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Pourquoi travaille-t-on ?

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  • Pourquoi travaille-t-on ?

    On travaille pour trois raisons fondamentales : gagner sa vie, exister 
socialement et faire des choses qui nous intéressent. Mais chacune de 
ces motivations a ses revers, poussant chacun tantôt à s’engager tantôt à fuir.
    Le lundi matin, pourquoi se lève-t-on pour aller au travail plutôt que de rester au lit ? La réponse tient en quelques mots. On travaille pour gagner sa vie, pour exister socialement (être connu et reconnu), voir des gens et enfin pour faire des choses qui nous intéressent : soigner, enseigner, construire ou réparer, faire la cuisine, écrire, etc. 

    Mais chacune de ces motivations a son revers. Gagner sa vie ? Certains ont plutôt le sentiment de la perdre en travaillant. Exister socialement ? Certes, le travail apporte un statut et de la reconnaissance, permet de nouer des liens sociaux, mais génère aussi beaucoup de frustrations, car travailler c’est coopérer mais aussi se heurter aux autres avec tout ce que cela comporte de conflits larvés, de rancœurs et de ressentiments. Enfin, travailler c’est vouloir s’accomplir dans certaines activités enrichissantes : soigner, enseigner, construire, réparer, cuisiner, écrire, plaider, etc. Mais pour une heure de bonheur combien de tâches ennuyeuses, barbantes, pénibles ? 

    Ces tensions entre aspirations fondamentales et réalité conduisent chacun d’entre nous à s’engager et se désengager : se passionner et se dégoûter, connaître des moments de plaisir, d’autres de mortels ennuis, se plonger dans des projets excitants et avoir envie parfois de tout plaquer. Voilà pourquoi l’on a aussi souvent envie de rester au lit…


    Pour gagner sa vie

    On travaille d’abord pour gagner sa vie, « subvenir à ses besoins » ou « faire bouillir la marmite », comme on disait autrefois. Travailler apparaît en première approche comme une nécessité vitale. Le travail remonte même aux sources de l’humanité : les hommes de la préhistoire devaient chasser, pêcher, rechercher de la nourriture, fabriquer des outils, construire des abris, s’occuper du feu, etc. Les technologies auraient dû nous libérer de nombreuses tâches et faire chuter le temps consacré au travail. Ce n’est qu’en partie le cas : au cours d’une vie, le temps de travail a chuté grâce à l’augmentation de la productivité (en gros, on travaille moins tout en produisant beaucoup plus) (1). Dans le même temps, le coût de la vie dans le monde moderne a considérablement augmenté. L’anthropologue Marshall Sahlins a calculé que dans certaines sociétés primitives, les adultes ne passent en moyenne que cinq heures par jour au travail. Cinq heures par jour, soit 35 heures par semaine… Les choses n’auraient-elles que si peu changé depuis la préhistoire (2) ?

    Aujourd’hui comme hier, il faudrait donc « travailler pour vivre », se nourrir, se loger, s’habiller, se soigner, et se payer quelques plaisirs. Cette apparente évidence mérite toutefois d’être interrogée. 

    Tout d’abord est-il vrai que le travail est consubstantiel à l’existence humaine ? Telle est la thèse défendue par Georg Hegel puis par Karl Marx qui pense que l’être humain est par nature un être de travail. L’espèce humaine se serait affranchie du monde naturel par la technique, l’outil et le travail par lesquels l’être humain transforme la nature et se transforme lui-même. Le travail serait donc ce qui permet à l’humain de s’accomplir… à condition toutefois de supprimer la division du travail qui mutile les individus et l’exploitation qui l’asservit.

    Cette conception du travail comme accomplissement de soi a été contestée par Hannah Arendt. Dans la Condition de l’homme moderne (1958), la philosophe refuse de voir dans le travail le propre de l’humain. Retournant aux penseurs classiques (Aristote notamment), elle rappelle que la vie humaine peut être vécue et pensée sur plusieurs modes. Elle oppose d’abord deux modalités de l’existence, la « vie contemplative » et la « vie active », l’une tournée vers la pensée, l’autre vers l’action, l’une vers la théorie et l’autre vers la « praxis » comme on disait alors. Au sein de la vie active, H. Arendt distingue ensuite trois types d’activité : le travail, la politique et l’œuvre. Le travail est assimilé à une nécessité biologique : c’est une tâche répétitive et animale nécessaire à la survie biologique et qui rive l’existence humaine à la morne reproduction. Il faut dire qu’H. Arendt a conçu son livre dans les années 1950, à une époque où le travail industriel qu’elle a en tête est synonyme de travail à la chaîne et prend le visage du Charlot des Temps modernes, condamné aux tâches abrutissantes et aux cadences infernales. Pour la philosophe, le vrai épanouissement humain ne peut se trouver qu’hors du travail, dans la réalisation d’une « œuvre » dont l’art est le modèle, dans l’action politique ou dans la vie de l’esprit.

    Deux conceptions du travail s’affrontent donc : le travail vu comme un accomplissement possible de soi ou comme un fardeau dont il faudrait se libérer pour vivre pleinement sa vie d’humain. Ces deux visions alimentent encore aujourd’hui les débats sur le travail. Pour les épigones d’H. Arendt (comme Dominique Méda), une vraie vie est possible hors du travail : c’est là que de plus en plus de nos contemporains recherchent leur accomplissement. Pour les épigones de Marx, le travail reste central dans l’existence humaine : c’est en cherchant à le maîtriser (et non à s’en échapper) que les individus peuvent se réaliser.

    Ce débat est théorique, mais a une traduction concrète pour des millions de gens car il renvoie à de vrais dilemmes existentiels. C’est le cas pour cette femme qui s’interroge – famille ou carrière ? – et qui finalement décide de s’arrêter provisoirement pour profiter de ses enfants en bas âge. Travailler ou non : c’est un dilemme concret pour cet étudiant qui hésite entre poursuivre des études longues et se lancer sur le marché du travail pour gagner enfin sa vie. C’est aussi un dilemme pour cette enseignante de 58 ans qui s’interroge : prendre sa retraite maintenant et vivre ses rêves longtemps mis au placard ou prolonger encore de quelques années pour assurer une pension de retraite plus confortable ? 


    Pour exister socialement 

    Quand on part au travail le matin, on ne se contente pas d’aller chercher un salaire, on endosse un costume social : celui de l’enseignant, du policier, du chef d’entreprise, du travailleur social, du garagiste ou du facteur. On part aussi à la rencontre de gens : des collègues, des clients, des élèves, des patients ou des usagers. Le travail est aussi cela : un statut social et des rencontres multiples.

    La perception de cette dimension statutaire du travail commence tôt dans l’enfance : « Quand je serai grand, je serai policier, maîtresse, docteur » (3). Dans ces rêves d’enfants se mêlent déjà à l’activité elle-même (protéger, enseigner, soigner) une perception intuitive de la noblesse de certains métiers et le port de l’uniforme. Chaque profession trouve sa place le long d’une échelle de prestige (4). Depuis longtemps en Occident, les professions intellectuelles sont mieux considérées que les professions manuelles. Cette hiérarchie évolue dans le temps : certaines professions très considérées comme celles d’enseignant ou de journaliste ont perdu de leur crédit, alors que le prestige du chef cuisinier ou du viticulteur grimpe en flèche (5).

    Cela dit, le prestige des professions ne se mesure pas à une échelle unique. Chaque groupe professionnel se forge aussi une image de soi plus ou moins valorisante. Alain Touraine avait déjà repéré la « conscience fière » chez les ouvriers d’usine, cette fierté que l’on retrouve chez le boulanger comme chez le sidérurgiste. Ces notions de « fierté », de « dignité » et même de « sens de l’honneur », notions apparemment désuètes, refont aujourd’hui surface (6). Sans doute parce qu’elles touchent à quelque chose de très profond chez les humains. « Sans cette reconnaissance qui fournit les bases de la dignité et de l’estime de soi, nous ne saurions vivre », écrit Alain Caillé (7). 

    Tenir son rang dans la société est donc une motivation centrale pour les animaux sociaux que nous sommes. Mais les aspirations sociales s’expriment également sous une autre forme : sur le lieu de travail se nouent des relations, on y parle, on y rit, on boit le café, on se réunit, on coopère. La sociabilité au travail répond à ce que les psychologues sociaux nomment un « besoin d’appartenance », qui fait que pour certains le travail représente comme une « seconde famille » (8). Ce besoin d’appartenance est cependant à double tranchant. Car si la solitude est une souffrance, l’inverse est également vrai : parfois « l’enfer, c’est les autres » (Jean-Paul Sartre, Huis clos). Le lieu de travail est le lieu des sympathies et des antipathies où l’amitié et la haine se côtoient. Des petits groupes chaleureux et protecteurs se constituent, mais parfois au détriment d’autres groupes. Dans toutes les organisations, entreprises ou administrations se forment des clans, et des cliques opposent des niveaux hiérarchiques, des services et parfois des groupes de salariés entre eux. Chaque clan forme une communauté fusionnelle où l’on rit, s’amuse, se soutient face à l’adversité, et où l’on entretient aussi la haine et le mépris de l’autre. Le travail c’est aussi cela. 

    Le travail brise l’isolement. Travailler c’est rencontrer des gens, parler, se réunir, coopérer. L’importance fondamentale de cette existence sociale se mesure le plus clairement quand on la perd. Les études de sociologie clinique montrent combien les chômeurs souffrent d’une « perte d’identité », pas simplement de revenus (9). Voilà pourquoi aussi certains retraités se lancent dans des activités bénévoles alors qu’ils pourraient jouir d’un paisible repos à l’écart du monde ; à la volonté d’être utile et au désir d’aider l’autre s’ajoute un bénéfice personnel : continuer à « être quelqu’un ». C’est ce que procure aussi un travail.


  • #2
    suite

    Pour le plaisir 

    « Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie. » Cette citation de Confucius (extraite du Livre des sentences) est extrêmement moderne. Au passage, elle bat en brèche quelques idées reçues sur le travail d’antan. Tout d’abord l’idée que le choix du métier est une invention moderne et qu’autrefois on était toujours assigné à une tâche en fonction de sa naissance. Confucius a vécu cinq siècles avant J.‑C. Certes, la mobilité sociale n’était pas ce qu’elle est dans les sociétés contemporaines, mais il est faux de croire que le fils de paysan devait toujours suivre la voie de son père. Il pouvait partir chercher fortune ailleurs : s’embarquer en mer, devenir artisan, commerçant, s’engager comme domestique, devenir prêtre ou… brigand. Certains fils de bonne famille rentraient dans les armes, d’autres dans l’administration (déjà développée à l’époque) ou encore dans le commerce. Une autre idée reçue mise à mal par la formule de Confucius est celle qui voit le travail antique comme une damnation pour tous ceux qui ne sont pas des oisifs. « Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez plus à travailler » : la formule contient l’idée d’une double face du travail : il peut être plaisant ou vécu comme un enfer selon qu’il correspond ou non à nos aspirations profondes. 

    Travailler, ce n’est pas seulement chercher à gagner sa vie, détenir un statut, rencontrer des gens, c’est aussi effectuer certaines activités pouvant être attrayantes en soi : soigner, construire, réparer, cuisiner, conduire un camion, s’occuper d’animaux ou d’enfants, écrire. Certains trouvent même plaisants la comptabilité, la vente ou l’entretien des pelouses.

    Le plaisir que procure une activité en soi relève de ce que les psychologues appellent une motivation intrinsèque* (et qui se distingue de la motivation extrinsèque liée aux récompenses indirectes : salaires, statut, reconnaissance, etc.). Les spécialistes du travail (philosophes, sociologues, psychologues) ont longtemps négligé cette dimension propre au travail. Depuis peu, elle suscite l’attention. Alain de Botton s’est intéressé à l’intérêt que pouvaient éprouver certains professionnels pour des domaines apparemment peu valorisants : la peinture antirouille des coques de bateaux, la comptabilité analytique, la logistique ou la fabrication de biscuits industriels (10). Pourtant, allez rencontrer ces spécialistes, faites-les parler et vous découvrirez que l’on peut se passionner pour les pylônes électriques ou le marketing Web. Alexandra Bidet s’est intéressée à l’engagement dans le travail d’employés à la surveillance du trafic d’un réseau téléphonique (11).

    L’intérêt intrinsèque que procure tel ou tel emploi se laisse difficilement appréhender dans les catégories générales de la « valeur » du travail. Ce sont des formes d’attrait difficiles à décrire. L’une d’entre elles relève du souci du travail bien fait : beaucoup de travaux manuels comportent une part d’épreuve à relever. Réparer une moto, c’est être confronté à une panne (telle une intrigue), la détecter, mettre en œuvre son savoir-faire pour réparer, parfois se heurter à des obstacles inattendus qui sont autant de défis. Quand on a réussi à la faire redémarrer, que le moteur tourne avec un son agréable, il y a le sentiment du devoir accompli, le clin d’œil complice du compagnon d’atelier, la fierté d’avoir dominé la machine. Cette petite dramaturgie humaine échappe à qui n’est pas de la partie (12). Même dans certains métiers pénibles on peut trouver du charme. Le sociologue Thierry Pillon, qui a collecté de nombreux témoignages d’ouvriers, note que « le travail répétitif de l’usine par exemple, aussi pénible soit-il, conduit parfois à une forme d’allégresse, de joie passagère, il permet le rêve et la prise de distance » (13). Il n’y a pas que les métiers créatifs (architecte ou publicitaire), intellectuels (journaliste ou chercheur), prestigieux (avocat ou chirurgien), nobles (tailleur de pierre) qui suscitent des passions. Une foule d’activités sont attractives en soi parce qu’elles comportent des épreuves, des défis, des problèmes à résoudre, des moments d’attention où l’on oublie tout le reste. Michel Jouanneaux, qui appelle à une anthropologie de l’activité, souligne qu’il y a dans nombre de métiers une dimension ludique : même pour planter des arbustes le long d’une chaussée ou souder correctement deux tôles de métal. Le travail est aussi un jeu (14). C’est aussi un engagement, une mobilisation intellectuelle et affective, qui appelle un cadre conceptuel élargi par rapport aux catégories habituelles de la sociologie du travail.

    Reste évidemment que certains métiers sont plus attractifs que d’autres : on imagine bien que restaurer des tableaux anciens est plus gratifiant qu’être rivé à un poste téléphonique dans un call center. De ce point de vue, les plaisirs et les peines au travail ont changé de nature en un demi-siècle. La sociologie du travail du xxe siècle avait dénoncé les aspects mutilants, déshumanisants et abrutissants du travail à la chaîne (taylorisme et fordisme). Aujourd’hui, ce sont la pénibilité psychologique, le stress, le burn-out qui sont dénoncés comme les nouvelles formes de pénibilité du travail.


    Trois raisons de travailler ?

    On travaille pour gagner sa vie, pour exister socialement, pour accomplir des tâches intéressantes et s’accomplir. Mais ces trois raisons de travailler ont chacune son inverse : on cherche à se détourner du travail parce que l’on ne gagne pas assez, que l’on n’est pas suffisamment reconnu, que l’on n’aime pas les gens avec qui l’on travaille, que l’on est lassé de certaines tâches, etc. Dès lors, l’engagement dans le travail va susciter une multitude de variations individuelles comme le montrent les multiples témoignages que l’on peut récolter dans les enquêtes sur la satisfaction au travail (15). Ces attitudes vont de l’enthousiasme au dégoût avec toute une gamme de variations intermédiaires : on peut aimer son travail, mais pas les gens avec qui on le fait. On peut se plaire dans l’ambiance d’une équipe malgré un métier peu gratifiant ; on peut s’accrocher à un emploi uniquement pour le salaire tout en ayant perdu la flamme car l’amour du travail subit aussi l’usure du temps ; on peut s’en détourner parce que l’on en a « fait le tour », que l’on s’est habitué et que l’on souhaite tourner la page. Pour un nouveau travail que l’on rêve plus enrichissant…

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    • #3
      suite et fin

      Qu'est-ce que le travail ?
      « Ce que nous appelons travail est une invention de la modernité » (André Gorz, Métamorphoses du travail, Galilée, 1988).
Quelle étrange idée ! Est-ce à dire qu’avant la modernité les gens ne travaillaient pas ? 
Les paysans, les artisans au Moyen Âge et les esclaves de l’Antiquité ne travaillaient-ils pas ? 

      Cette idée est pourtant reprise dans de nombreux écrits contemporains.
 On la retrouve chez Dominique Méda (Le Travail, une valeur en voie de disparition, Aubier, 1995) ou Michel Lallement (Le Travail sous tensions, éd. Sciences Humaines, 2010).

      Cette affirmation trouve d’abord son origine
dans une distinction établie par Karl Marx sur la différence entre « travail concret »
et « travail abstrait ». Le paysan va aux champs : il plante, sème et récolte ; le forgeron forge ;
le tailleur taille ; le charpentier couvre les toits, etc. Toutes ces activités sont des tâches particulières. C’est, dit Marx, du « travail concret ». Ces activités ne peuvent être rassemblées sous la catégorie générale de « travail » que lorsqu’elles sont comparées entre elles. Et cette comparaison se réalise dans l’acte d’achat et de vente (il faut alors se détacher du contenu de chaque activité pour chercher
un équivalent général). L’équivalent général est
le « temps de travail » qui donne sa valeur au bien produit. Le « travail abstrait » apparaît donc avec le salariat, quand le temps
 du travailleur est acheté et vendu.

      Le travail est aussi pensé comme une catégorie autonome dès lors qu’il se sépare des autres sphères de la vie sociale : les activités familiales notamment, ce qui n’est pas le cas à la ferme 
ou dans les activités artisanales d’autrefois où vie de famille et travail sont très imbriqués (« encastrés », dira Karl Polanyi). Lorsqu’il faut quitter le domicile pour aller à l’usine,
 le travail devient une sphère autonome
 et peut être pensé comme telle.

      Cette conception restreinte du travail
(assimilé au salariat) a l’intérêt d’attirer l’attention sur le processus de différenciation des activités humaines : la séparation progressive entre activités domestiques et économiques, la division du travail entre propriétaires des moyens de production et ceux qui vendent leur force de travail, la division entre la direction et l’exécution, etc.

      Mais cette conception restreinte du travail, assimilé au salariat, s’oppose à une conception élargie du travail. Peut-on ne pas considérer l’activité du paysan, de l’artisan, le travail domestique et même celui du chasseur-cueilleur qui construit ses outils (lances, percuteurs,
outils de pierre), fabrique des huttes, découpe les peaux, entretient le feu, etc. comme du travail au motif qu’il n’est pas une marchandise
et ne donnait pas lieu à un revenu ? 

      Marx envisage aussi le travail dans un sens large intégrant toute activité visant à produire ses moyens d’existence. Après Georg Hegel, il voit le travail comme l’essence de l’humanité. « On peut distinguer les hommes des animaux par la conscience, par la religion et par tout ce que l’on voudra. Eux-mêmes commencent à se distinguer des animaux dès qu’ils commencent à produire leurs moyens d’existence » (Karl Marx et Friedrich Engels, L’Idéologie allemande, 1845-1846).

      Le travail, propre de l’homme ? 
C’est en produisant ses moyens d’existence que l’homme se transforme lui-même et s’arrache
 aux conditions naturelles.

      Pour Marx, le travail est donc l’essence de l’homme. Mais dès lors, pourquoi ne pas considérer que le travail existe aussi dans le monde animal : le castor construit ses barrages, l’oiseau fait son nid, les abeilles s’affairent toute la journée à chercher de la nourriture, à construire des alvéoles, à nourrir les larves, etc. Marx a conscience de cette objection possible et il lui faut donc trouver une ligne de démarcation entre le travail humain et le travail animal. « Notre point de départ, c’est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l’homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de plus d’un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche.
 Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur » (Karl Marx, Le Capital, 1867).
      Achille Weinberg



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