir face aux théories du complot», Bronner a eu cette mise en garde : «Inutile de répondre pied à pied […], vous y passeriez l’année. Argumenter face à un complotiste sur le 11 Septembre est un job à plein temps. La piste, à mon avis, est plutôt d’étudier les ressorts psychiques qui rendent ces idées virales.» Un travail de «déradicalisation» en somme, qui sera par nature long et complexe car la raison ne peut suffire pour combattre la désinformation. A fortiori lorsque celle-ci se part des atours de la contre-culture. Muscler l’esprit critique de la jeunesse, cela relève aujourd’hui du sport de combat dans un monde où les images sont autant d’armes de poing.

    liberation
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