En 1987, le milliardaire new-yorkais, alors engagé dans la lutte contre la prolifération nucléaire, accordait un entretien surréaliste sur le sujet à un magazine américain. Nous le republions ci-dessous dans son intégralité.
Donald Trump avec le doigt sur le bouton nucléaire. Donald Trump avec la petite valise de la mort toujours à portée de main. La valise avec les codes des cibles nucléaires: la Chine oui? Moscou non?
Donald Trump avec le pouvoir de détruire toute vie sur Terre. Au cœur de cette peur de Trump quasi-hystérique (et justifiée pour l’essentiel) qui ne cesse de grandir au fur et à mesure qu’il se rapproche de l’investiture républicaine se trouve la peur de Trump avec le bouton nucléaire. Un tempérament explosif combiné à une capacité explosive.
Mais on oublie assez largement que Trump n’est en rien novice en matière nucléaire. Il pense à la manière dont il utiliserait le pouvoir nucléaire et à la prolifération nucléaire depuis plus d’un quart de siècle, au moins depuis 1987, quand il déclara qu’il «discutait avec le plus haut degré de l’État», au sein de la Maison blanche (celle de Reagan), des questions d’apocalypse nucléaire.
Quand j’en ai entendu parler pour la première fois, j’ai cru que c’était une blague. Pourtant, à l'apogée de la Guerre froide, alors que les États-Unis et l’URSS disposaient d’environ 25.000 têtes nucléaires pour se bombarder mutuellement, dont des milliers prêtes à être tirées en un clin d’œil, Donald Trump annonçait qu’il possédait la solution pour résoudre le problème nucléaire à l’échelle mondiale.
À l’époque, rares furent ceux qui le prirent au sérieux. Je ne suis pas sûr de l’avoir entièrement pris au sérieux moi-même. Quand j’avais décidé de déjeuner avec lui pour l’interroger sur ses idées sur le nucléaire, je tentais de trouver un point d’équilibre entre deux réactions internes totalement contradictoires. Me payer la fiole de Trump: il n’avait, par exemple, de cesse de citer le pilote de Mouammar Kadhafi comme une source fiable. Il expliquait également à demi-mot qu’il fallait bombarder les Français pour qu’ils cessent de soutenir les Libyens.
Mais d’un autre côté, le sujet était indéniablement sérieux et nécessitait davantage d’attention. J’avais déjà décrit pour le magazine Harper’s l’expérience glaçante et surréaliste consistant à descendre dans un silo nucléaire, à tenir les clés de lancement dans ma main et l’étrange métaphysique de la stratégie nucléaire. J’avais discuté de la fin du monde avec des opérateurs de missiles qui étaient formés pour la provoquer. C’est le genre de choses qui vous marquent durablement. J’avais même écrit un livre sur le sujet, How the End Begins. Mais à cette époque, je pensais qu’une interview avec Trump permettrait au moins de donner un peu de publicité à cette question –la fin du monde–, une question à laquelle je pensais que les gens ne prêtaient pas suffisamment attention. Même s’il fallait pour cela m’entretenir avec un cinglé comme Trump.
Tel était donc le contexte de l'article que Slate republie ci-dessous. Le déjeuner fut calé avec l’aide de Manhattan Inc., un magazine depuis disparu mais certainement pas oublié, fondé par Jane Amsterdam et Peter Kaplan, très apprécié des écrivains. Mon rôle consistait à éclairer de la manière la plus crue et criante qui soit les personnalités les plus hautes en couleur de Manhattan, à appuyer sur le bouton de mon enregistreur et à dégonfler les baudruches. Pas seulement les riches et célèbres, mais aussi les politicards du genre d’Ed Koch ou de Mario Cuomo, des symboles de l’air du temps comme Robin Leach. Parfois, des politiciens me faisaient foutre à la porte du restaurant en plein entretien.
En relisant cet article consacré à Trump, je me souviens à quel point l’entrevue avait été surréaliste. Je l’avais rencontré dans ses bureaux de la Trump Tower, un bureau surplombé par un miroir doré au plafond. Il était déjà un personnage symbole à New York, mais il avait de bien plus grandes ambitions. La plus grande était sans doute de sauver le monde. Avant notre déjeuner, il me confia qu’il parlait à «des gens à Washington» et même «à la Maison Blanche». Il était sur le point de percer. Il voulait déjà être considéré comme autre chose qu’un spéculateur immobilier haut en couleurs, comme quelqu’un qui pesait, politiquement. Quand je suis arrivé dans son bureau, il m’a dit qu’il était au téléphone avec le sénateur Bob Dole, alors à la tête de l’opposition au Sénat –un coup de fil sans doute arrangé pour coïncider avec mon arrivée.
Nous nous sommes ensuite rendus à pied au 21 Club, une de ses cantines régulières, où tout le monde le connaissait et se mit instantanément à réclamer son attention, en quête manifeste d’une participation à son prochain gros coup.
Dès cette époque, il méprisait les gros arrivistes qui ne voulaient que s’en mettre plein les poches en spéculant sur l’immobilier. Ses ambitions étaient bien plus grandes. Mais il y a vingt-cinq ans de cela, on pouvait malgré tout sentir une certaine hésitation de sa part à se présenter comme le sauveur du monde. Une certaine forme d’humilité. Tout cela a disparu. A l’époque, on sentait une impatience toute trumpienne à l’égard des «intellectuels de la défense», qui se manifestait dans son mépris pour certaines théories nucléaires comme celles du Dense Pack, un plan visant à regrouper les silos nucléaires si près les un des autres que les missiles les attaquant se détruiraient les uns les autres en se percutant dans le ciel au dessus des Grandes plaines désolées. Il tenait ça pour dangereux et inefficace. Il savait tout de la dangerosité d’une «posture» nucléaire en «état d’alerte» permanent. Il disait qu’il avait un oncle scientifique et spécialiste du nucléaire qui l’avait sensibilisé à la prolifération aisée des armes nucléaires. Il avait lu Deadly Gambits, l’ouvrage brillant de Strobe Talbott sur les pourparlers du traité START.
Impatience, combativité, caractère impulsif –pas vraiment ce que l’on attend d’un type en charge de l’arme nucléaire. Une telle combinaison met mal à l’aise. Mais d’un autre côté, il avait alors l’air authentiquement conscient du danger que l’arme nucléaire représentait pour la planète et combien les efforts visant à en réduire le danger avaient été futiles. Il n’avait pas l’air particulièrement désireux d’appuyer sur le bouton, ce qui, j’imagine, est plutôt une bonne chose. Il fallait conclure un accord!
Malgré cela, depuis des années, je continuais de sourire en pensant à Trump et moi en train de causer nucléaire au Club 21.
Mais je ne ris plus.
Le texte qui suit a été pour la première fois publié dans Manhattan Inc. en 1987, et plus tard dans Manhattan Passion, sous le titre suivant: «Trump: l’accord ultime –par lequel nous voyons le monde à travers les yeux du pilote de Kadhafi.»
* * *
Donald Trump avec le doigt sur le bouton nucléaire. Donald Trump avec la petite valise de la mort toujours à portée de main. La valise avec les codes des cibles nucléaires: la Chine oui? Moscou non?
Donald Trump avec le pouvoir de détruire toute vie sur Terre. Au cœur de cette peur de Trump quasi-hystérique (et justifiée pour l’essentiel) qui ne cesse de grandir au fur et à mesure qu’il se rapproche de l’investiture républicaine se trouve la peur de Trump avec le bouton nucléaire. Un tempérament explosif combiné à une capacité explosive.
Mais on oublie assez largement que Trump n’est en rien novice en matière nucléaire. Il pense à la manière dont il utiliserait le pouvoir nucléaire et à la prolifération nucléaire depuis plus d’un quart de siècle, au moins depuis 1987, quand il déclara qu’il «discutait avec le plus haut degré de l’État», au sein de la Maison blanche (celle de Reagan), des questions d’apocalypse nucléaire.
Quand j’en ai entendu parler pour la première fois, j’ai cru que c’était une blague. Pourtant, à l'apogée de la Guerre froide, alors que les États-Unis et l’URSS disposaient d’environ 25.000 têtes nucléaires pour se bombarder mutuellement, dont des milliers prêtes à être tirées en un clin d’œil, Donald Trump annonçait qu’il possédait la solution pour résoudre le problème nucléaire à l’échelle mondiale.
À l’époque, rares furent ceux qui le prirent au sérieux. Je ne suis pas sûr de l’avoir entièrement pris au sérieux moi-même. Quand j’avais décidé de déjeuner avec lui pour l’interroger sur ses idées sur le nucléaire, je tentais de trouver un point d’équilibre entre deux réactions internes totalement contradictoires. Me payer la fiole de Trump: il n’avait, par exemple, de cesse de citer le pilote de Mouammar Kadhafi comme une source fiable. Il expliquait également à demi-mot qu’il fallait bombarder les Français pour qu’ils cessent de soutenir les Libyens.
Mais d’un autre côté, le sujet était indéniablement sérieux et nécessitait davantage d’attention. J’avais déjà décrit pour le magazine Harper’s l’expérience glaçante et surréaliste consistant à descendre dans un silo nucléaire, à tenir les clés de lancement dans ma main et l’étrange métaphysique de la stratégie nucléaire. J’avais discuté de la fin du monde avec des opérateurs de missiles qui étaient formés pour la provoquer. C’est le genre de choses qui vous marquent durablement. J’avais même écrit un livre sur le sujet, How the End Begins. Mais à cette époque, je pensais qu’une interview avec Trump permettrait au moins de donner un peu de publicité à cette question –la fin du monde–, une question à laquelle je pensais que les gens ne prêtaient pas suffisamment attention. Même s’il fallait pour cela m’entretenir avec un cinglé comme Trump.
Tel était donc le contexte de l'article que Slate republie ci-dessous. Le déjeuner fut calé avec l’aide de Manhattan Inc., un magazine depuis disparu mais certainement pas oublié, fondé par Jane Amsterdam et Peter Kaplan, très apprécié des écrivains. Mon rôle consistait à éclairer de la manière la plus crue et criante qui soit les personnalités les plus hautes en couleur de Manhattan, à appuyer sur le bouton de mon enregistreur et à dégonfler les baudruches. Pas seulement les riches et célèbres, mais aussi les politicards du genre d’Ed Koch ou de Mario Cuomo, des symboles de l’air du temps comme Robin Leach. Parfois, des politiciens me faisaient foutre à la porte du restaurant en plein entretien.
En relisant cet article consacré à Trump, je me souviens à quel point l’entrevue avait été surréaliste. Je l’avais rencontré dans ses bureaux de la Trump Tower, un bureau surplombé par un miroir doré au plafond. Il était déjà un personnage symbole à New York, mais il avait de bien plus grandes ambitions. La plus grande était sans doute de sauver le monde. Avant notre déjeuner, il me confia qu’il parlait à «des gens à Washington» et même «à la Maison Blanche». Il était sur le point de percer. Il voulait déjà être considéré comme autre chose qu’un spéculateur immobilier haut en couleurs, comme quelqu’un qui pesait, politiquement. Quand je suis arrivé dans son bureau, il m’a dit qu’il était au téléphone avec le sénateur Bob Dole, alors à la tête de l’opposition au Sénat –un coup de fil sans doute arrangé pour coïncider avec mon arrivée.
Nous nous sommes ensuite rendus à pied au 21 Club, une de ses cantines régulières, où tout le monde le connaissait et se mit instantanément à réclamer son attention, en quête manifeste d’une participation à son prochain gros coup.
Dès cette époque, il méprisait les gros arrivistes qui ne voulaient que s’en mettre plein les poches en spéculant sur l’immobilier. Ses ambitions étaient bien plus grandes. Mais il y a vingt-cinq ans de cela, on pouvait malgré tout sentir une certaine hésitation de sa part à se présenter comme le sauveur du monde. Une certaine forme d’humilité. Tout cela a disparu. A l’époque, on sentait une impatience toute trumpienne à l’égard des «intellectuels de la défense», qui se manifestait dans son mépris pour certaines théories nucléaires comme celles du Dense Pack, un plan visant à regrouper les silos nucléaires si près les un des autres que les missiles les attaquant se détruiraient les uns les autres en se percutant dans le ciel au dessus des Grandes plaines désolées. Il tenait ça pour dangereux et inefficace. Il savait tout de la dangerosité d’une «posture» nucléaire en «état d’alerte» permanent. Il disait qu’il avait un oncle scientifique et spécialiste du nucléaire qui l’avait sensibilisé à la prolifération aisée des armes nucléaires. Il avait lu Deadly Gambits, l’ouvrage brillant de Strobe Talbott sur les pourparlers du traité START.
Impatience, combativité, caractère impulsif –pas vraiment ce que l’on attend d’un type en charge de l’arme nucléaire. Une telle combinaison met mal à l’aise. Mais d’un autre côté, il avait alors l’air authentiquement conscient du danger que l’arme nucléaire représentait pour la planète et combien les efforts visant à en réduire le danger avaient été futiles. Il n’avait pas l’air particulièrement désireux d’appuyer sur le bouton, ce qui, j’imagine, est plutôt une bonne chose. Il fallait conclure un accord!
Malgré cela, depuis des années, je continuais de sourire en pensant à Trump et moi en train de causer nucléaire au Club 21.
Mais je ne ris plus.
Le texte qui suit a été pour la première fois publié dans Manhattan Inc. en 1987, et plus tard dans Manhattan Passion, sous le titre suivant: «Trump: l’accord ultime –par lequel nous voyons le monde à travers les yeux du pilote de Kadhafi.»
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