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Pourquoi lit-on des romans ?

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  • Pourquoi lit-on des romans ?

    Pourquoi lit-on Madame Bovary ou Da Vinci Code ? À quoi bon se passionner pour des histoires inventées de toutes pièces et pleurer sur le sort de personnages qui n’ont jamais existé ? Le divertissement n’est pas le seul apport de la littérature. Par le détour de la fiction, elle élargit notre expérience et nous offre un autre regard sur le monde et sur nous-mêmes.
    Le roman se porte bien. Il s’en vend chaque année en France six fois plus que d’ouvrages de sciences humaines (1), sans compter la florissante littérature de jeunesse. Pourquoi un tel succès ? La réponse n’a rien d’évident. Le roman ne prétend ni à la vérité, ni à l’objectivité. Sa lecture exige un effort de plusieurs heures, plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Pour quel résultat, quelle rentabilité ? Que cherche-t-on dans la lecture d’un roman, que l’on ne trouverait ni dans les ouvrages théoriques ou pratiques, ni dans les films, ni dans le flot de divertissements mis à la disposition du consommateur contemporain ?

    Le singulier, l’éphémère, le minuscule

    Avant d’entamer cette enquête, commençons par interroger ce terme, « roman ». De quoi parle-t-on ? Derrière le même mot se carambolent des types de textes bien différents, romans à thèses, romans réalistes, polars, romans-feuilletons, romans épistolaires, romans de gare, romans pour femmes, romans pour enfants, romans de cape et d’épée, Mme de Lafayette, Marcel Proust, Guillaume Musso… On est souvent tenté d’exclure du genre romanesque les fables, les contes, les nouvelles, les récits, les mémoires. Mais on y admet parfois les nouvelles formes narratives qui circulent via Internet ou le téléphone portable. Ces catalogages ne sont pas toujours convaincants. La mise en garde de Guy de Maupassant vaut toujours : « Le critique qui ose encore écrire : “Ceci est un roman et cela n’en est pas un” me paraît doué d’une perspicacité qui ressemble fort à de l’incompétence (2). »
    Le roman est pluriel, donc, et c’est la raison pour laquelle il n’existe aucune raison univoque de s’engouffrer dans sa lecture. Genre en perpétuelle métamorphose, il a pour seule constante son inconstance. Quels que soient les savoirs qu’il charrie et les ambitions théoriques qui peuvent être les siennes, il demeure le moins scientifique des discours. Le roman n’expose pas les faits, n’explore pas les concepts, ne déduit pas les idées. À la rigueur de la science, il oppose l’aléatoire et l’imprévu. Contre l’universel et le conceptuel, il dresse le singulier, l’éphémère, le minuscule, le sensuel, le hasard d’une rencontre, le battement d’un cœur, la violence d’un sentiment ou d’une altercation… D’où la tentation de ranger la lecture de romans au rayon des activités distrayantes, voire sentimentales, là où les ouvrages plus didactiques se réserveraient le rayon de la connaissance. « Le véritable domaine de la cognition est la science, affirme ainsi Ronald Shusterman, spécialiste d’esthétique. La fiction n’est jamais une connaissance (3). »

    Mieux connaître l’humain

    Pourtant, de nombreuses voix s’élèvent pour affirmer le « pouvoir heuristique » ou encore la « puissance cognitive » de la littérature. Ce que nous chercherions dans les romans, ce serait à « mieux connaître » l’humain, le monde, la vie. Ainsi Tzvetan Todorov rappelle-t-il que « la littérature est la première des sciences humaines » (encadré ci-dessous). Gérard Genette, Jean-Marie Schaeffer, Rainer Rochlitz affirment tous à leur façon que l’apport du roman est d’ordre cognitif. Des historiens cherchent dans la littérature des « vérités historiques ». Même les sciences cognitives apportent leur pierre à cet édifice théorique : armées de leurs connaissances sur les mécanismes du cerveau, elles tentent des incursions du côté de la critique littéraire (4).
    Dans cette effervescence, il reste une question qui embarrasse et dresse des lignes de partage entre littéraires, sociologues, historiens, cognitivistes : quel type de savoir spécifique le roman apporterait-il ? Certes, les romans peuvent reconstituer un univers historique, décrypter des relations sociales ou nous informer de manière frappante sur la psychologie humaine. Mais de ce point de vue, ils n’ont aucune exclusivité par rapport aux sciences humaines, aux essais ou au cinéma. C’est pourquoi il faut distinguer le contenu de connaissances dont un texte est porteur, et l’imaginaire qu’il déploie. Réduire Jules Verne au rôle de vulgarisateur des sciences de son temps, c’est passer à côté des raisons qui poussent toujours des adolescents à se passionner pour les rêves du capitaine Nemo, ignorer la mise en scène des passions les plus archaïques orchestrée dans Vingt mille lieues sous les mers (1870) : volonté de puissance, démesure, misanthropie… De même, L’Étranger (Albert Camus, 1942) constitue à certains égards une synthèse des grands thèmes de la philosophie existentialiste : la solitude, la mort, l’altérité, l’absurde. Mais comme le remarquait Roland Barthes, « ce qui fait de L’Étranger une œuvre, et non une thèse, c’est que l’homme s’y trouve pourvu non seulement d’une morale, mais aussi d’une humeur (5) ». On pourrait dire exactement la même chose des romans de Michel Houellebecq, qui nous informent sur la psychologie amoureuse ou le tourisme de masse, mais dont la valeur essentielle tient à l’ambiance inédite qui s’en dégage. Ambiance, atmosphère d’un monde couché sur du papier ou humeur d’un personnage inventé de toutes pièces : intuitivement, nous sentons que les mots de l’auteur disent « quelque chose » de singulier sur notre époque ou sur nous-mêmes. Précisément parce que leur texture est faite de rêves et de mots, et non de faits et d’idées, les romans enrichissent simultanément notre compétence linguistique et notre appréhension du réel. Dynamitant les catégories toutes faites pour penser l’humain et la société, ils offrent même un « formidable matériel pour stimuler l’imagination des sociologues », estiment Anne Barrère et Danilo Martuccelli

    Des vies par procuration

    De son côté, la philosophie morale s’intéresse au rôle pédagogique du roman. Martha Nussbaum, l’une de ses représentantes les plus célèbres, insiste sur la capacité des fictions à montrer ce que la philosophie échoue à démontrer. L’art du romancier consiste à voir le monde ; l’art du lecteur revient à emprunter les yeux d’un autre, le narrateur. À cet égard, le roman permet de se retrouver tour à tour dans la peau d’un détective, d’une amoureuse, d’un dictateur ou d’un orphelin. La fiction nous procurerait, en quelque sorte, des vies par procuration. En ce sens, elle agit comme un multiplicateur d’expériences, et ce dès l’enfance. Elle nous met ainsi en contact avec la complexité de nos propres vies comme de celles des autres. De son côté, le Français Michel Picard, dans La Lecture comme jeu (Minuit, 1986), parle de « modélisation par une expérience de la réalité fictive ». En quelque sorte, le lecteur expérimente des situations qu’il ne peut pas vivre dans la réalité. Il peut choisir certaines situations, en refuser d’autres, et acquérir les bénéfices de ces expériences sans en encourir les dangers réels.
    À cet égard, l’une des dimensions les plus frappantes de la lecture d’un roman consiste dans sa fonction télépathique. En lisant un roman, tout lecteur se surprend à proférer mentalement des idées qui ne sont pas les siennes. Ainsi, avançant dans Les Mémoires d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar (1951), je reprends à mon compte le « je » qui s’y exprime. Je me retrouve propulsé dans la tête d’un empereur romain au soir de sa vie. Cette intériorisation de l’autre explique l’intimité exceptionnelle que nous ressentons à l’égard de certains personnages. Nous les sentons vivre, parler, agir « en nous ». Cette expérience si particulière, tantôt dérangeante, tantôt réjouissante, aucun film ne peut la reproduire. On comprend dès lors pourquoi l’adaptation de romans à l’écran s’avère souvent si décevante…

    Processus cognitif, la lecture se redécouvre donc aussi comme un processus affectif extrêmement puissant. Tout roman parle à notre intelligence, mais aussi à notre cœur. Après Umberto Eco, qui comparait la lecture d’un roman à un jeu d’échec (6), M. Picard reprend cette image du jeu pour l’enrichir. Selon lui, la lecture d’un roman combine deux activités ludiques bien distinctes : le « game » et le « playing ». Le game, tout comme le jeu d’échec, s’enracine dans la raison : c’est le jeu de réflexion, qui fait appel à notre intelligence, nos capacités d’adaptation et d’anticipation, notre sens stratégique. Le playing s’enracine dans l’imaginaire : c’est le jeu de rôle, qui se fonde sur l’identification à une figure imaginaire. D’un côté, le lecteur s’échappe avec le personnage, voyage dans le temps et vit des intrigues palpitantes ; de l’autre, il émet des hypothèses sur la suite de l’histoire et garde un esprit critique. Ce modèle a pour mérite de réhabiliter le « voyage imaginaire » proposé par toute fiction narrative, sans négliger pour autant la dimension réflexive de la lecture.

  • #2
    suite

    Le retour du plaisir

    Dans cette lignée, quelques théoriciens de la littérature interrogent les notions d’émotion, de plaisir et d’évasion. Car l’immense majorité des lecteurs l’affirme : ils lisent des romans d’abord pour s’évader et se distraire, davantage que pour réfléchir et acquérir des connaissances. Cette évidence, longtemps dédaignée par la théorie littéraire, trouve de nouveaux – et très sérieux – promoteurs. Ainsi Vincent Jouve, l’auteur de L’Effet-Personnage dans le roman propose-t-il de remettre le personnage au centre du processus de la communication littéraire (7). Ce théoricien de la littérature voit dans l’identification aux personnages le fondement de nos émotions littéraires : « C’est parce qu’un lien affectif nous unit à Lucien de Rubempré que, poursuivant la lecture des Illusions perdues, nous nous intéressons aux raisons – psychologiques et sociales – qui ont causé sa perte. C’est parce que les personnages de Proust sont tour à tour séduisants, antipathiques ou amusants qu’on parcourt à plaisir le monde de La Recherche, acceptant du même coup la vision de la vie et de l’art qui s’y reflète. Vouloir évacuer l’identification – et par conséquent l’émotionnel – de l’expérience esthétique semble dès lors voué à l’échec (8). »
    On peut aller plus loin encore, et affirmer que les émotions ressenties, les rêves formulés pendant la lecture ont un impact non seulement sur l’interprétation que nous faisons d’un roman, mais aussi dans notre propre existence. Le lecteur ne conforme pas nécessairement ses actes à ceux des personnages (aimer Sade, ce n’est pas devenir sadique, pas plus qu’étudier Machiavel ne rend machiavélique). Mais il peut transposer dans sa vie des humeurs, émois et formules empruntés au roman favori. La phrase du dandy Oscar Wilde, à propos d’un personnage de Balzac, est restée célèbre : « La mort de Lucien Rubempré est le plus grand drame de ma vie. » Marco Vargas Llosa, un auteur contemporain, confirme à sa manière : « Une poignée de personnages littéraires ont marqué ma vie de façon plus durable qu’une bonne partie des êtres en chair et en os que j’ai connus. » On sait aussi que le Werther de Goethe (1774) a poussé des adolescents au suicide ou que La Nouvelle Héloïse, de Jean-Jacques Rousseau (1761), a modifié l’équilibre affectif de plusieurs générations.

    Confirmation de soi ou confrontation à soi ?

    Que cherche-t-on alors dans cette expérience, qui peut s’avérer déstabilisante ? Et que risque-t-on ? C’est là que l’on en revient à la plurivocité fondamentale du genre romanesque : tout dépend du roman choisi. L’habileté des best-sellers consiste à nous présenter des personnages qui nous ressemblent. Leurs valeurs sont les nôtres, leurs passions nous parlent, précisément parce qu’elles sont stéréotypées. Ces romans encouragent ainsi le lecteur dans ses croyances et ses attentes. C’est un mécanisme bien connu de la psychologie sociale : parce que l’autre me ressemble, il me sécurise. Me voilà protégé et rassuré par le personnage de roman, que je chéris en retour. À l’inverse, certains romans plus ambitieux nous confrontent à une altérité radicale. C’est le cas, par exemple, de L’Idiot de Fedor Dostoïevski (1868), de Lolita de Vladimir Nabokov (1955) ou encore des Bienveillantes de Jonathan Littell. L’intérêt ne vient plus de ce que nous y reconnaissons de nous-mêmes, mais de ce que nous sommes susceptibles d’y apprendre de notre part d’ombre. Dans un cas, le lecteur cherche une confirmation de soi ; dans l’autre, une confrontation à soi. Dans tous les cas, remarque V. Jouve, « l’autre du texte, qu’il s’agisse du narrateur ou d’un personnage, nous renvoie toujours, par réfraction, une image de nous-mêmes (9) ».
    L’ambition de ce dossier est de rendre compte du renouveau des approches de la littérature, tant du côté de la théorie littéraire que des sciences humaines. L’attention au lecteur, à ses motivations, à son vécu – et non plus seulement au texte littéraire –, en est une des facettes les plus vivifiantes. Qu’ils insistent sur la dimension cognitive, morale ou affective de la lecture, ces travaux rompent avec un vieux dogme. Lire, ce n’est pas seulement converser avec de grands auteurs du passé et du présent. C’est une expérience de pensée. C’est accueillir en soi d’autres langues, d’autres mondes et d’autres caractères. C’est incorporer dans sa personnalité des savoirs et émois nouveaux. Se saisir d’un roman, c’est prendre rendez-vous avec soi.


    NOTES :
    (1) Observatoire de l’économie du livre, « Le secteur du livre : chiffres clés 2008-2009 », rapport du ministère de la Culture, littérature jeunesse non comprise, mars 2010.
    (2) Guy de Maupassant, « Le roman », préface de Pierre et Jean, in Romans, Gallimard, « La Pléiade », 1987.
    (3) Ronald Shusterman, « Quand lire, c’est faire : la valeur non cognitive de la fiction », Tropismes, n° 11, 2003.
    (4) Voir Rémi Sussan, « Sciences cognitives : vers une nouvelle critique littéraire ? », Le Monde, 30 avril 2010.
    (5) Roland Barthes, « L’Étranger, roman solaire », in Œuvres complètes, t. I, 1942-1961, 1993, rééd. Seuil, 2002.
    (6) Umberto Eco, Lector in fabula. Le rôle du lecteur, trad. fr. Grasset, 1985
    (7) Vincent Jouve, L’Effet-Personnage dans le roman, Puf, 1992.
    (8) Vincent Jouve, La Lecture, Hachette, 1993.
    (9) Ibid.


    HS

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    • #3
      Bonsoir

      Cette intériorisation de l’autre explique l’intimité exceptionnelle que nous ressentons à l’égard de certains personnages. Nous les sentons vivre, parler, agir « en nous ». Cette expérience si particulière, tantôt dérangeante, tantôt réjouissante, aucun film ne peut la reproduire. On comprend dès lors pourquoi l’adaptation de romans à l’écran s’avère souvent si décevante…
      J'ai toujours dit que c'était la raison principale pour laquelle j'aime lire les romans. Contrairement aux films ou aux pièces de théâtre, les romans laissent à nos cerveaux la liberté de compléter certains aspects avec notre imagination, qui est sûrement lié à notre vécu, à notre perception des choses et tout.
      Merci pour le partage

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      • #4
        Quand j'ai beaucoup aimé un livre, dans lequel j'ai imaginé les personnages, le son de leur voix, leur manière de s'exprimer, leur façon de se mouvoir ... j'ai toujours beaucoup de réticence à regarder l'adaptation au cinéma. J'ai tellement peur d'être déçue ...
        Pourtant, certaines adaptations écran Sont des réussites à mes yeux : Les misérables avec Jean Gabin et La ligne verte avec Tom Hanks, sans oublier Mme Bovary àvec Jennifer Jones !
        Dernière modification par sevcan, 26 mars 2016, 20h53. Motif: ..

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        • #5
          j'ai toujours beaucoup de réticence à regarder l'adaptation au cinéma. J'ai tellement peur d'être déçue ...
          Je comprends tout à fait, c'est rare qu'une adaptation cinématographique reste fidèle au roman aussi. Bel Ami (Guy de Maupassant) par exemple, je n'ai pas tout reconnu du roman dans le film... J'ai préféré mille fois le roman.
          Je ne regarde plus de films adaptés de romans, sauf si je ne compte pas le lire.

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          • #6
            Bel ami c'est un monument Lonelyne !
            Pas facile de l'adapter, je comprends ta déception.
            Moi, je préfère les livres, je laisse ainsi libre cours à mon imagination.

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            • #7
              C'est vrai que c'est beaucoup mieux

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              • #8
                sevcan,

                Exactement identique...je crois que j imagine tellement les,lieux et les personnages que les films m effraient.

                de plus dans les films on ne peut pas reprendre le chapitre la phrase..on ne sent pas l hesitation des ..... Ect...
                Always on the sunny side.....

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                • #9

                  Pourquoi lit-on des romans ?
                  Les romanciers c’est des gens qui cherchent à remplir le vide par le vide !
                  "نحن قوم أعزنا الله بالإسلام ..." Omar Ibn El Khettab RA

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                  • #10
                    pour moi

                    Pourquoi ? pour se divertir... aussi , pour avoir ce petit moment , cette échappatoire qui nous permet de vivre ces
                    vies par procuration
                    que notre courte exitance ne permet pas ... mais il faut aussi ne pas en abuser : faut aussi vivre sa vie , 3ich hayaték sadiqi
                    وقد طوَّفتُ في الآفاق حتى رضيتُ من الغنيمة بالإيابِ

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                    • #11
                      un roman fait travailler par l'imaginaire certaines zones de notre cerveau
                      de fait le rende plus plastique donc plus adaptable à la nouveauté

                      dans un roman on rentre en intimité avec l'auteur car au détour des phrases nous visionnons son monde

                      c'est passionnant
                      La patience n'a l'air de rien, c'est tout de même une énergie.

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