D’où viennent les 500 000 Marocains (1 habitant sur 20) qui vivent en Belgique ?
La plupart sont des Rifains, issus d’une soixantaine de tribus berbères des montagnes méditerranéennes du Maroc, avec des antécédents historiques désastreux. Pauvres et isolés, ils entretenaient depuis longtemps des relations problématiques avec le sultan du Maroc.
En mars 1912, lorsque la France place l’Empire chérifien sous « protection », elle laisse opportunément le pays berbère du Rif à l’Espagne. Après la première guerre mondiale, les Espagnols décident de « pacifier » la région, mais leur armée se fait massacrer à Anoual, en juillet 1921 (12 000 morts).
Leur chef, Abdelkrim, récupère les armes et proclame un État, la République du Rif. En cinq ans de guerre, ni l’Espagne ni la France, venue à sa rescousse, ne sont venus à bout des Rifains. Il faudra l’armada qui débarque à Al Hoceima, en 1926, et l’utilisation du gaz moutarde récupéré auprès des Allemands pour fait plier Abdelkrim.
Suivez notre direct sur les attentats de Bruxelles
Pourquoi ces rebelles des montagnes ont-ils migré ?
La pauvreté de leurs montagnes a poussé de Rifains à chercher du travail à la saison, dans les vignes de l’Algérie française. Et ainsi ont pu obtenir la nationalité française, c’est le cas de Salah Abdelslam, arrêté vendredi à Molenbeek. Lui et son frère Brahim - qui s’est fait exploser le 13 novembre en terrasse du Comptoir Voltaire, dans le 11e arrondissement, à Paris, NDLR - sont nés à Bruxelles, de parents rifains du Maroc qui ont vécu en Algérie française. Lorsque la Guerre d’Algérie a ralenti, puis interdit la migration, en 1956, la misère s’abat sur le Rif. Des dizaines de milliers de Rifains, les plus téméraires, vont chercher leur salut vers le Nord, dans les houillères françaises, puis wallonnes qui embauchent.
Ceux qui restent se soulèvent pour leur liberté, à l’indépendance du Maroc. Les forces armées royales d’Oufkir et du futur Hassan II se montrent impitoyables et utilisent le napalm contre cette insurrection, aidées par les Français : 6 000 morts selon les chiffres marocains, bien plus dans les mémoires rifaines. La haine que se vouent les Rifains et la royauté marocaine est si forte qu’Hassan II ne mettra jamais un pied dans le Rif de tout son règne (1961-1999) et refusera de mettre un sou d’infrastructure dans ces montagnes. L’exil devient la norme : la France, la Belgique, les Flandres, puis les Pays-Bas, en plein boom. En 2015, cette région nord de l’Europe compte 1,5 million de Marocains, en grande majorité des Rifains.
Cette haine des Rifains à l’encontre du Royaume marocain a-t-elle des conséquences aujourd’hui ?
D’une certaine façon, c’est évident. Car ces Berbères à la tête dure ont toujours été très pieux. D’abord pratiquants d’islam des confréries, comme tout le Maghreb d’avant la colonisation, ils ont refusé l’Islam officiel du Maroc, l’islam du Roi.
Dans les années 1990, les prédicateurs wahhabites d’Arabie Saoudite, mais aussi chiites ont fondu sur les plus désorientés de cette communauté, dont cette partie de la jeunesse tenue à l’écart des bonnes situations sociales. Des prédicateurs très attirés par la situation géographique de ces Marocains : des citoyens européens bien implantés au cœur d’un Occident qu’ils détestent.
De là à franchir le pas, d’entrer dans l’action terroriste ?
Chez certains Rifains, la guerre en Syrie, l’avènement de Daech et la proclamation de son État islamique a fonctionné comme un appel. Ça les a fait rêver : ils revivaient l’éphémère République du Rif de leurs ancêtres. Avant Daech, on retrouve déjà des Marocains du Rif dans les attentats de Casablanca en 2003, de Madrid en 2004. L’embrigadement a fonctionné à plein depuis le 11 septembre 2001. Il y a malheureusement peu d’intellectuels, de sages dans ce peuple en exil, par ailleurs très drôle bien que toujours en lutte.
Le Maroc, la France, l’Espagne, la Belgique ont-ils pris la mesure de ces engagements réactionnaires ?
Les trois premiers pays sont des colons aux yeux des Rifains. Et la cause de leur isolement, de leur dénuement, de leur colère. Après les indépendances, pour avoir la paix, les dirigeants ont fermé les yeux sur le trafic du kif, qui est devenu la première économique des Rifains après 1968 et la chute de la French Connexion. Les chimistes corses aident les Rifains à transformer le chanvre en pâte base pour l’exportation.
La commercialisation du haschisch suit l’émigration rifaine qui passe par l’Espagne, les ports d’Anvers en Belgique, de Rotterdam aux Pays-Bas. La Belgique puis tout le Benelux deviennent la plaque tournante. Les États marocain, espagnol et français laissent ce trafic de drogue relativement tranquille, ainsi que d’autres, comme le passage de migrants africains dans l’Union européenne via les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Tout va changer au lendemain du 11 septembre 2001.
Des réseaux et des trafics, un terreau facile pour le djihadisme ?
Ce trafic de drogue qui part du Rif est aux mains de quelques familles qui fonctionnent comme des mafias corses ou siciliennes, qui se méfient toujours de l’extérieur, qui érigent l’omerta et le code d’honneur en règle, communiquent dans une langue que les polices occidentales ne maîtrisent pas.
Lire aussi. Molenbeek se débat avec ses démons islamistes
Ce milieu habitué à brasser de l’argent, à trouver des planques et des armes, de Gibraltar à Amsterdam en passant par Paris ou Bruxelles, était prédisposé à nicher des cellules terroristes. Les polices d’Europe les connaissent depuis longtemps mais ils ont laissé faire, en passant acheter la paix sociale dans la jeunesse issue de l’immigration.
Ouest-France
La plupart sont des Rifains, issus d’une soixantaine de tribus berbères des montagnes méditerranéennes du Maroc, avec des antécédents historiques désastreux. Pauvres et isolés, ils entretenaient depuis longtemps des relations problématiques avec le sultan du Maroc.
En mars 1912, lorsque la France place l’Empire chérifien sous « protection », elle laisse opportunément le pays berbère du Rif à l’Espagne. Après la première guerre mondiale, les Espagnols décident de « pacifier » la région, mais leur armée se fait massacrer à Anoual, en juillet 1921 (12 000 morts).
Leur chef, Abdelkrim, récupère les armes et proclame un État, la République du Rif. En cinq ans de guerre, ni l’Espagne ni la France, venue à sa rescousse, ne sont venus à bout des Rifains. Il faudra l’armada qui débarque à Al Hoceima, en 1926, et l’utilisation du gaz moutarde récupéré auprès des Allemands pour fait plier Abdelkrim.
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Pourquoi ces rebelles des montagnes ont-ils migré ?
La pauvreté de leurs montagnes a poussé de Rifains à chercher du travail à la saison, dans les vignes de l’Algérie française. Et ainsi ont pu obtenir la nationalité française, c’est le cas de Salah Abdelslam, arrêté vendredi à Molenbeek. Lui et son frère Brahim - qui s’est fait exploser le 13 novembre en terrasse du Comptoir Voltaire, dans le 11e arrondissement, à Paris, NDLR - sont nés à Bruxelles, de parents rifains du Maroc qui ont vécu en Algérie française. Lorsque la Guerre d’Algérie a ralenti, puis interdit la migration, en 1956, la misère s’abat sur le Rif. Des dizaines de milliers de Rifains, les plus téméraires, vont chercher leur salut vers le Nord, dans les houillères françaises, puis wallonnes qui embauchent.
Ceux qui restent se soulèvent pour leur liberté, à l’indépendance du Maroc. Les forces armées royales d’Oufkir et du futur Hassan II se montrent impitoyables et utilisent le napalm contre cette insurrection, aidées par les Français : 6 000 morts selon les chiffres marocains, bien plus dans les mémoires rifaines. La haine que se vouent les Rifains et la royauté marocaine est si forte qu’Hassan II ne mettra jamais un pied dans le Rif de tout son règne (1961-1999) et refusera de mettre un sou d’infrastructure dans ces montagnes. L’exil devient la norme : la France, la Belgique, les Flandres, puis les Pays-Bas, en plein boom. En 2015, cette région nord de l’Europe compte 1,5 million de Marocains, en grande majorité des Rifains.
Cette haine des Rifains à l’encontre du Royaume marocain a-t-elle des conséquences aujourd’hui ?
D’une certaine façon, c’est évident. Car ces Berbères à la tête dure ont toujours été très pieux. D’abord pratiquants d’islam des confréries, comme tout le Maghreb d’avant la colonisation, ils ont refusé l’Islam officiel du Maroc, l’islam du Roi.
Dans les années 1990, les prédicateurs wahhabites d’Arabie Saoudite, mais aussi chiites ont fondu sur les plus désorientés de cette communauté, dont cette partie de la jeunesse tenue à l’écart des bonnes situations sociales. Des prédicateurs très attirés par la situation géographique de ces Marocains : des citoyens européens bien implantés au cœur d’un Occident qu’ils détestent.
De là à franchir le pas, d’entrer dans l’action terroriste ?
Chez certains Rifains, la guerre en Syrie, l’avènement de Daech et la proclamation de son État islamique a fonctionné comme un appel. Ça les a fait rêver : ils revivaient l’éphémère République du Rif de leurs ancêtres. Avant Daech, on retrouve déjà des Marocains du Rif dans les attentats de Casablanca en 2003, de Madrid en 2004. L’embrigadement a fonctionné à plein depuis le 11 septembre 2001. Il y a malheureusement peu d’intellectuels, de sages dans ce peuple en exil, par ailleurs très drôle bien que toujours en lutte.
Le Maroc, la France, l’Espagne, la Belgique ont-ils pris la mesure de ces engagements réactionnaires ?
Les trois premiers pays sont des colons aux yeux des Rifains. Et la cause de leur isolement, de leur dénuement, de leur colère. Après les indépendances, pour avoir la paix, les dirigeants ont fermé les yeux sur le trafic du kif, qui est devenu la première économique des Rifains après 1968 et la chute de la French Connexion. Les chimistes corses aident les Rifains à transformer le chanvre en pâte base pour l’exportation.
La commercialisation du haschisch suit l’émigration rifaine qui passe par l’Espagne, les ports d’Anvers en Belgique, de Rotterdam aux Pays-Bas. La Belgique puis tout le Benelux deviennent la plaque tournante. Les États marocain, espagnol et français laissent ce trafic de drogue relativement tranquille, ainsi que d’autres, comme le passage de migrants africains dans l’Union européenne via les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Tout va changer au lendemain du 11 septembre 2001.
Des réseaux et des trafics, un terreau facile pour le djihadisme ?
Ce trafic de drogue qui part du Rif est aux mains de quelques familles qui fonctionnent comme des mafias corses ou siciliennes, qui se méfient toujours de l’extérieur, qui érigent l’omerta et le code d’honneur en règle, communiquent dans une langue que les polices occidentales ne maîtrisent pas.
Lire aussi. Molenbeek se débat avec ses démons islamistes
Ce milieu habitué à brasser de l’argent, à trouver des planques et des armes, de Gibraltar à Amsterdam en passant par Paris ou Bruxelles, était prédisposé à nicher des cellules terroristes. Les polices d’Europe les connaissent depuis longtemps mais ils ont laissé faire, en passant acheter la paix sociale dans la jeunesse issue de l’immigration.
Ouest-France
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