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Maroc : La spoliation foncière et immobilière fait florès / L’Etat mettra-t-il fin au calvaire des victimes ?

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  • Maroc : La spoliation foncière et immobilière fait florès / L’Etat mettra-t-il fin au calvaire des victimes ?

    Faux et usage de faux, procurations falsifiées, ventes en cascades … les pratiques frauduleuses usitées en matière de spoliation immobilière sont nombreuses. Tellement nombreuses que l’Etat est plus jamais appelé à agir de manière efficace contre les prédateurs fonciers. Questionné à ce propos par les membres de la Chambre des conseillers sur le dossier de la spoliation foncière, le ministre de la Justice et des Libertés a rendu public le 29 décembre 2015 un communiqué où il a étayé un canevas de mesures à prendre pour contrer les malfrats.

    Deux semaines plus tôt, il s’était réuni avec les procureurs généraux du Roi, l’Ordre des notaires, l’Instance nationale des adouls et l’Agence nationale de la conservation foncière, du cadastre et de la cartographie. La spoliation foncière a été au centre des discussions tenues à huis clos. Et juste avant cette réunion, lui et son directeur des affaires civiles se sont exprimés publiquement sur ce dossier brûlant. Le problème est tel qu’il a fallu «le diagnostiquer de toute urgence» et «d’en débattre avec les instances concernées», a déclaré le ministre de la Justice en précisant que la sécurité juridique s’en trouve « menacée ».

    Pas question de parler d’un «phénomène» ou d’un «fléau», a-t-il noté. Pourtant, le sujet «fait l’objet d’une médiatisation croissante», reconnaît un communiqué de son département. Dans le même cadre, la chaine 2M avait diffusé, durant novembre 2015, un reportage où des victimes témoignent. Ensuite, «60 minutes pour comprendre», l’émission diffusée sur Medi1 TV, a consacré, vendredi 25 décembre, un spécial sur ce dossier visiblement embarrassant. Interpellé sur cette affaire, il a reconnu sous la Coupole que la spoliation foncière «nuit à l’image du Maroc dans les milieux économiques». Le sujet est d’ailleurs devenu une affaire d’opinion publique.

    Plus : ses dégâts ont incontestablement acquis une grande portée. L’Association droit et justice au Maroc s’en est offusquée. Casablanca, Tanger et Rabat à moindre mesure sont les villes les plus touchées. Les propriétaires d’origine française arrivent en tête des victimes d’escroquerie et de faux et usage de faux. Les nationaux sont concernés. D’autres villes, comme Agadir, Marrakech ou Fès, sont également ciblées. L’extension urbaine et ses plans d’aménagement aiguisent à leur tour les convoitises. Les spoliateurs rôdent aussi dans les campagnes. Pour l’heure, aucune statistique officielle n’existe. L’Association droit et justice au Maroc recense plus de 140 dossiers à fin juillet 2015.

    Dans l’objectif de mettre un terme à ce fléau, le département de Mostapha Ramid a émis 11 recommandations. Entre autres: réviser la loi pour imposer l’obligation d’une procuration rédigée par un notaire, un adoul ou un avocat, permettre aux conservateurs d’arrêter toute procédure en cas de doute et renforcer le rôle du Parquet. Ce dernier « devra se constituer partie principale à tout litige civil ayant trait au sujet, en procédant aux enquêtes nécessaires pour élucider d’éventuels cas de spoliation immobilière».

    Le ministère entend également modifier l’article 4 du Code des droits réels, en y introduisant la « procuration » devant être dressée en sa forme authentique, sous peine de nullité. Pour cela, il est obligatoire de passer par un notaire, un adoul ou un avocat habilité à le faire. Ce dernier doit être admis à plaider devant la Cour de cassation, donc onc avoir au moins 15 ans de métier. Mais «ce n’est pas son article 4 qui pose problème.

    Mais plutôt l’article 2 du Code des droits réels qui rend impossible toute contestation en justice au-delà de 4 ans. Même lorsque la modification du titre foncier est basée sur un dol ou un faux», estime la parlementaire Nezha El Ouafi. Les conservateurs fonciers seront par ailleurs amenés «à rejeter toute inscription au titre foncier au cas où elle a un lien avec ce type de dossier (spoliation)» et que la requête «suscite des doutes sur la licéité de la transaction immobilière». Vaste programme.

    En tant qu’autorité administrative, la Conservation foncière devra donc s’appuyer sur son pouvoir discrétionnaire. Va-t-elle jouer le jeu? La responsabilité juridique du conservateur peut être toujours mise en cause: abus de pouvoir notamment. L’une des onze recommandations vise d’ailleurs à pousser les conservateurs à joindre la partie concernée (le propriétaire) à la procédure. Tel est le cas lorsqu’une action en annulation est engagée contre leur décision administrative. Cette mesure ne risque-t-elle pas de peser encore plus sur les litiges fonciers ? Sachant qu’ils durent en moyenne de 8 à 10 ans.

    Acteur judiciaire incontournable, le Parquet doit initier l’enquête préliminaire. Les procureurs généraux du Roi devront se greffer sur une action civile liée à la spoliation foncière. Le ministère de la Justice insiste: «Le Parquet doit diligenter les investigations qui s’imposent, faire les requêtes nécessaires et accorder un intérêt certain aux dossiers». Un accusé est parvenu de l’intérieur même de sa cellule à céder fin octobre 2014 un terrain à Dar Bouaâzza à 4,8 millions de DH. Il est recommandé aux procureurs «d’engager une saisie sur les biens en litige».

    L’homologation des contrats de vente établis à l’étranger interpelle. Le Parquet «devrait intervenir» dans la procédure avant l’octroi du visa judiciaire. Les prédateurs fonciers usent par exemple d’actes prétendument rédigés par un notaire européen. D’où l’obligation de vigilance: «Notaires, adouls, avocats et procureurs devraient coordonner entre eux pour déceler le faux». En revanche, les auxiliaires de justice échappent encore à ce compte.

    Le ministère de la Justice appelle les propriétaires à retirer les duplicatas de leurs titres fonciers. Pourquoi faire? «A l’exception de quelques procédures de saisie, prénotation, dévolution successorale.., aucune opération ne peut être acceptée par le conservateur sans la remise du duplicata par l’intéressé ». Mais cette démarche ne sécurise le bien que lorsque l’affaire concerne directement le détenteur du document, c'est-à-dire le propriétaire.

    A ce titre, l’Agence de la conservation foncière va-t-elle finalement passer à un vrai mode numérique? Des recommandations visent «à permettre aux possesseurs de consulter instantanément la situation juridique de leur bien» (voir ci-contre). Consultable sur les titres fonciers évidemment. Le projet d’un registre national des procurations, actes de notoriété (succession), testaments, fait son chemin. L’Ordre des notaires n’a cessé de le demander. Il va falloir penser aussi à référencer les actes via des numéros ou des codes qui renseignent sur leur nature, leur date et la qualité de leur rédacteur (avocat, adoul, notaire,...)

    Cependant, d’autres problèmes entachent les litiges fonciers, car si certaines victimes ont eu le courage d’aller au combat avec foi, de grandes désillusions les attendaient. «Toutes les méthodes sont utilisées avec une aisance déconcertante au sein des tribunaux et des administrations», avait déclaré le président de l’Association droit et justice. Qui a cité également les documents sans cachet ou illisibles, les dossiers disparus, les greffiers introuvables, les audiences reportées à plusieurs reprises.. Ces négligences et retards servent les accusés. «Leur stratégie est d’asphyxier économiquement les victimes», affirme l’Association droit et justice au Maroc.

    Son secrétaire général, Stéphane Fabre, avait notamment parlé «d’une mécanique dont chaque maillon correspond à un rouage particulier. Le but est de jouer avec les nerfs des victimes, de freiner les enquêtes. C’est une tactique d’usure où l’on ne répond pas ou l’on répond à côté» pour bloquer l’Etat de droit. Comment alors faire exécuter une décision de justice dans de telles circonstances? Surtout que des mis en cause continuent à vendre des biens spoliés et sur lesquels la justice a déjà statué.

    Les officiels citent les artifices les plus récurrents des prédateurs fonciers: recours aux «fausses procurations, actes de succession, de testaments». Les présumés «contrats de vente établis à l’étranger» ne sont pas en reste. La complicité de certains étrangers résidant au Maroc est également mise en avant. Ils servent, selon les cas, de rabatteurs, d’intermédiaires ou de prête-noms. L’annexe administrative (Moukataâ) s’avère un passage obligé.

    C’est là qu’on légalise les procurations et les actes de vente sous seing privé. Pourquoi le ministère de l’Intérieur ne figure-t-il pas parmi les instances qui siégeront dans le « bouclier » qui sera dressé contre la spoliation foncière et immobilière? Une question qui en appellera certainement d’autres.

    Karima Nadir
    Libération
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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