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Atlas ou la naissance d’une montagne

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  • Atlas ou la naissance d’une montagne

    Pour les Anciens, Atlas est un personnage de la mythologie qui devient, sous le stylet des mythographes antiques, une montagne cosmique située au bout du monde connu.

    es confins de la terre étaient le royaume d’Atlas, ainsi que la mer qui offre ses flots aux chevaux essoufflés du Soleil et accueille leur char épuisé ». Par ces quelques mots extraits des Métamorphoses (livre IV), Ovide pose nettement le décor. L’Occident Extrême est la limite du monde connu. Au-delà se trouve la barrière infranchissable de l’océan Atlantique, où se couche le char du soleil. Avant d’être un roi mythique des confins, Atlas était pour les Grecs un Géant, fils du Titan Japet et de l’Océanide Clyméné qui, pour avoir lutté avec les Titans contre les dieux de l’Olympe, fut contraint par Zeus de soutenir la voûte céleste sur ses épaules.

    , Atlas veille « sur les hautes colonnes qui gardent le ciel écarté de la terre » (Odyssée, chant I). Au temps d’Homère, l’auteur de ces lignes, l’extrémité occidentale du monde est encore voilée de la brume de l’inconnu. Certes, les Phéniciens parcourent déjà sur leurs puissant navires les rives de cet eldorado atlantique, mais ils y repoussent toute tentative grecque d’y pénétrer. Le mythe grec d’Atlas remplit alors le vide de la connaissance.

    Le jardin des Hespérides, paradis d’Atlas

    À mesure que les connaissances des Grecs s’affinent sur l’Occident, Atlas devient un roi légendaire à la taille gigantesque qui règne sur une terre exceptionnellement riche, car encore peu exploitée, où pousse une végétation luxuriante. Dans le jardin paradisiaque d’Atlas, appelé l’Hespérie, poussent des arbres aux rameaux et feuilles d’or et portant des pommes d’or. Mais pour en interdire l’accès, « Atlas avait enfermé ses jardins de hautes murailles ; un dragon monstrueux veillait, gardien de leur enceinte ; et l’entrée de l’Hespérie était interdite aux étrangers » (Ovide, Métamorphoses, IV).

    Loin des hommes et du devoir d’hospitalité, Atlas conserve jalousement ses trésors. Le mythe suscite pourtant la convoitise de richesses encore inexploitées sur une terre inconnue d’où les Grecs sont exclus. C’est donc par le héros Persée que la terre d’Occident sera violée, mais aussi organisée aux yeux des Grecs. Persée est venu aux confins occidentaux tuer Méduse, une des trois Gorgones conçues par Gaïa, la déesse primordiale de la Terre. Les Gorgones présentent un aspect affreux : leurs têtes sont entourées de serpents, leurs bouches sont armées de défenses de sanglier et leur regard pénétrant change en pierre ceux qui le croisent. Objet d’horreur, elles ont été reléguées dans la nuit aux limites du monde, là où nul n’est assez hardi pour oser les approcher. Seul Poséidon s’est uni à Méduse, la seule des Gorgones à être mortelle.

    Du mythe à la géographie

    Par la ruse et à l’aide du casque d’Hadès qui rend invisible, du bouclier brillant d’Athéna qui permet de voir indirectement et du couteau d’Hermès qui tranche tout ce qui tombe sous sa lame, Persée tue le monstre en le décapitant. Le sang qui s’écoule du corps de Méduse crée le cheval ailé Pégase et la tête chevelue finalement jetée dans la mer donne naissance au corail. Les mythes évoluent dans l’espace et le temps pour donner du sens aux éléments. Enfin, grâce aux sandales ailées d’Hermès, Persée s’enfuit à temps de l’antre des Gorgones.

    Persée envisage ensuite de s’emparer des pommes d’or du jardin des Hespérides, ces filles d’Atlas, ces nymphes du Couchant. Or, pour avoir accès au jardin, il doit maîtriser la force du père des Hespérides. C’est alors qu’il utilise la tête de Méduse pour pétrifier Atlas. « Persée élève en l’air la tête de Méduse et présente au regard d’Atlas son visage sanglant. Soudain, ce vaste colosse est changé en montagne. Sa barbe et ses cheveux s’élèvent et deviennent des forêts. Ses épaules, ses mains, se convertissent en coteaux. Sa tête est le sommet du mont. Ses os se durcissent en pierre : il s’accroît, devient immense et, par la volonté des dieux, désormais le ciel et tous les astres reposent sur lui » (Ovide, Métamorphoses, IV). En mourant, Atlas donne naissance à une montagne cosmique qui porte désormais son nom. Avec la lutte du héros sur les forces monstrueuses, le mythe se ramifie ; le principe violent se disperse en éléments assagis et utiles aux hommes, comme la terre et la végétation.

    Les connaissances géographiques se précisent à partir du Ve siècle avant J.C., quand Hérodote définit l’Atlas comme une montagne située en Afrique du Nord à l’extrémité ouest du monde connu et attribue le nom d’Atlantes aux peuples qui vivent à proximité. « L’Atlas est, paraît-il, si élevé qu’on ne peut pas en voir le sommet. Les habitants du lieu prétendent que ce mont est une colonne du ciel. Ces hommes tirent leur nom de cette montagne : on les appelle en effet les Atlantes » (Hérodote, Histoires, IV, 184).

    L’information topographique donnée par Hérodote est immédiatement secondée par un repère tiré du mythe de la colonne du ciel, comme si la connaissance ne pouvait se détacher tout à fait du mythe. L’auteur prétend que l’information vient des habitants des lieux. En fait, les natifs ont certainement raconté ce que l’étranger voulait savoir tant il est sûr de son savoir. La source prétendument tirée de l’autre renforce ses propres convictions et, de fil en aiguille, de bouche à oreille, le mythe s’est trouvé confirmé. Les mythes, avant la science, proposent des solutions à l’ignorance, une réponse rassurante aux questions que soulève l’inconnu.

    Quand la réalité fait place au merveilleux

    À vivre dans des lieux aussi inhospitaliers, les Atlantes ne peuvent qu’être dotés de particularités monstrueuses. D’après Hérodote, « ils ne mangent pas et ils n’ont pas de songes ». Bien entendu, le « père de l’Histoire » ne fait que rapporter des propos, mais alors qu’il applique un esprit critique propre à l’historien en toutes circonstances, là, dans sa description des confins, il perd son bon sens au profit d’un goût pour le merveilleux.

    Pline l’Ancien, le naturaliste latin du milieu du Ier siècle, évoque l’Atlas comme une montagne qui confine au désert et dont « les cimes sont couvertes, même en été, d’une épaisse couche de neige ». Pline l’Ancien poursuit son récit sur l’Atlas en précisant que « non seulement les personnages consulaires et les généraux pris dans le sénat, mais encore des chevaliers romains qui, par la suite gouvernèrent ce pays, ont tiré gloire d’avoir pénétré dans l’Atlas » (Histoire naturelle, V, 1).

    Les sources de Pline l’Ancien sont cette fois avérées puisqu’il utilise les récits des hommes qui ont eu des responsabilités, qui ont combattu en Maurétanie ou qui l’ont gouvernée et qu’il a certainement connus, étant données ses hautes fonctions administratives au sein de l’empire (il est préfet de la flotte). Pourtant, Pline l’Ancien ne peut malgré tout s’empêcher de digresser sur la réalité en laissant cours aux idées reçues : « Atlas jaillit du milieu des sables, dit-on, il s’élève vers le ciel, rude et dénudé du côté par où il regarde l’océan qui lui a donné son nom, mais couvert de bois aux épais ombrages, arrosé de sources jaillissantes, du côté qui regarde l’Afrique ; les fruits de toutes sortes y viennent sans culture, en telle quantité que partout les désirs sont rassasiés » (in Histoire naturelle, V, 1).

    Pline l’Ancien inverse les données géographiques. C’est le côté de l’Atlas qui regarde l’océan qui est naturellement le plus arrosé. Les vents humides se condensent avec l’altitude sur le flanc nord de la chaîne de l’Atlas, alors que le flanc sud qui regarde l’Afrique est desséché par l’effet de foehn. La montagne est décrite comme un paradis au milieu d’un enfer désertique et brûlant, un monde tempéré par l’altitude, un jardin suspendu au-dessus du désert, bien pourvu de sources, couvert de forêts et fournissant toutes sortes de fruits.

    Les nuits mystériques de l’Atlas

    En poursuivant sa description, Pline l’Ancien oppose cette fois le jour et la nuit. La montagne est inerte pendant le jour et grouille de vie pendant les nuits mystériques, au cours desquelles s’agitent des satyres. « Dans le jour on n’y voit point d’habitants : tout se tait, tout comme dans l’horreur des déserts. Une muette crainte religieuse s’empare des esprits quand on s’en approche, et aussi la peur en voyant ce sommet élevé au-dessus des nuages et voisin du cercle lunaire. Durant les nuits, il étincelle de mille feux, ægipans et satyres le remplissent de leur danse ; il retentit des accords des flûtes et du chalumeau, ainsi que du bruit des tambours et des cymbales. Voilà ce qu’ont rapporté des écrivains très connus, sans parler des exploits accomplis là par Hercule et Persée. La distance qui nous sépare de l’Atlas est immense et inconnue » (Pline, Histoire naturelle, V, 1).
    Les contradictions ne semblent pas réveiller l’esprit rationnel du savant qui, à court d’arguments, convoque les images bachiques et les mythes héroïques d’Hercule et de Persée. Mais ce document se fait peut-être l’écho des feux de joie qui, au temps de Pline comme aujourd’hui, jouent un rôle prépondérant dans les rites de la fécondité et de la pluie. De nombreuses coutumes locales du Maroc contemporain utilisent encore des rites semblables où des hommes se couvrent de peaux de chèvre le soir de l’Achoura.

    La description mythique de l’Atlas en fait une montagne solitaire, loin du monde connu des Anciens. En fait, l’Atlas perdra progressivement son isolement, son substrat mythologique et son unicité pour devenir un ensemble de chaînes de montagnes parallèles qui couvrent le Maghreb du sud-ouest au nord-est. Le nombre et la beauté des gravures rupestres rappellent la richesse de la faune antique ainsi que le raffinement de l’art des hommes que les textes antiques ignorent.

    Le jardin des Hespérides
    Les Hespérides sont trois nymphes du Couchant, filles d’Atlas et de la Nuit. Elles répondent aux noms de Hespérie, « la Vespérale », Aéglé, « la Brillante » et Érythie, « la Rougeoyante », trois noms poétiques qui évoquent en grec les couleurs du soleil couchant. Héra (Junon) leur a confié la garde de l’arbre aux pommes d’or, gage de vie éternelle et de fécondité divine que Gaïa, la Terre, lui avait offert lors de ses noces avec Zeus (Jupiter). Ces épousailles divines avaient d’ailleurs été célébrées dans ce jardin des Hespérides, situé aux confins du monde où coule la source d’Ambroisie, la boisson d’immortalité.

  • #2
    suite

    Dans l’un de ses ultimes travaux, Hercule doit s’emparer des pommes d’or. Il le fera par la ruse aux dépens d’Atlas qui ira les lui chercher ou, selon une autre légende, par la force qui lui fera abattre le dragon Ladon qui garde le jardin des Hespérides. À la suite de bien d’autres auteurs, Pline l’Ancien (Histoire naturelle, V, 1-8) situe, avec circonspection, le jardin des Hespérides à Lixus : « La mer y pénètre dans un estuaire, formant un méandre sinueux ; c’est par ce détail topographique qu’on explique aujourd’hui les dragons qui gardaient le jardin. Il reste un autel d’Hercule, mais le fameux bois aux pommes d’or, objet des légendes, n’y a laissé que des oliviers sauvages. »

    Jean-Luc Pierre in zamane

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