INTERVIEW - Le favori de la primaire à droite pour la présidentielle 2017 dévoile dans « Les Echos » son programme économique et social. Il cible la baisse des prélèvements sur les entreprises et promet des « déclics » sur l’emploi.
Alain Juppé dévoile son projet économique et social et livre son cadrage budgétaire, dans un entretien exclusif aux « Echos ». Le candidat à la primaire de la droite , dont l’objectif est d’atteindre le plein-emploi en 2022, envisage, s’il est élu en 2017, une baisse des prélèvements obligatoires de 28 milliards d’euros, ciblée en majeure partie sur les entreprises.
Pour encourager l’embauche et la compétitivité, il propose notamment un « CDI sécurisé » et une réduction des cotisations sociales famille de 10 milliards. L’ancien Premier ministre vise aussi à relever le quotient familial. Lui qui prévoit 85 milliards d’économie, souhaite porter l’âge légal de la retraite à 65 ans et rattacher, dès 2018, aux régimes de retraite privés, les nouveaux embauchés de la fonction publique.
Est-ce que, comme le martèle François Hollande, la France « va mieux » ?
Non, la France ne va pas mieux ! D’ailleurs, personne ne le croit. La croissance n’a pas redémarré, ni les investissements. Le bon chiffre du mois dernier n’a pas résorbé le chômage ni effacé les 600.000 demandeurs d’emploi supplémentaires depuis 2012 et encore moins les 5,7 millions de personnes dépourvues d’un emploi à temps plein.
Nous sommes dans une crise politique latente avec un pouvoir qui a perdu sa crédibilité, et un ministre de l’économie, Emmanuel Macron, dont le bilan est mince sauf en termes d’agitation médiatique… Il y a aussi cette sourde inquiétude des Français sur l’avenir. Cela dit, la France n’est pas au bord du gouffre et annoncer le sang, la sueur et les larmes n’est pas nécessaire. Je reste profondément confiant dans l’avenir de la France ! C’est la sixième puissance économique du monde, elle a des atouts immenses, le principal étant son fabuleux esprit d’entreprise, notamment chez les jeunes.
Quelle croissance la France peut-elle espérer ? Cela fait cinq ans qu’elle tourne autour de 1% maximum et dix ans qu’elle n’a pas atteint les 2,5%, que les candidats à la présidentielle promettent toujours…
La première chose à dire est que la croissance de demain ne ressemblera pas à celle des « Trente Glorieuses ». La croissance devra être « COP 21 compatible », sobre en ressources rares, fondée sur le recyclage, pas sur le gaspillage, et irriguée par les technologies numériques, avec des modes de consommation et de production qui vont considérablement évoluer. C’est à ce nouveau monde que nous devons nous préparer et c’est cela qui compte plus que des chiffres. Cela dit, les pays mâtures ne pourront probablement plus retrouver des croissances de 2,5-3%. A mon sens, un pays comme la France peut espérer une croissance autour de 2%, s’il s’en donne les moyens.
Peut-on viser le plein-emploi ?
C’est mon objectif sur cinq ans. C’est l’enjeu essentiel au plan économique, social et moral. Les deux premières économies européennes, l’Allemagne et le Royaume-Uni, y sont parvenues, pourquoi pas nous ? La France a jusqu’ici appliqué des politiques qui reposent sur des principes erronés, le partage du travail - et la CGT parle déjà des 32 heures ! - et les emplois aidés. Il faut changer de logique et remettre les entreprises au cœur de la politique de l’emploi.
Avant les élections, il y a souvent beaucoup d’audace dans les programmes, nettement moins après. Vous avez vous-même expérimenté les difficultés de la réforme en 1995… Comment les dépasser ?
Avec ma méthode des 100 jours qui… précèdent l’élection, au cours desquels doit s’ouvrir un grand débat public. Il ira plus loin, je l’espère, que la question de savoir si Jeanne d’Arc est une référence pour tous les Français ou non ! L’objectif est de dire la vérité, ce qui a été rarement le cas lors des campagnes antérieures. Pour ma part, je veux convaincre les Français notamment que l’ISF est nocif pour l’emploi ; que ce n’est pas en taxant les CDD et en rigidifiant le Code du travail que l’on facilite les embauches ; et enfin que le décalage de l’âge légal de la retraite à 65 ans ne pénalisera ni l’emploi des seniors ni celui des jeunes. Il faudra, je le sais, un effort de pédagogie très grand.
Cela, c’est avant l’élection. Et après ?
Nous nous donnerons six mois pour mettre en œuvre la dizaine d’ordonnances que nous sommes déjà en train de préparer. Nous gouvernerons aussi avec des ministres stables - entre 10 et 15, pas plus - qui seront les patrons de leur administration et pas de gentils organisateurs de sorties dominicales. Ils devront, sur le modèle anglais, rendre compte régulièrement.
Quelles mesures devraient être mises en œuvre rapidement ? La situation des comptes publics ne permet pas de tout faire.
Il faudra engager la baisse des charges des entreprises, réorienter l’épargne des Français vers l’investissement productif et lever les obstacles à l’embauche. La priorité absolue, c’est l’emploi. Ainsi, j’assume des baisses de prélèvements ciblées en majeure partie sur les entreprises. Le crédit d’impôt compétitivité emploi devra être transformé dès 2018 en une baisse de charges pérenne, permettant d’annuler toutes les charges patronales au niveau du SMIC, soit 11 points de moins que dans la situation actuelle. Et j’engagerai très vite la réduction du taux d’impôt sur les sociétés, pour revenir à 30% d’ici à 2022. On ne va pas rester à 38% quand la moyenne européenne se situe à 22% !
Vous envisagez également une hausse de 1 point de la TVA pour alléger les cotisations sociales au titre de la branche famille et le coût du travail de toutes les entreprises…
Oui, et j’assume la priorité au combat pour l’emploi. Je ne fais pas une politique pour faire des cadeaux à telle ou telle clientèle électorale. La suppression d’une partie des cotisations famille des entreprises à hauteur de 10 milliards d’euros allégera le coût du travail pour tous les salaires. C’est une première étape, et nous verrons si nous pouvons aller plus loin dans un deuxième temps.
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Restons un instant sur la fiscalité. Pour les ménages, vous envisagez pour l’essentiel la suppression de l’ISF et un relèvement du quotient familial. Les classes moyennes, qui ont vu leurs impôts augmenter ces dernières années, ne risquent-elles pas d’être déçues ?
Les familles, qui ont subi un véritable démantèlement de la politique familiale depuis 2012, bénéficieront d’une hausse significative du plafond du quotient familial, à 2.500 euros par demi-part. Je prévois aussi des allégements de cotisations pour les particuliers employeurs, ainsi que pour les travailleurs indépendants. J’abrogerai l’ISF, un impôt injuste, qui fait fuir l’argent des Français et les incite à investir ailleurs. Je sais que cette mesure sera impopulaire, mais j’ai bien l’intention de dire la vérité. Je veux aussi réduire la taxation des revenus du capital, beaucoup plus élevée que celle du travail aujourd’hui, via un prélèvement forfaitaire proche de 20%. Les classes moyennes attendent en priorité que l’on favorise l’emploi. Tout mon projet fiscal est bâti autour de cette préoccupation.
Quelles dispositions seront prises immédiatement, au-delà du coût du travail, pour l’emploi ?
Il faut des « déclics » de confiance immédiats pour lever les freins à l’embauche : je propose un CDI sécurisé avec des motifs de licenciement prédéfinis dans le contrat de travail, le plafonnement des indemnités prud’homales, le référendum d’entreprise à l’initiative de l’employeur et la sortie, pour de bon, des 35 heures. La durée légale passera à 39 heures au bout de deux ans sauf pour les entreprises qui, par accord, souhaiteront rester à un niveau inférieur. Les salariés qui feront plus d’heures gagneront plus.
La loi El Khomri, plus timide, est très contestée. Comment faire accepter votre réforme du travail, qui prévoit aussi un encadrement strict des mandats syndicaux ? Vous avez théorisé la doctrine de la goutte d’eau, ne craignez-vous pas de faire déborder le vase ?
Avant d’évoquer la goutte d’eau, commençons par remplir le vase ! L’impopularité de la loi El Khomri ne vient pas tant des mesures qu’elle contient, bien trop modestes, que du fait que les électeurs de François Hollande se sentent trahis parce qu’ils l’avaient élu pour faire autre chose. Moi, je dis avant ce que je ferai après, et si je suis élu, j’aurai mandat pour le faire. Les Français savent bien qu’il faut bouger pour éviter le décrochage du pays.
Sur les retraites :
Vous prévoyez 85 milliards d’euros d’économies dans les dépenses publiques. La disposition la plus forte concerne le relèvement à 65 ans de l’âge de la retraite. N’est-ce pas repasser le mistigri à l’assurance-chômage ?
Je m’inscris en faux contre toute idée de corrélation entre l’âge de départ en retraite et le taux de chômage. Les pays où l’âge de départ à la retraite est élevé ne sont pas les pays où le chômage, y compris celui des seniors, est élevé. C’est le dynamisme de l’économie qui compte. C’est un faux argument.
Alain Juppé dévoile son projet économique et social et livre son cadrage budgétaire, dans un entretien exclusif aux « Echos ». Le candidat à la primaire de la droite , dont l’objectif est d’atteindre le plein-emploi en 2022, envisage, s’il est élu en 2017, une baisse des prélèvements obligatoires de 28 milliards d’euros, ciblée en majeure partie sur les entreprises.
Pour encourager l’embauche et la compétitivité, il propose notamment un « CDI sécurisé » et une réduction des cotisations sociales famille de 10 milliards. L’ancien Premier ministre vise aussi à relever le quotient familial. Lui qui prévoit 85 milliards d’économie, souhaite porter l’âge légal de la retraite à 65 ans et rattacher, dès 2018, aux régimes de retraite privés, les nouveaux embauchés de la fonction publique.
Est-ce que, comme le martèle François Hollande, la France « va mieux » ?
Non, la France ne va pas mieux ! D’ailleurs, personne ne le croit. La croissance n’a pas redémarré, ni les investissements. Le bon chiffre du mois dernier n’a pas résorbé le chômage ni effacé les 600.000 demandeurs d’emploi supplémentaires depuis 2012 et encore moins les 5,7 millions de personnes dépourvues d’un emploi à temps plein.
Nous sommes dans une crise politique latente avec un pouvoir qui a perdu sa crédibilité, et un ministre de l’économie, Emmanuel Macron, dont le bilan est mince sauf en termes d’agitation médiatique… Il y a aussi cette sourde inquiétude des Français sur l’avenir. Cela dit, la France n’est pas au bord du gouffre et annoncer le sang, la sueur et les larmes n’est pas nécessaire. Je reste profondément confiant dans l’avenir de la France ! C’est la sixième puissance économique du monde, elle a des atouts immenses, le principal étant son fabuleux esprit d’entreprise, notamment chez les jeunes.
Quelle croissance la France peut-elle espérer ? Cela fait cinq ans qu’elle tourne autour de 1% maximum et dix ans qu’elle n’a pas atteint les 2,5%, que les candidats à la présidentielle promettent toujours…
La première chose à dire est que la croissance de demain ne ressemblera pas à celle des « Trente Glorieuses ». La croissance devra être « COP 21 compatible », sobre en ressources rares, fondée sur le recyclage, pas sur le gaspillage, et irriguée par les technologies numériques, avec des modes de consommation et de production qui vont considérablement évoluer. C’est à ce nouveau monde que nous devons nous préparer et c’est cela qui compte plus que des chiffres. Cela dit, les pays mâtures ne pourront probablement plus retrouver des croissances de 2,5-3%. A mon sens, un pays comme la France peut espérer une croissance autour de 2%, s’il s’en donne les moyens.
Peut-on viser le plein-emploi ?
C’est mon objectif sur cinq ans. C’est l’enjeu essentiel au plan économique, social et moral. Les deux premières économies européennes, l’Allemagne et le Royaume-Uni, y sont parvenues, pourquoi pas nous ? La France a jusqu’ici appliqué des politiques qui reposent sur des principes erronés, le partage du travail - et la CGT parle déjà des 32 heures ! - et les emplois aidés. Il faut changer de logique et remettre les entreprises au cœur de la politique de l’emploi.
Avant les élections, il y a souvent beaucoup d’audace dans les programmes, nettement moins après. Vous avez vous-même expérimenté les difficultés de la réforme en 1995… Comment les dépasser ?
Avec ma méthode des 100 jours qui… précèdent l’élection, au cours desquels doit s’ouvrir un grand débat public. Il ira plus loin, je l’espère, que la question de savoir si Jeanne d’Arc est une référence pour tous les Français ou non ! L’objectif est de dire la vérité, ce qui a été rarement le cas lors des campagnes antérieures. Pour ma part, je veux convaincre les Français notamment que l’ISF est nocif pour l’emploi ; que ce n’est pas en taxant les CDD et en rigidifiant le Code du travail que l’on facilite les embauches ; et enfin que le décalage de l’âge légal de la retraite à 65 ans ne pénalisera ni l’emploi des seniors ni celui des jeunes. Il faudra, je le sais, un effort de pédagogie très grand.
Cela, c’est avant l’élection. Et après ?
Nous nous donnerons six mois pour mettre en œuvre la dizaine d’ordonnances que nous sommes déjà en train de préparer. Nous gouvernerons aussi avec des ministres stables - entre 10 et 15, pas plus - qui seront les patrons de leur administration et pas de gentils organisateurs de sorties dominicales. Ils devront, sur le modèle anglais, rendre compte régulièrement.
Quelles mesures devraient être mises en œuvre rapidement ? La situation des comptes publics ne permet pas de tout faire.
Il faudra engager la baisse des charges des entreprises, réorienter l’épargne des Français vers l’investissement productif et lever les obstacles à l’embauche. La priorité absolue, c’est l’emploi. Ainsi, j’assume des baisses de prélèvements ciblées en majeure partie sur les entreprises. Le crédit d’impôt compétitivité emploi devra être transformé dès 2018 en une baisse de charges pérenne, permettant d’annuler toutes les charges patronales au niveau du SMIC, soit 11 points de moins que dans la situation actuelle. Et j’engagerai très vite la réduction du taux d’impôt sur les sociétés, pour revenir à 30% d’ici à 2022. On ne va pas rester à 38% quand la moyenne européenne se situe à 22% !
Vous envisagez également une hausse de 1 point de la TVA pour alléger les cotisations sociales au titre de la branche famille et le coût du travail de toutes les entreprises…
Oui, et j’assume la priorité au combat pour l’emploi. Je ne fais pas une politique pour faire des cadeaux à telle ou telle clientèle électorale. La suppression d’une partie des cotisations famille des entreprises à hauteur de 10 milliards d’euros allégera le coût du travail pour tous les salaires. C’est une première étape, et nous verrons si nous pouvons aller plus loin dans un deuxième temps.
Lire aussi
:
Restons un instant sur la fiscalité. Pour les ménages, vous envisagez pour l’essentiel la suppression de l’ISF et un relèvement du quotient familial. Les classes moyennes, qui ont vu leurs impôts augmenter ces dernières années, ne risquent-elles pas d’être déçues ?
Les familles, qui ont subi un véritable démantèlement de la politique familiale depuis 2012, bénéficieront d’une hausse significative du plafond du quotient familial, à 2.500 euros par demi-part. Je prévois aussi des allégements de cotisations pour les particuliers employeurs, ainsi que pour les travailleurs indépendants. J’abrogerai l’ISF, un impôt injuste, qui fait fuir l’argent des Français et les incite à investir ailleurs. Je sais que cette mesure sera impopulaire, mais j’ai bien l’intention de dire la vérité. Je veux aussi réduire la taxation des revenus du capital, beaucoup plus élevée que celle du travail aujourd’hui, via un prélèvement forfaitaire proche de 20%. Les classes moyennes attendent en priorité que l’on favorise l’emploi. Tout mon projet fiscal est bâti autour de cette préoccupation.
Quelles dispositions seront prises immédiatement, au-delà du coût du travail, pour l’emploi ?
Il faut des « déclics » de confiance immédiats pour lever les freins à l’embauche : je propose un CDI sécurisé avec des motifs de licenciement prédéfinis dans le contrat de travail, le plafonnement des indemnités prud’homales, le référendum d’entreprise à l’initiative de l’employeur et la sortie, pour de bon, des 35 heures. La durée légale passera à 39 heures au bout de deux ans sauf pour les entreprises qui, par accord, souhaiteront rester à un niveau inférieur. Les salariés qui feront plus d’heures gagneront plus.
La loi El Khomri, plus timide, est très contestée. Comment faire accepter votre réforme du travail, qui prévoit aussi un encadrement strict des mandats syndicaux ? Vous avez théorisé la doctrine de la goutte d’eau, ne craignez-vous pas de faire déborder le vase ?
Avant d’évoquer la goutte d’eau, commençons par remplir le vase ! L’impopularité de la loi El Khomri ne vient pas tant des mesures qu’elle contient, bien trop modestes, que du fait que les électeurs de François Hollande se sentent trahis parce qu’ils l’avaient élu pour faire autre chose. Moi, je dis avant ce que je ferai après, et si je suis élu, j’aurai mandat pour le faire. Les Français savent bien qu’il faut bouger pour éviter le décrochage du pays.
Sur les retraites :
Vous prévoyez 85 milliards d’euros d’économies dans les dépenses publiques. La disposition la plus forte concerne le relèvement à 65 ans de l’âge de la retraite. N’est-ce pas repasser le mistigri à l’assurance-chômage ?
Je m’inscris en faux contre toute idée de corrélation entre l’âge de départ en retraite et le taux de chômage. Les pays où l’âge de départ à la retraite est élevé ne sont pas les pays où le chômage, y compris celui des seniors, est élevé. C’est le dynamisme de l’économie qui compte. C’est un faux argument.
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