Selon Arthur Schopenhauer, chaque être est mû
par une force – la volonté – qui le dépasse.
En somme, une philosophie de la vie et de l’univers.
Mal connu, Arthur Schopenhauer est pourtant l’un des philosophes les plus influents du monde contemporain. L’écrivain Michel Houellebecq, prix Goncourt en 2010 et dont le roman Soumission vient de paraître chez Flammarion, le présente comme son maître spirituel. Les romanciers Marcel Proust, Guy de Maupassant ou encore Léon *Tolstoï ont dévoré son œuvre ; les musiciens Richard Wagner, Igor Stravinski et Arnold Schönberg également, ainsi que les peintres Vassily Kandinsky et Paul Klee… Même un artiste aussi populaire que Charlie Chaplin s’en inspire abondamment et le cite dans son film Monsieur Verdoux (1947). « Les idées de Schopenhauer ont bouleversé les créations artistiques des 19e et 20e siècles », insiste Roger-Pol Droit, directeur du principal ouvrage consacré à l’impact du philosophe (1). Le grand public n’est d’ailleurs pas en reste. Le petit traité de Schopenhauer sur L’Art d’avoir toujours raison (1830-1831), un manuel de rhétorique, figure en tête des meilleures ventes en philosophie. Deux dissertations similaires viennent d’être rééditées en janvier : L’Art de l’insulte et L’Art de se connaître soi-même (Seuil)… Autant d’idées dans l’air du temps, qui inspirent les guides de « développement personnel » et autres « traités de manipulation ».
Schopenhauer n’entendait pas écrire pour le plus grand nombre, mais il s’exprime dans une langue limpide et directe – ce qui le distingue des penseurs allemands de son temps, Emmanuel Kant, Georg Hegel, Friedrich von Schelling ou encore Johann Fichte. « Lorsque l’on sait d’une manière parfaitement nette ce que l’on pense et ce que l’on veut, dénonce-t-il à leur encontre, jamais on n’écrit d’une manière confuse, jamais on ne produit des idées flottantes ou indécises. » Cette clarté lui permet de séduire un large public. Schopenhauer assigne, en outre, un but éminemment existentiel à la philosophie, et loin de s’enfermer dans des problèmes théoriques ou logiques, il garde toujours en tête des questions telles que : comment vivre ?
Ouvrir les yeux sur le monde
Comment mettre un terme aux souffrances et parvenir au bonheur ? Pourquoi ne pas plutôt se donner la mort ? – la seule interrogation sérieuse, juge Albert Camus dans son sillage. Contrairement à une idée reçue, rares sont les philosophes qui ambitionnent ouvertement de répondre à ces questions. Schopenhauer décide, lui, de s’y attaquer dès l’adolescence, comme en témoigne le journal qu’il rédige à l’époque (2) : « La vie est un dur problème, résume-t-il sans fard à 17 ans, j’ai résolu de consacrer la mienne à y réfléchir. » Cette vision tragique ou pessimiste de l’existence porte l’empreinte de son histoire personnelle, marquée par la souffrance et le manque de reconnaissance. Né à Dantzig en 1788, Schopenhauer est le fils d’un riche négociant qui entend lui transmettre l’affaire familiale. Son père lui donne un prénom « européen », dont la graphie change peu d’un pays à l’autre, pour faciliter ses futures activités internationales. Il lui enseigne le latin, le grec, le français, l’anglais ou encore l’italien ; le jeune Arthur reçoit une éducation plus que complète, que sa curiosité insatiable transforme en culture encyclopédique : philosophie, religion, science, art, tout l’intéresse ! Tout, sauf… le commerce. À 15 ans, il envisage déjà de consacrer sa vie à l’intellect, au grand dam de son père. Ce dernier lui propose un deal : l’emmener sur les routes d’Europe pour un voyage de deux ans, s’il accepte d’entrer comme apprenti chez un négociant de Hambourg à leur retour. La tentation de partir est trop forte : marché conclu.
Il remerciera son père parce que « cette formation (l’a) habitué très jeune à ne jamais (se) contenter du simple nom des choses, mais à en préférer la vue et l’approche (3) ». Et quel spectacle ! La misère et les malheurs constituent le lot commun des mortels, estime-t-il, nourrissant sa conviction que « le monde est de toute part insolvable », qu’il ne peut pas être « l’œuvre d’un être infiniment bon, mais bien celle d’un diable qui a appelé les créatures à l’existence pour se repaître de leurs souffrances ». À son retour, il se résout la mort dans l’âme à embrasser une carrière dans le négoce. Le décès de son père en 1806 – probablement un suicide… – le libère douloureusement de ses obligations. Placé sous l’autorité de sa mère, avec qui les relations sont tendues – elle le déshérite au profit d’un amant –, il peut enfin se consacrer à la philosophie, et devient professeur à l’université de Berlin en 1820.
Poète maudit
Les choses ne se passent cependant pas comme prévu. Sa thèse, De la quadruple racine du principe de raison suffisante, soutenue sept ans plus tôt, n’a pas déclenché la vague d’enthousiasme escomptée. Idem lorsque paraît dans l’indifférence son œuvre majeure, en 1818, Le Monde comme volonté et comme représentation. Sa « solution au problème de l’existence » ne suscite aucune réaction. Pire : des philosophes qu’il juge fumeux sont de véritables stars, à commencer par Hegel. Schopenhauer voue une haine sans égal à celui qu’il appelle un « charlatan plat, sans esprit » ; sa théorie n’est à ses yeux qu’une « colossale mystification », « le verbiage le plus creux », « le plus grand encrassement possible des intelligences » ; il dénonce une « gloire mensongère, captée, achetée, produit d’un tissu de faussetés (4) ». Schopenhauer pousse le vice jusqu’à exiger que son cours se déroule aux mêmes heures que celui d’Hegel, pour lui faire concurrence. Las… Cinq étudiants viennent l’écouter au premier semestre, et, faute d’auditeurs, il doit abandonner au second, tandis que le héraut de la « philosophie de l’histoire » fait salle comble.
Schopenhauer subit durant une trentaine d’années l’indifférence de ses contemporains. La renommée survient de façon inattendue : alors que le philosophe a condensé toute sa pensée en deux œuvres denses et exigeantes, c’est un recueil de « suppléments et omissions » – Parerga et Paralipomena, publié en 1851 – qui amorce une lame de fond dans toute l’Europe. Ces articles courts et faciles d’accès sont de plus en plus lus, commentés, et les premiers écrits du philosophe aussitôt réédités. Mourant, Schopenhauer se sent un peu étranger à ce succès soudain, comme « un lampiste (de théâtre) encore occupé à la rampe, présent au moment où la salle devient obscure, et disparaissant rapidement dans les coulisses (…), alors qu’on donne déjà la comédie de (sa) gloire ». Lui-même s’éteint le 21 septembre 1860.
Ce succès de « poète maudit » s’accompagne de deux malentendus. D’une part, les sentences, articles et courts traités du philosophe, qui constituent la partie la mieux connue de son œuvre, ne représentent que la face émergée de l’iceberg. Chaque idée de Schopenhauer, même la plus anecdotique ou banale en apparence – ses envolées sur la souffrance, le sexe et le mariage, les débats et les insultes… – s’appuie sur un système philosophique total. En fait, c’est précisément parce que sa pensée entend englober l’ensemble des phénomènes, que n’importe quel sujet peut être abordé à l’aune de celle-ci… De plus, Schopenhauer ayant violemment rejeté les « erreurs » de la philosophie classique, et grandement influencé ceux que Paul Ricœur appellera les « maîtres du soupçon » – Friedrich Nietzsche et Sigmund Freud en tête –, il est parfois étudié comme une simple cheville ouvrière entre ces deux traditions. Mais son œuvre possède une originalité propre, une certaine autonomie, et peut se lire indépendamment du reste.
Cette philosophie est d’abord une certaine conception de la connaissance. En affirmant d’emblée que « le monde est ma représentation », dans le sillage de Kant, Schopenhauer établit une ligne de démarcation définitive entre ce qui peut être connu et ce qui ne peut l’être. L’homme ne perçoit jamais un soleil ni une terre, détaille-t-il, mais seulement un œil qui voit cet astre et une main qui remue la glaise. L’idée que le monde existe indépendamment de toute perception pose d’ailleurs un problème à Schopenhauer : c’est à la fois évident et impossible à prouver ! Hors de portée de la connaissance… En toute rigueur estime-t-il, il faut partir du principe que « c’est bien (du) premier œil une fois ouvert (fût-ce celui d’un insecte) que tout l’univers tient sa réalité ». Pour autant, il n’adhère pas au solipsisme le plus radical, induisant que l’on vivrait dans une sorte de rêve produit par la seule imagination.
La raison la plus simple
Tout n’est pas illusoire. Certaines représentations sont vraies et d’autres fausses, les unes consistantes et les autres absurdes… Pour faire la différence, Schopenhauer s’appuie sur une loi unique, un critère de distinction purement logique : le principe de raison suffisante. C’est tout simplement ce qui permet de répondre en toute rigueur à la question : pourquoi ? – « mère de toutes les sciences », selon le philosophe. Pourquoi est-ce ainsi et pas autrement ? Pourquoi faire ceci plutôt que cela ? Pour être valable, la réponse doit être conforme au principe de raison : la cause avancée doit toujours engendrer l’effet considéré, sans exception. Idem pour les hypothèses et conséquences, les motifs et actions, etc. Schopenhauer distingue en tout et pour tout quatre applications possibles :
• empirique : l’eau bout, parce qu’elle atteint une température de 100 °C ;
• logique : une porte est ouverte ou fermée, puisque rien ne peut être une chose et son contraire en même temps ;
• mathématique ou géométrique : deux lignes droites n’enferment aucun espace, car elles ne peuvent se croiser qu’en un seul point ;
• éthique ou comportementale : on séduit une personne parce qu’elle nous plaît.
En restreignant toute connaissance à ces quatre formes possibles, Schopenhauer balaye d’un revers de main les croyances mystiques et religieuses comme autant de spéculations. L’idée d’un dieu créateur, par exemple, ne peut pas constituer une connaissance à ses yeux, puisqu’aucune cause ne pourrait expliquer son apparition. Par définition, insiste-t-il, toute cause est elle-même l’effet d’une autre cause, et inversement ; l’enchaînement est infini dans le passé comme dans l’avenir. Le plus raisonnable est donc de considérer que le monde n’a ni début ni fin, qu’il a toujours existé et qu’il ne disparaîtra jamais. Libre à chacun de croire autre chose, à condition de ne pas prétendre en faire un savoir.
Mal connu, Arthur Schopenhauer est pourtant l’un des philosophes les plus influents du monde contemporain. L’écrivain Michel Houellebecq, prix Goncourt en 2010 et dont le roman Soumission vient de paraître chez Flammarion, le présente comme son maître spirituel. Les romanciers Marcel Proust, Guy de Maupassant ou encore Léon *Tolstoï ont dévoré son œuvre ; les musiciens Richard Wagner, Igor Stravinski et Arnold Schönberg également, ainsi que les peintres Vassily Kandinsky et Paul Klee… Même un artiste aussi populaire que Charlie Chaplin s’en inspire abondamment et le cite dans son film Monsieur Verdoux (1947). « Les idées de Schopenhauer ont bouleversé les créations artistiques des 19e et 20e siècles », insiste Roger-Pol Droit, directeur du principal ouvrage consacré à l’impact du philosophe (1). Le grand public n’est d’ailleurs pas en reste. Le petit traité de Schopenhauer sur L’Art d’avoir toujours raison (1830-1831), un manuel de rhétorique, figure en tête des meilleures ventes en philosophie. Deux dissertations similaires viennent d’être rééditées en janvier : L’Art de l’insulte et L’Art de se connaître soi-même (Seuil)… Autant d’idées dans l’air du temps, qui inspirent les guides de « développement personnel » et autres « traités de manipulation ».
Schopenhauer n’entendait pas écrire pour le plus grand nombre, mais il s’exprime dans une langue limpide et directe – ce qui le distingue des penseurs allemands de son temps, Emmanuel Kant, Georg Hegel, Friedrich von Schelling ou encore Johann Fichte. « Lorsque l’on sait d’une manière parfaitement nette ce que l’on pense et ce que l’on veut, dénonce-t-il à leur encontre, jamais on n’écrit d’une manière confuse, jamais on ne produit des idées flottantes ou indécises. » Cette clarté lui permet de séduire un large public. Schopenhauer assigne, en outre, un but éminemment existentiel à la philosophie, et loin de s’enfermer dans des problèmes théoriques ou logiques, il garde toujours en tête des questions telles que : comment vivre ?
Ouvrir les yeux sur le monde
Comment mettre un terme aux souffrances et parvenir au bonheur ? Pourquoi ne pas plutôt se donner la mort ? – la seule interrogation sérieuse, juge Albert Camus dans son sillage. Contrairement à une idée reçue, rares sont les philosophes qui ambitionnent ouvertement de répondre à ces questions. Schopenhauer décide, lui, de s’y attaquer dès l’adolescence, comme en témoigne le journal qu’il rédige à l’époque (2) : « La vie est un dur problème, résume-t-il sans fard à 17 ans, j’ai résolu de consacrer la mienne à y réfléchir. » Cette vision tragique ou pessimiste de l’existence porte l’empreinte de son histoire personnelle, marquée par la souffrance et le manque de reconnaissance. Né à Dantzig en 1788, Schopenhauer est le fils d’un riche négociant qui entend lui transmettre l’affaire familiale. Son père lui donne un prénom « européen », dont la graphie change peu d’un pays à l’autre, pour faciliter ses futures activités internationales. Il lui enseigne le latin, le grec, le français, l’anglais ou encore l’italien ; le jeune Arthur reçoit une éducation plus que complète, que sa curiosité insatiable transforme en culture encyclopédique : philosophie, religion, science, art, tout l’intéresse ! Tout, sauf… le commerce. À 15 ans, il envisage déjà de consacrer sa vie à l’intellect, au grand dam de son père. Ce dernier lui propose un deal : l’emmener sur les routes d’Europe pour un voyage de deux ans, s’il accepte d’entrer comme apprenti chez un négociant de Hambourg à leur retour. La tentation de partir est trop forte : marché conclu.
Il remerciera son père parce que « cette formation (l’a) habitué très jeune à ne jamais (se) contenter du simple nom des choses, mais à en préférer la vue et l’approche (3) ». Et quel spectacle ! La misère et les malheurs constituent le lot commun des mortels, estime-t-il, nourrissant sa conviction que « le monde est de toute part insolvable », qu’il ne peut pas être « l’œuvre d’un être infiniment bon, mais bien celle d’un diable qui a appelé les créatures à l’existence pour se repaître de leurs souffrances ». À son retour, il se résout la mort dans l’âme à embrasser une carrière dans le négoce. Le décès de son père en 1806 – probablement un suicide… – le libère douloureusement de ses obligations. Placé sous l’autorité de sa mère, avec qui les relations sont tendues – elle le déshérite au profit d’un amant –, il peut enfin se consacrer à la philosophie, et devient professeur à l’université de Berlin en 1820.
Poète maudit
Les choses ne se passent cependant pas comme prévu. Sa thèse, De la quadruple racine du principe de raison suffisante, soutenue sept ans plus tôt, n’a pas déclenché la vague d’enthousiasme escomptée. Idem lorsque paraît dans l’indifférence son œuvre majeure, en 1818, Le Monde comme volonté et comme représentation. Sa « solution au problème de l’existence » ne suscite aucune réaction. Pire : des philosophes qu’il juge fumeux sont de véritables stars, à commencer par Hegel. Schopenhauer voue une haine sans égal à celui qu’il appelle un « charlatan plat, sans esprit » ; sa théorie n’est à ses yeux qu’une « colossale mystification », « le verbiage le plus creux », « le plus grand encrassement possible des intelligences » ; il dénonce une « gloire mensongère, captée, achetée, produit d’un tissu de faussetés (4) ». Schopenhauer pousse le vice jusqu’à exiger que son cours se déroule aux mêmes heures que celui d’Hegel, pour lui faire concurrence. Las… Cinq étudiants viennent l’écouter au premier semestre, et, faute d’auditeurs, il doit abandonner au second, tandis que le héraut de la « philosophie de l’histoire » fait salle comble.
Schopenhauer subit durant une trentaine d’années l’indifférence de ses contemporains. La renommée survient de façon inattendue : alors que le philosophe a condensé toute sa pensée en deux œuvres denses et exigeantes, c’est un recueil de « suppléments et omissions » – Parerga et Paralipomena, publié en 1851 – qui amorce une lame de fond dans toute l’Europe. Ces articles courts et faciles d’accès sont de plus en plus lus, commentés, et les premiers écrits du philosophe aussitôt réédités. Mourant, Schopenhauer se sent un peu étranger à ce succès soudain, comme « un lampiste (de théâtre) encore occupé à la rampe, présent au moment où la salle devient obscure, et disparaissant rapidement dans les coulisses (…), alors qu’on donne déjà la comédie de (sa) gloire ». Lui-même s’éteint le 21 septembre 1860.
Ce succès de « poète maudit » s’accompagne de deux malentendus. D’une part, les sentences, articles et courts traités du philosophe, qui constituent la partie la mieux connue de son œuvre, ne représentent que la face émergée de l’iceberg. Chaque idée de Schopenhauer, même la plus anecdotique ou banale en apparence – ses envolées sur la souffrance, le sexe et le mariage, les débats et les insultes… – s’appuie sur un système philosophique total. En fait, c’est précisément parce que sa pensée entend englober l’ensemble des phénomènes, que n’importe quel sujet peut être abordé à l’aune de celle-ci… De plus, Schopenhauer ayant violemment rejeté les « erreurs » de la philosophie classique, et grandement influencé ceux que Paul Ricœur appellera les « maîtres du soupçon » – Friedrich Nietzsche et Sigmund Freud en tête –, il est parfois étudié comme une simple cheville ouvrière entre ces deux traditions. Mais son œuvre possède une originalité propre, une certaine autonomie, et peut se lire indépendamment du reste.
Cette philosophie est d’abord une certaine conception de la connaissance. En affirmant d’emblée que « le monde est ma représentation », dans le sillage de Kant, Schopenhauer établit une ligne de démarcation définitive entre ce qui peut être connu et ce qui ne peut l’être. L’homme ne perçoit jamais un soleil ni une terre, détaille-t-il, mais seulement un œil qui voit cet astre et une main qui remue la glaise. L’idée que le monde existe indépendamment de toute perception pose d’ailleurs un problème à Schopenhauer : c’est à la fois évident et impossible à prouver ! Hors de portée de la connaissance… En toute rigueur estime-t-il, il faut partir du principe que « c’est bien (du) premier œil une fois ouvert (fût-ce celui d’un insecte) que tout l’univers tient sa réalité ». Pour autant, il n’adhère pas au solipsisme le plus radical, induisant que l’on vivrait dans une sorte de rêve produit par la seule imagination.
La raison la plus simple
Tout n’est pas illusoire. Certaines représentations sont vraies et d’autres fausses, les unes consistantes et les autres absurdes… Pour faire la différence, Schopenhauer s’appuie sur une loi unique, un critère de distinction purement logique : le principe de raison suffisante. C’est tout simplement ce qui permet de répondre en toute rigueur à la question : pourquoi ? – « mère de toutes les sciences », selon le philosophe. Pourquoi est-ce ainsi et pas autrement ? Pourquoi faire ceci plutôt que cela ? Pour être valable, la réponse doit être conforme au principe de raison : la cause avancée doit toujours engendrer l’effet considéré, sans exception. Idem pour les hypothèses et conséquences, les motifs et actions, etc. Schopenhauer distingue en tout et pour tout quatre applications possibles :
• empirique : l’eau bout, parce qu’elle atteint une température de 100 °C ;
• logique : une porte est ouverte ou fermée, puisque rien ne peut être une chose et son contraire en même temps ;
• mathématique ou géométrique : deux lignes droites n’enferment aucun espace, car elles ne peuvent se croiser qu’en un seul point ;
• éthique ou comportementale : on séduit une personne parce qu’elle nous plaît.
En restreignant toute connaissance à ces quatre formes possibles, Schopenhauer balaye d’un revers de main les croyances mystiques et religieuses comme autant de spéculations. L’idée d’un dieu créateur, par exemple, ne peut pas constituer une connaissance à ses yeux, puisqu’aucune cause ne pourrait expliquer son apparition. Par définition, insiste-t-il, toute cause est elle-même l’effet d’une autre cause, et inversement ; l’enchaînement est infini dans le passé comme dans l’avenir. Le plus raisonnable est donc de considérer que le monde n’a ni début ni fin, qu’il a toujours existé et qu’il ne disparaîtra jamais. Libre à chacun de croire autre chose, à condition de ne pas prétendre en faire un savoir.
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