L’annonce de l’ouverture sur le territoire de la petite République de Djibouti de la première base militaire permanente de la Chine à l’étranger et l’arrivée sur place, en février 2016, des premiers détachements de son armée marquent bien l’intention de Pékin de garantir, par les armes s’il le fallait, la sauvegarde de ses intérêts dans la région.
Ces derniers mois, les tensions entre Pékin et Washington en mer de Chine du Sud connaissent un regain de vigueur. Pourtant, plus discrètement sans doute, la Chine s’active aussi à l’autre extrémité de son « collier de perles »1.
Djibouti est comme enchâssé dans la Corne de l’Afrique entre trois voisins difficiles : l’Érythrée autocratique au nord, l’Éthiopie énigmatique à l’est et la Somalie chaotique au sud. Mais, à trente kilomètres des côtes du Yémen, l’ancien « territoire français des Afars et des Issas », avec le golfe de Tadjourah ouvert sur le détroit de Bab-el-Mandeb qui voit passer 40 % du trafic maritime mondial, dispose d’atouts incomparables. Les troubles que le pays a connus dans les années 19902 ont fait place à une stabilité intérieure pérennisée par la permanente reconduction à la tête de l’État, depuis 1999, du président Ismaïl Omar Guelleh3. Issu de l’ethnie majoritaire issa, « IOG » sait depuis très longtemps que la position de son pays sur la carte représente une véritable rente de situation. C’est d’ailleurs l’un de ses rares atouts : 23 000 km2 d’un territoire très aride, une agriculture quasi inexistante, quelques ressources minières et peu d’industries ne suffisent pas, à eux seuls, à la survie de ses quelque 880 000 habitants essentiellement établis dans la capitale.
Deux grands sites militaires
Les choses sont allées assez vite. Visiblement enthousiasmé par les offres chinoises, IOG signe dès février 2014 un accord de partenariat stratégique avec son homologue, Xi Jinping. Puis, tout au long de 2015, l’entrisme de Pékin se fait de plus en plus visible, et au sommet sino-africain de Johannesburg, en décembre dernier, une dizaine de programmes de coopération sont annoncés. Parmi les plus emblématiques, on trouve le développement du port de Doraleh (500 millions de dollars) et la construction d’un nouvel aéroport civil près d’Obock, dans le nord du pays. Dans le même temps, on assiste à la mise en service par les Chinois de la ligne de chemin de fer rénovée Addis-Abeba-Djibouti (3 milliards de dollars). Moins d’informations ont filtré sur les accords militaires, on en découvre toutefois peu à peu les contours.
La base chinoise devrait ainsi compter au moins deux grands sites. Le premier, sur la côte sud du golfe de Tadjourah, comporterait des installations portuaires (quais, hangars, zones de fret et logistiques, etc.) permettant l’accueil en permanence de plusieurs bâtiments de guerre hauturiers ; les travaux ont débuté et sont réalisés par China Civil Engineering Construction Corporation Ltd (CCECC)4. Début 2015, fort de son alliance avec les Chinois, IOG dénonce le contrat de gestion du port de Doraleh passé avec les Émiriens de Dubai Ports World, provoquant l’ire d’Abou Dhabi et la rupture de fait des relations diplomatiques qui ne sont rétablies que depuis janvier 2016. Le second site, à Camp Obock, au nord, comprendrait au moins un cantonnement pour près de 10 000 hommes.
Ces effectifs considérables, s’ils étaient confirmés, seraient absolument inédits dans le pays : depuis l’indépendance, l’armée française n’a jamais disposé de plus de 5 600 hommes ; les Américains, 4 000. Quant aux forces armées djiboutiennes, elles comptent 13 000 hommes. Aucun détail sur la nature de ces troupes n’a été communiqué ; on peut cependant imaginer que des aéronefs de l’Armée populaire de libération (APL)5 (hélicoptères, avions de transport voire avions de chasse) pourraient stationner sur le nouvel aéroport d’Obock qui servirait de plateforme de « projection de forces » pour les Chinois. À cet effet, ils affecteraient à demeure, à Obock comme à Doraleh, des fusiliers marins, des forces spéciales et un volume adapté de personnel de commandement, de soutien et de protection.
Une série de partenariats depuis l’indépendance
Cette installation de l’armée chinoise s’inscrit dans la droite ligne des partenariats successifs passés par la petite République avec de grands pays depuis l’indépendance de 1977. Avec la France en premier lieu, qui a conservé longtemps sur place des moyens très significatifs pour protéger ses ressortissants, mais aussi, à partir des années 1990, pour crédibiliser ses accords de défense avec ses clients du Golfe. Subissant les réductions du budget de la défense, les Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj), même si elles conservent le contrôle aérien militaire du pays, sont drastiquement réduites et, en 2009, concourent à la mise sur pied de la nouvelle base d’Abou Dhabi.
À partir de 2002, la diminution des effectifs français est compensée par l’arrivée de 4 000 Américains qui, dans le cadre de leur « guerre contre le terrorisme », reprennent plusieurs emprises ainsi libérées. En plus d’un centre de commandement d’Africom6, Washington y dispose de moyens d’écoute et de renseignement, d’hélicoptères, d’avions de transport et de patrouille maritime, de forces spéciales et de drones armés qui frappent essentiellement au Yémen et en Somalie. Les États-Unis dépensent beaucoup pour leurs infrastructures (projet de 1,4 milliard de dollars sur 20 ans) comme pour la location des sites (70 millions de dollars par an). Or, sans préavis, en mai dernier, IOG leur a demandé de céder Camp Obock aux Chinois. Cette décision provoque de fortes tensions avec Washington qui, un temps, menace de désengager tous ses moyens du pays.
L’APL à Djibouti — en plus des Français et des Américains — devra aussi cohabiter avec 600 marins japonais, un détachement allemand et avec les Saoudiens qui viennent d’y placer deux centres de renseignement face au Yémen.
Ces derniers mois, les tensions entre Pékin et Washington en mer de Chine du Sud connaissent un regain de vigueur. Pourtant, plus discrètement sans doute, la Chine s’active aussi à l’autre extrémité de son « collier de perles »1.
Djibouti est comme enchâssé dans la Corne de l’Afrique entre trois voisins difficiles : l’Érythrée autocratique au nord, l’Éthiopie énigmatique à l’est et la Somalie chaotique au sud. Mais, à trente kilomètres des côtes du Yémen, l’ancien « territoire français des Afars et des Issas », avec le golfe de Tadjourah ouvert sur le détroit de Bab-el-Mandeb qui voit passer 40 % du trafic maritime mondial, dispose d’atouts incomparables. Les troubles que le pays a connus dans les années 19902 ont fait place à une stabilité intérieure pérennisée par la permanente reconduction à la tête de l’État, depuis 1999, du président Ismaïl Omar Guelleh3. Issu de l’ethnie majoritaire issa, « IOG » sait depuis très longtemps que la position de son pays sur la carte représente une véritable rente de situation. C’est d’ailleurs l’un de ses rares atouts : 23 000 km2 d’un territoire très aride, une agriculture quasi inexistante, quelques ressources minières et peu d’industries ne suffisent pas, à eux seuls, à la survie de ses quelque 880 000 habitants essentiellement établis dans la capitale.
Deux grands sites militaires
Les choses sont allées assez vite. Visiblement enthousiasmé par les offres chinoises, IOG signe dès février 2014 un accord de partenariat stratégique avec son homologue, Xi Jinping. Puis, tout au long de 2015, l’entrisme de Pékin se fait de plus en plus visible, et au sommet sino-africain de Johannesburg, en décembre dernier, une dizaine de programmes de coopération sont annoncés. Parmi les plus emblématiques, on trouve le développement du port de Doraleh (500 millions de dollars) et la construction d’un nouvel aéroport civil près d’Obock, dans le nord du pays. Dans le même temps, on assiste à la mise en service par les Chinois de la ligne de chemin de fer rénovée Addis-Abeba-Djibouti (3 milliards de dollars). Moins d’informations ont filtré sur les accords militaires, on en découvre toutefois peu à peu les contours.
La base chinoise devrait ainsi compter au moins deux grands sites. Le premier, sur la côte sud du golfe de Tadjourah, comporterait des installations portuaires (quais, hangars, zones de fret et logistiques, etc.) permettant l’accueil en permanence de plusieurs bâtiments de guerre hauturiers ; les travaux ont débuté et sont réalisés par China Civil Engineering Construction Corporation Ltd (CCECC)4. Début 2015, fort de son alliance avec les Chinois, IOG dénonce le contrat de gestion du port de Doraleh passé avec les Émiriens de Dubai Ports World, provoquant l’ire d’Abou Dhabi et la rupture de fait des relations diplomatiques qui ne sont rétablies que depuis janvier 2016. Le second site, à Camp Obock, au nord, comprendrait au moins un cantonnement pour près de 10 000 hommes.
Ces effectifs considérables, s’ils étaient confirmés, seraient absolument inédits dans le pays : depuis l’indépendance, l’armée française n’a jamais disposé de plus de 5 600 hommes ; les Américains, 4 000. Quant aux forces armées djiboutiennes, elles comptent 13 000 hommes. Aucun détail sur la nature de ces troupes n’a été communiqué ; on peut cependant imaginer que des aéronefs de l’Armée populaire de libération (APL)5 (hélicoptères, avions de transport voire avions de chasse) pourraient stationner sur le nouvel aéroport d’Obock qui servirait de plateforme de « projection de forces » pour les Chinois. À cet effet, ils affecteraient à demeure, à Obock comme à Doraleh, des fusiliers marins, des forces spéciales et un volume adapté de personnel de commandement, de soutien et de protection.
Une série de partenariats depuis l’indépendance
Cette installation de l’armée chinoise s’inscrit dans la droite ligne des partenariats successifs passés par la petite République avec de grands pays depuis l’indépendance de 1977. Avec la France en premier lieu, qui a conservé longtemps sur place des moyens très significatifs pour protéger ses ressortissants, mais aussi, à partir des années 1990, pour crédibiliser ses accords de défense avec ses clients du Golfe. Subissant les réductions du budget de la défense, les Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj), même si elles conservent le contrôle aérien militaire du pays, sont drastiquement réduites et, en 2009, concourent à la mise sur pied de la nouvelle base d’Abou Dhabi.
À partir de 2002, la diminution des effectifs français est compensée par l’arrivée de 4 000 Américains qui, dans le cadre de leur « guerre contre le terrorisme », reprennent plusieurs emprises ainsi libérées. En plus d’un centre de commandement d’Africom6, Washington y dispose de moyens d’écoute et de renseignement, d’hélicoptères, d’avions de transport et de patrouille maritime, de forces spéciales et de drones armés qui frappent essentiellement au Yémen et en Somalie. Les États-Unis dépensent beaucoup pour leurs infrastructures (projet de 1,4 milliard de dollars sur 20 ans) comme pour la location des sites (70 millions de dollars par an). Or, sans préavis, en mai dernier, IOG leur a demandé de céder Camp Obock aux Chinois. Cette décision provoque de fortes tensions avec Washington qui, un temps, menace de désengager tous ses moyens du pays.
L’APL à Djibouti — en plus des Français et des Américains — devra aussi cohabiter avec 600 marins japonais, un détachement allemand et avec les Saoudiens qui viennent d’y placer deux centres de renseignement face au Yémen.
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