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Passerelles entre les militants de la cause amazighe au Maghreb

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  • Passerelles entre les militants de la cause amazighe au Maghreb

    Malgré les milliers de kilomètres qui séparent les communautés amazighes marocaines et algériennes, des ponts artistiques et des liens culturels tentent de se construire, par-delà des régimes politiques antagonistes et par-dessus des frontières fermées depuis 20 ans. Reportage.


    Le paysage commence à changer dès que l’on quitte la belle ville de Marrakech et ses avenues larges et bordées de palmiers. La route se fait alors plus étroite et la circulation de moins en moins dense avant de se raréfier. Tel un géant couché de tout son long, la silhouette du Haut-Atlas barre l’horizon.

    Pour rejoindre Mellab, un petit village de l’Anti-Atlas, où doit avoir lieu l’hommage au chanteur Nba, décédé quatre ans plus tôt, il faut franchir la muraille du Haut-Atlas, descendre vers Ouarzazate avant de s’enfoncer à travers les vallées et les oasis du Sud-Est. C’est ici que le chanteur Oulahlou est invité à prendre part à l’hommage qui doit être rendu à Nbarek Oularbi, dit Nba, chanteur du groupe Saghru Band, décédé prématurément. «A partir de la terrasse du relais, la vue sur la montagne est imprenable. Vous prendrez un super petit-déjeuner avec des œufs au plat, du thé à la menthe, de l’huile d’olive et du jus d’orange nature.

    Patience les amis», dit Omar, le guide. Habitué à cornaquer les touristes, Omar sait vendre ses destinations. La route est étrangement vide, hormis de rares voitures affrétées ou conduites par des touristes. Le relais routier, tant vanté par Omar, tient toutes ses promesses. Au salon qui sert également de boutique de souvenirs et de friandises, un feu de bois crépite dans la cheminée. Des grappes de touristes espagnols et anglais ont pris possession des lieux et, surtout, de la terrasse à la vue panoramique sur des monts densément boisés.

    Nouveaux territoires d’échanges

    Les villages et les hameaux semblent calmes, vides et dépeuplés. Tous ont cependant gardé leur architecture traditionnelle, où la pierre et le pisé règnent en maîtres. Au bout de quelques centaines de kilomètres, on peut déjà s’apercevoir que la vie économique et sociale dans cette région ne tourne qu’autour de trois activités : les relais routiers et gîtes pour touristes, les coopératives de femmes qui vendent de l’huile d’argan réputée bio et le commerce des pierres fossiles et des cristaux.

    Beaucoup de villageois vendent ces fameuses pierres et magnifiques cristaux sur des comptoirs improvisés au bord de la route. Toute la journée, ils attendent que des touristes s’arrêtent pour gagner une poignée de dirhams. La route est aussi étroite que sinueuse et les vallées encaissées rappellent celles des Aurès algériens. Les maisons sont en terrasses et la garde des troupeaux de chèvres et de moutons est une tâche dévolue aux femmes et aux petites filles.

    Le Haut-Atlas donne à voir des pics nus mais majestueux sous un ciel d’un bleu rendu insolent par la pureté de l’air. Il faut ouvrir l’œil pour apercevoir les villages tant ils se fondent dans la nature dont ils épousent les tons et les contours. Le peu d’agriculture qui se pratique occupe d’étroites terrasses aménagées sur le bord des oueds. A la mi-journée, nous atteignons enfin Tizi n’Tichka (le col des pâturages en amazigh), à 2260 mètres d’altitude. Aït Ourir, Taddert, Amezgane, Aït Benhaddou, la toponymie des lieux reste profondément berbère.

    Première halte à Ouarzazate où nous attendaient des amis et déjeuner dans un restaurant populaire, sur le trottoir. Ce qui est bien chez nos amis marocains est que la nourriture est un moment de partage et de convivialité. Tous les repas sont pris dans de grands plats, généralement des tadjines, autour desquels se réunissent famille et amis. On coupe la galette à la main et on se sert à même le plat. Sans chichis. Comme dans l’Algérie des années 1960 et 70, avant l’arrivée massive de la «civilisation» et de l’individualisme forcené.

    Pendant tout notre séjour, nous ne cessons de mesurer à quel point le Maroc profond a su garder son âme, son identité, ses traditions et sa culture. Dans les habits, la cuisine, l’architecture, les paysages et cette spontanéité, cette «naïveté» tout naturelle à vous offrir l’hospitalité. En fait, aller au Maroc, c’est comme rencontrer un frère jumeau perdu de vue pendant des années. C’est l’occasion de prendre conscience de tout ce que vous avez perdu à travers ce que lui a réussi à conserver. Si les relations entre régimes sont exécrables depuis longtemps, Marocains et Algériens sont restés profondément fraternels.

    Amar Amarni, portraitiste et chanteur kabyle installé à Majorque, est subjugué par cette vitalité que dégage cette culture millénaire. «Ils ont su, mieux que nous, garder leur âme», dit-il. Ces regroupements entre artistes, militants, membres du mouvement associatif ou des médias sont l’occasion de faire le point sur l’avancée de la cause amazighe dans l’un et l’autre des pays. Pendant des années, les Amazighs du Maroc et de l’Algérie se sont rendus visite. Echanges denses et suivis.

    Ce brassage culturel et ces échanges — entamés avec l’écrivain Mouloud Mammeri, décédé en février 1989 de retour d’un colloque tenu à Oujda et dont l’oncle était percepteur du roi Mohammed V — ont connu une fin brutale à la fermeture des frontières terrestres un certain 24 août 1994. Il a fallu attendre le développement des nouvelles technologies de la communication et de l’information pour trouver un nouveau territoire d’échanges et de rencontres. Ainsi, les réseaux sociaux ont permis de densifier les échanges entre communautés amazighes de l’Atlantique jusqu’à l’oasis de Siwa, en Egypte.

    Pour ce qui est de l’Algérie et du Maroc, le web et la France sont les deux espaces de rencontres entre les deux communautés. Installé en France depuis des années, Zaher Harir, membre du Forum de solidarité euro-méditerranéenne (Forsem), est l’interface entre militants marocains présents en France et des artistes kabyles comme Oulahlou ou Akli D appelés à se produire au Maroc. «On a déjà invité Saghru pour deux dates en France, mais maintenant il faut que l’on arrive à les programmer en Kabylie. Depuis 2013, nous tentons de construire avec nos frères marocains une relation d’amitié, de confiance et de solidarité», déclare Zaher.

    Donner d’une main pour reprendre de l’autre

    Le gala-hommage a lieu dans un hôtel de la ville d’Errachidia. Comme en janvier 2012 où une expédition l’avait mené à travers toutes les localités berbères de Libye, c’est avec un étonnement mêlé de joie et de surprise qu’Oulahlou découvre qu’il possède un large public qui connaît ses chansons par cœur dans ces régions profondes du Maroc. Le public nombreux, enthousiaste et haut en couleurs, s’en donne à cœur joie. Présents à l’hommage, des militants des localités de Goulmima et d’Alnif arriveront à lui arracher la promesse de se produire chez eux.

    C’est également l’occasion de rencontrer des artistes locaux comme Moha Mallal, militant amazigh engagé et artiste multidimensionnel qui touche aussi bien à la peinture, à la caricature qu’à la musique. A propos des frontières terrestres, Moha raconte qu’il a été le dernier à les avoir franchies le jour où elles ont été fermées, le 24 août 1994. «A 15 mètres du poste des Douanes, on m’a demandé d’aller en Tunisie pour rentrer chez moi par avion, mais grâce à un douanier kabyle, on m’a laissé passer», se rappelle-t-il. «Les artistes sont des ponts entre peuples», précise Moha.

    Ce qui menace aujourd’hui la culture berbère c’est l’islamisme. Il y a des fqihs qui arrivent et détruisent la culture amazighe à chaque mariage, plus de danse, de costume, de poésie. Dans chaque village, on trouve un barbu revenu de Belgique qui s’entoure d’une cour d’adeptes. Avant, on voyait des casbahs, aujourd’hui ce sont les mosquées qui poussent. Pour Mohamed Ziadi, poète et acteur associatif, natif de Taouarga, dans la région d’Imtighran (Errachidia) au Maroc, la question amazighe est présente partout au point d’imposer des lois organiques au Parlement. «Le MCA, mouvement culturel amazigh, est très dynamique.

    La société civile, les étudiants, les partis politiques, les médias, tout le monde s’est saisi de la question», développe-t-il. Sinon, pour les acquis comme les télévisions amazighes — les instances officielles comme le HCA ou l’Ircam —tout le monde s’accorde à dire que les deux régimes appliquent la même stratégie en ce qui concerne la culture amazighe : donner d’une main puis reprendre de l’autre. Zaïd Ouchema, sociologue et chercheur en économie, revient longuement sur la relation du Sud-Est avec la Kabylie : «Dans les années 1970, dans tout le Sud-Est marocain, on ne captait que les deux chaînes algériennes, la 1 et la 2.

    Et comme les gens ne comprenaient pas l’arabe, ils se branchaient automatiquement sur la radio berbère. Mon père est décédé à l’âge de 92 ans et n’a jamais parlé arabe de sa vie. ‘‘Mon fils, dis moi ce que disent les musulmans pour que je puisse prier et être comme les autres’’, me disait-il. Je connais tout de la Kabylie et j’ai ramené tout ce que les Kabyles produisaient : livres, disques, journaux, etc. Mon fils s’appelle Idir, en hommage à qui vous savez. Notre Mecque était la Kabylie et notre relation avec elle était aussi bien sentimentale, culturelle qu’intellectuelle.

    Seulement à partir de 2005, on a découvert une chose qui ne nous a pas plu. Aucun CD de nos artistes ne circule en Kabylie, aucun livre de nos écrivains. Nous ne sommes rien pour vous», dit-il avec beaucoup de déception et de dépit dans la voix. Malgré la déception, les attentes envers cette Kabylie demeurent encore grandes. «C’est à vous de faire cette union entre les Amazighs. Vous avez toujours été la locomotive», affirme-t-il.

    EL WATAN
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