Le 17 mars 2016, un Salon du Livre complètement repensé ouvrira ses portes. Comme l’assure M. Vincent Montagne, le président du Syndicat national de l’édition, ce sera un salon «ré-enchanté», autrement dit ouvert à «de plus larges publics, et notamment les jeunes lecteurs». L’objectif est d’en faire un événement «populaire et familial, accueillant et chaleureux, exigeant et accessible». Ce ré-enchantement prendra la forme de toute une présentation mise au goût du jour : «Nouveaux noms, nouvelle signalétique, nouveaux aménagements scéniques, création d’espaces de détente, mise en place d’une nouvelle programmation ». C’est dans ce cadre rajeuni que la ville de Constantine se voit inviter, elle qui cumule les honneurs, puisqu’elle vient d’être promue «Ville de la culture arabe» en 2015. On ne prête qu’aux riches !
Par Omar Merzoug
Fixée sur un rocher, à quelque six cents mètres d’altitude, Constantine se dresse en une sorte d’amphithéâtre au-dessus de l’oued Rhummel. Ses ponts suspendus reliant, par-delà le ravin, les quartiers de la ville, en font une cité à nulle autre pareille. «Constantine est une ville de ponts suspendus dont les noms résonnent encore et toujours dans ma tête» se souvient Benjamin Stora, natif de Constantine. Il y a le pont suspendu Sidi M’cid, le pont d’El-Kantara, construit par les Romains, le viaduc de Sidi Rached, et la passerelle Perregaux. Jalouse de son intimité, Constantine se replie volontiers sur ses secrets. Longtemps, «un voile impénétrable ne permit plus de connaître les destinées de Constantine ; les voyageurs des pays chrétiens ne purent plus pénétrer dans ces contrées», d’où partaient intrépides ces troupes de mahométans qui, «menaçaient la Chrétienté de leur domination» comme le note un chroniqueur. Il fallut attendre le XVIIIe siècle et les voyages de l’Anglais Thomas Shaw dans les États barbaresques pour voir Constantine de nouveau citée dans la littérature européenne. C’est une ville bien fortifiée et se trouvant dans une situation avantageuse, à quelque trente lieues de la mer, dit Shaw en substance. Les portes de la ville sont en matériau précieux et tout aussi précieuses sont les décorations qui y figurent. Il ajoute que le haut de la ville domine une belle cascade que le Rhummel fait jaillir et où, à l’époque romaine, l’on précipitait les criminels. L’Anglais est admiratif des restes magnifiques de la ville qui, dit-il, donnent une idée de son antique splendeur.
Par-delà les époques et les siècles, la fascination qu’exerce Constantine sur les esprits demeure intacte. «Il existe peu de villes comme celles qui voisinent au cœur de l’Afrique du Nord, l’une portant le nom de la vigne et du jujube, et l’autre un nom peut-être plus ancien que Cyrtha», écrit Kateb Yacine dans «Nedjma». En raison de son passé, de sa situation, des événements qu’elle a connus, des hommes qui portent témoignage d’elle. Pline l’Ancien, dans son Histoire naturelle, la cite et en précise la position géographique. Cirta, l’ancien nom de Constantine, signifierait, en punique, l’État. Elle fut donc à la fois une cité et un Etat. L’historien romain Tite-Live nous révèle que Cirta était la capitale des Etats de Siphax2, roi de Numidie occidentale3 de 215 à 203 av. J-C. Massinissa, tombeur et successeur de Siphax, n’enleva rien à la dignité de Cirta. Son petit-fils, Jugurtha fut adopté par son oncle Micipsa, le propre fils de Massinissa, et élevé à Cirta ; ce qui n’empêcha Jugurtha d’assiéger la ville et une fois rendue, de massacrer son cousin Adherbal. Jugurtha finira par irriter le Sénat romain qu’on lui avait présenté comme corrompu et vénal - omnia Romae esse venalia4 comme l’écrit l’historien Salluste qui en savait quelque chose. Rome envoie une armée contre Jugurtha et ce sera la guerre cruelle dont Salluste donne un récit qui n’est pas toujours sûr. Trahi par le roi des Maures Bocchus, son propre beau-père, Jugurtha est pris et, chargé de chaînes, il est conduit à Rome. Il mourra, à 54 ans, dans une fosse où on l’avait jeté. Mais les appétits colonialistes de Rome la conduiront, après avoir détruit Carthage, à s’implanter en Afrique du Nord. En 46 av. J.-C., la Numidie devient possession romaine. Détruite par l’empereur Maxence, Cirta est reconstruite par Constantin 1er au IVe siècle. Qui lui donna son nom. Deux conciles chrétiens s’y tinrent. Le premier, en 305, au moment même où l’empereur romain Dioclétien ordonnait une sévère persécution contre les Chrétiens. Dioclétien avait décrété la démolition des églises, ordonné qu’on jetât au feu les «Ecritures saintes» et condamné à mort tous ceux qui s’avisaient de les soustraire à l’autorité romaine. Certains prêtres cédèrent à la menace par crainte de la mort ; ils furent appelés «traditeurs» (traîtres) et le concile, réuni en 305, prononça leur absolution. Le second concile, convoqué en 402, est attesté par un passage des Rétractations du numide saint Augustin (354-430). Augustin tente d’y laver les catholiques des allégations diffamatoires portées contre eux.
Au 7e siècle, les Arabes, nouvellement islamisés, s’emparèrent, non sans mal, des territoires berbères et puniques. Par le sabre et la propagande, l’Islam s’implante en Afrique si bien que ces Berbères, qui commencèrent par le combattre, devinrent ses plus zélés apôtres. La plupart des soldats, qui conquirent l’Espagne au début du 8e siècle sont des berbères, à commencer par Tarik Ibn Ziyâd qui joua dans cette conquête un rôle capital. Constantine apparaît dans l’historiographie musulmane à l’époque de l’émir omeyyade de l’Ifriqiya, Abû al-Muhajir Dinâr, disparu en 683. Plus tard, au milieu du XIIIe siècle, elle passe sous la domination des Hafsides5 qui avaient choisi Tunis comme capitale. A la fin du XVe siècle, Constantine devient la capitale du Beylik de l’Est et connaît une effervescence culturelle et architecturale grandiose : des mosquées et des édifices officiels magnifiques y sont conçus. Lors de l’invasion française de 1830, les Français s’y heurtèrent à une belle résistance ; une première tentative de prise de la ville échoue, en 1836. Ce n’est qu’un an plus tard que les soldats français parviennent, après de longs combats, à pénétrer dans la ville. La prise de Constantine a été, selon l’historien Benjamin Stora, «terrible, la résistance acharnée, et la répression horriblement cruelle». Un officier français, Saint-Arnaud qui participa à l’assaut, écrit : «On marchait jusqu’aux genoux dans des sangs et dans le sang6». Avec la chute de Constantine disparaissait le dernier bastion de la résistance algérienne à l’occupation française. Mais la guerre n’était pas terminée ; elle se poursuivra jusqu’à la reddition de l’émir Abdelkader en 1847 ; elle renaîtra ensuite de ses cendres avec les campagnes du maréchal Randon7 et la révolte d’Al-Mokrani. Sous les Français, quel que soit le régime politique, l’Algérie ne connaîtra pas de paix. En revanche, d’autres massacres, ceux de mai 1945 notamment, viendront assombrir le tableau. Et quand les hostilités cessent provisoirement, l’exploitation, l’injustice, la discrimination, le mépris de l’indigène se donneront libre carrière. De cette histoire sanglante et heurtée, il restera quelque chose. Connu pour sa ferveur nationaliste et son penchant indépendantiste, le Constantinois donnera au mouvement national des militants aguerris et des cadres politiques de haute valeur, Larbi Ben M’hidi8 (1923-1957), - Lakhdar Ben Tobbal (1923-2010), Rabah Bitat (1925-2000), Zighoud Youssef (1921-1956), sans oublier le vétéran célèbre du nationalisme modéré, Ferhat Abbas disparu en 1985.
Il est évident que ces hommages rendus à Constantine sont largement mérités. En effet, cette cité, à travers les noms qu’elle prit dans l’histoire, les hommes de lettres qui y sont nés ou qui y vécurent, les historiens qui lui ont consacré leurs travaux, offre un intérêt culturel et historique exceptionnel. Parmi les modernes, un nom domine tout lorsqu’on parle de Constantine, c’est le nom du Cheikh Ben Badis. Savant musulman, commentateur du Coran, vaillant éducateur, talentueux éveilleur, poète et journaliste à la plume acérée, il fut l’âme de la résistance spirituelle, contribuant d’une manière décisive à la renaissance de l’identité culturelle algérienne. En promouvant le retour aux sources, il contribua puissamment au combat contre l’idéologie coloniale, en inspirant la lutte contre l’illettrisme, la dépersonnalisation et en s’attaquant au charlatanisme et à la superstition. Dans un vers célèbre, Ben Badis tonne contre l’assimilation et combat ceux qui nient l’existence d’une patrie algérienne. «Qui vise l’assimilation du peuple algérien demande l’impossible», écrivait-il. À quoi fait écho l’un des personnages du «Muezzin» de Mourad Bourboune : «Je n’ai plus qu’une seule certitude, c’est que mes ancêtres ne sont pas gaulois», formule révélatrice sous la plume d’un romancier francophone. Non seulement les Algériens avaient subi une dépersonnalisation, une aliénation culturelle et linguistique d’une rare violence, mais, de plus, ils n’étaient pas admis à jouir de tous les droits du citoyen, bien qu’ils aient été promus à la «dignité» de «Français musulmans». Le 16 avril 1940, Ben Badis meurt dans sa ville natale, sans voir éclore le fruit de son gigantesque effort. Une foule considérable lui rend hommage en assistant à ses obsèques, ce qui donna à la cérémonie funéraire les dimensions d’une manifestation politique.
Par Omar Merzoug
Fixée sur un rocher, à quelque six cents mètres d’altitude, Constantine se dresse en une sorte d’amphithéâtre au-dessus de l’oued Rhummel. Ses ponts suspendus reliant, par-delà le ravin, les quartiers de la ville, en font une cité à nulle autre pareille. «Constantine est une ville de ponts suspendus dont les noms résonnent encore et toujours dans ma tête» se souvient Benjamin Stora, natif de Constantine. Il y a le pont suspendu Sidi M’cid, le pont d’El-Kantara, construit par les Romains, le viaduc de Sidi Rached, et la passerelle Perregaux. Jalouse de son intimité, Constantine se replie volontiers sur ses secrets. Longtemps, «un voile impénétrable ne permit plus de connaître les destinées de Constantine ; les voyageurs des pays chrétiens ne purent plus pénétrer dans ces contrées», d’où partaient intrépides ces troupes de mahométans qui, «menaçaient la Chrétienté de leur domination» comme le note un chroniqueur. Il fallut attendre le XVIIIe siècle et les voyages de l’Anglais Thomas Shaw dans les États barbaresques pour voir Constantine de nouveau citée dans la littérature européenne. C’est une ville bien fortifiée et se trouvant dans une situation avantageuse, à quelque trente lieues de la mer, dit Shaw en substance. Les portes de la ville sont en matériau précieux et tout aussi précieuses sont les décorations qui y figurent. Il ajoute que le haut de la ville domine une belle cascade que le Rhummel fait jaillir et où, à l’époque romaine, l’on précipitait les criminels. L’Anglais est admiratif des restes magnifiques de la ville qui, dit-il, donnent une idée de son antique splendeur.
Par-delà les époques et les siècles, la fascination qu’exerce Constantine sur les esprits demeure intacte. «Il existe peu de villes comme celles qui voisinent au cœur de l’Afrique du Nord, l’une portant le nom de la vigne et du jujube, et l’autre un nom peut-être plus ancien que Cyrtha», écrit Kateb Yacine dans «Nedjma». En raison de son passé, de sa situation, des événements qu’elle a connus, des hommes qui portent témoignage d’elle. Pline l’Ancien, dans son Histoire naturelle, la cite et en précise la position géographique. Cirta, l’ancien nom de Constantine, signifierait, en punique, l’État. Elle fut donc à la fois une cité et un Etat. L’historien romain Tite-Live nous révèle que Cirta était la capitale des Etats de Siphax2, roi de Numidie occidentale3 de 215 à 203 av. J-C. Massinissa, tombeur et successeur de Siphax, n’enleva rien à la dignité de Cirta. Son petit-fils, Jugurtha fut adopté par son oncle Micipsa, le propre fils de Massinissa, et élevé à Cirta ; ce qui n’empêcha Jugurtha d’assiéger la ville et une fois rendue, de massacrer son cousin Adherbal. Jugurtha finira par irriter le Sénat romain qu’on lui avait présenté comme corrompu et vénal - omnia Romae esse venalia4 comme l’écrit l’historien Salluste qui en savait quelque chose. Rome envoie une armée contre Jugurtha et ce sera la guerre cruelle dont Salluste donne un récit qui n’est pas toujours sûr. Trahi par le roi des Maures Bocchus, son propre beau-père, Jugurtha est pris et, chargé de chaînes, il est conduit à Rome. Il mourra, à 54 ans, dans une fosse où on l’avait jeté. Mais les appétits colonialistes de Rome la conduiront, après avoir détruit Carthage, à s’implanter en Afrique du Nord. En 46 av. J.-C., la Numidie devient possession romaine. Détruite par l’empereur Maxence, Cirta est reconstruite par Constantin 1er au IVe siècle. Qui lui donna son nom. Deux conciles chrétiens s’y tinrent. Le premier, en 305, au moment même où l’empereur romain Dioclétien ordonnait une sévère persécution contre les Chrétiens. Dioclétien avait décrété la démolition des églises, ordonné qu’on jetât au feu les «Ecritures saintes» et condamné à mort tous ceux qui s’avisaient de les soustraire à l’autorité romaine. Certains prêtres cédèrent à la menace par crainte de la mort ; ils furent appelés «traditeurs» (traîtres) et le concile, réuni en 305, prononça leur absolution. Le second concile, convoqué en 402, est attesté par un passage des Rétractations du numide saint Augustin (354-430). Augustin tente d’y laver les catholiques des allégations diffamatoires portées contre eux.
Au 7e siècle, les Arabes, nouvellement islamisés, s’emparèrent, non sans mal, des territoires berbères et puniques. Par le sabre et la propagande, l’Islam s’implante en Afrique si bien que ces Berbères, qui commencèrent par le combattre, devinrent ses plus zélés apôtres. La plupart des soldats, qui conquirent l’Espagne au début du 8e siècle sont des berbères, à commencer par Tarik Ibn Ziyâd qui joua dans cette conquête un rôle capital. Constantine apparaît dans l’historiographie musulmane à l’époque de l’émir omeyyade de l’Ifriqiya, Abû al-Muhajir Dinâr, disparu en 683. Plus tard, au milieu du XIIIe siècle, elle passe sous la domination des Hafsides5 qui avaient choisi Tunis comme capitale. A la fin du XVe siècle, Constantine devient la capitale du Beylik de l’Est et connaît une effervescence culturelle et architecturale grandiose : des mosquées et des édifices officiels magnifiques y sont conçus. Lors de l’invasion française de 1830, les Français s’y heurtèrent à une belle résistance ; une première tentative de prise de la ville échoue, en 1836. Ce n’est qu’un an plus tard que les soldats français parviennent, après de longs combats, à pénétrer dans la ville. La prise de Constantine a été, selon l’historien Benjamin Stora, «terrible, la résistance acharnée, et la répression horriblement cruelle». Un officier français, Saint-Arnaud qui participa à l’assaut, écrit : «On marchait jusqu’aux genoux dans des sangs et dans le sang6». Avec la chute de Constantine disparaissait le dernier bastion de la résistance algérienne à l’occupation française. Mais la guerre n’était pas terminée ; elle se poursuivra jusqu’à la reddition de l’émir Abdelkader en 1847 ; elle renaîtra ensuite de ses cendres avec les campagnes du maréchal Randon7 et la révolte d’Al-Mokrani. Sous les Français, quel que soit le régime politique, l’Algérie ne connaîtra pas de paix. En revanche, d’autres massacres, ceux de mai 1945 notamment, viendront assombrir le tableau. Et quand les hostilités cessent provisoirement, l’exploitation, l’injustice, la discrimination, le mépris de l’indigène se donneront libre carrière. De cette histoire sanglante et heurtée, il restera quelque chose. Connu pour sa ferveur nationaliste et son penchant indépendantiste, le Constantinois donnera au mouvement national des militants aguerris et des cadres politiques de haute valeur, Larbi Ben M’hidi8 (1923-1957), - Lakhdar Ben Tobbal (1923-2010), Rabah Bitat (1925-2000), Zighoud Youssef (1921-1956), sans oublier le vétéran célèbre du nationalisme modéré, Ferhat Abbas disparu en 1985.
Il est évident que ces hommages rendus à Constantine sont largement mérités. En effet, cette cité, à travers les noms qu’elle prit dans l’histoire, les hommes de lettres qui y sont nés ou qui y vécurent, les historiens qui lui ont consacré leurs travaux, offre un intérêt culturel et historique exceptionnel. Parmi les modernes, un nom domine tout lorsqu’on parle de Constantine, c’est le nom du Cheikh Ben Badis. Savant musulman, commentateur du Coran, vaillant éducateur, talentueux éveilleur, poète et journaliste à la plume acérée, il fut l’âme de la résistance spirituelle, contribuant d’une manière décisive à la renaissance de l’identité culturelle algérienne. En promouvant le retour aux sources, il contribua puissamment au combat contre l’idéologie coloniale, en inspirant la lutte contre l’illettrisme, la dépersonnalisation et en s’attaquant au charlatanisme et à la superstition. Dans un vers célèbre, Ben Badis tonne contre l’assimilation et combat ceux qui nient l’existence d’une patrie algérienne. «Qui vise l’assimilation du peuple algérien demande l’impossible», écrivait-il. À quoi fait écho l’un des personnages du «Muezzin» de Mourad Bourboune : «Je n’ai plus qu’une seule certitude, c’est que mes ancêtres ne sont pas gaulois», formule révélatrice sous la plume d’un romancier francophone. Non seulement les Algériens avaient subi une dépersonnalisation, une aliénation culturelle et linguistique d’une rare violence, mais, de plus, ils n’étaient pas admis à jouir de tous les droits du citoyen, bien qu’ils aient été promus à la «dignité» de «Français musulmans». Le 16 avril 1940, Ben Badis meurt dans sa ville natale, sans voir éclore le fruit de son gigantesque effort. Une foule considérable lui rend hommage en assistant à ses obsèques, ce qui donna à la cérémonie funéraire les dimensions d’une manifestation politique.
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