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Le serment politique sous l’égide des zaouïas.

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  • Le serment politique sous l’égide des zaouïas.

    Les zaouïas ont la peau dure. Les institutions culturelles et religieuses incarnant la Nation algérienne nouvelle en voie d’accouchement depuis novembre 1954, et toujours embryonnaires, n’ont pas tenu la route face à ces antiques lieux de négociations, de médiations et de consensus sociaux.

    Les zaouïas ne sont, en soi, ni bonnes ni mauvaises. Elles sont justes des institutions utiles socialement et politiquement, des sociétés contraintes à de fortes solidarités pour produire et échanger les biens nécessaires à leur survie.

    Kateb Yacine le dit d’une façon inégalée en puissance dans un texte publié en 1961 dans Le Monde Diplomatique.

    Restons-en simplement à cette idée que les zaouïas sont des structures des époques d’avant la révolution industrielle, d’avant les grands conglomérats industriels, d’avant le capitalisme qui nous posa le défi de la domination coloniale.

    Dans le langage classique, nous aurions dit qu’il s’agit de structures culturelles, religieuses et éducatives des sociétés sous-développées. Je n’aime pas ce mot car il suppose que l’écart aux sociétés développées est un écart vers le meilleur, ce qui introduit un contenu moral subreptice.

    En jouant ce rôle politique de blanchir Chakib Khelil, ou adouber tout autre ancien ou futur candidat à la présidence, les Zaouïas abolissent les avancées politiques réalisées par la révolution algérienne : la naissance de partis politiques nationaux, transcendant régionalisme et identités ethno-religieuses.
    Car c’est bien cela la plus grande avancée culturelle de la révolution nationale : la naissance et la consolidation de la conscience nationale.

    C’est mieux dit par Fanon : « Le plus haut degré de la culture nationale, c’est la conscience nationale ».
    Nous retournons à la conscience patriarcale, tribale et ses symboles dans leurs fonctions d’égide religieuse du pouvoir politique.

    C’est une démarche de suprématie d’un groupe, d’un clan, d’une faction à l’intérieur d’une même société, la nôtre. C’est une démarche égoïste de classe, au détriment de la nation et de la collectivité nationale. C’est une démarche de fragmentation sociale et non de cohésion en vue de régler précisément ce qui nous a empêché de lutter à armes égales avec le colonisateur : le sous-développement.

    Nous ne sommes plus dans la configuration d’un rassemblement national pour combattre le sous-développement mais dans celle de la lutte des classes.

    Sauf que le terme de classe ne rend pas compte d’une lumpen-bourgeoisie en incapacité absolue de se transformer en classe positive car le capitalisme périphérique dans les ex-colonies est lui-même impossible. En tous cas, sans l’affrontement continu avec le rapport colonial qui fait de nos pays un marché des matières premières et un débouché pour les industries occidentales.

    Sans le développement économique solidaire qu’on a appelé socialisme par défaut, par absence d’un concept qui rende compte de l’alliance de la justice et la mobilisation des moyens nationaux.
    C’est cela le contenu essentiel de l’image de Khellil ou d’autres responsables avant lui, instrumentalisant les zaouïas rétrogrades pour recréer un Makhzen détruit à la racine par la résistance nationale puis par la révolution algérienne.

    Zaouïas rétrogrades, car des confréries de résistances et de combat, il y en a eu derrière Abdelkader, Bouamama, Boumezrag, El Haddad etc. ou encore, derrière, l’ALN.

    Tout comme des zaouïas se sont faites auxiliaires de la conquête française ou de la guerre faite à notre peuple de 1930 à 1962.

    M. B.
    dz(0000/1111)dz

  • #2
    Kateb Yacine : De Jugurtha à Ferhat Abbas,tous les chemins mènent au Maghreb



    Dans le cadre de notre enquête sur le Maghreb, nous publions ci-dessous l’opinion de M. Kateb Yacine, jeune poète, romancier et dramaturge algérien, considéré comme le plus doué des écrivains de son pays. Son roman Nedjma, paru en 1957 aux Editions du Seuil, a connu un succès mérité. Nous estimons que l’opinion de ce représentant éminent des intellectuels algériens a une valeur documentaire ; nous lui ouvrons nos colonnes à ce titre, tout en laissant à son auteur l’entière responsabilité de certaines de ses affirmations.

    Les machines lieuses sont entrées en action. Le battage commence. Un savant tintamarre éloigne les sauterelles. C’est déjà la moisson, et ses bilans problématiques. Enfin la terre a parlé. Les marchands s’impatientent. Les chiffres pleuvent. Faites vos jeux !

    Boulahrouf n’est pas homme à oublier son alphabet. L’infatigable Boumendjel y va de sa faucille[1]. Mais l’oncle d’Amérique étend son bras trop long sur Perrette séduite, et sur son pot au lait, ce Maghreb fabuleux qui fait perdre la tête. Tant que le pot n’est pas brisé, tous les rêves sont permis.

    La France nous apporta le choc des temps modernes. Elle déversa en Algérie et dans tout le Maghreb des troupes, des colons, des capitaux, des techniciens, une plèbe mécontente et son escorte d’apatrides, enfin les réfugiés de ses provinces perdues, comme l’Alsace et la Lorraine en 1871, comme les compagnons du général de Gaulle au temps où ils luttaient contre la paix des braves proposée par Vichy. Passons.

    Donc l’Algérie avait bon dos. Ses nouveaux occupants proliféraient au point de tout accaparer, les terres et les villes, les postes de commande et les petits emplois. D’où l’administration directe et le refoulement final des Algériens qu’on avait oubliés. Ils n’étaient pas tous morts, et leur évolution s’était faite à grands pas. La France en était fière, d’une fierté pensive. Elle tira les verrous. Mais on entrait par les fenêtres. Il n’aurait pas fallu nous faire chanter la Marseillaise.

    Les premiers étudiants d’Afrique du Nord ne tardèrent pas à découvrir le caractère contradictoire de la tutelle française, selon qu’elle était vue d’Alger ou de Paris. Comme le Nord et le Sud avant et après la guerre de sécession, ces deux points cardinaux se renvoyaient toujours des ombres mal affranchies. La seule chance des Maghrébins résidait dans leur nombre. Autant dire une malédiction. Par le seul fait d’exister, ils étaient une menace. Il arriva pourtant que les futurs nationalistes des trois pays voyagèrent dans la métropole, y eurent des amis, communiquèrent entre eux, et s’instruisirent en langue française.

    Paradoxalement, le seul fait des fellahs algériens dans des armées modernes fit beaucoup pour les éveiller. On crut trouver une piétaille. On travaillait pour l’Armée de libération nationale (ALN) algérienne et il en fut de même pour le prolétariat, les cadres syndicaux formés en France.

    Le temps a fait son œuvre. La France ne peut plus exploiter le Maghreb. Elle ne peut plus faire la guerre en Algérie, ni vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, d’autant que l’ours a fréquenté le cirque. Il faut savoir ensevelir les espérances illégitimes. Le Cimetière marin de Paul Valéry devrait venir aux lèvres du général de Gaulle, et lui faire proférer devant un olivier de haute taille ce grand vers de dix pieds :

    « Le vent se lève : il faut tenter de vivre ! »

    Comme le fondateur de l’Ancien testament « n’a pas choisi Son peuple à cause du Lieu, mais le Lieu à cause de son peuple », le Maghreb ne veut plus du temple colonial. Nous ne sommes pas pour autant en guerre sainte.

    On trouve dans nos rangs des chrétiens et des juifs. Ils représentent des centaines de milliers d’hommes qui ont choisi de vivre dans leur nouvelle patrie.
    dz(0000/1111)dz

    Commentaire


    • #3
      La nation algérienne considère ces hommes comme le trait d’union indispensable avec l’œuvre française, abstraction faite du régime à jamais balayé par la révolution. Le 11 décembre 1960, en guise de réponse à toute base de référendum, passé ou à venir, l’Algérie a plébiscité les seuls chefs qu’elle connaisse (ceux du FLN). Que Messali Hadj (chef du MNA) essaie ses offices en plein air, sous la puissance protectrice, et l’on fera le compte de ses fidèles !

      Déjà, l’ancienne Mauritanie, la Numidie de Jugurtha, dressait les peuples d’Afrique du Nord contre l’empire fondé par Rome. Et la défaite de Jugurtha portait en germe, déjà, un Maghreb victorieux : la résistance était possible.

      La lutte serait longue, et les péripéties ne comptaient pas dans une guerre de partisans, une guerre de tous et de chacun, une guerre où le temps travaille à unifier les rebelles et absorber les conquérants. Quand viennent les Arabes, les mêmes réalités s’opposent tout d’abord à leur domination. On voit une juive berbère, la Kahina, organiser les embuscades et rallier autour d’elle tout ce qui vit et respire, dans les profondeurs de l’Aurès. On trouve alors dans ces montagnes d’humbles villages administrés comme des républiques ! C’est la commune villageoise ; gérée par les anciens et farouchement jalouse de son indépendance… La Kahina mourra sans désarmer. Ses dernières paroles témoignent pourtant d’une volonté de paix. C’est que, pour elle et ses guerriers, il n’y a plus d’envahisseurs à combattre, mais une souche nouvelle enracinée au Maghreb. Il n’y a plus qu’un seul et même peuple, haut en couleur, où l’islam ne s’oppose aux traditions locales que le temps nécessaire à sa pénétration. Il faut lire Ibn Khaldoun pour comprendre à quel point les structures sociales du Maghreb correspondaient à l’idéal égalitaire des musulmans. Mais l’islam était divisé.

      Les peuples du Maghreb épousèrent à peu près toutes les querelles de leur temps, et furent le plus souvent pour des réformes radicales. Ils rejetaient la décadence des dynasties dites civilisées, leurs prétentions contradictoires à ériger leurs rejetons en descendants du Prophète.

      Cependant le Maghreb survivait à la crise, et mesurait non sans orgueil ses dimensions nouvelles, dans la poussière des conquérants. Devant les ruines de Rome et de Carthage, les mosquées restaient debout. Les cavaliers arabes surgis du Sahara et coupés de leurs bases avaient donc réussi, là où la force des empires s’était anéantie. Pourquoi ? À cause de l’islam ? L’impopularité de la puissance turque vint prouver le contraire. La religion ne pouvait être la cause unique du succès. Il faut chercher ailleurs, et revenir à Ibn Khaldoun, à la sociologie.

      Quand Rosa Luxembourg notait en Algérie, au centre du Maghreb, les survivances multiples d’un communisme primitif, elle sacrifiait sans doute à ses idées marxistes, mais elle mettait le doigt sur le point précis où le droit musulman (Sidi Khlil) coïncide parfaitement avec les traditions et les usages codifiés depuis la nuit des siècles, à travers tout le territoire. Ce droit Kanoun, interprété à merveille dans la législation maghrébine de l’islam, c’est bel et bien du socialisme : terres indivises, partage des récoltes, mise en commun des moyens de production, biens habous (de main morte), greniers collectifs encore intacts au Sahara, et surtout dans l’Aurès.

      Une autre théoricienne, Germaine Tillion, qui navigue loin de Marx, a compris ce Maghreb obscur, sauf quand elle parle de « clochardisation ». L’extrême détresse des fellahs ne dégénère pas, même chez les troglodytes. Elle explose au contraire. Nous le verrons plus loin.

      Mais retournons aux Turcs. Ils n’étaient pas venus renforcer les Arabes, en missionnaires de l’islam. Le Maghreb vit en eux tout simplement des occupants, au sens brutal du terme. Ils rappelaient aux occupés la lourde machine romaine, ses impôts, ses tueries, et sa justice expéditive. Ils n’eurent de remarquable que leur marine. Elle fit beaucoup pour écarter l’intervention européenne. Ce n’était qu’un sursis.

      Le Maghreb était piétiné. Les Arabes devinrent les seuls frères musulmans, humiliés eux aussi par la puissance turque. Ce rapprochement permit bientôt d’unir toutes les tribus qui eurent pour chef Abd-El-Kader, d’est en ouest, jusqu’au Rif, et ce fut la riposte à l’invasion du 05 juillet 1830.

      Les Français n’eurent aucun mal à écraser les Turcs impopulaires. Le burnous rouge des caïds n’eut même pas à se retourner. Ce n’était, somme toute, que la relève d’un empire. La conquête s’étendit. La France était perplexe, le parlement houleux, mais on flairait la bonne affaire, et Bugeaud l’emporta. On se rua sur l’Algérie et sur ses terres collectives, acquises à vil prix. Les Algériens furent décimés en dix-sept ans de luttes inégales et féroces.

      Après la chute d’Abd El-Kader, la résistance continuait, avec des hauts et des bas. Il y eut des vides tragiques, où les sirènes de la défaite retentissaient à n’en plus finir. La Tunisie et le Maroc tombèrent sous le joug. Le Maghreb semblait mort. Il n’avait plus que ses prières pour rentrer en lui-même. Ainsi l’islam reprit racine, et sa coloration sociale fut évidente. Le Maghreb n’eut même pas le pain amer de prolétaires. Il habita dans les cavernes, où on le trouve encore.

      C’est l’une des années les plus cruelles de notre histoire : un hiver rigoureux, les récoltes compromises, la famine, le typhus, la Légion, les milices, les soldats revenus de Cassino, de Normandie, pour trébucher sur les cadavres et les jarres brisées. Cela sous le pouvoir du général de Gaulle, l’homme qui pensait depuis longtemps, disait-il, à l’émancipation des colonies. Mais pourquoi n’avoir pas, comme les Anglais en Inde avec Nehru, fondé dans l’euphorie de la France libre un Maghreb associé ? Pourquoi avoir tourné le dos à Ho Chi Minh et lui avoir fermé l’Union française ?

      La « pacification » recommençait à Saigon. Le Maghreb n’avait plus qu’à méditer cette leçon et à tourner la page. Tous les yeux se tournaient vers le lointain Vietnam. Bientôt l’Afrique du Nord allait suivre l’exemple.

      Le soulèvement des Tunisiens fit rire les militaires. On se moquait des fellaghas, petits coupeurs de route. Et le Maghreb entra dans la tempête.

      Encore une fois, qu’on se souvienne des journées de décembre 1960. Ces foules résolues, le marteau à la main, avec leurs loques teintées de sang, et leurs drapeaux tombés du ciel, on ne peut plus les ignorer. Elles sont venues comme un miracle. Elles ont dicté leur volonté sous les balles des fauteurs de haine, et les rafales des régiments ameutés une fois de plus. On a pu voir enfin d’où venait la violence, après une guerre de cent trente ans.

      Un nouveau Melun n’est nullement exclu. À qui la faute ? Nous voulons la clarté. Du coté adverse, on marche vers la paix comme dans un tunnel chargé de dynamite. Psychose du plastic ? Allons donc ! De tels épouvantails n’effraient que les touristes. Un peu de fièvre, il faut le dire, serait de bon augure. Hélas ! aucune bombe ne semble harceler des émissaires fourbus avant la course. On n’a jamais tant voyagé pour si peu de distance : tous les chemins, nécessairement, mènent au Maghreb, sur la base tangible d’une Algérie indépendante.

      Article paru en mai 1961 dans Le Monde diplomatique, réédité dans Manière de voir n° 86, Le Maghreb colonial /Avril -Mai 2006 .

      [1]. En langue arabe, Boulahrouf signifie l’homme à l’alphabet, et Boumendjel l’homme à la faucille.
      dz(0000/1111)dz

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