AFPS Plate-forme Charleroi-Palestine, mardi 29 mars 2016
Gideon Lévy est à la fois une personnalité singulière et un des journalistes israéliens dont la voix porte le plus fortement… surtout probablement en dehors de son pays, auquel il n’épargne aucune vérité dérangeante. Il s’entretient avec Max Blumenthal. L’entretien vidéo est intégralement retranscrit en français sous la vidéo.
Max Blumenthal : Je suis Max Blumental, de Real News. Nous sommes ici au Club National de la Presse, avant une conférence sur le Moyen Orient, qui doit examiner si la “relation spéciale” qui existe entre les États-Unis et Israël est favorable aux intérêts américains. Je suis ici avec Gideon Levy, qui est un ancien porte-parole de Shimon Peres, lui-même ancien président d’Israël. Gideon Levy est des journalistes des plus radicaux, un vrai dissident dans la société israélienne et la voix des sans-voix en Israël, des Israéliens qui résistent à l’occupation et à l’apartheid. Nous allons parler avec Gideon Levy, pas seulement à propos des États-Unis et Israël, et leur “relation spéciale”, mais aussi sur ce qui se passe dans la société israélienne maintenant.
Gideon, vous disiez : s’il faut ne montrer qu’un seul endroit à un Américain qui visite la terre sainte, ce serait d’abord Hébron, dans le quartier H2, où vivent des colons très radicaux et violents, mais où il y a toujours des Palestiniens. Pourquoi vous leur montreriez ce quartier ? Il y a tellement de choses à voir…
Gideon Levy : Je commencerai là-bas parce que là, tu vois l’occupation en concentré. Il n’y a pas d’autre endroit où tu peux voir la politique israélienne, l’apartheid israélien en Cisjordanie, si clair, si limpide. Des routes séparées pour Juifs et Palestiniens. Une ville vide, parce que tous les habitants palestiniens ont du s’enfuir, car les colons les ont tellement tyrannisés que la plupart d’entre eux sont partis. Restent seulement ceux qui n’ont pas d’endroit où aller. Et vous voyez la terreur des colons, leur brutalité. Ce sont les colons les plus extrêmes qui sont là. Une partie d’entre eux devraient être vus par des psychiatres. Et tout cela se passe sur un tout petit morceau de terre. Et c’est ainsi que cela va se développer partout, si l’occupation continue. Là tu as l’occupation en concentré.
MB : C’est comme un microcosme de l’occupation…
GL : Absolument. Et je ne connais personne, aucune personne honnête, qui après avoir été là, n’a pas été choquée.
MB : J’étais à Hébron, dans la rue Shuhada et je parlais avec les soldats. Il y a là une centaine de colons, protégés par des centaines de soldats, qui eux aussi sont très violents avec la population palestinienne locale. Je suis en train de filmer, une femme colon passe et elle me fixe du regard et je lui fais signe « Yella », « allez-vous-en ». Et elle commence à crier : « Que veux-tu dire avec “Yella” ? De quoi tu parles ? » avec l’accent de Brooklyn. Pour moi, cela semblait incroyable. Au centre d’Hébron, tu entends les accents de New York… Comment les États-Unis ont-ils aidé à créer cette situation à Hébron ?
GL : Les États-Unis sont le grand financier du projet sioniste et le grand financier des projets de colonisation. Sans les États-Unis, il n’y a pas d’occupation. Et les États-Unis portent la responsabilité pour tous les actes et crimes d’Israël. Parce que sans les États-Unis, Israël ne pourrait pas le faire. C’est tout à fait clair.
MB : Les États-Unis disent qu’Israël est un allié dans la région, qu’Israël poursuit ses objectifs géo-stratégiques. Vous le voyez aussi ainsi ? Est-ce qu’Israël, plus particulièrement sous le gouvernement de Nétanyahou, est-ce qu’il se préoccupe de cela ?
GL : Comme toujours,concernant les relations entre Israël et les EU, vient la question : qui des deux est la superpuissance ? Israël ou les États-Unis ? Qui dicte sa loi à l’autre ? Qui fait du chantage à qui ? Et souvent, tu as l’impression que c’est Israël qui fait du chantage aux États-Unis. Et alors je me demande pourquoi ? C’est une énigme pour moi. Comment se fait-il qu’Israël est SI puissant ?
Et l’autre question qu’on devrait se poser est : en quoi cela sert-il les valeurs ou intéressent des États-Unis ? Est-ce que l’occupation sert les valeurs et les intérêts des États-Unis ? Est-ce que l’Amérique ne voit pas le prix énorme pour ce soutien autonomique et aveugle d’Israël dans son projet d’occupation ? Est-il raisonnable dans le 21ème siècle que les États-Unis financent un régime d’apartheid dans les territoires occupées ? Toutes ces questions devraient être posées, mais je ne suis pas sûr que quelqu’un a les réponses.
MB : Nous n’avons personne dans nos médias traditionnels qui posent ces questions. Vous, vous le faîtes, dans Haaretz, dans vos pages. Parlez-nous de votre expérience. Vous soulevez ces sujets déplaisants et vraiment dérangeant concernant l’occupation et l’apartheid dans la société juive israélienne.Est-ce que cela vous a affecté au long de ces années, plus spécialement depuis que Netanyahou est au pouvoir.
GL : Les dernières années, cela est devenu de moins en moins plaisant et sécurisant. Lorsque j’étais à Gaza, j’ai dû être accompagné par des garde-corps. Mais il ne s’agit pas de moi, je ne suis qu’un individu. Ce qui est réellement important, c’est que prendre le parti de la moralité, or défendre le maintien du droit international, est considéré en Israël comme de la trahison. Pas moins que ça ! La pire des choses qu’on peut entendre, c’est d’être un « gauchiste israélien ». Cette atmosphère violente et agressive, sans aucune forme de tolérance est un danger profond pour le futur d’Israël.
MB : Concernant le futur : il y a la ministre de la culture…, qui exige des artistes une forme de loyauté. Une artiste amie a été arrêtée, et est inculpée pour son art. Dans le système scolaire, on voit une forte imposition d’endoctri*nement religieux et nationaliste, le militarisme… On voit que les jeunes semblent plus racistes que leurs parents ou leurs grand-parents – je parle des Juifs israéliens. Il ne semble pas que l’occupation évolue vers la fin, elle semble actuellement comme une composante du futur d’Israël. Comment voyez-vous l’évolution dans les 5 à 10 ans à venir et comment vous vous pouvez tenir le coup ?
GL : Les démocrates américains (“the liberals” – NdT) devraient savoir qu’ils soutiennent les premiers signes du fascisme, je n’ai pas dit “le fascisme”, mais les premiers signes de fascisme en Israël, c’est très clair. Que les États-Unis soutiennent cette évolution, qu’ils ferment les yeux, et qu’ils continuent de financer cela. Cela devrait être su par tous les Américains, par les démocrates qui se soucient où va autant d’argent des contribuables.
Maintenant, où allons-nous ? Je ne peux m’imaginer aucun scénario qui donne un espoir. Vous l’avez mentionné : il n’y a pas source d’espoir maintenant. Il n’y a pas d’alternative à Netanyahou et l’alternative qui pourrait y avoir n’est pas vraiment mieux. L’atmosphère est de moins en moins tolérante et le taux de démocratie est minimal et souvent très distordu. La plupart des Israéliens pensent que la démocratie signifie le règne de la majorité et tout le reste est complètement sans importance.
Il y a des niveaux d’ignorance que je n’ai jamais vu avant. La génération de jeunes Israéliens, vous le savez, a atteint un niveau d’ignorance terrible. Ils ne connaissent rien de rien, ils ne se préoccupent de rien de rien. Ce qui devraient inquiéter tous les Israéliens, avant tout. Mais je ne vois pas que les Israéliens s’en préoccupent.
Et alors nous avions ce grand espoir pensant que les États-Unis allaient changer. Nous avions un espoir énorme il y a sept ans [lors de l’élection d’Obama]. Cet espoir était tout à fait hors de propos, trompeur. Et au bout du compte nous avons passé sept ans avec Barack Obama, qui n’a rien fait au Moyen Orient. C’était un grand président, je suis sûr, mais ce n’est pas à moi d’en juger, mais quand il s’agit du Moyen-Orient, il n’a rien fait et vous êtes réellement sans espoir. La seule source d’espoir est que, comme cela s’est passé souvent dans l’histoire, l’inattendu arrive. Dans beaucoup de cas, des régimes pourris tombent d’eux-mêmes et il n’y a rien de plus pourri que l’occupation israélienne.
MB : Pas mal de jeunes activistes israéliens ont commencé à se rendre en Cisjordanie, des groupes les “Anarchistes contre le Mur”, ils sont allés dans les petits villages comme Nabi Saleh, Bil’in et cette coopération a été écrasé par les militaires et l’Autorité Palestinienne. Je vois que beaucoup se sont tournés vers BDS, le mouvement pour le Boycott, Désinvestissement et les Sanctions contre Israël. Ils soutiennent un groupe nommé « Boycott from within » et ils font un appel au monde, disant « Boycottez mon pays ». Pourquoi font-ils cela et que pensez-vous des perspectives du mouvement BDS. Pourrait-ce être potentiellement un élément qui modifierait la donne ?
Gideon Lévy est à la fois une personnalité singulière et un des journalistes israéliens dont la voix porte le plus fortement… surtout probablement en dehors de son pays, auquel il n’épargne aucune vérité dérangeante. Il s’entretient avec Max Blumenthal. L’entretien vidéo est intégralement retranscrit en français sous la vidéo.
Max Blumenthal : Je suis Max Blumental, de Real News. Nous sommes ici au Club National de la Presse, avant une conférence sur le Moyen Orient, qui doit examiner si la “relation spéciale” qui existe entre les États-Unis et Israël est favorable aux intérêts américains. Je suis ici avec Gideon Levy, qui est un ancien porte-parole de Shimon Peres, lui-même ancien président d’Israël. Gideon Levy est des journalistes des plus radicaux, un vrai dissident dans la société israélienne et la voix des sans-voix en Israël, des Israéliens qui résistent à l’occupation et à l’apartheid. Nous allons parler avec Gideon Levy, pas seulement à propos des États-Unis et Israël, et leur “relation spéciale”, mais aussi sur ce qui se passe dans la société israélienne maintenant.
Gideon, vous disiez : s’il faut ne montrer qu’un seul endroit à un Américain qui visite la terre sainte, ce serait d’abord Hébron, dans le quartier H2, où vivent des colons très radicaux et violents, mais où il y a toujours des Palestiniens. Pourquoi vous leur montreriez ce quartier ? Il y a tellement de choses à voir…
Gideon Levy : Je commencerai là-bas parce que là, tu vois l’occupation en concentré. Il n’y a pas d’autre endroit où tu peux voir la politique israélienne, l’apartheid israélien en Cisjordanie, si clair, si limpide. Des routes séparées pour Juifs et Palestiniens. Une ville vide, parce que tous les habitants palestiniens ont du s’enfuir, car les colons les ont tellement tyrannisés que la plupart d’entre eux sont partis. Restent seulement ceux qui n’ont pas d’endroit où aller. Et vous voyez la terreur des colons, leur brutalité. Ce sont les colons les plus extrêmes qui sont là. Une partie d’entre eux devraient être vus par des psychiatres. Et tout cela se passe sur un tout petit morceau de terre. Et c’est ainsi que cela va se développer partout, si l’occupation continue. Là tu as l’occupation en concentré.
MB : C’est comme un microcosme de l’occupation…
GL : Absolument. Et je ne connais personne, aucune personne honnête, qui après avoir été là, n’a pas été choquée.
MB : J’étais à Hébron, dans la rue Shuhada et je parlais avec les soldats. Il y a là une centaine de colons, protégés par des centaines de soldats, qui eux aussi sont très violents avec la population palestinienne locale. Je suis en train de filmer, une femme colon passe et elle me fixe du regard et je lui fais signe « Yella », « allez-vous-en ». Et elle commence à crier : « Que veux-tu dire avec “Yella” ? De quoi tu parles ? » avec l’accent de Brooklyn. Pour moi, cela semblait incroyable. Au centre d’Hébron, tu entends les accents de New York… Comment les États-Unis ont-ils aidé à créer cette situation à Hébron ?
GL : Les États-Unis sont le grand financier du projet sioniste et le grand financier des projets de colonisation. Sans les États-Unis, il n’y a pas d’occupation. Et les États-Unis portent la responsabilité pour tous les actes et crimes d’Israël. Parce que sans les États-Unis, Israël ne pourrait pas le faire. C’est tout à fait clair.
MB : Les États-Unis disent qu’Israël est un allié dans la région, qu’Israël poursuit ses objectifs géo-stratégiques. Vous le voyez aussi ainsi ? Est-ce qu’Israël, plus particulièrement sous le gouvernement de Nétanyahou, est-ce qu’il se préoccupe de cela ?
GL : Comme toujours,concernant les relations entre Israël et les EU, vient la question : qui des deux est la superpuissance ? Israël ou les États-Unis ? Qui dicte sa loi à l’autre ? Qui fait du chantage à qui ? Et souvent, tu as l’impression que c’est Israël qui fait du chantage aux États-Unis. Et alors je me demande pourquoi ? C’est une énigme pour moi. Comment se fait-il qu’Israël est SI puissant ?
Et l’autre question qu’on devrait se poser est : en quoi cela sert-il les valeurs ou intéressent des États-Unis ? Est-ce que l’occupation sert les valeurs et les intérêts des États-Unis ? Est-ce que l’Amérique ne voit pas le prix énorme pour ce soutien autonomique et aveugle d’Israël dans son projet d’occupation ? Est-il raisonnable dans le 21ème siècle que les États-Unis financent un régime d’apartheid dans les territoires occupées ? Toutes ces questions devraient être posées, mais je ne suis pas sûr que quelqu’un a les réponses.
MB : Nous n’avons personne dans nos médias traditionnels qui posent ces questions. Vous, vous le faîtes, dans Haaretz, dans vos pages. Parlez-nous de votre expérience. Vous soulevez ces sujets déplaisants et vraiment dérangeant concernant l’occupation et l’apartheid dans la société juive israélienne.Est-ce que cela vous a affecté au long de ces années, plus spécialement depuis que Netanyahou est au pouvoir.
GL : Les dernières années, cela est devenu de moins en moins plaisant et sécurisant. Lorsque j’étais à Gaza, j’ai dû être accompagné par des garde-corps. Mais il ne s’agit pas de moi, je ne suis qu’un individu. Ce qui est réellement important, c’est que prendre le parti de la moralité, or défendre le maintien du droit international, est considéré en Israël comme de la trahison. Pas moins que ça ! La pire des choses qu’on peut entendre, c’est d’être un « gauchiste israélien ». Cette atmosphère violente et agressive, sans aucune forme de tolérance est un danger profond pour le futur d’Israël.
MB : Concernant le futur : il y a la ministre de la culture…, qui exige des artistes une forme de loyauté. Une artiste amie a été arrêtée, et est inculpée pour son art. Dans le système scolaire, on voit une forte imposition d’endoctri*nement religieux et nationaliste, le militarisme… On voit que les jeunes semblent plus racistes que leurs parents ou leurs grand-parents – je parle des Juifs israéliens. Il ne semble pas que l’occupation évolue vers la fin, elle semble actuellement comme une composante du futur d’Israël. Comment voyez-vous l’évolution dans les 5 à 10 ans à venir et comment vous vous pouvez tenir le coup ?
GL : Les démocrates américains (“the liberals” – NdT) devraient savoir qu’ils soutiennent les premiers signes du fascisme, je n’ai pas dit “le fascisme”, mais les premiers signes de fascisme en Israël, c’est très clair. Que les États-Unis soutiennent cette évolution, qu’ils ferment les yeux, et qu’ils continuent de financer cela. Cela devrait être su par tous les Américains, par les démocrates qui se soucient où va autant d’argent des contribuables.
Maintenant, où allons-nous ? Je ne peux m’imaginer aucun scénario qui donne un espoir. Vous l’avez mentionné : il n’y a pas source d’espoir maintenant. Il n’y a pas d’alternative à Netanyahou et l’alternative qui pourrait y avoir n’est pas vraiment mieux. L’atmosphère est de moins en moins tolérante et le taux de démocratie est minimal et souvent très distordu. La plupart des Israéliens pensent que la démocratie signifie le règne de la majorité et tout le reste est complètement sans importance.
Il y a des niveaux d’ignorance que je n’ai jamais vu avant. La génération de jeunes Israéliens, vous le savez, a atteint un niveau d’ignorance terrible. Ils ne connaissent rien de rien, ils ne se préoccupent de rien de rien. Ce qui devraient inquiéter tous les Israéliens, avant tout. Mais je ne vois pas que les Israéliens s’en préoccupent.
Et alors nous avions ce grand espoir pensant que les États-Unis allaient changer. Nous avions un espoir énorme il y a sept ans [lors de l’élection d’Obama]. Cet espoir était tout à fait hors de propos, trompeur. Et au bout du compte nous avons passé sept ans avec Barack Obama, qui n’a rien fait au Moyen Orient. C’était un grand président, je suis sûr, mais ce n’est pas à moi d’en juger, mais quand il s’agit du Moyen-Orient, il n’a rien fait et vous êtes réellement sans espoir. La seule source d’espoir est que, comme cela s’est passé souvent dans l’histoire, l’inattendu arrive. Dans beaucoup de cas, des régimes pourris tombent d’eux-mêmes et il n’y a rien de plus pourri que l’occupation israélienne.
MB : Pas mal de jeunes activistes israéliens ont commencé à se rendre en Cisjordanie, des groupes les “Anarchistes contre le Mur”, ils sont allés dans les petits villages comme Nabi Saleh, Bil’in et cette coopération a été écrasé par les militaires et l’Autorité Palestinienne. Je vois que beaucoup se sont tournés vers BDS, le mouvement pour le Boycott, Désinvestissement et les Sanctions contre Israël. Ils soutiennent un groupe nommé « Boycott from within » et ils font un appel au monde, disant « Boycottez mon pays ». Pourquoi font-ils cela et que pensez-vous des perspectives du mouvement BDS. Pourrait-ce être potentiellement un élément qui modifierait la donne ?
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