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Les limites de l’alliance entre Moscou, Damas et Téhéran

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  • Les limites de l’alliance entre Moscou, Damas et Téhéran

    L’intervention militaire russe en Syrie, où l’Iran est déjà impliqué depuis plus de trois ans aux côtés de l’armée du président Bachar al-Assad, a permis d’inverser les rapports de force et, par conséquent, de renforcer la position du régime dans le processus de négociations. Mais les trois alliés n’ont pas forcément des agendas identiques. Des divergences peuvent parfois apparaître aussi bien au niveau des méthodes que des objectifs.

    Avant l’intervention massive de l’aviation et des conseillers russes en Syrie, le 30 septembre 2015, l’armée syrienne était partout sur la défensive. Entre avril et août de l’année dernière, le régime a perdu toute la province septentrionale d’Idleb, le quart de celle de Lattaquié, la ville antique de Palmyre et une bonne partie de la province méridionale de Deraa. A Alep, son armée était bousculée et autour de Damas, elle avançait lentement.

    En l’espace de cinq mois, le paysage a changé drastiquement. Appuyée par une centaine de bombardiers et d’hélicoptères de combat déployés dans la base de Hmeimim (Lattaquié), conseillée par des centaines d’instructeurs russes, et équipée de matériel militaire dernier cri (chars T-90, lance-roquettes multitubes, missiles air-sol à guidage laser, systèmes de télécommunication sophistiqués etc…), l’armée syrienne est repassée à l’attaque sur tous les fronts. Elle s’est emparée de plus de 250 villes et villages, a reconquis 15 000 km2, repris la quasi-totalité de la province de Lattaquié, encerclé les rebelles dans la partie est d’Alep, et avancé à Deraa. Palmyre, au centre, Cheikh Meskin au sud, Salma et Rabia à l’ouest, l’aéroport de Kweires à l’est d’Alep, les troupes de Bachar al-Assad volaient de victoire en victoire.

    Ces succès militaires ont été rendus possibles par la grande puissance de feu déployée, la participation active des alliés, comme le Hezbollah libanais et les Gardiens de la révolution iranienne, les plans militaires préparés avec l’aide de conseillés russes intégrés à l’état-major syrien, et une bonne coordination.


    Assad favorise l’option militaire

    Cependant, si l’harmonie militaire semblait parfaite, on ne peut pas en dire autant de la coordination politique. Très tôt, des divergences sont apparues entre la Russie et la Syrie et entre Moscou et Téhéran autour des objectifs poursuivis par chacun des trois alliés.

    Alors que la Russie ne cessait d’affirmer qu’il ne saurait y avoir de solution militaire à la crise syrienne, et qu’en fin de compte les belligérants devront s’asseoir autour d’une même table pour trouver une issue politique, le président Assad livrait le fond de sa pensée: «L’objectif final est de libérer tout le territoire syrien et de vaincre les terroristes».

    Cette déclaration a été interprétée par la Russie comme un acte de sabotage des efforts diplomatiques engagés avec les Etats-Unis pour une relance du processus politique. Moscou n’a pas caché son mécontentement, et son représentant à l’Onu, Vitaly Tchorkine, a riposté, le 18 février: « Nous avons investi très sérieusement dans cette crise, politiquement, diplomatiquement et aussi militairement. Nous voudrions donc que le président Assad prenne cela en compte. »

    Alors que la diplomatie russe s’activait dans tous les sens pour relancer les négociations inter-syriennes, le président Assad signait un décret convoquant des élections législatives pour le 13 avril prochain. Cette décision a surpris les alliés et les ennemis de Damas ainsi que les observateurs, d'autant que les pourparlers de Genève devaient porter, justement, sur une participation de l’opposition aux différents échelons du pouvoir. De crainte que les opposants les plus intransigeants ne trouvent dans cette démarche un prétexte pour boycotter les négociations de Genève, la Russie a réagi. La porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Maria Zakharova, déclarait, le 24 février, que Moscou insistait pour qu’il y ait un processus politique débouchant sur une nouvelle Constitution et ensuite des élections.

    Une trêve «prématurée»

    Les divergences les plus profondes sont celles qui ne sont pas apparues en public. Selon des personnalités proches du gouvernement syrien, rencontrées à Damas, le régime et son allié iranien étaient farouchement opposés à la trêve proposée par Moscou. «Lors des réunions, le ton est monté entre les officiers supérieurs des trois pays chargés d’examiner la question de la trêve», a rapporté un général de réserve syrien, qui a requis l’anonymat. «Les Syriens et les Iraniens jugeaient cette trêve prématuré, a-t-il ajouté. Elle intervenait alors que l’armée syrienne était dans une dynamique de reconquête, surtout à Alep. Ils trouvaient insensée la proposition russe et ne comprenaient pas ses motivations». Syriens et Iraniens ont tenté d’obtenir une rallonge de quelques jours, ne serait-ce que pour parachever l’encerclement des quartiers est d’Alep, tenus par les rebelles, et prendre les deux derniers bastions pro-turcs de Mareh et Aazaz, à la frontière. En vain. La Russie avait pris sa décision et l’a imposée à ses alliés. Le cessez-le-feu, parrainé par Moscou et Washington, entrera en vigueur le 27 février.

    La Russie a ensuite installé, dans la base de Hmeimim, un «centre pour la réconciliation des parties du conflit syrien», dirigé par le colonel Sergueï Kouralenko. Censé répertorier les violations de la trêve, ce centre a aussi établi des contacts avec des dizaines de groupes armés et des personnalités de l’opposition. Un membre de l’opposition tolérée par le régime, rencontré à Damas, affirme avoir été invité par un officier russe à se rendre à Hmeimim pour «discuter du processus politique». «Un hélicoptère russe m’a transporté à Lattaquié, où j’ai rencontré des officiers russes, et m’a ramené à Damas. Les membres des services de renseignements syriens qui surveillent tous mes va-et-vient n’ont pas osé me poser la moindre question», dit-il.

    Ankara et Téhéran contre le fédéralisme

    A la veille des négociations de Genève, le 14 mars, le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Moallem, donnait une conférence de presse. Il affirme que le président Assad est «une ligne rouge» et assure que la délégation syrienne n’attendra pas plus de 24 heures l’arrivée des représentants de l’opposition. Le surlendemain, Vladimir Poutine créait la surprise en annonçant le retrait du gros de son contingent déployé en Syrie. Certains ont interprété cette décision comme un moyen de pression exercé sur le régime syrien pour le pousser à présenter des concessions. D’autres y ont vu une manœuvre pour permettre aux négociations de Genève de produire de vrais résultats. Quoi qu’il en soit, par cette annonce, qui a pris de court aussi bien ses alliés que ses détracteurs, Poutine a montré qu’il privilégiait le processus diplomatique, contrairement au président Assad, partisan de l’option militaire.

    La Russie et l’Iran non plus ne sont pas au même diapason. Lorsque le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Riabkov, a préconisé une solution fédérale en Syrie, les dirigeants iraniens n’ont pas hésité à exprimer publiquement leur désaccord. Hassan Rohani a même reçu, à Téhéran, son homologue turc et ennemi juré de la Russie, Recep Tayyeb Erdogan, malgré leurs profondes divergences sur la crise syrienne. Les deux dirigeants craignent la contagion fédéraliste dans leurs pays respectifs, qui abritent de fortes minorités kurdes. Ils ont donc exprimé leur attachement à l’unité territoriale de la Syrie, et ont décidé de renforcer leurs relations.

    De plus, alors que la Russie a allégé sa présence militaire en Syrie, le général Ali Arasteh, officier de liaison adjoint des forces terrestres iraniennes, a déclaré lundi 4 avril, que des commandos de l'armée régulière ont été envoyés en Syrie en tant que «conseillers». Ils viennent s’ajouter aux unités des Gardiens de la révolution déjà sur place.

    La Russie, la Syrie et l’Iran sont certes des alliés, mais leurs agendas ne sont pas identiques. De même que des divergences existent au sein du camp adverse, notamment entre les Etats-Unis, les pays du Golfe et l’Europe. Dans un paysage d’une telle complexité, les négociations seront longues et difficiles et des développements spectaculaires peuvent se produire à tout moment.

    RFI
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